Un groupe de travail s’est réuni à l’INSERM le 30 mai 1979, c’est à dire environ trois ans après le premier « conflit médiatisé » sur les risques liés à l’usage de l’amiante qui avait suivi la réunion d’experts au Centre International de Recherches sur le Cancer de Lyon du 13 au 17 septembre 1976.
RAPPORT DU
GROUPE DE REFLEXION SUR LES PROBLEMES POSES
PAR L’AMIANTE ET PAR LES AUTRES FIBRES
SOMMAIRE DU RAPPORT
1 – Etat actuel des connaissances sur la pathologie en rapport avec les fibres
1.1. Les certitudes
1.1.1. Effet fibrosant
1.1.2. Effet cancérogène
1.1.3. Action pathogène des autres fibres
1.2. Les interrogations
1.2.1. Relations dose-effet
1.2.2. Effets de l’amiante ou d’autres fibres
Effet fibrosant et cancérogène
1.2.3. Mécanisme des effets biologiques des fibres au niveau cellulaire
1.2.4. Dépôt, pénétration, épuration et migration des fibres
1.2.5. Aspects immunologiques
1.2.6. Les cofacteurs
1.2.7. Traitement des fibres
2 – Les problèmes de l’amiante en France
2.1. Etendue du problème en France. Données de mortalité et de morbidité
2.1.1. Les indices sanitaires
2.1.2. Les enquêtes étiologiques
2.2. Inventaire des sources de pollution par l’amiante et d’autres fibres
2.2.1. L’inventaire des expositions du passé
2.2.2. L’inventaire des expositions actuelles
2.3. Les équipes de recherches françaises
2.4. Les moyens techniques nécessaires
2.5. Mesures législatives et réglementaires. Leur impact et leur effet
**********************
A la demande du Directeur Général de L’INSERM un groupe de réflexion s’est réuni le 30 Mai 1979 pour :
- Effectuer une mise au point sur les connaissances vis à vis de la pathologie en rapport avec les fibres.
- Préciser la situation des études et recherches en France sur ce thème.
- Mettre l’accent sur les voies de recherche susceptibles d’être actuellement développées.
Composition du Groupe
Membres du Groupe de réflexion présents lors de la réunion du 30 Mai 1979, présidée par P. LAZAR : Mmes et MM. BIGNON, BOULMIER, BOUTIN, DORMONT GREFFARD, JOUAN, LAFUMA, MOLINIA, PERDRIZET, POCIDALO, SARACCI, SEBASTIEN YANA.
Excusés : MM. CAILLARD, GONI.
1 – ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LA PATHOLOGIE EN RAPPORT AVEC LES FIBRES
1.1. Les certitudes
Les données épidémiologiques et expérimentales de ces dernières années ont confirmé l’existence de 2 types d’effets pathogènes en rapport avec l’exposition aux poussières d’amiante : les effets fibrosants et les effets cancérogènes.
1.1.1. Effet fibrosant
L’effet fibrosant pulmonaire est connu de longue date : il s’agit de l’asbestose pulmonaire. On sait actuellement, d’après des études expérimentales et des données épidémiologiques que la production de la fibrose pulmonaire dépend de la dose et de la longueur des fibres : plus les animaux (ou les travailleurs) inhalent de fibres, plus ces fibres sont longues et plus la fibrose pulmonaire est sévère. Lors de la fibrose débutante des perturbations de la fonction respiratoire ont été constatées au niveau des petites voies aériennes (modification de la courbe débit-volume).
L’effet fibrosant au niveau de la plèvre pariétale est également bien documenté par les observations cliniques et épidémiologiques de plaques pleurales fibro-hyalines ou calcifiées en association avec l’exposition aux fibres d’amiante.
1.1.2. Effet cancérogène
L’effet cancérogène en rapport avec l’exposition à l’amiante est actuellement démontré à la fois par les données épidémiologiques et par les données expérimentales chez l’animal. Les tumeurs s’observent au niveau de fréquents s’observent au niveau de divers organes, mais les cancers les plus fréquents s’observent au niveau du poumon, de la plèvre et du péritoine, et moins fréquemment au niveau du larynx, du tube digestif et d’autres organes. La particularité des cancers en rapport avec une exposition à l’amiante est une longue période de latence entre le début de l’exposition et l’extériorisation clinique du cancer (de l’ordre de 40 ans pour les mésothéliomes pleuraux et péritonéaux).
Actuellement, les enquêtes épidémiologiques chez les sujets fortement exposés à l’amiante dans certaines industries ont montré qu’approximativement 20 % des travailleurs mourraient de cancer du poumon, 7 à 11 % de mésothéliomes et qu’il existait un pourcentage accru de cancers d’autres sièges, gastro-intestinaux, pharyngo-laryngés, rénaux.
1.1.3. Action-pathogène des autres fibres
Pendant les dernières années, divers travaux experimentaux ont démontré que d’autres types de fibres que l’amiante (fibres de verre/, minéraux fibreux divers) pouvaient également donner des cancers du poumon, de la plèvre ou du péritoine chez l’animal après inhalation, injection intratrachéale, injection ou implantation intra-pleurale et injection intra-péritonéale. Pour le moment, il n’y a aucun fait clinique ou épidémiologique indiscutable pouvant démontrer que les fibres autres que l’amiante étaient à l’origine de mésothéliomes ou de cancers chez homme. Néanmoins, récemment, des mésothéliomes d’environnement ont été observés de façon très significative au niveau de la population de certains villages turcs. C’est particulièrement le cas du village de KAREIN en Cappadoce où il semblerait que les fibres responsables soient des zéolites fibreuses provenant des tuffs volcaniques. (Baris et al, 1978). Cette épidémiologie géographique, très intéressante pour comprendre la cancérogénèse par les fibres chez l’homme, préoccupe toute la communauté scientifique internationale ; une enquête épidémiologique est actuellement conduite sur le terrain par le Groupe épidémiologique du Centre International de Recherche contre le Cancer de Lyon.
1.2. Les interrogations
Malgré tout cet acquis il persiste actuellement un nombre important d’inconnues sur les effets pathogènes des fibres.
1.2.1. Relations-dose-effet.
Sur les relations dose-effet, des analogies frappantes sont constatées avec les recherches menées sur tous les polluants cancérogènes et singulièrement sur les radiations ionisantes. Un exemple en est donné par l’étude expérimentale des conséquences de l’inhalation de plutonium ou des fibres d’amiante. Ces conséquences ont des points communs comme l’apparition de cancer à localisations multiples.
L’étude de la relation dose-effet devrait être abordée selon 2 axes simultanés : les enquêtes épidémiologiques et la recherche expérimentale.
Les enquêtes épidémiologiques ont déjà permis d’établir des relations dose-effet indiscutables chez des groupes de travailleurs de l’industrie de l’amiante mais, en fait, ces relations concernent des expositions à doses fortes et une faible proportion seulement de la population se trouve exposée à de tels risques. Par contre, il y a d’importants groupes de populations à de faibles doses. Le problème de la protection de ces groupes se pose en Santé Publique aussi bien pour les travailleurs que pour les personnes exposées à de faibles doses de l’environnement, en dehors de tout risque professionnel.
Or, pour ces expositions à faible dose il persiste de nombreuses inconnues.
Existe-t-il une dose seuil au dessous de laquelle il n’y aurait pas de cancer ? Faut-il chercher à déterminer une dose seuil ?
Est-il pertinent de proposer une limite provisoire à moins de 50 nanogrammes par mètre cube d’air ?
Sera t-il possible, dans des enquêtes comme celle entreprise sur la collectivité de Jussieu, de mettre en évidence des marqueurs très précoces de l’exposition à l’amiante (épaississements pleuraux, rigidités diaphragmatiques même pour des faibles doses et après une courte période de latence ?
Une enquête comme celle menée à Clermont-Ferrand chez les anciens travailleurs de l’usine Amisol, où toute activité a cessé à un moment précis devrait permettre d’évaluer l’évolution de l’effet fibrosant après cessation de l’exposition.
Mais l’approche épidémiologique du problème des relations dose-effet a des limites et l’analyse des données recueillies au cours d’enquêtes épidémiologiques ne permettra pas de répondre à toutes les questions qui se pose à ce sujet.
1.2.2. Effets de l’amiante ou d’autres fibres. Effet fibrosant et cancérogénèse.
1.2.2.1. Effet fibrosant
Il persiste actuellement de nombreuses inconnues sur les mécanismes fibrosants : s’agit-il de la libération d’une substance x après phagocytose des fibres par les macrophages alvéolaires comme semblerait l’indiquer certains travaux préliminaires ? S’agit-il de la libération de multiples anticorps de l’intervention du complément, des T Suppresseurs ? Quel sont les mécanismes responsables de la fibrose au niveau de la plèvre et pourquoi cet effet est-il aussi important à ce niveau ? Quelles sont enfin les relations entre fibrose et survenue du cancer ?
1.2.2.2. Effet cancérogène
Cet effet est pour le moment complètement incompris
a) S’agit-il d’un effet physique (un « effet fibre ») uniquement lié à la forme ? Diverses expérimentations animales et plus particulièrement le travail de STANTON et coll (1977) sont en effet arrivées à démontrer que le cancer induit au niveau des mésothéliums était lié aux paramètres physiques des fibres : diamètre et longueur. STANTON à partir de ces données expérimental a pu calculer une probabilité de cancer des fibres de verre de même constitution chimique : il prévoit 100 % de cancers quand les fibres ont à la fois un diamètre inférieur à 0,25 micron et une longueur supérieure à 8 microns.
b) S’agit-il d’un effet chimique, les fibres servant de véhicules à des carcinogènes chimiques ?
c) Cet effet est-il promoteur ou initiateur ?
Plusieurs équipes étudient actuellement les effets mutagènes et cancérogènes des fibres sur cultures cellulaires ou organotypiques (cellules mésothéliales, fibroblastes, culture de trachée) ou sur bactéries… Ces travaux sont peu avancés et n’ont pas mis en évidence d’effet mutagène caractérisé leur poursuite devrait permettre de comprendre les mécanismes de la cancérogénèse par les fibres.
1.2.3. Mécanismes-des effets biologiques des fibres au niveau cellulaire
L’interaction fibres cellules a été étudiée par des tests in vitro mis au point dans plusieurs laboratoires pour essayer de classer les fibres en fonction de leurs effets cyto-pathogènes : hémolyse du globule rouge et libération d’enzymes par le macrophage péritonéal ou alvéolaire.
Ces tests ont permis de classer les fibres en fonction de leur réactivité biologique :
- Certaines fibres sont plus réactives que d’autres ( le chrysotile est plus hémolytique que le crocidolite)
- Certains traitements préalables des fibres (lixiviation par les acides) modifient la cytotoxicité, diminuant l’effet hémolytique (chrysotile) ou au contraire l’augmentant (crocidolite).
- L’interaction entre fibres et cellules semble faire intervenir. de façon très importante l’état de surface des fibres et, peut être, la charge électrique des fibres. On sait que certaines fibres (chrysotile ont de grandes propriétés adsorptives vis à vis de macromolécules (protéines, phospholipides) et également vis à vis de molécules organiques (nitrosamines, nicotine, NOx, SO2)
Tous ces travaux préliminaires ne permettent pas de comprendre pour le moment le mécanisme exact des interactions entre particules fibreuses, et cellules, bien que les recherches actuelles concourent à démontrer le rôle très important des membranes plasmiques et peut être également lysosomale et nucléaires dans ce type d’interaction.
Une hypothèse a été récemment formulée : c’est l’existence de corrélations entre la cytotoxicité in vitro et l’effet cancérogéne in vivo.
En effet, les auteurs bri tanniques du MRC, (Pneumoconiosis unit, Penarth (UK) ont constaté que les fibres de chrysotile lixiviées à 95 % par l’acide chlorhydrique, d’une part entraînaient une libération moindre d’enzymes par les macrophages alvéolaires in vitro et d’autre part induisaient un nombre beaucoup moins important de mésothéliomes chez l’animal. Les mêmes observations ont été faites par les Groupes de J. BIGNON et J. LAFUMA dans un travail expérimental en cours ; cependant, dan s cette expérience les relations entre cytotoxicité et effet cancérogène ne semblent pas aussi évidentes que dans l’expérience britannique, ce qui justifie des recherches plus approfondies.
1.2.4. Dépôt, pénétration, épuration et migration des fibres
La rétention des fibres dans l’organisme Humain est la résultante des mécanismes suivants: dépôt, pénétration, épuration, migration.
L’état actuel des connaissances dans ce domaine peut être présenté ainsi :
1.2.4.1. Dépôt des fibres
Pour le moment, il n’existe pas de modèle théorique satisfaisant pour la prédiction des probabilités de dépôt des fibres d’amiante dans les différents compartiments du système respiratoire (voies respiratoires, supérieures, bronches, alvéoles), en fonction des caractéristiques granulométriques des particules.
Il faudrait vérifier que les fibres minérales artificielles dont les caractéristiques granulométriques sont généralement supérieures à celles des fibres minérales naturelles se déposent préférentiellement dans les voies aériennes supérieures.
Les modalités de dépôt des fibres à la surface de la muqueuse digestive n’ont pas encore été étudiées.
1.2.4.2. Pénétration
Il a été démontré expérimentalement que les fibres d’amiante et les fibres synthétiques sont capables d’être phagocytées in vivo par les cellules de l’épithélium alvéolaire et in vitro par les cellules mésothéliales en culture. La pénétration de la muqueuse intestinale a également été objectivée.
1.2.4.3. Epuration
La clairance alvéolaire des fibres inhalées dure pratiquement toute la vie chez l’homme, puisque des fibres d’amiante et des corps asbestosiques ont été retrouvés jusqu’à trente années après la fin de l’exposition dans l’expectoration et dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire.
Le tractus digestif est contaminé soit directement par les fibres épurées par les voies respiratoires, soit directement après ingestion d’eaux de consommation, de boissons, d’aliments et de certains médicaments contentant des fibres. Des fibres d’amiante ont été retrouvées dans les fècès au microscope électronique à transmission. Il semble que les fibres trouvées dans l’urine soient plus d’origine digestive que pulmonaire.
1.2.4.4. Migration
La découverte des fibres d’amiante et de corps ferrugineux chez l’homme à l’autopsie dans différents organes, plèvre, péritoine, ganglions lymphatiques thoraciques, rein, foie, rate, moelle osseuse, glandes surrénale, pancréas, suggère les possibilités de migration des fibres. Des études expérimentales ont confirmé cette migration après inhalation., injection intra-pleurale et sous cutanée.
Le coefficient de passage transintestinal chez des rats nourris par des granulés contenant de l’amiante est de l’ordre de 10-7 à 10-4 fibres.
La migration des fibres d’amiante vers la plèvre est un phénomène encore mal connu. Chez l’homme, la métrologie a montré que les fibres pleurales sont essentiellement constituées par des fibres courtes et fines de la variété chrysotile. Il n’existe apparemment pas de corrélation entre le nombre et le type des fibres en rétention dans la plèvre pariétale et dans le parenchyme alvéolaire.
. La migration des fibres autres que l’amiante n’est pas documentée.
. Les mécanismes de migration sont très mal connus ; ils semblent dépendre pour une large part des caractéristiques physico-chimiques des fibres. L’étude de telles caractéristiques apparaît donc essentielle pour le choix des matériaux fibreux susceptibles d’être substitués à l’amiante dans les années à venir.
1.2.5. Aspects immunologiques
Diverses manifestations auto-immunes (arthrite : rhumatoïde avec ou sans facteur rhumatoïde, anticorps antinucléaires) ont été observées avec une fréquence anormale en association avec l’exposition à l’amiante surtout en cas d’asbestose pulmonaire. Ces constatations ont suscité quelques rares études sur l’immunité humorale et cellulaire de patients atteints d’asbestose pulmonaire. KAGAN et coll. ont constaté chez des asbestosiques sévères des anomalies de la réponse immune (dépression de la réponse in vitro des lymphocytes circulants à des mitogènes et antigènes, absence de sensibilisation cutanée au DNCB). Ces résultats n’ont cependant pas été confirmés par un travail récent (GAUMER et al 1979) ; celui-ci a par contre mis en évidence une dépression des lymphocytes suppresseurs, qui pourrait expliquer les titres élevés d’anticorps auto-immuns et d’immuno-globulines chez les asbestosiques. Par ailleurs, il a été montré que les fibres étaient incapables d’activer la voie alterne du complément.
Les anomalies immunologiques constatées chez les sujets exposés à l’amiante justifient la poursuite de telles recherches, l’aberration de la réponse immune pouvant être un des facteurs favorisant l’effet cancérigène des fibres.
1.2.6. Les cofacteurs
Les risques multiplicatifs ou synergiques en matière de cancérogenèse par les fibres représentent actuellement un champ d’investigation très important, encore peu exploré.
Le nombre des cofacteurs est probablement élevé ; parmi eux sont cités à titre d’exemple: le tabac, les radiations et certains médicaments pris lors de traitements au long cours.
Le risque multiplicatif de cancer du poumon avec l’association tabac et amiante a été mis en évidence par Selikoff et par Berry chez des ouvriers de l’industrie de l’amiante. Récemment, Hammond, Selikoff et Seidmann ont repris l’étude d’une cohorte de 17 800 travailleurs de l’amiante : le risque relatif de mortalité par cancer du poumon chez les exposés non fumeurs était x 5,17. Dans le groupe contrôle, non exposé, chez les fumeurs à plus de 20 cigarettes par jour, le risque relatif était x 10,65. Dans le groupe exposé simultanément à l’amiante et à la fumée de cigarettes, le risque relatif de cancer pulmonaire par rapport aux sujets non fumeurs et non exposés à l’amiante était 53,24.
Une étude expérimentale chez le rat actuellement réalisée par J. LAFUMA et R. MASSE (C.E.A.) en collaboration avec le groupe de J. BIGNON (Créteil) semble indiquer que des animaux d’abord exposés au radon puis recevant du chrysotile par voie intrapleurale développent des mésothéliomes, plus souvent, plus rapidement et pour des doses plus faibles que les animaux traités par chrysotile seul.
Certains médicaments auraient aussi un effet cancérogène lorsqu’ils sont administrés après irradiation. Le largactil donne une réponse positive chez l’animal, l’isoniazide aussi pourrait être mis en cause.
Ces constatations posent des problèmes d’aptitude au travail en milieu exposé aux fibres d’amiante.
Il est essentiel d’acquérir des connaissances, d’une part pour la prévention en Santé Publique (éventuelle nocivité des examens radiologiques systématiques annuels ou bisannuels) et d’autre part pour une meilleure compréhension des mécanismes de la cancérogenèse par les fibres.
Les autres fibres ont-elles une action comparable ? Les réactions de certaines résines & enrobage de fibres synthétiques avec le milieu biologique ont été signalées.
1.2.7. Traitement des fibres
Un certain nombre de travaux explorent la possibilité de réduire la nocivité des fibres sans modifier l’essentiel des propriétés qui justifient leur production et leur emploi. Il parait intéressant d’encourager de telles investigations qui ouvrent une voie originale d’amélioration de la situation actuelle.
2 PROBLEME DE L’AMIANTE EN FRANCE
Depuis 4 ans, un groupe d’experts français travaille régulièrement sur le problème de l’amiante en Santé Publique, en liaison avec les experts de Communautés Européennes (CCE). Ce groupe avait pour objectif de préciser l’étendue du problème dans les différents pays membres, d’apprécier les relations dose-effet notamment aux doses d’environnement, afin éventuellement de préconiser une réglementation d’environnement pour les pays de la Communauté Européenne.
2.1. Etendue du problème en France. Données de mortalité et de morbidité.
2.1.1. Les indices sanitaires proviennent essentiellement de 2 sources les statistiques annuelles de mortalité de l’INSERM. et l’enregistrement systématique des cas de mésothéliomes.
2.1.1.1. Les statistiques annuelles de mortalité de l’INSERM permettent de connaître le nombre et la répartition des décès dus au mésothéliome, rapportés au lieu de résidence des malades. Mais l’exactitude du diagnostic peut être mise en doute : il n’est pas toujours facile de préciser l’origine primitive ou secondaire d’une tumeur pleurale comme cause de décès et, en cas d’imprécision ou de doute, les règles de codification de la cause de décès imposent de reporter « tumeur primitive », ce qui aboutit à une surestimation de la maladie. A l’opposé, il est possible de supposer une sous-estimation de cette même maladie car les examens assez complexes qui permettent d’aboutir au diagnostic ne sont pas toujours faits. Les autopsies sont rarement faites en France, et même lorsqu’elles sont effectuées le résultat n’est pas reporté sur les certificats de décès. Les erreurs se compensent peut-être, aucun argument ne permet de le prouver.
La réalisation des études de mortalité dépend des possibilités d’une meilleure utilisation des certificats de décès. Il faudra en effet au minimum, obtenir la signature d’un contrat entre l’INSERM et l’INSEE afin d’avoir connaissance de façon systématique de la date et du lieu de décès des personnes soumises à une exposition professionnelle connue.
La connaissance des causes individuelles de décès serait évidemment préférable.
2.1.1.2. L’enregistrement systématique des cas de mésothéliomes est effectué en France depuis 1965 par l’équipe de J. BIGNON (Créteil). Ces travaux sont faits en coopération avec les experts de la CCE qui pensaient que l’enregistrement des cas de mésothéliomes dans les différents pays membres devrait permettre d’apprécier l’étendue du problème d’amiante dans ces pays. Le nombre de cas déclarés en France, confirmés par l’histologie, s’élève à 43 cas en 1976, 115 en 1977, 176 en 1978. L’augmentation constatée est due à l’amélioration progressive du recueil des données, en raison du nombre plus élevé de médecins intéressés et de l’établissement d’une législation à partir de 1976.
L’exploitation de ce registre à des fins étiologiques est en cours actuellement en collaboration avec S. PERDRIZET. Cette exploitation rétrospective parait particulièrement difficile.
2.1.2. Les enquêtes étiologiques menées en France ont déjà fourni des informations sur des groupes limités de population. Mais il faut souligner les difficultés pour reconstituer les expositions du passé, pour surveiller la totalité du groupe exposé, pour constituer des groupes témoins. Plusieurs enquêtes ont été réalisées ces dernières années, sont encore en cours ou sont prévues :
- Enquêtes rétrospectives sur les anciens mineurs de la mine de chrysotile de Canari, en Corse (Dr. BOUTIN Marseille).
- Enquêtes rétrospectives sur les anciens ouvriers de l’usine textile Amisol (Pr. MOLINA, Clermont-Ferrand). Dans ces 2 séries d’enquête l’arrêt de l’exposition s’est fait brutalement, à un moment donné, lors de la fermeture de la mine et de l’usine.
Etude de la fonction respiratoire chez les ouvriers d’une usine d’amiante de Normandie par MM. CAILLARD, FABRE, et LEMENAGER.
- Enquêtes transversales sur les projecteurs d’amiante et enquêtes transversales et longitudinales chez les travailleurs d’une Centrale thermique (Drs. BIGNON et HIRSCH).
- Enquêtes sur le personnel de Jussieu, à Paris (MM. LAZAR, BIGNON, BONNAUD).
- Registre des mésothéliomes (J. BIGNON et S. PERDRIZET). Cette enquête est difficile à conduire, soulignant la carence d’un registre des cancers en France et les problèmes posés par la participation des médecins à une enquête épidémiologique française.
Des études pourraient être menées à Chambéry (R. SARACCI) dans le cadre des activités du CIRC à Lyon.
- La concertation avec les chercheurs des USA et du Canada (en particulier du Québec) serait probablement fructueuse.
2.2. Inventaire des sources de pollution par l’amiante et d’autres fibres
2.2.1. L’inventaire des expositions du passé est une tâche très difficile. Pour tenter de faire des évaluations de grandes agences U.S.A. dont le National Cancer Institute ont été obligées de recourir aux médias (radios, télévisions) pour informer et questionner le grand public sur une exposition antérieure à l’amiante depuis la dernière guerre mondiale. En Europe, les experts de la CEE ont pensé que des recherches effectuées à partir des cas de mésothéliomes déclarés permettraient d’évaluer en partie les expositions du passé.
2.2.2. L’inventaire des expositions actuelles est en cours de réalisation.
Les informations sur les sources actuelles de pollution industrielle ou d’environnement sont encore très fragmentaires. Un inventaire des gisements d’amiante en France a été établi en 1978 par le B.R.G.M.. Aucun, n’est en cours d’exploitation. Un travail a été réalisé dans le cadre du Ministère de l’Environnement, et du cadre de vie avec pour objectif le recensement des différents industries utilisant l’amiante ; il sera disponible dans quelques mois. La réglementation concernant les ambiances de travail est devenue effective en Août 1977 (inférieur à 2 fibres/ml d’air).
Cet inventaire devrait être complété par des informations provenant d’autres sources : armée, pompiers, entreprises de démolition.
Le problème majeur dans ces recensements est représenté par les expositions clandestines au niveau d’établissements n’utilisant l’amiante qu’accessoirement ou épisodiquement et non comme produit manufacturé principal. Il s’agit d’une action de toxico-vigilance industrielle »
Par ailleurs, une meilleure connaissance des effets pathologiques de l’amiante doit expliquer que l’asbestose est actuellement plus souvent reconnue comme maladie professionnelle (tableau 1 en annexe).
D’autres actions de vigilance vis à vis des risques en santé publique en relation avec les polluants fibreux doivent également être entreprises pharmaco-vigilance vis à vis de certains médicaments et toxico-vigilance vis à vis des aliments et des boissons, etc…
Enfin cette vigilance doit être élargie à toutes les fibres et notamment aux matériaux de substitution de l’amiante qui sont actuellement introduits sur le marché : fibres de verre, fibres de roche, dont il faut tester les effets toxiques et/ou cancérogènes, afin de prévoir des effets à plus long terme chez l’homme.
Evaluation de la consommation d’amiante en France
Environ 150.000 tonnes de chrysotile sont consommées par an. De 1966 à 1970 la moyenne de consommation était de 123 790 tonnes. Il serait important d’améliorer les connaissances sur la diversification des utilisations et sur les sources de pollution existantes ou potentielles.
2.3. Les équipes de recherche françaises (dans les domaines autres qu’épidémiologiques)
Il est extrêmement difficile de faire un recensement complet des équipes qui étudient l’action des fibres en pathologie humaine ou expérimentale.
La liste qui suit constitue la base d’un recensement plus exhaustif.
En physico-chimie et métrologie, un groupe de travail de métrologie a été constitué sous l’égide du Ministère de la Santé (M.C. VAILLE). Il réunit différents laboratoires équipés de microscopes électroniques qui travaillent à l’identification des fibres minérales, et notamment des différente variétés d’amiante. Les plus importants d’entre eux sont le laboratoire LEPI de la DASS (G. BONNAUD et P. SEBASTIEN), en association avec l’ERA CNRS n° 845 sur les Affections Respiratoires et l’Environnement (Pr. J. BIGNON Créteil) le BRGM (J. GONI) le CERCHAR (L. LE BOUFFANT ), le Laboratoire National de la Santé (Dr. NETTER), l’INRS (Vandoeuvre les Nancy) et l’Institut Pasteur de Lyon.
Mais il existe d’autres laboratoires qui ont entrepris plus récemment l’analyse de prélévements d’environnement ou biologiques.
L’objectif de ce groupe de travail était de standardiser les méthodes de mesures. Au niveau européen, un programme d’intercomparaison est en cours entre le laboratoire LEPI de la DASS (Paris) (P. SEBASTIEN), le laboratoire de Cardiff (F.D.POOLEY) et un laboratoire hollandais (Dr. PLANTDEYT) dans le but de standardiser les méthodes à utiliser.
En expérimentation animale et cellulaire, l’équipe de Créteil (ERA CNRS n° 845), l’équipe de L’unité INSERM U. 13 de l’Hôpital Claude Bernard et laboratoire de Toxicologie expérimentale du CEA conduisent actuellement des protocoles expérimentaux coopératifs sur la cytotoxicité in vitro et in vivo, sur la pénétration et la migration des fibres, sur la cancérogénèse expérimentale et sur la mutagénése in vitro. De son côté, le CERCHAR conduit également des protocoles expérimentaux..
2.4. Les moyens techniques nécessaires
Pour mener à bien les études concernant les particules fibreuses il reste à résoudre les problèmes de technologie, au niveau expérimental et au niveau épidémiologique.
Au niveau expérimental, il serait souhaitable de pouvoir disposer de chambres d’ambiance pour exposition de longue durée qui permettraient d’assurer une dispersion homogène des fibres dans l’air et d’associer d’autres polluants. Ces points méthodologiques préliminaires sont très importants et particulièrement difficiles à résoudre en ce qui concerne les fibres. Ces expérimentations animales, surtout chez les primates, devraient permettre de répondre aux questions concernant la pénétration, l’épuration et la migration des fibres au moyen des techniques biométrologiques des fibres dans les tissus. Un tel programme devrait prendre en compte les aspects financiers. Ainsi pour l’étude de la relation dose-effet, il faut prévoir un nombre d’animaux d’autant plus grand que les doses d’exposition seraient plus faibles. L’achat et l’entretien de ces animaux de laboratoire poseraient manifestement un problème financier étant donné le prix annuel d’un rongeur ou d’un primate. Cependant, le primate pourrait être envisagé pour des expériences de courte durée étudiant le devenir des fibres ayant pénétré dans l’organisme par inhalation ou par ingestion.
Au niveau épidémiologique il faudrait dégager les moyens nécessaire en personnel pour permettre d’engager un programme de recherche.
2.5. Mesures législatives et réglementaires. Leur impact et leur effet
Un certain nombre de mesures officielles ont été prises depuis 1976 :
1° Le tableau 30 des maladies professionnelles a été complété par un décret du 5 janvier 1976 du Ministre chargé du Travail pour y inscrire les mésothéliomes de la plèvre, du péricarde et du péritoine.
Les maladies professionnelles provoquées par l’amiante sont définies comme suit :
- L’asbestose, fibrose broncho-pulmonaire ou manifestations pleurales consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante, lorsqu’il y a des signes radiographiques avec troubles fonctionnels respiratoires.
- Les complications de l’asbestose, insuffisance respiratoire aigüe, pleurésie exsudative, cancer broncho-pulmonaire, insuffisance ventriculaire droite.
- Le mésothéliome primitif pleural, péricardique ou péritonéal qui a fait l’objet du décret du 5 janvier 1976.
Depuis cette modification du tableau 30, le nombre de cas reconnus comme maladies professionnelles a augmenté (Tableau 1)
2° L’arrêté du 29 Juin 1977 a interdit le flocage de revêtement à base d’amiante dans les locaux d’habitation ; cette interdiction a été étendue à l’ensemble des locaux, qu’ils soient à usage d’habitation ou non, par un décret du 20 Mars 1978 relatif à l’emploi des fibres d’amiante pour le flocage des bâtiments
3° Outre l’inscription du mésothéliome, au chapitre 30 clés maladies professionnelles déjà mentionnée ci-dessus, la protection des travailleurs exposés aux poussières d’amiante a été réglementée par un décret du 17 Août 1977 relatif aux mesures particulières d’hygiène applicables aux établissements où le personnel est exposé à l’action des poussières d’amiantes.
Ce texte a défini les mesures de prévention à mettre en oeuvre en la matière ; ce texte stipule, en particulier, que la concentration moyenne dans les locaux de travail ne devra pas dépasser 2 fibres/cm3 y les fibres prises en considération ayant une longueur supérieure à 5 micro et une largeur inférieure à 3 microns.
Il prescrit, en outre, que les travaux maintenant le personnel en contact avec l’amiante doivent être effectués par voie humide et définit la surveillance médicale à laquelle doivent être soumis les ouvriers en contact avec ce minerai.
Un arrêté du 25 Août 1977 relatif au contrôle de l’empoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé à l’action des poussière d’amiante définit les conditions dans lesquelles les contrôles d’empoussièrement doivent être effectués.
L’annexe à cet arrêté décrit de manière détaillée les méthodes de prélèvement et d’analyse qui sont réalisées en microscopie optique.
Les laboratoires chargés de ces contrôles doivent faire l’objet d’un agrément ; la liste des laboratoires agréés est disponible au Ministère chargé du Travail.
Il faut souligner que le nombre des ambiances industrielles soumises à contrôle est de plus en plus important.
Enfin, un arrêté du 8 Mars 1979, du Ministère chargé du travail précise les instructions techniques que doivent respecter les médecins du travail assurant la surveillance médicale des salariés exposés à l’inhalation de poussières d’amiante.
4° La nomenclature des Installations classées a été modifiée par un décret du 21 septembre 1977 pour y introduire les usines d’amiante ciment dont la capacité de production d’amiante est supérieure à 20.000 tonnes/an. Ces installations rangées en première classe, seront dorénavant soumises, à autorisation préfectorale ; il convient cependant de faire remarquer que ces établissements étaient visés par la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement à d’autres titres que l’emploi de l’amiante (installations de broyage, installations de combustion…).
5° Un décret du 19 Août 1977 relatif aux informations à fournir au sujet des déchets générateurs de nuisances impose aux producteurs de déchets contenant de l’amiante de fournir des informations détaillées sur la nature et les quantités de déchets produites ainsi que sur les conditions de leur élimination.
Ce décret, qui vise l’amiante, est pris en application de la loi du 15 Juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux.
6° L’arrêté du 17 octobre 1977 relatif au transport de l’amiante définit les conditions dans lesquelles le transport de ce minerai doit être assuré. Cet arrêté est complété par une annexe technique concernant les consignes à observer au cours des opérations de transport.
7° Le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France a enfin recommandé que la concentration de 50 nanogrammes /m3 soit prise comme valeur de référence pour la réalisation de travaux dans des locaux ayant fait l’objet d’un flocage à l’amiante.
Cette assemblée a également recommandé que la filtration à l’amiante des liquides alimentaires soit abandonnée ou complétée par une filtration permettant d’arrêter les fibrilles d’amiante ; cette recommandation aurait été portée à la connaissance des producteurs et des négociants par le Ministère de l’agriculture.
Des recommandations ont été données au Syndicat National de l’Industrie Pharmaceutique pour que « la filtration des sirops, des solutés injectables soit remplacée ou complétée par d’autres moyens de filtration ».
Il serait important de savoir si l’application des mesures est effective et de s’interroger sur les modifications de l’état sanitaire qu’elles ont entraînées.
TABLEAU
Asbestoses et silicoses reconnues comme maladies professionnelles pendant les 10 dernières années.
Années
|
Nombre de cas de maladies
Professionnelles en liaison avec une exposition à l’amiante
|
Silicose
|
Régime général
(1)
|
Régime minier
|
1968
|
18
|
660
|
2880
|
1969
|
13
|
599
|
2227
|
1970
|
6
|
S21
|
2480
|
1971
|
12
|
S63
|
2093
|
1972
|
22
|
588
|
2060
|
1973
|
24
|
607
|
1921
|
1974
|
41
|
594
|
3210
|
1975
|
37
|
616
|
2641
|
1976
|
54
|
671
|
2486
|
1977
|
77
|
629
|
2116
|
(1) Régime général de la Sécurité Sociale.
3 – CONCLUSIONS (voies de recherche susceptibles d’être développées).
Au travers de l’expérience de chacun de ses membres et à la lumière des discussions du 30 mai 1979, le groupe de travail a acquis la conviction que le problème de l’amiante et, de façon plus générale, des diverses catégories de fibres restait, malgré les acquis des dernières années, un problème en grande partie non résolu au plan de la recherche comme au plan de la Santé Publique.
Plutôt que de tenter de justifier cette importance par une évaluation hasardeuse dans les conditions actuelles de la connaissance, de la part de la mortalité directement attribuable aux fibres, le groupe a préféré mettre l’accent sur les points qui lui paraissent essentiels à approfondir, estimant que leur énumération est en elle même suffisamment éclairante. La plupart de ces points concernent aussi bien la biologie, expérimentale que l’épidémiologie.
3.1. Analogie du problème de l’amiante avec d’autres problèmes environnementaux
Le problème de l’amiante se pose en termes tout à fait parallèles à celui, par exemple, des radiations ionisantes et, de façon plus générale, à celui de toutes les nuisances pour lesquelles on dispose d’une certaine information quant à leurs effets biologiques et épidémiologiques à des doses moyennes ou élevées, mais pour lesquelles des interrogations subsistent au niveau des doses faibles, celles qui concernent la population générale, ou les travailleurs après mise en place de moyens de protection (problèmes d’extrapolation vers le bas des relations dose-effet et de définition de normes). Ces problèmes qui sont au coeur d’une des interrogations les plus répandues des Sociétés industrialisées, ne peuvent que s’éclairer les uns les autres par leur confrontation.
3.2. Effets biologiques et effets pathogènes de l’amiante
On sait que l’amiante produit, à terme, deux grandes pathologies des fibroses et des cancers (pleuro-pulmonaires, péritonéaux, etc … ). On sait beaucoup moins bien quels sont les mécanismes et les étapes de cette pathogénèse, et notamment s’il s’agit de voies évolutives indépendantes. Cette interrogation est importante vis à vis de l’amiante et vis à vis de la connaissance des pathologies citées, mais elle concerne également, de façon cruciale, le problème des fibres de substitution pour lesquelles on aimerait pouvoir éviter d’avoir à attendre 30 ou 40 ans avant de découvrir leur nocivité.
3.3. Dynamique de l’exposition à l’amiante et aux cofacteurs de pathogénicité
Le problème de l’exposition massive à l’amiante en milieu industriel spécialisé peut être considéré en voie de solution depuis la définition de normes et de mesures de protection. En réalité, il ne s’agit que d’une étape d’une part du fait des difficultés d’ordre métrologique (voir paragraphe suivant), d’autre part, parce qu’il existe en fait toute une série de schémas très diversifiés d’exposition à l’amiante et aux cofacteurs de risque (tabac. par exemple) et qu’il importerait de savoir comment évolue la situation sanitaire en fonction des modifications que l’on est susceptible : d’introduire dans ces schémas. En particulier il conviendrait de s’interroger sur le problème des expositions massives discontinues (chantiers de démolition par exemple) et sur le problème de la répercussion des modifications de l’exposition aux cofacteurs (voir aussi, plus bas, le chapitre « cofacteurs »).
3.4. Aspects métrologiques et biométrologiques
Le problème du contrôle des « doses » d’amiante ou de fibres est loin d’être résolu. Les méthodes retenues au plan légal pour ce qui est des expositions professionnelles sont très grossières (elles ne tiennent pas compte de la granulométrie, pourtant essentielle, comme on le sait, du point de vue de l’effet biologique des fibres). Les informations recueillies sont donc très difficilement exploitables à des fins de recherche épidémiologique. Au plan expérimental, on ne dispose pas, actuellement, des moyens matériels permettant de créer des conditions semblables à celles des expositions humaines (chambres d’ambiance). Il semble donc important de résoudre ces deux problèmes d’ordre technique afin de pouvoir aborder, dans des conditions sérieuses, le problème de la biométrologie ; c’est à dire de la mesure directe, chez l’homme ou chez l’animal, des traces primaires des fibres. C’est à partir d’études de validation de ces mesures que l’on pourrait rechercher et retenir les marqueurs les plus représentatifs de l’exposition aux fibres, base essentielle des études biologiques ou épidémiologiques venant en aval de ces mesures.
3.5. Cinétique le pénétration et de rétention des fibres
Dans le droit-fil des problèmes biométrologiques évoqués ci-dessus se pose celui des voies de pénétration des fibres (inhalation mais aussi ingestion), de leur transfert dans l’organisme, de leur rétention sélective dans les tissus en fonction de leurs caractéristiques.
De telles études, actuellement très insuffisantes, paraissent importantes du point de vue métrologique (que mesure-t-on exactement quand on décèle des fibres ?), du point de vue épidémiologique (quelle est la conséquence des longues rétentions observées et des aspects différentiels constatés ?) et du point de vue biologique (mécanismes intimes d’interactions avec les cellules et les tissus).
3.6. Cofacteurs
On connaît le rôle multiplicatif du facteur amiante et du facteur tabac, dans l’incidence du cancer broncho-pulmonaire. Des travaux expérimentaux semblent indiquer que de telles interventions de cofacteurs pourraient bien être beaucoup plus générales. En particulier un effort d’investigation parait tout à fait souhaitable dans le domaine de l’analyse des co-effets éventuels des irradiations professionnelles ou médicales et de certains médicaments absorbés de façon chronique.
3.7. Comparaison des diverses fibres
Les dangers reconnus de l’amiante ont conduit certaines entreprises voire certains pays, à substituer à ce matériau toute une série d’autres fibres, qui, ne bénéficiant pas du même recul d’utilisation que l’amiante, ont des effets épidémiologiques à long terme pratiquement inconnus. Il est clair qu’un effort d’investigations comparatives est nécessaire pour permettre d’éclairer le plus rapidement possible sur les risques relatifs à chacune de ces catégories de fibres et pour analyser les convergences et divergences de biologiques (à la fois pour valider les comparaisons entre fibres et pour mieux comprendre les mécanismes pathogènes en jeu).
Dans le même ordre d’idée, il faudrait étudier les effets des fibres ayant subi divers traitements susceptibles d’atténuer leur toxicité sans modifier leurs principales propriétés industrielles.
3.8. Inventaire des populations exposées
A la charnière des problèmes épidémiologiques et de Santé Publique se situe la connaissance des populations les plus exposées. Le Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie fournira prochainement une analyse complète de la situation française. Cette analyse ne sera cependant pas exhaustive, notamment du point de vue des sources « clandestines » d’exposition (utilisation de l’amiante en dehors des lieux où il est aisé de contrôler le respect des normes).
Un effort complémentaire est donc nécessaire. Un élément d’information d’ordre très général peut provenir de l’analyse de l’évolution, dans le temps et dans l’espace, de l’utilisation de l’amiante et des autres fibres (masses utilisées, diffusion, diversification des emplois etc … ), analyse effectuée d’après les informations de source économique.
3.9. Etude de l’impact et de l’effet des mesures à visée sanitaire
Dans la ligne des réflexions sur les problèmes d’évaluation des actions à visée sanitaire, un bilan de l’impact (portée effective des mesures prises) et si possible de l’effet (évolution de la situation sanitaire, au moins au travers de « marqueurs » à moyen terme) serait souhaitable. On pourrait commencer par rassembler des informations sur la situation européenne et, plus généralement internationale, avant de s’attaquer directement au problème en France. Une telle approche suppose une forme de dialogue entre chercheurs et « décideurs », publics (Pouvoirs Publics) ou privés (Entreprises concernées).
Il va de soi que ces neuf chapitres ne constituent pas en eux mêmes, un programme de recherche ou d’action. On conçoit néanmoins assez facilement comment ils pourraient servir de base à la définition de travaux coopératifs entre les diverses institutions concernées par le problème de l’amiante et des fibres de substitution.
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Utilisation du microscope électronique à transmission (M ET) pour la mesure des contaminations par l’amiante
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Rapport sur la gestion politique et administrative du problème de santé publique posé par l’amiante en France.
(Claude Got)
24 décembre 1997 (lettre de mission) – 30 avril 1998 (rapport d’étape) – 29 juillet 1998 (rapport définitif)
Ce texte est composé de trois parties :
- la première tente d’identifier et de hiérarchiser les difficultés, en fonction de nos connaissances et de leurs limites. Elle comporte également une description des conditions indispensables à la bonne gestion du problème posé par l’amiante et des situations dans lesquelles le risque demeure élevé,
- la seconde regroupe en les classant les propositions de modifications de notre manière d’agir,
- la troisième est un site internet qui réunit les documents contenant les informations qui ont fondé mes recommandations. Ils représentent plusieurs milliers de pages et ne pouvaient figurer dans des annexes conservant un volume raisonnable. En outre ce site présente l’ensemble des propositions qui m’ont été faites et l’ébauche d’un outil d’évaluation de la gestion de ce problème de sécurité sanitaire. Quand un document cité dans le rapport est présent sur le site, il est indiqué entre parenthèses et en italiques par son chemin.
exemple : (connaître > la réglementation > France > santé des populations >arrêté du 23 décembre 1997) donne accès au texte intégral de cet arrêté en entrant dans la partie « connaître » du site, puis en poursuivant la recherche par la réglementation, et enfin la réglementation française dont la page de présentation distingue et détaille les différents types de textes réglementaires nationaux. Elle permet de retrouver l’arrêté qui fixe la liste des organismes habilités à mesurer la concentration en poussières d’amiante.
1. La situation
Un ensemble de fibres minérales naturelles regroupées sous le terme général d’amiante est utilisé industriellement depuis environ un siècle pour ses qualités exceptionnelles dans quatre domaines :
- la résistance mécanique (fibro-ciment, matériaux résistant à la friction),
- le pouvoir isolant,
- la résistance à la chaleur (flocage, calorifugeage),
- la résistance à de nombreux produits chimiques agressifs (joints).
Ces fibres peuvent toutes provoquer des fibroses pulmonaires et des cancers du poumon et de la plèvre, mais ce pouvoir varie avec le type de fibre, ses dimensions et les conditions de son usage. Ce pouvoir pathogène a provoqué l’interdiction de l’usage de l’amiante dans la majorité des pays de l’Union Européenne (9/15) avec des exceptions qui varient d’un pays à l’autre. En France l’interdiction a été décidée en 1996 et appliquée à partir du 1er janvier 1997. Un ensemble de textes réglementaires a organisé la reconnaissance de l’amiante en place. Parallèlement d’autres textes ont précisé les conditions de protection des travailleurs. Il convient de faire le point sur la cohérence de ce dispositif, rechercher ses éventuelles insuffisances, et préciser la qualité de sa mise en oeuvre.
2. Peut-on tracer une limite utile entre les connaissances assurées, les hypothèses et les incertitudes ?
Les décisions en santé publique ne sont jamais déterminées par la seule connaissance scientifique pour deux raisons, les connaissances sont rarement complètes et les décisions ne sont pas fondées exclusivement sur la rationalité et le seul critère de la conservation de la santé. Avant de recommander des décisions il faut préciser les faits que l’on accepte, ceux auxquels on attache de l’importance et ceux pour lesquels on reconnaît une part d’incertitude.
Les bases utilisées pour la rédaction de ce rapport sont les suivantes :
- L’épidémiologie des mésothéliomes et des cancers broncho-pulmonaires attribuables à l’amiante indique un temps de latence prolongé. La médiane par rapport au début de l’exposition est proche de trente ans. La pathologie qui se développe actuellement est attribuable à des conditions d’empoussièrement anciennes, ce qui n’exclut pas que les conditions d’expositions actuelles puissent produire des tumeurs dans l’avenir.
- Les cohortes épidémiologiques de travailleurs manufacturant l’amiante qui sont décrites dans la littérature sont très hétérogènes. Réunir ces résultats pour tenter de produire un modèle unique, linéaire ou non, de relation entre la quantité de poussières inhalées et le risque de développer une tumeur, faire l’hypothèse ou non d’un effet de seuil (le dernier texte de l’OMS et le rapport de l’INSERM le récusent, d’autres études l’acceptent) sont des démarches qui n’influencent pas notre comportement pratique dans le contexte français actuel, car depuis l’interdiction de l’usage de l’amiante (à de rares exceptions) il n’y a plus de travailleurs exposés à des taux constants et élevés de fibres d’amiante dans le cadre d’une production de fibro-ciment, de produits de friction ou de textiles. Le problème actuel est de réduire au minimum techniquement possible les empoussièrements auxquels sont exposés les travailleurs intervenant sur l’amiante en place. Il est également souhaitable de maintenir les taux d’empoussièrement environnementaux à des valeurs très basses dans les locaux qui ont incorporé des matériaux contenant de l’amiante, malgré les incertitudes qui persistent sur le niveau de risque très faible ou nul correspondant aux niveaux d’empoussièrement environnemental actuellement retenus par la réglementation.
- Le risque majeur de santé publique (constaté empiriquement par les études épidémiologiques concernant les mésothéliomes) concerne les travailleurs qui ont été exposés de façon répétitive à de l’amiante dans le cadre d’opérations très diverses, en dehors de la manufacture de produits à base d’amiante. Il peut s’agir d’interventions qui portent atteinte à l’intégrité d’un flocage, d’un calorifugeage ou de tout autre produit contenant de l’amiante. Il faut bien comprendre le transfert du risque d’un groupe limité de travailleurs de l’industrie de l’amiante à un nombre beaucoup plus important de personnes travaillant sur des immeubles ou des sites industriels qui ont largement incorporé ce produit. Nous ne devons pas considérer l’exposition à l’amiante comme un risque homogène dans le temps et identique pour tous les individus exposés, mais comme un risque concernant cinq groupes différents qui ont évolué au cours des quarante dernières années :
- Les personnels impliquées dans la manufacture de produits contenant de l’amiante. Leur nombre était proche de 15.000 pendant la période de développement de l’usage de ce produit qui a culminé à la fin des années 70. Ils ont été exposés à des concentrations élevées de fibres, mais probablement variables d’une entreprise à l’autre et suivant le poste de travail qu’ils occupaient, jusqu’au décret de 1977 qui a introduit une valeur limite pour l’empoussièrement en milieu professionnel et réduit le risque.
- Les personnels qui ont mis en place de l’amiante dans des opérations de flocage (jusqu’en 1978) et de calorifugeage avec des durées d’exposition très variables, leur activité dans l’entreprise pouvant ne pas être exclusivement consacrée à la mise en place d’amiante. C’est un groupe réunissant aussi bien des ouvriers du bâtiment que des chantiers navals, leur nombre est difficile à évaluer et l’épidémiologie du mésothéliome est un meilleur indicateur de l’importance de l’exposition dans ce groupe que les évaluations fondées sur les emplois exposés.
- Les personnels des entreprises d’enlèvement de l’amiante. Si la réglementation est correctement appliquée, leur risque sera faible, mais des défaillances dans sa mise en œuvre peuvent les exposer à des taux d’empoussièrement élevés qui produiront des tumeurs dans les années postérieures à 2020.
- Les travailleurs qui interviennent actuellement sur des bâtiments ou des produits contenant de l’amiante, en dehors du cadre du désamiantage, sont plusieurs millions, ce sont des professionnels du bâtiment, de l’installation d’équipements ou de la maintenance. Leur exposition au risque n’est pas constante car la prise de conscience récente du danger encouru provoque une évolution des comportements et de la protection. Bien que ce groupe soit exposé à un risque beaucoup plus faible que le précédent, ses effectifs étant environ cent fois plus important, c’est lui qui rassemble maintenant la majorité des pathologies tumorales produites par l’amiante. Compte tenu du temps de latence entre le début de l’exposition et le développement d’une tumeur, il faudra attendre un délai de plusieurs dizaines d’années pour juger l’efficacité des mesures de protection que nous appliquons actuellement.
- La fraction de la population qui peut être exposée à une pollution de type « environnemental » en habitant dans des immeubles contenant de l’amiante. Si les mesures prises en 1996 sont correctement appliquées, le risque de ce groupe peut être considéré comme très faible ou nul. Son exposition se réduira progressivement avec l’interdiction de l’usage de l’amiante et l’enlèvement progressif des formes les plus aptes à libérer des fibres dans l’atmosphère. Il est probable que nous ne serons pas capables de la documenter scientifiquement au cours des prochaines années.
La différence documentée scientifiquement entre le pouvoir carcinogène élevé au niveau de la plèvre des fibres d’amiante amphiboles (amosite, crocidolite, anthophyllite etc.) et celui plus faible des fibres d’amiante chrysotile n’a pas de conséquence notable dans le domaine de la prévention. En effet, pour l’amiante déjà en place, les personnes confrontées à une possibilité d’empoussièrement dangereux ne connaissent pas le type de fibres auxquelles elles sont exposées. Pour les personnes confrontées à un risque lié au seul chrysotile, il faut prendre en considération le fait qu’un risque de mésothéliome plus faible ne correspond pas à un risque nul, et que les différences entre le pouvoir carcinogène du chrysotile et des amphiboles au niveau des poumons ne sont pas reconnues par l’ensemble de la communauté scientifique.
- Certaines fibres de remplacement de l’amiante ont également un pouvoir carcinogène qui doit rendre prudents dans le développement de leur usage. L’Union Européenne a d’ores et déjà classé les fibres céramiques comme cancérogènes avérés sur l’animal et les laines minérales comme susceptibles d’être cancérogènes (« risques d’effets irréversibles »). Il est important de préciser, par ailleurs, que le nombre et la diversité des utilisations de l’amiante font que bien d’autres produits que les fibres sont utilisés pour le remplacer. Dans le domaine des produits fibrillaires, nous serons probablement incapables de documenter avec précision dans les années à venir le pouvoir carcinogène chez l’homme de ces produits. Nous ne disposerons pas de cohortes exposées à des concentrations importantes comme dans le cas de l’amiante, car les industriels ont adopté des mesures de protection inspirées de celles développées à la fin de la période d’usage de l’amiante. Les durées d’exposition nécessaires pour observer des résultats seront incompatibles avec nos besoins d’agir préventivement maintenant. La diversité de ces fibres sera un facteur de difficultés supplémentaire, certaines peuvent avoir un pouvoir carcinogène nul dans les conditions de leur emploi, d’autres l’être faiblement ou au contraire se rapprocher de l’amiante sur cette propriété. Les données expérimentales se multiplieront mais elles seront d’interprétation difficile. Les durées de surveillance d’animaux à durée de vie brève se prêtent mal aux évaluations d’effets pathologiques caractérisés chez l’homme par la longueur du délai entre le début de l’exposition et la survenue d’un cancer.
Le point important dans l’appréciation des connaissances scientifiques qui doivent fonder les décisions de santé publique est d’éviter de polariser le débat sur les points encore en discussion, au lieu de privilégier les certitudes qui nous permettent d’effectuer des choix. Contrairement à ce qui a parfois été dit, il n’y a pas d’ambiguïté à éclaircir dans les positions exprimées par les scientifiques français (expertise collective de l’INSERM) et celle des canadiens (analyse du rapport de l’INSERM par l’Académie Royale). Il y a une différence d’appréciation sur la nécessité de prendre en compte les risques des faibles doses, mais nous sommes d’accord pour reconnaître qu’ils ne sont pas actuellement prouvés. Il ne faut pas confondre la discussion sur l’acceptation d’un risque hypothétique et celle sur la connaissance scientifique de ce risque. En outre ce débat n’a pas un intérêt majeur en santé publique car l’ensemble de la communauté scientifique admet que le risque actuellement le plus important est celui couru par les personnels travaillant sur des matériaux contenant de l’amiante et non le risque environnemental des faibles concentrations. On sait faire des matériaux non friables sans risque, on n’est jamais sûr que l’ouvrier qui coupera un tuyau en fibro-ciment utilisera une scie spéciale à vitesse lente à la place de la tronçonneuse à disque qu’il a à sa disposition. Toute l’expérience de la sécurité au travail prouve la difficulté de faire respecter des méthodes de prévention mettant en œuvre des matériels spéciaux ou des procédures contraignantes.
3. Quelles sont nos références en matière de gestion des risques pour la santé ?
Nous prétendons à la rationalité dans ce domaine, mais la réalité nous confronte à la diversité conflictuelle des déterminants du risque. Les facteurs économiques, les querelles de pouvoir (facteurs d’organisation inadaptée), l’insouciance, voire la passivité face au risque, l’absence de volonté de savoir, se combinent aux incertitudes de nos connaissances pour produire ce que l’on pourrait considérer comme une forme d’incohérence alors qu’il n’en est rien. Il s’agit d’un équilibre instable mais déterminé par des facteurs relevant de logiques différentes faisant partie de nos comportements individuels et collectifs et de la hiérarchisation de nos préoccupations. L’identification de ces facteurs, la reconnaissance objective de leur poids, la rationalité dans leur prise en compte ne sont pas des caractéristiques constantes du système.
La prévention d’un risque qui s’exprime indépendamment d’une action humaine est plus facilement acceptée, et donc décidée, que celle du risque dans lequel l’individu intervient. Il est de ce fait difficile de tracer actuellement des limites au principe de précaution fondée sur la cohérence, car les rôles respectifs de l’Etat et de l’individu ne sont pas aussi facilement dissociables que nous l’imaginons.
Le succès dans la prévention du risque lié à l’amiante va dépendre en partie des références d’un ensemble de décideurs qui auront à le gérer et il est inutile d’insister sur cet aspect du problème, même si l’on peut considérer qu’il sera déterminant. Il ne dépend pas d’un rapport. Nous n’avons pas un traitement rationnel du risque fondé sur des bases éthiques unifiées. Notre comportement est celui d’une société aux multiples facettes relevant de logiques différentes voire contradictoires. Cette situation n’est pas inacceptable, elle est même inévitable et donc « normale », y compris au sein d’un gouvernement. Il faut cependant avoir un minimum de lucidité et accepter d’identifier honnêtement ces déterminants, sans occulter les plus opposés au maintien d’un état de santé, ne serait-ce que pour en réduire l’importance si l’on appartient au groupe qui privilégie l’objectif de santé publique.
Le concept de sécurité sanitaire s’est développé depuis le début des années 90, mais les principes qui le fondent n’ont pas connu le même progrès. Des ambiguïtés profondes persistent, elles nuisent à la compréhension du problème par la population et à son adhésion à une politique équilibrée de gestion du risque. La lettre qui définit ma mission faisant référence au principe de précaution, (A propos de ce site > lettre de mission) il est nécessaire de préciser cette notion. Plusieurs textes traitant de ce « principe » ont été placés sur le site Amiante du ministère (connaître > Ethique et Pratique). Dans un société où le recours judiciaire se développe pour obtenir une sanction de dysfonctionnements des pouvoirs publics, il est tentant d’utiliser les références juridiques pour préciser ces notions. Il faut le faire avec un minimum de recul et de bon sens, sans perdre de vue le contexte de ces décisions. Les juges adaptent des concepts très strictement définis à des situations humaines, et leur capacité d’interprétation associée à leur volonté de résoudre des problèmes douloureux engendre parfois des décisions qui anticipent les évolutions de la loi, conduisant un système rigoureux vers des pratiques irrationnelles. Faute d’une législation adaptée aux risques thérapeutiques, la jurisprudence a défini une forme du principe de précaution qui peut se résumer à l’obligation d’agir face à un risque hypothétique comme s’il était prouvé. Cette solution permet d’indemniser un malade qui a été victime d’un accident thérapeutique en l’absence de faute. Il est très difficile d’en fixer les limites car dans le domaine concerné la décision humaine est probabiliste, rarement fondée sur un principe de tout ou rien. Le risque zéro n’existe pas, le principe de précaution ne peut se concevoir dans une pratique « opérationnelle », pour un chirurgien comme pour un décideur politique, que comme un rappel à la prudence face à un rapport dommages/avantages incertain. La prévention ne peut se fonder que sur la connaissance objective. La décision doit inclure l’imprécision de la connaissance, elle ne peut se limiter au refus de toute incertitude. Cette attitude de responsabilité est à l’opposé d’une fausse rigueur qui proscrirait systématiquement toutes les pratiques à risque au nom d’hypothèses incertaines. Cette logique imposerait par ailleurs de commencer par supprimer prioritairement les risques liés à des pratiques dont les facteurs de risque sont connus sans incertitude et nous nous révélons incapables de le faire. La difficulté est maximale quand il convient de comparer des avantages et des dommages qui appartiennent à des domaines différents : liberté individuelle et sécurité sanitaire (interdiction des armes à feu en dehors des armes de chasse), coût économique et prévention d’une maladie (mise en place du dépistage ou du traitement préventif d’une maladie), risque et plaisir (équipement obligatoire des véhicules avec des enregistreurs de vitesse). La conception la plus cohérente du principe de précaution est de ne pas avoir recours à des pratiques potentiellement dangereuses quand les avantages que l’on peut en espérer ne sont pas en rapport avec les dommages qu’elles peuvent produire, même si ces dommages ne sont pas documentés avec certitude, mais reposent cependant sur des hypothèses scientifiquement crédibles. Les arguments pourront être d’autant plus discutables que le risque encouru est important, mais ils doivent exister et l’on ne peut étendre l’application du principe jusqu’à la prise en compte de toutes les hypothèses envisageables. Nous devons conserver une rationalité dans la mise en œuvre de cette forme de prudence qui n’est nouvelle que dans sa formulation, c’est dans une telle acception que j’utilise le principe de précaution.
L’Etat doit être capable de surveiller le niveau de risque par des systèmes de veille sanitaire tenant compte de l’évolution des connaissances scientifiques. Il doit évaluer la relation entre le niveau de risque, les possibilités d’intervention efficace, et le coût de son action. Il doit enfin conduire ces procédures dans la visibilité la plus complète, tous les partenaires ayant un droit d’accès à la totalité de l’information disponible. Pour respecter ces principes, il ne suffit pas de faire des textes réglementaires ou législatifs, il faut les rendre opérationnels en adaptant les moyens nécessaires, en organisant leur usage par une bonne définition des niveaux de responsabilité et de prise de décisions.
4. Quels sont les dysfonctionnements les plus importants du dispositif ?
Après avoir entendu environ deux cents personnes, lu les différents rapports produits sur le sujet, analysé la réglementation et le fonctionnement du dispositif, j’identifie quatre problèmes majeurs :
- même si la réglementation mise en place en 1996 est de qualité, parfois la plus favorable à la sécurité sanitaire parmi les pays industrialisés, et a marqué une rupture par raport à la période précédente, le dispositif de contrôle du risque lié à l’amiante est incomplet. Il ne dispose pas des structures opérationnelles lui permettant de contrôler ce risque. La commission interministérielle pour la prévention et la protection contre les risques liés à l’amiante avec une ou deux réunions annuelles n’est pas une structure capable d’assurer une gestion interactive, fondée sur un ensemble d’indicateurs pertinents. Nous ne disposons pas d’un ensemble associant un pilotage, défini et coordonné au niveau national, à des moyens opérationnels au niveau de chaque département permettant une évaluation et un contrôle efficace du risque lié à l’amiante.
- la réglementation comporte des lacunes qui contribuent à l’insuffisance de l’évaluation. Par exemple le ministre ayant en charge la santé reçoit chaque année des rapports émanant des organismes réalisant des mesures d’empoussièrement (immeuble par immeuble), mais le contrôle de la mise en œuvre des mesures imposées par la réglementation quand les empoussièrements sont excessifs n’est pas organisé. Dans le même domaine, la reconnaissance de la présence d’amiante très dégradé, imposant des travaux sans même qu’il soit nécessaire de faire des mesures, ne s’accompagne d’aucune déclaration aux autorités sanitaires, ce qui supprime toute possibilité de contrôle.
- le passage de la connaissance à la prévention n’est pas suffisamment assuré. Reconnaître la présence d’amiante dans les habitations sous les formes les plus dangereuses est utile, mais insuffisant pour assurer la protection des travailleurs qui interviennent sur un bâtiment potentiellement dangereux, ces travailleurs doivent être avertis et formés. Il faut faire un effort important de vulgarisation de la connaissance du risque, en utilisant en particulier les médias audio-visuels, car les expositions à l’amiante sont liées à des actes plus faciles à montrer qu’a expliquer. Il faut convaincre les travailleurs et les employeurs de l’existence du risque et faire de la prévention de l’exposition à l’amiante une préoccupation adaptée au niveau du risque.
- le système d’indemnisation des maladies professionnelles fonctionne mal quand une pathologie tumorale est induite par l’amiante. Il faut reconnaître que les conditions de sa mise en œuvre sont particulièrement défavorables du fait du caractère différé de ces cancers, mais ce n’est pas une raison pour tolérer des injustices de cette ampleur. Plus de 9 sur 10 des mésothéliomes sont imputables à l’amiante et liés à la profession, moins de 1 sur 10 sera indemnisé au titre des maladies professionnelles. Ce n’est plus un dysfonctionnement, c’est la faillite d’un système.
5. Un risque sanitaire doit être géré par des procédures interactives fondées sur l’évaluation de la qualité des décisions et le contrôle de leur application. La seule création de nouveaux règlements est insuffisante.
Nous atteignons les limites des systèmes de gestion centralisés fonctionnant sur le mode linéaire. Si l’Etat multiplie les lois et les règlements sans développer les méthodes d’évaluation qui lui permettraient de corriger ses erreurs et de s’adapter à la réalité, il est condamné à l’inefficacité et à l’aventure de la gestion au fil de l’eau. Le besoin de rétroaction est une condition de survie pour tous les systèmes vivants et ce n’est pas vouloir placer de la biologie partout que d’affirmer que la complexité ne s’accommode pas des systèmes qui veulent tout régler en amont sans développer les moyens de savoir ce qui se passe en aval. Un problème de sécurité sanitaire impose que le système décisionnel hiérarchisé soit complété par un retour d’information vers les décideurs. Dans la gestion du problème de l’amiante les responsabilités sont mal identifiées, le retour d’information a des défauts organisationnels et manque dramatiquement de moyens.
Exemple : une commission interministérielle pour la prévention et la protection contre les risques liés à l’amiante a été créée par l’arrêté du 12 juillet 1996. Elle se réunit environ deux fois par an. Il s’agit d’une réunion très formelle passant en revue les textes réglementaires parus depuis la précédente réunion et analysant les textes en cours d’élaboration. Les ministères représentés font le bilan de la situation de leur parc immobilier. Cette description me paraissant insuffisamment précise, j’ai demandé à chaque ministère, par l’intermédiaire de la Direction Générale de la Santé qui a en charge l’organisation du contrôle de l’amiante dans les immeubles, un texte écrit faisant un bilan précis de la présence d’amiante dans leur parc immobilier. Le but était de connaître le nombre d’immeubles concernés, la proportion de ceux qui avaient été examinés, celle des immeubles contenant de l’amiante, la forme de cet amiante, éventuellement son état et le résultat des mesures d’empoussièrement qui avaient pu être réalisées. L’analyse des résultats disponibles (évaluer > santé et autres administrations) met en évidence des insuffisances de gestion qui sont liées à la fois à des insuffisances de moyens et à des lacunes méthodologiques. Ces fichiers complexes doivent être actualisés en permanence pour permettre une gestion suivie. Il ne suffit pas de procéder à une enquête ponctuelle et d’en faire une synthèse, il convient d’assurer une mise à jour permanente de la situation et de développer des véritables plans d’actions coordonnés et suivis, ce qui est l’inverse des solutions ponctuelles adoptées en fonction des pressions locales ou des possibilités de financement.
Dans une période où la procédure judiciaire est de plus en plus souvent utilisée pour apprécier la qualité de la politique gouvernementale en matière de santé publique, il est impossible de demander à des fonctionnaires (directeurs, sous directeurs, personnels des services) d’assumer des responsabilités sans disposer de moyens de contrôle adaptés. Dans la gestion d’un problème de sécurité sanitaire, le pouvoir, et donc la responsabilité, sont indissociables de la connaissance. Il est surprenant d’avoir à rappeler des notions aussi élémentaires, mais notre système de santé publique a des défauts structurels qu’il est urgent de corriger. Toutes les mesures techniques que je peux proposer seront dépourvues de portée si un système associant la capacité de savoir et la capacité d’organiser n’est pas mis en place. Si les inspecteurs du travail n’ont pas le nombre d’ingénieurs spécialisés nécessaire à leur côté pour surveiller les chantiers d’enlèvement de l’amiante, ils ne peuvent contrôler totalement l’application de la réglementation. Si les directions départementales de la santé n’ont pas accès à un bilan exhaustif des recherches d’amiante dans les habitations et de l’état de cet amiante, elles ne peuvent exercer leur pouvoir de contrôle.
Comment peut-on rendre le système opérationnel ?
Les conditions à satisfaire sont les suivantes :
- les responsables de la gestion du risque doivent disposer des connaissances dont ils ont organisé l’acquisition (reconnaissance de l’amiante, identification de son état, résultats des mesures d’empoussièrement),
- ces responsables doivent avoir les moyens de traiter les informations indispensables pour surveiller l’application de la réglementation. On ne peut gérer un problème aux conséquences économiques et humaines d’une telle ampleur sans renforcer l’évaluation et le contrôle,
- la situation doit être surveillée de façon continue par des méthodes adaptées à une situation qui concerne plusieurs centaines de milliers de bâtiments. La seule solution techniquement réalisable et adaptée à cet objectif est de disposer de deux sources d’informations complémentaires. Une base informatique normalisée recense les immeubles contenant de l’amiante sous les formes les plus dangereuses définies par la réglementation. Des documents détaillés (plans de gestion de l’amiante) sont établis au niveau de chaque immeuble pour mettre à la disposition des occupants ou des intervenants extérieurs toutes les informations pertinentes,
- la possibilité de vérification par l’usager, comme par les services décentralisés de l’état, étant la seule garantie de l’application des textes, il faut que les données acquises soient rendues publiques dans des bases accessibles par les réseaux de télécommunication. Un site internet tel que celui qui a été réalisé au ministère de l’emploi et de la solidarité pour contribuer à la gestion du risque lié à l’amiante est le média destiné à remplacer rapidement le minitel pour diffuser à l’ensemble d’une population une information très évolutive.
Ces conditions n’impliquent nullement la centralisation de l’action de contrôle. Le pouvoir central organise la collecte des données et les conditions de leur consultation. Les acteurs locaux (administrations, particuliers) ont accès aux données pour des actions de contrôle ou de prévention.
Quelle structure peut coordonner l’action des services décentralisés qui ont en charge les actions d’évaluation et de contrôle ?
Cette structure doit être unique, qu’elle prenne la dénomination parfois proposée d’observatoire de l’amiante ou tout autre nom est secondaire, l’important est la nature de ses missions et de ses pouvoirs. Le terme d’observatoire me semble réducteur, il ne s’agit pas seulement d’observer, il faut également gérer, c’est-à-dire décider en étant en possession d’un pouvoir de décision ou d’injonction. Pour ces raisons je suis tenté d’inclure cette structure dans des administrations existantes et de ne pas limiter son rôle au bilan de la situation et de l’application des textes. Elle doit être à la jonction entre l’observation et la décision.
La difficulté est de déterminer le meilleur « emplacement » pour un tel organisme. Serait-il raisonnable de vouloir échapper aux conflits interministériels en plaçant cette cellule auprès des services du Premier ministre ? Cela avait été fait au moment de la création du comité interministériel de la sécurité routière et l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques propose cette solution. Le problème de la sécurité routière était plus interministériel que celui de l’amiante et s’engager sur une telle voie rendrait difficile le développement de dispositifs identiques chaque fois que se posera un nouveau problème de sécurité sanitaire. Le Premier ministre ne peut être le gendarme garantissant l’application des décisions de santé publique, il doit conserver son rôle d’arbitre en cas de conflit. Au cours des deux dernières années, les personnes qui avaient réellement en charge les problèmes de l’amiante au niveau des services ont ressenti la nécessité de se réunir périodiquement, en invitant des partenaires des organismes qui ont la connaissance technique du problème (INRS, CSTB etc.). Par cette pratique elles ont montré la nécessité d’une structure plus informelle et plus directement au contact des réalités que la commission interministérielle se réunissant deux fois par an pour faire un bilan rassurant et très conventionnel. Les deux ministères les plus concernés par le problème de l’amiante sont le ministère de la santé et celui du travail, ensuite ce sont le ministère ayant en charge le logement et celui de l’environnement. Les autres ministères peuvent avoir un rôle important mais qui est plus celui du partenaire que l’on consulte que du décideur qui organise et évalue. Du fait de cette situation impliquant nécessairement plusieurs ministères clés, et si l’on renonce à une structure administrativement interministérielle, nous devons tenter d’innover et réussir à faire fonctionner une structure gérant spécifiquement le problème des fibres dans le cadre conjoint de la direction générale de la santé (DGS) et de la direction des relations du travail (DRT). Cette unité dans la dualité est facilitée par la composition gouvernementale actuelle qui regroupe dans le même ministère le travail et la santé, les services étant dans le même bâtiment de l’avenue de Ségur. Ce choix me semble le seul capable d’assurer une bonne gestion du problème principal qui est le passage de la connaissance de la présence d’amiante dans les bâtiments vers la prévention du risque encouru par les personnes qui interviennent sur ces bâtiments.
Le niveau minimal d’une telle cellule de gestion, au dessous duquel elle ne pourrait être fonctionnelle serait le suivant :
- un responsable (ingénieur sanitaire, médecin épidémiologiste, administrateur civil etc.),
- cinq personnes (par exemple 3 rattachés à la DGS et 2 à la DRT) dont la formation permettrait d’assurer :
- la gestion des fichiers déclaratifs de la reconnaissance d’amiante dans les bâtiments et des mesures d’empoussièrement,
- la gestion d’indicateurs de suivi des parcs immobiliers des grandes entreprises et des immeubles dont l’amiante est dans un état imposant des travaux (en collaboration avec les services décentralisés du ministère de la santé),
- la gestion des indicateurs de qualité dans les activités se situant dans les sections 2 et 3 du décret de février 96 (en collaboration étroite avec la direction des relations du travail, il serait même souhaitable que la personne assurant cette fonction appartienne à la direction des relations du travail),
- le développement de l’outil de gestion constitué par le site internet amiante associant la mise à jour des données documentaires sur les connaissances (réglementation, données scientifiques), le maintien d’un lieu de proposition et de discussion concernant la réglementation et son application, la mise en forme des bilans mis à la disposition du public.
Cette structure serait l’outil de travail des deux directions (DGS et DRT) et il ne faut pas créer d’obstacle à sa création en exagérant l’importance de la situation administrative de celui qui la dirigera. Il ne s’agira pas d’un électron libre et il faudra bien l’inclure dans un cadre hiérarchique, mais la notion de coordination et de coopération des deux directions est ici plus importante que le fait de préciser qui sera le supérieur hiérarchique du gestionnaire de cette cellule. Il y aura des problèmes à régler qui seront spécifiquement « santé publique » et ils seront réglés avec la DGS, d’autres seront purement santé au travail et relèveront de l’autre direction. Quand un problème relèvera de la double appartenance, la coordination pourra être assurée en recherchant les solutions satisfaisantes pour les deux problématiques qui ne fonctionneront plus en parallèle mais en association étroite. Il s’agit d’un travail nouveau qui ne peut être assuré par les structures actuelles. Si les responsables gouvernementaux doivent continuer de traiter ce problème sans structures adaptées, ils se condamnent à l’attente des conséquences de nos insuffisances de gestion et à des dépenses sans commune mesure avec le coût de fonctionnement de structures capables de gérer la sécurité de l’amiante, au niveau de l’administration centrale et des services déconcentrés.
Il convient également de ne pas considérer cette structure d’organisation et de coordination comme l’outil capable à lui seul de gérer le risque amiante au niveau du terrain, il n’en aura pas le pouvoir. C’est au niveau des services décentralisés du ministère de la solidarité et de l’emploi, mais également de ceux de l’équipement, que l’action de contrôle se situera. Savoir organiser les bases de données qui fonderont les tâches de gestion est un pré-requis, mais l’efficacité sur le terrain sera atteinte quand les services situés au niveau de chaque département seront capables de vérifier la présence de plans de gestion de l’amiante dans les immeubles, ou l’exécution de travaux quand l’état de l’amiante les rend nécessaires. Il est difficile de donner une estimation précise des besoins en personnel correspondant à ces tâches de gestion du risque sur le terrain. Nous disposons de l’expérience des Deux-Sèvres qui ont développé un dispositif de gestion du risque amiante dans ce département (un site internet décrit cette expérience, il est relié au site du ministère par un lien situé dans la page Autres sites). Pour un département d’importance moyenne, les besoins sont proches d’une personne à plein temps. L’ordre de grandeur pour une gestion du problème au niveau de l’ensemble des départements sera proche d’une centaine de personnes.
6. Le ministre qui est responsable doit disposer d’une information complète.
Quelle que soit la qualité d’une législation et de la réglementation qui l’accompagne, elle ne peut atteindre une efficacité sur le terrain sans évaluation. Cette nécessité est acceptée progressivement dans de nombreux domaines de la sécurité sanitaire. Le médicament, les produits d’origine humaine ont bénéficié du développement de méthodes permettant un suivi et l’identification des problèmes posés par leur usage, condition de leur correction. La présence d’amiante dans une habitation ou un navire, son état, le niveau d’empoussièrement, sont des notions dont il faut disposer pour conduire une politique de prévention des maladies induites par ce minéral.
On n’imagine pas un code de la route sans surveillance de son application par la gendarmerie et la police, un code des impôts sans contrôle fiscal. Il semble à l’opposé que l’on accepte une réglementation concernant l’amiante sans vérification de son application. Le propriétaire d’un immeuble (à l’exception des maisons individuelles) doit respecter la réglementation, faire pratiquer une recherche d’amiante selon un calendrier annexé au décret de 1996 et éventuellement engager des travaux si l’amiante est sous une forme dégradée ou si l’empoussièrement dépasse 25 fibres par litre. Aucune disposition répressive réellement dissuasive n’est incluse dans une législation spécifique. L’Etat ou des occupants peuvent éventuellement avoir recours aux tribunaux en utilisant des textes généraux tels que la mise en danger d’autrui mais, à ma connaissance, l’Etat ne l’a jamais fait et les actions engagées par des particuliers n’ont pas encore provoqué de décisions judiciaires.
Pour permettre d’atteindre la première étape dans une procédure de contrôle, il faut que le ministre soit informé des résultats de la recherche d’amiante.
La démarche technique instituée par le décret du 7 février 1996 se déroule en plusieurs étapes :
- Un contrôleur technique du bâtiment, ou un technicien de la construction qui a contracté une assurance dans ce but, va examiner un immeuble à la demande du propriétaire et indiquer s’il y a de l’amiante sous la forme de flocage, de calorifugeage ou de faux plafonds. L’état de l’amiante sera précisé suivant une grille semi-quantitative annexée au décret. Quand l’amiante est dégradé (code 3 dans cette grille d’évaluation) des travaux doivent être engagés dans un délai de douze mois. Il faut noter que la personne qui va faire ce diagnostic initial sur lequel repose l’ensemble de la procédure n’est pas identifiée par le ministère. Non seulement aucune qualification n’est exigée d’elle, ce qui a pu apparaître comme une nécessité dans la phase initiale de relative urgence (il fallait engager la démarche et toute exigence de compétence aurait retardé la réalisation des premières études de bâtiments), mais son enregistrement n’a pas non plus été prévu, alors qu’il aurait permis d’identifier ces praticiens du diagnostic, éventuellement d’en diffuser la liste pour renseigner les propriétaires, et enfin de pouvoir les joindre, soit pour leur adresser des informations, soit pour obtenir d’eux des renseignements.
- Un organisme peut être conduit à examiner des prélèvements effectués par l’intervenant précédent, dans le but d’identifier formellement l’amiante. Un texte relativement récent (28 novembre 1997) organise l’habilitation de ces organismes, mais l’application complète de ce texte ne se fera qu’au premier janvier 1999, soit un an avant la date limite de la réalisation de l’examen des bâtiments prévue par le décret du 7 février 1996.
- Une procédure de mesure de l’empoussièrement par des fibres d’amiante a également été mise en place. Des seuils précis déterminent les attitudes à adopter en fonction des valeurs mesurées (5 fibres par litre et 25 fibres par litre), un encadrement strict des organismes procédant à ces mesures a été institué dans l’arrêté du 7 février 1996. Il prévoit notamment que ces organismes sont habilités par le ministère de la santé qui publie périodiquement un arrêté indiquant leur dénomination et leur adresse. Enfin ces organismes doivent adresser avant le 31 janvier de chaque année au ministre de la santé un rapport dans lequel ils indiquent le résultat des mesures faites dans chaque immeuble. Cette disposition de l’article 4 de l’arrêté est ambiguë car le texte précise que cette indication est une « statistique », pouvant laisser entendre que l’objectif est uniquement un contrôle de qualité de la mesure. Une telle interprétation conduit certains organismes à communiquer des résultats numériques sans préciser l’adresse des immeubles concernés. Cette procédure n’a aucune portée pratique si elle n’est pas utilisée pour initier des contrôles de la mise en œuvre des actions qui s’imposent au propriétaire en cas d’empoussièrement dépassant les seuils définis dans le décret de février 1996.
Une autre insuffisance est manifeste dans les textes de 1996 et son existence conforte l’interprétation précédente d’une absence d’intention de contrôler l’action des propriétaires en aval du diagnostic. Si l’auteur de ce diagnostic estime que l’état de l’amiante est si dégradé qu’il est inutile de faire des mesures d’empoussièrement, le ministre de la santé n’est pas averti de cette situation, ces examinateurs n’étant pas tenus de rédiger un rapport annuel comme les organismes qui effectuent des mesures. Nous sommes donc dans cette situation paradoxale d’une déclaration d’une partie des constatations faites dans le cadre de l’étude des immeubles, les situations potentiellement les plus dangereuses n’étant pas obligatoirement signalées.
Il convient d’organiser la déclaration obligatoire de l’ensemble des constats de la présence d’amiante dans les immeubles concernés par le décret du 7 février 1996. Dans ce but il faut identifier les personnes qui ont réalisé ces recherches d’amiante. La procédure doit être simple pour être efficace, elle doit cependant concerner toutes les personnes qui ont eu ce rôle, même si elles ont interrompu cette activité. Les rapports remis au ministre chargé de la santé doivent prendre la forme d’un fichier informatisé normalisé, comme cela se fait maintenant pour les organismes habilités à procéder à des mesures. Il est indispensable qu’ils soient trimestriels et non annuels pour permettre de suivre le développement de l’application du décret de 1996. Les adresses des immeubles doivent être indiquées sur ce fichier. Ces exigences imposent une modification limitée mais précise du décret n°96-97 du 7 février 1996. Une fiche de proposition reprend l’argumentaire de cette modification et en précise les modalités. Ces dispositions doivent concerner aussi bien les bâtiments publics que privés. L’Etat ne peut se dispenser des obligations qu’il institue pour le secteur privé. Les déclarations envisagées ci-dessus doivent permettre de réaliser un annuaire des bâtiments contenant de l’amiante, consultable sans restriction, permettant aux services décentralisés de l’Etat d’effectuer les vérifications nécessaires dans leur domaine de compétence. Si un immeuble contient de l’amiante sous une forme imposant des travaux dans des délais déterminés, il est indispensable de pouvoir vérifier qu’ils ont été effectués. La boucle serait alors fermée, les textes ont fixé des obligations, les organismes qui effectuent les différents types d’examens transmettent leurs résultats aux responsables de la santé publique, ces derniers ont les moyens de vérifier que les travaux éventuellement imposés par la réglementation ont bien été effectués. Tout autre comportement correspondrait à une responsabilité sans moyens de l’exercer, inacceptable pour les intéressés, et pour la population qui ne disposerait pas de garanties du respect des textes réglementaires.
En aval de cette fonction « d’annuaire » la mise à disposition des usagers (occupants, intervenants sur un immeuble contenant de l’amiante) de documents précis (plan de gestion de l’amiante) permettra d’assurer la complémentarité entre l’organisation d’une visibilité normalisée au niveau national et le développement du contrôle et de la prévention au niveau local.
7. La sécurité au travail pose un problème difficile lié à la persistance d’un risque dans un groupe de travailleurs beaucoup plus important que celui qui était concerné par la mise en œuvre professionnelle de l’amiante.
Le délai très long entre le début de l’exposition au risque et l’apparition de cancers provoqués par l’amiante a contribué à retarder la prise de conscience de la modification de la nature du risque amiante, initialement limité à un groupe réduit de travailleurs exposés à un risque élevé, diffusant au cours des quarante dernières années vers un groupe beaucoup plus important exposé à un risque plus faible. Cette situation pose deux questions différentes :
- pouvait-on éviter ce retard, c’est un problème de responsabilité et nous l’envisagerons avec celui de l’indemnisation,
- comment assurer la protection de l’ensemble des travailleurs exposés au risque, c’est l’objet de cette partie du rapport.
La situation
Le développement de l’usage de l’amiante dans la construction est facilement documenté par les tonnages d’amiante importés et par la liste des produits contenant de l’amiante mis sur le marché. La presse professionnelle, les documents de promotion de l’amiante émanant des producteurs ou de leur syndicat sont d’autres sources montrant l’importance de la diffusion de l’usage de la fibre amiante sous toutes ses formes minéralogiques. Les produits étant destinés à rester en place pendant la durée de vie du bâtiment, l’expression du risque pour les intervenants sur les bâtiments qui les contiennent est dépendante de la quantité cumulée d’amiante incorporée à ces constructions et de la forme de cet amiante. La courbe représentant l’évolution du niveau de risque auquel sont exposés les personnes intervenant sur des bâtiments contenant de l’amiante s’est accrue avec la quantité cumulée d’amiante mise en œuvre pendant plusieurs décennies. Elle n’a atteint son maximum qu’à la fin de l’année 1996, au moment où l’usage de l’amiante a été interdit. De 1978 (interdiction des flocages) à 1996 cette courbe a continué de s’élever, même si sa pente a été plus faible du fait de l’interdiction des usages les plus dangereux de l’amiante. En effet la seconde variable à prendre en considération est la forme sous laquelle l’amiante a été mis en œuvre, les produits de faible densité (flocage, calorifugeage) sont plus dangereux que les produits de densité élevée (fibro-ciments, panneaux, plâtres ou mastics chargés en amiante). Il faut cependant apporter une correction à cette affirmation. Le risque des intervenants sur un produit contenant de l’amiante est très dépendant du type d’intervention et des méthodes qu’ils utilisent. Couper une plaque de fibro-ciment à sec avec un disque tournant à vitesse élevée, ou percer un enduit à base de plâtre renforcé avec de l’amiante comme le Progypsol* , sont des actes qui peuvent provoquer un empoussièrement plus important que celui auquel est exposé un ouvrier travaillant à côté d’un flocage, mais sans intervention directe sur le produit contenant de l’amiante. La première pratique comporte un risque de type « interventionnel », la seconde un risque de type « environnemental ». Dans le premier cas l’empoussièrement peut passer par un pic de courte durée mais très élevé, dans le second il s’agira d’un niveau qui sera plus constant mais habituellement nettement plus faible.
Ces notions schématiques sont précisées par des outils d’évaluation du risque de différentes natures :
- Les mesures d’empoussièrement liées à des interventions définies. Il y a en France une base de données réunissant les valeurs observées dans des situations très diverses par les acteurs de la prévention : il s’agit de la base EVALUTIL développée à l’initiative de la CNAMTS et de la Direction des Relations du Travail par une équipe de chercheurs Elle n’est pas encore publiée alors que cette publication est une nécessité. Il semble que les chercheurs et les organismes qui ont contribué à sa production ont craint les difficultés d’interprétation et les abus d’usage d’une base dans laquelle tous les paramètres ne sont pas contrôlés. Ce risque est très inférieur à celui qui est actuellement engendré par une méconnaissance du risque. Si la représentativité de certains résultats d’EVALUTIL est contestable, quand ils correspondent à des conditions d’intervention très marginales et particulièrement inadaptées à la prévention, c’est leur visibilité qui permettra de les contester et d’aboutir à leur amélioration. Cette procédure suscitera la production d’autres données capables de compléter celles qui sont actuellement disponibles. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre la perfection et les certitudes absolues, il faut développer les outils indispensables à l’évaluation des risques et la meilleure façon de procéder est de les mettre à la disposition de l’ensemble des communautés concernées : scientifiques, professionnels de la prévention, inspecteurs du travail, entreprises, associations, particuliers.
- La seconde source de renseignements est constituée par la connaissance épidémiologique des maladies induites par l’amiante. Cette connaissance est différée mais ce n’est pas une raison pour méconnaître son importance dans l’identification du risque. Nous reviendrons sur la chronologie de l’acquisition de cette connaissance qui est déterminante dans l’identification de nos insuffisances de prévention, pour analyser ici l’état actuel de nos connaissances. Ce sont les études épidémiologiques approfondies concernant le mésothéliome qui sont à l’origine de l’identification de l’extension du risque amiante. Cette tumeur était exceptionnelle au début du siècle et les arguments utilisant la difficulté de son identification histo-pathologique pour prétendre qu’elle était souvent méconnue et que l’amiante n’a pas le rôle quasi exclusif qu’on lui prête actuellement ne me paraissent pas recevables. Il est vrai que les progrès de l’histo-immunologie ont aidé à identifier cette tumeur, mais son développement s’est fait à un rythme si rapide et s’accordant si parfaitement avec le développement de l’usage de l’amiante et le délai moyen d’une trentaine d’années entre le début de l’exposition et l’apparition de la tumeur que le problème est entendu. Les mésothéliomes sont attribuables à l’amiante dans une proportion dépassant actuellement en France 9 cas sur 10. Cette proportion s’accroît chaque année avec le développement de l’incidence de ce cancer. Les études cas-témoins (connaître > sciences > épidémiologie ), ou les registres de cancers qui ont recherché la profession des personnes atteintes de mésothéliomes ont mis en évidence une diffusion du risque. Si le risque pour chaque intervenant sur un produit contenant de l’amiante peut être considéré comme faible par rapport à celui des ouvriers travaillant à produire de l’amiante ciment, ou un textile à base d’amiante avant 1977, l’accroissement du nombre de personnes exposées (de quelques dizaines de milliers à plusieurs millions) est responsable dès maintenant d’un plus grand nombre de mésothéliomes dans le second groupe que dans le premier. Il est très important de comprendre cette situation et de distinguer le risque relatif et le risque absolu. Les pilotes des sports mécaniques ont un risque individuel de mourir accidentellement plusieurs centaines de fois supérieur à celui d’un conducteur « ordinaire » mais ces derniers sont plusieurs centaines de milliers à mourir chaque année sur les routes alors que quelques pilotes professionnels seront victimes de cet événement. A l’intérieur de ce groupe d’intervenants dans des bâtiments à risque, il faut comprendre également que le nombre de personnes exposées à un empoussièrement par l’amiante ponctuellement élevé et répété dépasse celui des travailleurs du bâtiment (charpentiers, maçons, électriciens, plombiers etc.). Les travaux de maintenance ou d’amélioration sont très divers, allant jusqu’à des activités de ménage, de rangement ou de déménagement qui peuvent exposer à des pics d’exposition dont l’importance est méconnue. Nous devons développer l’analyse épidémiologique du mésothéliome pleural pour améliorer notre connaissance empirique des niveaux de risque associé aux activités professionnelles auxquelles les personnes qui présentent cette tumeur ont été exposées. Nous serions plus avancés dans cet usage si nous avions respecté l’article 17 de la directive européenne du 19 septembre 1983 sur l’amiante qui spécifie que « les Etats membres tiennent un registre des cas reconnus d’asbestose et de mésothéliome ». Cette obligation concernait les cas reconnus dans le cadre des maladies professionnnelles, la directive concernant « la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante pendant le travail ». Dans ce domaine nous avons été doublement fautifs, d’une part en étant incapable de développer une juste reconnaissance des mésothéliomes imputables à une exposition professionnelle, d’autre part en n’établissant pas le registre exigé par la directive. Il faut savoir qu’un registre n’est pas un simple dénombrement des cas, le terme désigne la réunion d’un ensemble de données qui permet de progresser dans la connaissance d’une pathologie. Cet exemple est une illustration de ce que j’identifie comme une insuffisance de coordination dans la gestion d’un problème de sécurité sanitaire. La non application de cet article 17 de la directive de 83 pose le problème du fonctionnement d’un système décisionnel, qui devait désigner l’opérateur ? quel devait être le rôle de la CNAMTS qui gère les maladies professionnelles ?
- En outre, si des études épidémiologiques ont été faites, leur niveau de financement et leur organisation n’ont pas permis d’obtenir la totalité des renseignements qui auraient pu être réunis. La restructuration de cette recherche vient d’être assurée à la suite d’une intervention des différents partenaires (DGS, DRT, RNSP, chercheurs). Elle doit être encore développée. Même si ses indications sont tardives par rapport à l’exposition, le suivi des mésothéliomes est un indicateur irremplaçable du risque lié à l’amiante. Il doit être exhaustif et précis, non seulement dans le but d’améliorer la surveillance sanitaire, mais également pour faciliter l’entrée des personnes atteintes dans le système des maladies professionnelles. L’analyse des trente dernières années met en évidence une dissociation complète entre le développement lent mais relativement sûr de la connaissance de l’épidémiologie des mésothéliomes et l’absence de passage de cette connaissance vers l’amélioration de la prise en charge au titre des maladies professionnelles.
Quelles mesures pouvons-nous adopter pour améliorer la connaissance du risque et réduire l’exposition au risque des travailleurs agissant sur des immeubles contenant de l’amiante ?
Il n’y a pas une mesure dont l’efficacité soit suffisante dans un tel contexte mais un ensemble de dispositions qui doivent se compléter si nous savons les appliquer avec rigueur. Une telle situation est mieux illustrée par un exemple concret et j’en choisirai un qui a une valeur symbolique, celui de l’établissement d’enseignement de Jussieu. Le détail de cette analyse est contenu dans une fiche de proposition consacrée cet établissement, je ne développe ici que quelques points particuliers de cette situation qui ont une signification générale.
Exemple : Jussieu réunit plus de 200.000 mètres carrés de surfaces dont les éléments métalliques de soutien sont protégés de l’incendie par un flocage à l’amiante. Il est difficile de préciser les niveaux d’exposition du personnel qui a assuré la maintenance des bâtiments depuis leur édification. Ils étaient probablement plus élevés dans les années qui ont suivi la construction des bâtiments que maintenant, avant la mise en œuvre des premières mesures de protection, et surtout pendant la période contemporaine de l’achèvement du chantier, alors que certains bâtiments étaient déjà occupés. Des cas de mésothéliomes ont été observés ainsi que des signes d’exposition à l’amiante (plaques pleurales). Une étude épidémiologique a été entreprise pour mieux connaître la situation de santé des personnels exposés. Elle n’a concerné qu’une partie des occupants car, à Jussieu comme ailleurs, l’Etat applique mal les règles qu’il édicte concernant l’examen des personnels par les médecins du travail. Néanmoins ces études ont été de qualité et ont permis de documenter la réalité du risque pour le personnel de maintenance. Les personnels enseignants et les étudiants ont probablement subi des niveaux d’exposition plus faibles, de trop courte durée, ou avec un recul insuffisant pour permettre des observations significatives. Dans un tel contexte qui a une valeur symbolique, Jussieu a joué un rôle déterminant dans la prise de conscience du risque lié à l’amiante en France. Le rôle de chercheurs comme Henri Pézerat n’a pas été simplement de dénoncer un risque hypothétique mais d’analyser l’ensemble des anomalies de fonctionnement du système, en particulier dans le domaine de la pathologie professionnelle. Malgré ces caractéristiques du site qui auraient dû produire le dispositif le plus performant possible dans le contrôle du risque des personnels, nous sommes loin d’un optimum de prévention. En dépit de la création d’une structure interétablissement destinée à coordonner les actions, il y a toujours plusieurs services de maintenance séparés à Jussieu (qui réunit trois établissements d’enseignement). L’étude épidémiologique des personnels a été interrompue en 1997 et les conditions de sa relance viennent d’être définies. Un cahier des charges de l’étude a été établi et un appel d’offre doit être lancé au cours des prochains mois. Une difficulté supplémentaire est constituée par l’importance du nombre d’intervenants extérieurs, dont le renouvellement exige une vérification permanente du niveau de formation à l’intervention sur des bâtiments contenant de l’amiante. Indépendamment de la gestion du devenir de Jussieu, de la nature des travaux à effectuer, de leur programmation et de leur surveillance, la première urgence sur ce type d’établissement est d’améliorer et de maintenir un niveau élevé la sécurité de ceux qui assurent la maintenance ou y effectuent des travaux.
Les mesures nouvelles qui doivent réduire le risque des intervenants sur un bâtiment contenant de l’amiante.
Il s’agit d’un ensemble de mesures portant sur :
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L’amélioration de l’identification de l’amiante dans les bâtiments chaque fois que des travaux de démolition ou de réhabilitation exposant des ouvriers à un risque sont envisagés. Certaines dispositions réglementaires assurent partiellement cette protection mais elles devraient être plus explicites. La responsabilité générale de l’employeur qui doit assurer la sécurité au travail de ses employés n’est pas suffisante. Elle doit être complétée par des dispositions qui organisent la recherche dans certaines circonstances. La démolition impose à l’évidence une recherche complète qui ne peut se limiter aux dispositions prévues dans le décret du 7 février 1996. C’est également vrai pour les travaux de réhabilitation qui exposent à la découverte d’amiante, provoquant des difficultés majeures en cours de chantier. Les conséquences en terme de coût des travaux et de délais pour achever le chantier sont telles que le risque est d’inciter l’entreprise et le propriétaire à s’entendre pour ne pas entrer dans les réglementations contraignantes de l’enlèvement de l’amiante. Pour éviter cette situation, il convient que l’étude soit préalable et obligatoire. Il reste à définir la nature des travaux qui doivent provoquer ce diagnostic exhaustif. C’est un problème technique qui exige une concertation entre les services des ministères de la santé, du travail, de l’équipement, les organismes ayant une responsabilité dans l’organisation de la sécurité au travail ou une connaissance des techniques du bâtiment (INRS, CSTB), des représentants des professions du bâtiment. |
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La signalisation de la présence d’amiante. Elle doit se manifester sous deux formes, d’une part la présence physique d’une signalisation adaptée dans les zones contenant de l’amiante, d’autre part l’existence de documents communiqués obligatoirement aux entreprises et aux intervenants, tant lors de l’établissement de devis de travaux qu’au moment de leur réalisation. Ces documents ne peuvent se limiter au rapport des techniciens qui ont effectué la reconnaissance de l’amiante dans les bâtiments. Il doit s’agir d’un plan de gestion du bâtiment comportant non seulement des plans détaillés des zones à risque mais un rappel de toutes les précautions à prendre pour chaque type d’intervention, incluant des actions de maintenance périodiques, par exemple des interventions de nettoiement quand elles peuvent comporter un risque. Ce plan de gestion doit répondre à une liste de conditions fixées par une réglementation spécifique, des exemples types étant publiés pour préciser les champs couverts et les méthodes à suivre. |
Faut-il étendre dès maintenant la reconnaissance de l’amiante dans les bâtiments aux maisons particulières et à l’ensemble des formes d’amiante présentes ?
Il est évident que si les personnels intervenant sur des bâtiments amiantés sont exposés à des risques d’empoussièrement épisodiques mais parfois intenses, la logique d’une prévention efficace serait de reconnaître l’amiante partout où le rencontre. Les limites à une telle attitude sont les suivantes :
- Le gouvernement a déjà modifié l’étendue de la reconnaissance de l’amiante dans les immeubles. D’abord limité aux flocages et aux calorifugeages, le diagnostic a ensuite été étendu aux faux-plafonds, contraignant les propriétaires qui avaient déjà fait réaliser l’expertise à une nouvelle dépense. Si le gouvernement continue de pratiquer une démarche progressive étendant par étape l’analyse aux sols, puis aux cloisons, il apparaîtra comme un gestionnaire hésitant et manquant de considération pour ceux qui assurent financièrement ces diagnostics.
- Nous connaissons assez mal le risque réel de se trouver en présence d’amiante encouru par un intervenant sur un bâtiment, en fonction du type de construction sur laquelle il intervient et de la nature de son intervention.
Avant de modifier une troisième fois le décret de 1996, nous devons fonder les obligations qui seront créées par l’étude complète d’un certain nombre de bâtiments dans un objectif d’évaluation du risque pour un ouvrier de se trouver confronté à la présence d’amiante. Cette connaissance serait le complément d’une base telle qu’EVALUTIL (qui indique pour une activité donnée, le niveau d’empoussièrement auquel le travailleur peut être exposé). Personne ne peut actuellement préciser avec quelle fréquence on risque de percer une cloison contenant de l’amiante (dans les joints, dans un panneau isolant) lors d’une intervention dans un immeuble collectif construit par exemple entre 1960 et 1970. Le risque de rencontrer des dalles de vinyle renforcées par de l’amiante, ou collées avec un produit adhésif contenant de l’amiante, ou reposant sur un carton amianté destiné à améliorer l’isolation varie avec l’année de construction et le type d’immeuble. Il faut documenter rapidement ces faits et modifier éventuellement ensuite le texte de 1996.
8. Le fonctionnement du dispositif de prévention et d’indemnisation des maladies professionnelles provoquées par l’amiante a été défaillant.
Deux problèmes différents sont associés dans l’injustice sociale dont sont victimes les personnes ayant développé une maladie consécutive à l’exposition à l’amiante. Le premier est la difficulté de faire reconnaître l’origine professionnelle de leur maladie. La seconde l’insuffisance des mesures de prévention dont elles auraient pu bénéficier.
Réduire les obstacles à la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie provoquée par l’amiante.
Le rapport de M. Alain Deniel a fait récemment le point sur les insuffisances du dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles dans le cadre d’une évaluation des sommes indûment imputées au régime général de l’assurance maladie des travailleurs salariés alors que ces dépenses auraient dû être assurées par le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles dont le mode de financement est différent. Ce rapport est disponible intégralement sur le site internet du ministère (évaluer > rapports > rapport Deniel), comme l’analyse qui en a été faite par le CNPF (évaluer > rapport > CNPF). Le rapport Deniel évalue à environ un milliard de francs le montant des dépenses indues.
Le système d’indemnisation des maladies professionnelles repose sur le principe simple de présomption d’origine. Si les conditions d’exposition correspondent à celles indiquées dans des tableaux mis périodiquement à jour, une maladie survenant chez un salarié sera reconnue comme étant d’origine professionnelle. Quand une maladie est identifiée rapidement après l’exposition au risque, le système peut fonctionner correctement, la situation devient difficile si elle est différée, elle se complique encore quand la maladie en cause est multifactorielle, par exemple un cancer broncho-pulmonaire qui est plus souvent provoqué par le tabac que par l’amiante. Le résultat est un déficit de reconnaissance manifeste. Environ 700 mésothéliomes apparaissent chaque année en France, personne ne discute le fait que 90 à 95% de ces cancers sont provoqués par l’amiante et cependant moins de 100 mésothéliomes seront reconnus comme d’origine professionnelle. Cette absence d’équité est ressentie avec d’autant plus d’amertume par les victimes que la prévention possible n’a pas été mise en œuvre de façon satisfaisante à une période où l’on connaissait à la fois le risque et les méthodes de prévention. La période critique s’étend du début des années soixante à 1977, cette dernière date correspondant à la publication du premier décret fixant des seuils quantitatifs d’empoussièrement. Le développement de la consommation industrielle de l’amiante a été très important pendant cette période, l’exposition au risque s’est donc accrue, alors que les méthodes de prévention n’ont pas accompagné à un niveau suffisant cette augmentation du risque. Assurer la ventilation de locaux, placer des aspirations sur les postes de travail, réduire à la source la production de poussières sont des méthodes anciennement connues de prévention des risques liés aux poussières susceptibles de provoquer des pathologies. La loi qui crée une obligation générale de protection de l’employé par l’employeur est exactement centenaire, la nécessité de prévenir ne commence pas avec le décret de 1977.
Le problème posé par la nécessité de prouver l’exposition à l’amiante.
L’accroissement du risque lié aux produits à base d’amiante n’a pas été provoqué par l’augmentation de consommation d’un nombre limité de produits, il est également dû à l’accroissement irresponsable du nombre de produits mis sur le marché. Une véritable fièvre d’innovations est attestée par les documents de promotion de l’amiante dont nous disposons (connaître > histoire > documents). Cette multiplication des produits, couplée à des délais de 20 à 40 ans pour la grande majorité des pathologies tumorales induite par l’amiante contribue aux difficultés parfois insurmontables auxquelles sera confronté le salarié qui tente de faire valoir ses droits. Les entreprises qui ont employé des personnes exposées n’étaient pas uniquement celles qui manufacturaient l’amiante et dans lesquelles le risque était bien identifié, même s’il n’était pas correctement prévenu. Il s’agissait souvent de petites entreprises du bâtiment (charpente, couverture, électricité, maçonnerie etc.) et l’on sait que ces entreprises artisanales ont une durée de vie souvent réduite à la période où un salarié décide de se mettre à son compte et fait vivre son entreprise jusqu’à sa retraite. Les interruptions d’activité pour des raisons économiques sont également très fréquentes. Dans ce contexte l’enquête qui doit établir que le demandeur était réellement exposé à l’amiante se traduit fréquemment par un échec. Il y a deux façons de lire et d’appliquer les phrases contenues dans le tableau 30, soit on admet facilement qu’un type de métier à obligatoirement exposé le travailleur à de l’amiante et une pathologie identifiée dans le tableau voit son origine professionnelle reconnue, soit on veut rechercher la preuve de l’exposition à l’amiante et l’on rend le dispositif beaucoup plus restrictif.
Le second facteur d’échec dans la recherche de l’exposition est lié au fait que le demandeur lui-même est incapable de dire s’il manipulait des matériaux à base d’amiante et dans quel entreprise il a pu être exposé. Tous les porteurs de mésothéliome n’ont pas été impliqués dans des activités de flocage ou de calorifugeage. Quand un employé d’une entreprise spécialisée dans la réalisation de stands, dans des expositions ou des foires, découpe pendant plusieurs années des panneaux à base d’amiante, il peut avoir ignoré cette particularité et en l’absence d’une aide très technique exigeant des compétences particulières il sera dans l’incapacité de signaler cette période d’exposition au risque amiante. Un ouvrier de maintenance d’une industrie chimique quelconque a été obligatoirement exposé à des joints contenant de l’amiante, car leur diffusion a été considérable, étendue à l’industrie alimentaire. Bien entendu tous ces joints n’émettaient pas de grandes quantité de poussières d’amiante, le contexte de leur utilisation était déterminant. La nécessité de faire du sur mesure, d’intervenir sur ces joints avec des méthodes dépourvues de toute protection était un facteur de risque quantitativement élevé et ce type d’activité pouvait avoir été exercé pendant une période courte mais avec des pics d’empoussièrement intense. Nous connaissons des exemples de mésothéliomes avec des durées d’exposition inférieures à une année chez des personnes découpant des panneaux amiantés. Le premier obstacle à la reconnaissance de la maladie professionnelle est lié à la difficulté d’apporter la preuve de l’exposition. Il faut lever cet obstacle en utilisant une méthode simplifiée de reconnaissance de l’exposition utilisant seulement la notion de métier exposé et non une enquête tentant d’identifier spécifiquement un contact avec à l’amiante, au moins dans le cas de maladies pratiquement unifactorielles.
La difficulté majeure ne concerne pas le mésothéliome, tumeur attribuable à l’amiante avec un risque d’erreur très faible, en particulier si la personne atteinte a exercé un métier exposé, mais les cancers broncho-pulmonaires. Ces cancers sont provoqués principalement par les dérivés de la combustion du tabac, plus rarement par d’autres cancérogènes inhalés, en particulier par l’amiante. La proportion de cancers broncho-pulmonaires attribuables à ce dernier peut être estimée entre 6 et 12%. Il est difficile dans de telles conditions d’utiliser le principe de la présomption d’origine, en particulier si la preuve se réduit à la reconnaissance d’un métier exposé comme je le propose pour le mésothéliome. Limiter la reconnaissance de l’origine professionnelle aux non-fumeurs ne serait pas juste, car on peut développer un cancer broncho-pulmonaire attribuable à l’amiante en étant fumeur, on sait même que les deux cancérogènes n’additionnent pas leur action propre mais la multiplient. Il faut nécessairement sortir du cadre de la présomption pour traiter avec équité une tel problème et accepter une expertise utilisant des critères objectifs. La législation a préparé la solution de ce type de situation en créant les comités régionaux des maladies professionnelles pour traiter les cas particuliers. Le seul critère indiscutable est la mise en évidence d’un taux élevé de fibres d’amiante ou de corps asbestosiques dans le tissu pulmonaire en dehors de la tumeur. Cette méthode est utilisée dans plusieurs pays, en particulier au Canada. Une telle disposition implique un prélèvement tissulaire qui ne peut être envisagé en dehors d’un acte chirurgical thérapeutique ou d’une autopsie. La biopsie comporte en effet des risques qui, même s’ils sont minimes, ne permettent pas de l’imposer pour prouver l’exposition à l’amiante. En pratique si la tumeur relève de l’intervention chirurgicale dans un but thérapeutique, il est possible de faire le prélèvement sur la pièce opératoire, l’exérèse étant une lobectomie ou une pneumonectomie qui comporte du tissu pulmonaire péritumoral. Si l’état du malade ou l’extension de la tumeur ne permettent pas une intervention chirurgicale, le prélèvement ne peut être fait qu’après la mort lors d’une autopsie, ce qui protège les intérêts des ayants droit sans imposer un acte biopsique agressif à un malade en fin de vie. La mise en œuvre d’une recherche systématique de la présence de fibres d’amiante sur toute pièce d’exérèse d’un cancer primitif broncho-pulmonaire doit être une méthode facilitant la reconnaissance du rôle de l’amiante dans la survenue de la tumeur. Nous reviendrons sur ce point dans la proposition consacrée à la gestion épidémiologique des cancers respiratoires.
Pour résumer cette partie très importante dans la prise en compte du risque professionnel lié à l’amiante, les solutions les plus justes me semblent être :
- pour les mésothéliomes une reconnaissance de l’origine professionnelle si la personne a exercé un métier exposé, dont la liste serait établie dans un texte réglementaire, comme c’est le cas en Grande-Bretagne,
- pour les cancers pulmonaires, une reconnaissance de l’origine professionnelle si les conditions fixées par le tableau 30bis sont satisfaites, ou si l’exercice d’un métier exposé est associé à la présence significative d’amiante dans le tissu pulmonaire. En l’absence d’un tel prélèvement, le seul recours est d’utiliser les possibilités offertes par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Le problème posé par les délais d’instruction des dossiers
La pathologie cancéreuse induite par l’amiante n’appartient pas au groupe des cancers qui guérissent fréquemment. Un cancer cutané professionnel peut avoir 9 chances sur dix de guérir définitivement, un cancer de la vessie une chance sur deux. A l’opposé les mésothéliomes sont des tumeurs habituellement diffuses de la plèvre qui ne permettent pas d’interventions chirurgicales et les résultats de la chimiothérapie sont encore limités. Les cancers broncho-pulmonaires sont également de mauvais pronostic, la fraction qui survivra après quelques années est réduite. Dans ces conditions, l’instruction d’une demande de reconnaissance de l’origine professionnelle est une course d’obstacles dépourvue d’humanité dans laquelle le demandeur va épuiser ses forces pendant les derniers mois de sa vie. Pour éviter une reconnaissance automatique de l’origine professionnelle dans un délai de deux mois si elle ne se manifeste pas, la caisse de sécurité sociale va presque systématiquement avoir recours à une contestation de l’origine professionnelle, ce qui est bien entendu ressenti comme une injustice par le demandeur. La suite est une longue période d’enquête compliquée par les dispositions spécifiques de reconnaissances des maladies provoquées par un empoussièrement (pneumoconioses). Il faut à la fois réduire les délais d’instruction et les spécificités inutiles dans la reconnaissance des pneumoconioses. Le premier point peut être amélioré dans le cas des mésothéliomes par la mesure proposée ci-dessus. Si les exigences de l’enquête sont diminuées, il sera plus facile de la conduire dans des délais acceptables. Cette disposition n’est cependant pas suffisante, il faut lui associer une limite dans le temps. Si le premier délai à courir, qui pourrait être le délai actuel de deux mois, ou un délai de trois mois, s’achève sans que la décision de la caisse soit prise, une prolongation ne pourrait intervenir que si une cause motivée explique l’absence de décision. Cette cause devrait être notifiée explicitement au salarié, la notification précisant qui a la responsabilité de ce retard. Il faut en effet éviter qu’une des parties puisse tirer bénéfice d’une entrave à l’application des textes, en particulier par une insuffisance des renseignements fournis pour permettre l’enquête sur le passé professionnel. Faute de ces précisions, la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie interviendrait comme en l’absence de réponse. Dans le cas du cancer broncho-pulmonaire, ces dispositions pourraient s’appliquer facilement si les deux conditions envisagées ci-dessus sont réunies. Si la preuve de la présence d’amiante dans les tissus pulmonaires ne peut être apportée, faute de prélèvement, c’est la décision du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles qui devrait intervenir dans un délai limité.
Le problème posé par le régime spécial des pneumoconioses.
Un court article de loi dans le code de la sécurité sociale (L.461-7) permet d’appliquer des dispositions réglementaires particulières pour l’indemnisation de certaines maladies professionnelles. Cette possibilité a été appliquée aux pneumoconioses dans un contexte particulier qui était celui de la silicose, maladie fréquente chez les mineurs au moment où ces particularismes ont été créés. Il y avait certes des difficultés de reconnaissance de la maladie à une époque où le scanner n’existait pas et où l’exploration fonctionnelle respiratoire était balbutiante. Malgré ces difficultés le dispositif mis en place était surtout un filtre restrictif destiné à éviter une charge financière élevée à l’industrie minière. L’appliquer en 1998 à la pathologie principalement tumorale induite par l’amiante est dépourvu de sens. Il faut supprimer cette course d’obstacles contraire à l’équité et les restrictions de compensations financières qui lui sont associées. Ce serait en outre faire œuvre de simplification administrative à un moment où l’excès de textes et de dispositions particulières est un facteur d’inefficacité de notre droit. Je propose que les articles du code de la sécurité sociale, créant pour les pneumoconioses un régime restrictif par rapport au droit commun des AT-MP soient supprimés. Cette simplification ne résout pas pour autant le problème critique de l’expertise. Elle doit être modifiée dans des proportions limitées mais importantes quant à la qualité des décisions prises. Si le médecin traitant et celui de la sécurité sociale sont d’accord sur le premier expert et ses décisions, le système a fonctionné normalement et il faut conserver inchangé ce premier niveau d’expertise. Quand un litige persiste, l’appel prévoit le recours à un second praticien désigné sur une liste d’experts auprès des cours d’appel. C’est à ce niveau que nous pouvons améliorer le système. L’évolution des connaissances et des compétences est rapide dans le domaine médical. Je ne crois pas que le système actuel de désignation des experts auprès des tribunaux, et surtout d’absence fréquente de radiation de ces experts quand l’âge et l’éloignement de la formation les décalent par rapport aux pratiques du moment, les place dans une situation optimale pour arbitrer des conflits difficiles. Il serait souhaitable d’adopter un mode de désignation plus adapté de ceux qui joueraient ce rôle d’arbitre et je fais une proposition dans ce sens pour fixer les modalités d’agrément de ces experts.
Tenir compte des insuffisances de la prévention des maladies induites par l’amiante, qu’elles soient liées à des erreurs, à des négligences ou à des fautes pour :
- compenser la réduction de l’espérance de vie des travailleurs les plus exposés,
- permettre une nouvelle étude des dossiers de salariés qui n’ont pas bénéficié d’une reconnaissance « normale » du caractère professionnel des dommages qu’ils ont subi du fait de l’amiante.
Si l’importance des maladies professionnelles liées à l’amiante a été provoquée dans un premier temps par l’insuffisance de la connaissance des niveaux d’exposition aux fibres capables de provoquer une asbestose et dans un second temps par la sous estimation du risque de cancer liée en partie aux délais nécessaires pour provoquer des tumeurs, personne ne peut nier que les insuffisances de la prévention ont également été favorisées par des erreurs d’appréciation, des négligences, voire des fautes. Peut-on actuellement faire le point sur la part de ces facteurs, en tirer des conclusions et faire des propositions concernant les compensations à accorder aux victimes ? Je ne suis pas un juge, je ne dispose pas des moyens d’investigation me permettant de clore un dossier aussi complexe. D’autre part je ne peux me substituer aux victimes dans le choix de la meilleure solution pour leur rendre justice. Pour justifier cette attitude qui n’est pas la plus confortable, je voudrais préciser plusieurs aspects de ce problème. J’expliquerai ensuite ce que je crois avoir compris des facteurs qui nous ont conduits à la situation actuelle, compte tenu de mon information qui est en évolution constante. Cette démarche fait partie du travail qui m’est demandé pour deux raisons :
- Il est impossible d’améliorer un système décisionnel si l’on n’a pas analysé les mécanismes de ses défaillances.
- Si l’on souhaite que les dispositions qui vont être appliquées dans l’avenir, et qui faciliteront la reconnaissance des maladies professionnelles provoquées par l’amiante, puissent bénéficier à ceux dont les maladies n’ont pas été reconnues dans le passé, il faut une procédure spéciale. Il est nécessaire de la justifier en indiquant les dysfonctionnements les plus indiscutables.
Les questions les plus importantes pour faire évoluer la réflexion sur ce sujet sont à mes yeux les suivantes :
- Quand peut-on estimer que le risque de développer une asbestose en fonction de la concentration en fibres d’amiante et de la durée d’exposition a été identifié avec une précision suffisante pour assurer une prévention efficace ?
- A quel moment le risque de développer des cancers pleuraux ou pulmonaires, qualitativement ou en fonction de l’exposition, a-t-il été identifié avec une précision permettant d’assurer la prévention ?
- Les recherches permettant de développer ces connaissances, en particulier dans le domaine épidémiologique, ont-elles été promues suffisamment tôt et avec des moyens appropriés ?
- Compte tenu de l’état des connaissances épidémiologiques sur le risque lié à l’amiante, peut-on dire que le système de reconnaissance et d’indemnisation des maladies professionnelles a fonctionné correctement ?
Sans développer chacun de ces points qui appellent des commentaires très argumentés, il faut accepter les faits suivants :
- Dès le début du siècle et les premiers développements de l’usage industriel de l’amiante, le risque d’asbestose a été identifié (en France par Auribault en 1906). Il est à mes yeux évident que les moyens de la prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous-développés depuis. Lutter contre l’empoussièrement a un coût mais c’est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l’amiante débutaient leur exposition à des niveaux d’empoussièrement dangereux, souvent dès l’âge de quatorze ans.
- Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d’années (Doll en 1955 pour le cancer broncho-pulmonaire, Wagner en 1960 pour le mésothéliome), en France les écrits de Turiaf (1965) n’ont pas été des textes à diffusion réduite, les revues où ils les publiaient étaient les plus diffusées de la presse médicale.
- Malgré ces connaissances indiscutables, le développement des importations d’amiante croissait régulièrement, le produit était commercialisé sous de multiples formes, en particulier de faible densité libérant facilement des fibres sous l’influence de contraintes mécaniques minimes ou par simple vieillissement des substances tentant d’assurer la cohésion de fibres d’amiante.
- Bien que l’épidémiologie des dommages sanitaires provoqués par l’amiante ait été continuellement sous développée dans notre pays – il faut rappeler que les registres des mésothéliomes et des asbestoses que nous étions tenus de tenir depuis la directive communautaire de 1983 n’ont jamais existé – nous disposions cependant d’études relativement représentatives sur l’incidence des mésothéliomes et leur origine professionnelle. Ces données disponibles n’ont jamais provoqué une adaptation de la prise en charge de ces tumeurs au titre des maladies professionnelles alors que l’insuffisance de leur reconnaissance était patente.
Il est donc possible d’affirmer l’existence d’un risque sanitaire bien identifié et l’absence de prise en compte de ce risque à son juste niveau par les producteurs, par ceux qui avaient pour mission d’assurer la sécurité sanitaire des ouvriers (employeurs, médecins du travail) et finalement par l’Etat qui fixe les règles destinées à assurer cette sécurité et qui ne manifestera un début d’efficacité qu’à partir de 1977 (décret du 17 août fixant des niveaux limites d’empoussièrement en milieu de travail). A cette absence de maîtrise suffisante du risque s’est ajoutée l’injustice de l’insuffisance de la reconnaissance de l’origine professionnelle des dommages de santé provoqués.
A ce stade d’une évaluation des responsabilités, nous sommes au point le plus difficile de l’appréciation d’un tel dossier. Sommes-nous capables de faire la part de l’insuffisance des connaissances quantitatives, de l’insuffisance de l’action de ceux qui avaient la responsabilité d’attirer l’attention des pouvoirs publics, voire le mépris culturel d’une forme de risque qui n’a pas intéressé les décideurs ? Les trois facteurs se sont associés et cette situation est habituelle dans de telles problématiques. Chacun accentuera l’importance de l’explication qui l’exonère de ses responsabilités. Le décideur dira qu’il n’a pas été averti par les spécialistes, les scientifiques indiqueront toutes les références des textes qui ont été publiés, les industriels diront qu’ils appliquaient les règlements en cours. La situation est identique quand un constructeur automobile vend un véhicule dont la vitesse maximale est sans commune mesure avec la vitesse la plus élevée autorisée dans notre pays. Il s’agit d’un risque évitable dont les conséquences sont décrites avec précision par les assureurs et les accidentologistes. Ce type de problème n’est bien entendu pas limité à la France, tous les pays qui développent ou utilisent des techniques nouvelles sont confrontés à de telles situations et les solutions se prendront de plus en plus à des niveaux supra-nationaux (UE, OMC etc.). Il faut également avoir à l’esprit l’évolution des exigences des individus et finalement de la société face aux risques évitables. La situation en 1998 n’est pas celle de 1960 ni de 1980. Nous voyons apparaître des législations sur des risques qui étaient acceptés très passivement dans le passé. Il ne faut pas non plus oublier, dans la relation entre experts et décideurs, les problèmes posés par les moyens dont disposent ces derniers pour utiliser les connaissances des premiers. J’ai développé ces aspects dans un texte particulier (pourquoi un site > l’expertise en santé publique). Une évolution très nette s’est produite depuis quelques années, en particulier avec le recours aux expertises collectives de l’INSERM, mais également avec le développement des autres formes de rapports d’experts. Il sera particulièrement important de définir au cours des prochaines années, dans le cadre des remaniements des structures de veille sanitaire ou de gestion de la sécurité sanitaire, les méthodes les plus aptes à nous faire naviguer entre le principe de précaution, les risques potentiels et les risques prouvés, avec toutes les difficultés liées aux incertitudes de la quantification.
Dans le domaine des risques liés à l’amiante, les éléments objectifs dont nous disposons permettent de dire qu’il y a eu une insuffisance des interventions des différents types de responsables. Ils pouvaient faire plus, mieux et plus tôt. Il peut paraître facile de dire cela après coup, quand le drame est sous nos yeux, mais les faits sont suffisamment précis pour dire qu’il ne s’agit pas de malchance et de choix de mauvaises hypothèses, qui sont des formes d’atténuation des responsabilités. Le risque lié à l’amiante a été mal géré dans notre pays, spécialement entre 1960 et 1977, tant dans la diffusion de techniques dangereuses (flocages, calorifugeages, développement des produits de faible densité), que par l’insuffisance du développement des méthodes de prévention. Pour achever le sentiment profond de l’injustice créée par cette situation, les victimes n’ont pas été reconnues et donc indemnisées comme elles auraient dû l’être.
Une telle situation justifie une réparation spécifique des dommages subis par les victimes, assumée par les entreprises concernées et par la collectivité. Cette réparation ne doit pas apparaître comme un moyen d’acheter le silence et d’arrêter les plaintes en cours, elle ne doit pas être soumise à des renoncements d’agir par la voie pénale si certaines victimes souhaitent utiliser cette voie. Je propose qu’elle prenne deux formes :
- Une cessation d’activité avant 60 ans pour les personnes qui ont travaillé dans les industries les plus exposées (tissages d’amiante, industrie des produits de friction, fabrication de l’amiante ciment, pratique exclusive du flocage et du calorifugeage avec de l’amiante). Ce groupe est composé d’un nombre limité de personnes, qui sont fréquemment à un âge proche de la retraite car ces industries ont peu recruté au cours des vingt dernières années. Elles ont plutôt licencié, ce qui place les personnes qui ont perdu leur emploi dans des situations difficiles, la connaissance de leur ancien employeur dissuadant un employeur potentiel de les recruter, par crainte du développement d’une pathologie professionnelle grave. L’accroissement du risque pour ces personnes de développer des maladies invalidantes ou mortelles est maintenant bien documenté (évaluation > sociétés > risque vital), il est sans commune mesure avec le risque ou la pénibilité des emplois qui ont justifié des avantages dans l’accès à la retraite d’autres professions. Une équité élémentaire nous impose de régler ce problème rapidement, sans laisser ce groupe dans une situation d’attente où l’on semble prêter attention à leur demande, sans jamais passer à l’acte. Les salariés qui ont une maladie reconnue comme d’origine professionnelle et attribuée à l’amiante doivent également bénéficier de cette cessation anticipée d’activité.
- Créer par voie législative la possibilité de réétudier les dossiers des personnes qui n’ont pu bénéficier d’une application normale des procédures de reconnaissance des maladies professionnelles. Je propose d’améliorer de façon prospective les possibilités de reconnaissance d’une pathologie liée à l’amiante. La survenue d’un mésothéliome chez des salariés qui ont exercé un métier exposant à l’amiante doit entraîner cette reconnaissance dans le cadre de la procédure définie dans les développements qui précèdent. Qui est d’ailleurs dans l’esprit de la présomption d’origine qui gouverne la législation sur les maladies professionnelles. Quand des dommages corporels graves ont été provoqués par des comportements incluant des erreurs et des fautes des responsables de la prévention, quand leurs conséquences ont été aggravées par une application insuffisante des systèmes de réparation, il convient de revenir sur ce passé sans se contenter d’assurer une amélioration de la situation dans l’avenir.
Ceux qui vont s’élever contre une telle proposition doivent réfléchir à leurs références. Si nous acceptons que la collectivité paie le prix des erreurs et des fautes des responsables du Crédit Lyonnais ou de leur tutelle à un niveau dépassant la centaine de milliards, est-ce pour assurer la justice ? est-ce pour maintenir la confiance dans un système bancaire ? Ces motivations sont-elles plus importantes que la volonté de compenser des insuffisances dont la première conséquence est une atteinte à l’intégrité physique des individus et non à des valeurs financières ? Il y a de bonnes raisons de simplifier très fortement la procédure imposée aux victimes de l’amiante, qui s’apparente à une course d’obstacles. Il ne s’agit pas d’acheter un silence et un renoncement aux actions judiciaires, mais de reconnaître que quand la solidarité a été défaillante dans la protection d’un groupe, elle doit être au moins capable d’assurer sans difficulté excessive la réparation du dommage provoqué. Cette mesure me paraît indispensable puisque les délais écoulés ne permettent plus aux victimes – et surtout à leurs ayants droit car il s’agit de pathologies tumorales rapidement mortelles – d’avoir recours aux procédures facilitées de reconnaissance d’une maladie professionnelle liée à l’amiante que je propose. Cette mesure doit également concerner les salariés dont le statut particulier contient des anomalies choquantes que je propose de modifier. Si cette modification intervient elle doit s’appliquer rétroactivement. Quand un fonctionnaire se voit reconnaître l’origine professionnelle d’un mésothéliome et que les avantages liés à cette reconnaissance disparaissent après sa retraite et que ses ayants droit n’en bénéficient pas, nous échappons à toute rationalité et il faut revenir sur ces faits.
9. Autres problèmes
Je n’ai pas voulu placer dans la partie initiale de ce rapport les nombreux problèmes ponctuels, ou à l’opposé très généraux, qui doivent être résolus pour que la situation puisse être considérée comme satisfaisante dans une optique de santé publique. L’expérience de rapports contenant de trop nombreuses propositions m’ont appris le risque de placer sur le même plan l’ensemble des problèmes à traiter et j’ai préféré isoler les quatre points qui détermineront à mon avis la qualité de la gestion du risque lié à l’amiante. En l’absence de solution satisfaisante à ces quatre problèmes majeurs, je ne crois pas que les réponses qui pourraient être apportées aux questions annexes permettraient d’atteindre une situation acceptable. Le rapport de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques a envisagé de nombreux points particuliers qui devront être traités sur le court ou le long terme par la cellule de gestion dont je propose la création. Certains d’entre eux sont abordés dans des fiches de proposition spécifiques qui sont annexées à ce rapport ou dans des propositions qui m’ont été adressées et qui sont publiées sur le site internet du ministère. Elles concernent :
- les problèmes d’environnement,
- le contrôle du risque lié aux fibres de remplacement,
- l’information concrète du public sur le risque lié à l’amiante,
- l’organisation de notre système de médecine du travail,
- la surveillance des personnes exposées, souvent considérée à tort comme une méthode de prévention,
- l’amélioration des connaissances épidémiologiques.
Conclusions:
Considérations générales
Les problèmes de santé publique ne se résument pas à un ensemble de questions posées à des spécialistes qui expriment des connaissances imposant des comportements. De même que la médecine de soins n’est plus seulement un problème de médecins, mais aussi de financement du système, ou d’évaluation du service rendu qui n’est pas appréciable uniquement en espérance de vie, la médecine de prévention et la gestion de la sécurité sanitaire dépendent de choix politiques.
La difficulté majeure est de conserver la cohérence d’un système de prévention du risque dans une société qui accroît le nombre des situations à risque. Le développement de l’industrie chimique qui multiplie les produits nouveaux auxquels l’organisme vivant n’a jamais été confronté, les risques physiques lié aux radiations ionisantes, aux traumatismes, les risques infectieux amplifiés par la facilitation des transports ou les « innovations » alimentaires des industriels de la viande, créent un paysage du risque en évolution permanente. Il associe paradoxalement une espérance de vie qui n’a jamais été aussi élevée et un nombre croissant de morts liées à des actions humaines qui se révèlent, parfois tardivement, des erreurs.
Il est difficile de corriger rapidement ces erreurs car elles se produisent dans un système associant des conditionnements routiniers, des intérêts économiques et souvent des avantages individuels indiscutables. Il faut savoir alors « gérer » le risque et analyser avec objectivité et sérénité les données disponibles. Les décisions doivent être nécessairement prises par les responsables politiques, ce qui ne supprime pas la responsabilité des experts. La qualité du système décisionnel dépendra de la qualité de la relation entre ceux qui instruisent et ceux qui décident. Si les premiers n’ont pas les moyens permettant d’évaluer la situation et les seconds une cohérence dans leur système de référence décisionnel, nous vivrons dans toute leur ampleur les drames du risque identifié mais négligé comme celui de l’amiante.
Organiser la gestion du risque, identifier clairement les situations dangereuses, protéger les intervenants sur le produit potentiellement pathogène, reconnaître les droits des victimes quand la protection a été mal assurée, informer la population de ce que l’on sait, sont des impératifs qui s’imposent aux responsables politiques. J’ai abordé le problème de l’amiante avec ces règles simples qui sont celles que l’on peut appliquer à de nombreuses situations. Des structures se mettent en place pour tenter d’améliorer l’identification et la gestion de risques nouveaux.
Les résultats dépendront étroitement de l’adaptation des moyens et des méthodes aux objectifs visés. Il n’y a pas de proportionnalité entre l’importance des enjeux financiers d’un problème de santé publique et les moyens mis en œuvre pour le gérer. Nous connaissons des décisions engageant des dizaines de milliards qui relèvent d’un choix n’exigeant pas une instruction et un suivi coûteux. Gérer le risque lié à l’amiante relève d’une autre problématique, elle impose le développement d’un outil qui n’est pas actuellement achevé. Un décideur qui ne dispose pas d’une évaluation de l’efficacité de ses décisions sur le terrain s’expose à être un mauvais gestionnaire.
Les décisions de ceux qui ont en charge la sécurité sanitaire seront de plus en plus rarement le produit de choix simples, binaires, fondés sur des principes. Reconnaître l’importance du principe de précaution n’est pas suffisant pour faire un choix. C’est la qualité des systèmes d’observation et d’évaluation qui assurera celle des décisions. Ces dernières rechercheront un compromis socialement acceptable entre des intérêts opposés. Les erreurs sont inévitables dans un domaine aussi complexe, elles seront acceptées si ceux qui les ont commises avaient mis en place les meilleurs systèmes d’observations possibles et assuré la diffusion des informations qu’ils possédaient. A l’opposé la décision, improvisée par manque de connaissance et qui s’avérera désastreuse, sera considérée comme une faute si les responsables n’avaient pas mis en place le recueil des données utiles et leur diffusion. Nous avons à développer un ensemble de méthodes d’identification et de quantification des risques, avec en aval des mesures adaptées et évaluées. L’amiante relève toujours de cette démarche, en la développant nous assurerons notre aptitude à traiter d’autres problèmes du même type qui ne manqueront pas d’apparaître dans les décennies à venir. Nous sommes trop confiants dans l’innovation et dans le développement et l’usage extensifs de méthodes ou de produits mal connus pour ne pas nous faire piéger à nouveau.
Principales conclusions pratiques:
- Le ministre ayant en charge la sécurité sanitaire doit disposer de l’outil d’évaluation qui lui permettra de connaître à tout moment la situation réelle du risque lié à l’amiante et d’infléchir son évolution. Il n’a pas aujourd’hui la totalité des moyens d’une telle action.
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La réglementation actuelle concernant l’identification de l’amiante dans les bâtiments est dans l’ensemble de bonne qualité. Elle doit être complétée par un système de déclaration obligatoire des résultats permettant d’effectuer les contrôles à un niveau décentralisé quand des travaux sont nécessaires. Il faut prévoir un diagnostic complet de la présence d’amiante en cas de destruction ou de réhabilitation. |
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Les services de l’Etat doivent avoir les moyens de ces missions. La gestion d’un tel problème est un travail de grande ampleur qui impose des actions d’évaluation et de contrôle au niveau de chaque département. Sans moyens adaptés, nous continuerons d’agir sur un plan purement théorique en nous reposant sur le sens des responsabilités des propriétaires et nous ne garantirons pas le respect de la réglementation. |
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Il faut porter toute notre attention sur le groupe actuellement le plus exposé au risque, constitué de travailleurs intervenant sur des bâtiments contenant de l’amiante. En simplifiant, ces personnes sont exposées à un risque qui est environ cinquante fois plus faible que celui auquel étaient exposés dans le passé ceux qui manufacturaient l’amiante (fibro-ciment, matériaux de friction, tissages), mais elles sont près de cent fois plus nombreuses (tous les métiers du bâtiment, les personnels de maintenance, en pratique tous ceux qui interviennent sur des bâtiments contenant de l’amiante. Ces personnels doivent être mieux formés et informés, les conditions de leur protection doivent être améliorées. |
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Les conditions de la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’amiante doivent être simplifiées. Certaines mesures ne doivent pas se limiter aux maladies provoquées par l’amiante (suppression des dispositions spécifiques des pneumoconioses, réduction des délais pour la reconnaissance des maladies professionnelles). |
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