J’AI COLLE DES AFFICHES DANS PARIS LA NUIT AVEC DYSTURB, LE COLLECTIF DE PHOTOREPORTERS (http://cheekmagazine.fr/Maëva Demougeot)
J’AI COLLÉ DES AFFICHES
DANS PARIS LA NUIT
AVEC DYSTURB,
LE COLLECTIF DE PHOTOREPORTERS
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
Rendez-vous est pris à 21 heures dans le 11ème arrondissement. C’est au quatrième étage d’un immeuble haussmannien que le collectif Dysturb se retrouve. Au programme: une session de collage nocturne. Depuis plusieurs mois, cette association de photoreporters placarde les murs de la capitale avec des photos immenses prises dans des pays en guerre, de la Centrafrique à l’Ukraine en passant par la Syrie.
“De plus en plus de photojournalistes partent durant plusieurs mois réaliser des reportages et n’ont qu’une ou deux photos publiées dans les journaux.”
J’arrive devant l’appartement, j’entends de la musique et des gens qui parlent: je suis au bon endroit. C’est Pierre Terdjman, photoreporter, fondateur de Dysturb et collaborateur occasionnel de Cheek, qui m’ouvre.
Tout a commencé il y a quelques mois quand ce dernier a décidé d’afficher dans la rue ses clichés pris en Centrafrique. “De plus en plus de photojournalistes partent durant plusieurs mois réaliser des reportages et n’ont qu’une ou deux photos publiées dans les journaux,raconte Benjamin Girette, photojournaliste lui aussi, devenu très vite membre du collectif. La presse ne met plus assez en avant l’actualité internationale.” Le nom de l’association, Dysturb, c’est pour dire “poliment” qu’“on veut déranger, titiller l’opinion publique”.
Pierre Terdjman, en pleine préparation © Julia Tissier pour Cheek Magazine
Ce soir-là, le sol de l’appartement est jonché de photographies géantes. Ciseaux à la main, Pierre Terdjman effectue les dernières découpes. L’ambiance est détendue, quelques personnes sont déjà présentes. Ça ressemble à une soirée entre amis -il y a des bières, du vin, des pizzas et de la musique- à ceci près qu’ils s’apprêtent à recouvrir les murs de Paris sans autorisation. D’ailleurs, Dysturb a déjà eu affaire à la police qui les a sommés de décoller toutes leurs photos. “C’est 95 euros d’amende par affiche, ensuite ils la détruisent et confisquent le matériel, indique Benjamin Girette.
Mais l’autre fois, ils nous ont juste demandé de les décoller et nous ont laissés repartir tranquillement avec le matos.”
© Julia Tissier pour Cheek Magazine
Petit à petit, l’appartement se remplit et entre en ébullition. Plus d’une dizaine de personnes sont présentes, des photojournalistes pour la plupart mais aussi des amis, venus en renfort pour l’occasion. “Dysturb compte une trentaine de colleurs potentiels et sympathisants, continue Benjamin Girette. On est en train de créer un site Internet pour permettre de référencer, d’une part, les colleurs et d’autre part, les photojournalistes.” Pendant ce temps, ça coupe, ça roule et ça numérote. Vérifications des derniers détails techniques. Colle ? OK. Gants ? OK. Seau d’eau ? OK.
C’est le moment de partir. Il est 22 heures et tout le monde s’active pour descendre le matériel. Certains font connaissance en descendant les escaliers: “C’est la première fois que tu colles?” La nuit est tombée, il fait froid, on se regroupe devant la porte d’entrée de l’immeuble, en attendant les directives de Pierre Terdjman. Une fourgonnette, trois scooters et une voiture ont été réquisitionnés. Premier arrêt à une centaine de mètres de l’appartement, rue des Arquebusiers à l’angle du boulevard Beaumarchais dans le 3ème arrondissement de Paris.
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
Là-bas trône encore une ancienne affiche de Dysturb. Pierre Terdjman commence par l’arracher avec l’aide du photojournaliste Matthieu Rondel. Il faut être rapide, on dilue la colle dans l’eau, on sort les affiches et on colle. Le reste de la troupe, iPhone à la main, prend des photos pour les poster sur les réseaux sociaux accompagnées du hashtag #dysturb.
“Les gens semblent comprendre la démarche, ils nous disent que c’est bien de parler et de mettre en avant ces choses-là.”
Des badauds s’arrêtent, intrigués par la scène qui se joue sous leurs yeux, et comme à chaque fois, les commentaires sont positifs. “Les gens semblent comprendre la démarche, ils nous disent que c’est bien de parler et de mettre en avant ces choses-là, assure Benjamin Girette. L’autre soir, on a posé des affiches avenue Jean Jaurès, les graffeurs ont marqué leur territoire en taguant dessus, mais de façon très respectueuse, sans perturber la lisibilité de l’image. Ils ont fait ça dans un coin, jamais sur la photo.” Monté sur un escabeau, Pierre Terdjman tient le haut de la première bande pendant que Matthieu Rondel la déroule délicatement. Morceau par morceau, la photo finit par apparaître en entier. On prend quelques clichés vite fait et on remballe, pas de temps à perdre.
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
Direction la rue Charlot, à l’angle de la rue de Bretagne. En amont des collages nocturnes, “on fait du repérage sur les lieux pour avoir une idée précise de l’endroit où poser chacune des photos, explique l’un des membres du collectif. Et on respecte les lieux. Si, par exemple, il y a une crèche, on posera une affiche plus graphique qui pourrait représenter tout autre chose. Les enfants y verront une belle image et les parents comprendront la démarche en lisant la légende.”
Ce soir-là, il y a un imprévu: un entrepôt mobile destiné à stocker du matériel de chantier est présent dans la rue, en travaux. Ni une ni deux, le collectif y voit l’occasion de poser une affiche supplémentaire. Plus petite, la photo de William Dupuy s’intègre parfaitement aux dimensions de la cabine. Prise au Caire le 1er février 2012, elle représente un supporter de foot ultra du club Al-Ahly, symbole de la résistance égyptienne. Pour la troisième affiche, pas besoin de se déplacer, ce sera juste à côté, sur le mur de la rue Charlot. Et c’est reparti: encollage, déroulage, collage. La photo de Bénédicte Kurzen sur le Nigeria est posée en deux temps, trois mouvements.
Une photo de Bénédicte Kurzen prise au Nigeria
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
Le collage se poursuit rue de Beauce, à quelques mètres de là. Il est environ 23 heures et c’est la quatrième affiche. Au total, dix seront posées cette nuit. Tout à coup, un participant lâche: “Merde, il y a les flics qui s’arrêtent pour regarder celle qu’on vient de poser !” Certains se dirigent discrètement vers la rue de Bretagne pendant que le reste de la troupe se regroupe plus loin pour ne pas attirer l’attention. Imperturbable, Pierre Terdjman, perché sur son escabeau tel un équilibriste, poursuit son œuvre. Finalement, c’est une fausse alerte, les éclaireurs reviennent sereins: “C’était pour un scooter qui avait pris la rue dans le mauvais sens.”
Cinquième arrêt de la soirée: rue de Picardie. Un petit renfoncement semble tout disposé à accueillir la photo de Guillaume Herbaut du Maidan Square à Kiev en Ukraine, prise le 21 février dernier. Un passant s’arrête et commence à questionner une participante qui répond volontiers à ses interrogations: “Dysturb, c’est sensibiliser les gens à des histoires qui leur paraissent lointaines. C’est à la fois du travail et du fun.” L’homme, intrigué, reste là malgré le froid qui commence à rougir les visages. Quelques minutes plus tard, c’est un Anglais passant par là qui s’immobilise et lâche un “That’s good” avant d’immortaliser la scène avec son smartphone.
© Julia Tissier pour Cheek Magazine
Il est minuit, le froid a eu raison de moi, je baisse les armes et rentre me coucher. Pendant ce temps, les Parisiens dorment paisiblement. Ils ne savent pas encore que, demain matin, quand les premiers rayons du soleil les extirperont du lit, l’actualité internationale se jouera en grand format en bas de chez eux.
Maëva DEMOUGEOT
cheekmagazine.fr
Vous pouvez laisser une réponse.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.