RIGUEUR (A LA)…(Séverin BUZINET / BAKCHICH)
Dans un navet des années 60, je me souviens avoir vu le très regretté Francis Blanche, costumé comme d’hab’ en officier SS, se lamenter avec un fort accent teuton sur la difficulté de sa tâche : « Z’est bas donné, pour faire afouer à un jabonais qu’il est juif ! ». Pas plus facile de faire cracher le mot « rigueur » à la dream team hollandienne.
C’EST CELUI QUI L’A DIT QUI L’EST
Des fois, je me dis que c’est un jeu à la con entre les paperlardiers, une sorte de challenge entre salles de rédac, une étape d’un parcours de piste façon course au trésor (public) : le premier qui en force un à dire « rigueur », il a gagné le canard, la bourriche et la bouteille de Pernod. Alors, forcément, ça se tortille sur les chaises pour l’interview paritaire du 14 juillet , au point de presse de la belle Najat, partout où un ministre arrose un chrysanthème ou inaugure un Pôle Emploi. À l’Assemblée, dans ces beaux couloirs où Copé fait vainement les trois cents pas au pied de la pendule en attendant qu’on lui demande l’heure, c’est le rush sur les députés de la nouvelle majorité, surtout les jeunots, qu’on suppose plus tendres :
« Alors, cette rigueur, ça se passe bien ? ». Mais ils ont été briefés et rebriefés, les gamins comme les vieillards, pas un mot qui dépasse : tu me dis « rigueur », je te réponds « sérieux », tu me dis « austérité », je te réponds « poil au nez ».
Dans les rédacs, on en est à envoyer les stagiaires de l’été en jupe courte malgré les frimas pour faire craquer les éléphants : « Pépé, dessine-moi la rigueur, et je ramasse mon stylo par terre rien que pour toi ! » – « Passe ton chemin, mon petit chaperon ! ».
Et à l’édito du soir ou du matin, on daube sur « la rigueur qui n’ose pas dire son nom », poil au croupion. Comme s’il y avait besoin d’une étiquette sur le fromage pour savoir que ce n’est pas du melon ! Pareil ! Nous sommes chez Derrick, faut dire qu’on téléphone quand on prend le téléphone. Résultat : on n’est pas dans la rigueur, on est dans la traque lexicale.
D’un côté comme de l’autre, pas question de céder. C’est d’autant plus ridicule que « rigueur », ce n’est même pas un gros mot. Ils devraient faire la même chose avec « turlutte » ou « orbite ». Mais depuis que DSK est sorti de sa douche, cela manque de sel.
WORDS, WORDS, WORDS
C’est pathétique, ce rapport à la fois tendu et futile que les gouvernants et les commentateurs politiques ont avec les mots. Tenez, « fracture » : avec ce gadget, Chirac a gagné une élection, sans même qu’un pas trop gnou lui fasse remarquer que de « fracture » à « facture », il n’y avait qu’un courant d’r. Avant lui, Chevènement avait fait fortune avec « déshérence » et « obérer », que personne ne savait écrire dans les rédacs où le Robert sert à caler le radiateur, et bien sûr « sauvageons » dont personne n’est allé vérifier le sens. Balladur, avec son look de butler gourmé dans un polar d’Agatha Christie, avait lancé l’anglicisme « gouvernance », dont personne ne savait au juste en quoi il désignait autre chose que le gouvernement au sens d’action de gouverner. Pendant cinq ans, ça a fait vibrer les Rastignacs de Sciences-Po, puis c’est retombé comme le soufflet à bajoues qui l’avait mis en orbite. Après, il y a eu « expertise », encore un anglicisme, puisqu’en français du terroir cela signifie le fait d’expertiser puis le résultat de l’opération, et pas le talent de l’expert. Un succès fou, à sucer comme un caramel ou un président du FMI. Maintenant, on se complaît à confondre « déni » et « dénégation », ce qui n’est finalement pas plus grave que de confondre « rétif » et « réticent », le premier étant de la Bretonne et le second s’appliquant à un gouvernement qui refuse de prononcer le mot « rigueur », par exemple.
Je passe évidemment sur toutes les coulures baveuses de la culture du Power Point : « optimiser » (pour « niquer le fisc »), « contre-productif » (pour « chiant et/ou débile et/ou contraire à mes intérêts perso »), «externaliser » (qui est un pur barbarisme mais peut aider à «optimiser ») et l’adorable « variable d’ajustement » qui peut désigner aussi bien le licenciement de trois mille gars que le changement des ampoules dans le bureau du DRH.
Allez, soyons fous : j’ouvre un concours, jetez-moi en « commentaires » tous les mots bidons qui vous agacent, on va lancer un dico collectif (oh pardon, élaboré en « synergie »), ça peut que plaire.
A L’ENDROIT, A L’ENVERS
Arrêtons-nous néanmoins sur le dernier né de la bande, que je n’imaginais pas ressurgir dans tous les commentaires depuis les humbles travaux de ma Mémé, qui crochetait des chaussettes au kilomètre avec de la laine de récupération, et ce jusqu’en 1967 parce que personne n’avait pensé, avant sa mort, à lui signaler que la guerre était finie.
Je veux parler, bien sûr, de « détricotage », que je lis ou entends au moins trente fois par jour depuis que l’Assemblée a entrepris de tricoter le budget rectificatif. Je ne sais pas qui a eu l’illumination de cette métaphore qui, si elle n’est pas filée, n’en fait pas moins sa pelote : « tricoter et détricoter, c’est toujours travailler », ça vous a une autre expressivité que « faire et défaire », surtout s’il est question du budget, qui met en jeu le bas de laine et le haut du pavé, puisqu’on va gonfler les bajoues de l’écureuil et serrer la ceinture aux gros comptes qui font la une de Challenges (comme tous les ans à la même époque, les 500 plus grosses fortunes françaises, c’est le marronnier des pleins-aux-as qui illumine vos étés modestes sur la plage et au camping). Donc, la gauche détricote, et la presse feint de trouver la chose admirable, comme si Rainman et ses porte-parapluies avaient été élus pour reprendre l’ouvrage à la maille où le Disparu des Carpates l’avait laissé. Imaginez les titres : « Heures supplémentaires bidon payées par les contribuables : on rempile ! », « ISF : tous comptes faits, on exonère les octogénaires de Neuilly et Cap d’Antibes, les membres du Jockey Club, les Porsche Cayenne et les trois premières résidences secondaires», « TVA : soyons fous, ce sera 3% de plus pour les vendanges ! ». On peut se dire que les électeurs qui, depuis cinq ans, ont fait perdre toutes élections sans exception à l’ancienne équipe auraient été contents d’avoir vu leur opinion prise en compte sur toutes ces mesurettes sans importance.
Bon, les gens sentent bien que quand on aura fini de détricoter, il faudra bien tondre les moutons si on veut passer l’hiver au chaud. Mais il serait un peu niais de croire qu’il y a là de quoi faire un scoop. Sont pas cons, les gens, faut pas croire. Ils savent qu’ils n’ont pas élu Spiderman, ils n’attendent pas des distributions gratuites de crème chantilly, ils veulent que ça soit pas toujours les mêmes qui morflent, point-barre. Moi qui suis pas un perdreau de l’année, en fait, c’est la première fois que je vois un gouvernement répéter à tire-larigot le mot « effort », et ça me fout les jetons. J’ai eu droit à « changer la vie », à « la fracture sociale », à « travailler plus pour gagner plus », mais pas encore à : « gaffe les mecs, va falloir ramer ! ». Finalement, la vraie rigueur, c’est ça : il est rigoureusement exact que les caisses sont vides, que le chômage va gonfler, que PSA se fout du monde et que même Woody Allen ne fait plus rire personne.
Heureusement qu’il y a le Qatar-Football-Club, voilà des gars qui savent faire le geste sympa : en embauchant deux gus pour 25 millions net en tout de salaire annuel taxé à 75% comme promis, ils vont mettre de l’impôt bien gras dans la tirelire. Finalement, en France, le PSG va vous montrer qu’on peut être aussi rigoureux dans la faillite que les Italiens et les Espagnols : suffit d’y croire et d’espérer vendre des maillots aux gogos !
Vous pouvez laisser une réponse.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.