CENTRAFRIQUE: HERITAGE DE LA FRANCAFRIQUE ? (http://www.tv5.org)
Centrafrique:
Héritage
de la
Françafrique ?
Après l’escale à Bangui, François Hollande a regagné Paris mercredi matin pour présider le Conseil des ministres. Le lendemain, il reprendra l’avion en direction du Brésil et de la Guyane.
(Photo: Yoan VALAT/AFP)
Lors du sommet de l’Élysée sur l’Afrique organisé à Paris les 6 et 7 décembre 2013, le président français François Hollande défendait l’idée d’une intervention française « humanitaire » en Centrafrique. Michel Galy, politologue spécialiste de l’Afrique et professeur à l’Institut des Relations Internationales (Ileri), y voit, quant à lui, des raisons géopolitiques. Il inscrit l’opération militaire française Sangaris dans la continuité des interventions militaires de la France dans ses anciennes colonies. Mardi matin, l’armée française annonçait officiellement le décès de deux de ses soldats après des combats à Bangui. Décryptage.
Même s’il y a des massacres en cours, la cause humanitaire n’est pas le but de cette intervention. En réalité, l’humanitaire sert de prétexte à l’intervention militaire. Et d’ailleurs, les humanitaires de terrain eux-mêmes se démarquent de ces prétextes. Il faut, par ailleurs, écarter l’intérêt économique. La Centrafrique est le 4e pays le plus pauvre au monde. Il dispose, certes, de ressources en diamants mais ce n’est pas non plus une cause d’intervention. Non, en réalité, l’intérêt est uniquement géopolitique.
Pouvez-vous préciser ?
Il y a tout d’abord une explication large, à replacer dans toute la zone d’influence française et dans les 50 interventions françaises en Afrique Subsaharienne depuis les indépendances. Du point de vue diplomatique, cela donne à la France, qui est une puissance moyenne, une quarantaine de votes quasi automatiques de nos « clients » africains aux Nations unies, une zone d’influence monétaire, via le franc CFA, et économique à travers les matières premières, dans certains pays – même si, encore une fois, ce n’est pas le cas de la Centrafrique.
En fait, la crainte est que ce pays se transforme, non pas en une zone terroriste – ce n’est pas parce que des djendjaouis soudanais sont présents que l’on peut parler de nouveau Djihad, il s’agit avant tout de mercenaires- mais en une zone de non-droit qui, petit à petit, entraînerait tous les États alentours dans ce conflit. Par exemple, le Cameroun, mais surtout le Tchad, dont la dictature est une alliée militaire (on l’a vu au Mali), le Soudan, l’immense RDC… Bref, une propagation de l’instabilité par delà les frontières qui concernerait toute la région, une sorte de « nouvelle » première guerre continentale africaine des années 90 autour de la RDC. C’est cela, le danger militaro-politique à long terme si l’on n’intervient pas.
Il y a ensuite une explication liée à la Centrafrique elle-même. C’est le pays du couronnement de Bokassa, sous l’égide des Français puis, ensuite, de la déposition du même empereur lors de l’opération « Barracuda » menée par l’armée française. Avec ou sans mandat de l’ONU, la France a toujours fait à peu près ce qu’elle voulait en Centrafrique. Ce qui explique qu’il n’y ait ni armée, ni pouvoir politique « présentables » reconnus et légitimés par des élections transparentes. C’est un pays d’interventionnismes à répétition. Et, même, en admettant que le pouvoir actuel soit plein de bonnes intentions, son intervention contribue à miner la légitimité de l’État centrafricain que l’on veut protéger.
Il y a actuellement un discours de rupture avec la Françafrique et les interventions néo-coloniales. Et une volonté de mettre les Africains en avant et de venir en appui. C’était l’idée avancée par Hollande fin 2012 au Mali. Mais, pour de nombreuses raisons, cela ne fonctionne pas. Notamment parce que les armées africaines sont encore très faibles, dépourvues de matériel, de capacités offensives. Et donc, bon gré, mal gré, c’est encore une fois l’armée française qui intervient et se retrouve au premier plan. Cette théorie de changement dans les interventions militaires menées en Afrique est un échec aussi bien au Mali qu’en Centrafrique. Même si l’on accorde à François Hollande, en tant qu’individu, la volonté de se démarquer de la période précédente, une grande continuité demeure dans les faits.
Si en Côte d’Ivoire et en Libye, les populations apparaissaient
divisées sur la légitimité de l’intervention française, au Mali et
en Centrafrique les troupes françaises n’étaient-elles pas plutôt
réclamées ?
Oui, c’est vrai. Mais la semaine dernière, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a dénoncé, dans une interview, le fait que les troupes françaises empêchaient le Mali de rétablir l’autorité de l’Etat à Kidal. Il a par ailleurs évoqué un « reflux de l’enthousiasme envers la France dans la population malienne qui avait applaudi l’intervention française au début de l’année. »
En Centrafrique, il est indéniable que, pour l’heure, les troupes françaises sont très bien accueillies. Du moins, parmi les adversaires des rebelles qui ont conquis la capitale et le pays. La question est de savoir si cela va se maintenir sur le long terme. A l’avenir, quel camp va soutenir l’armée française ? Va-t-elle appuyer le président auto-proclamé Djotodia et la Séléka, ou au contraire, les partisans de l’ancien président Bozizé qui ont beaucoup de sympathie dans la capitale et dans 80% du pays. Il risque d’y avoir un camp favorisé et donc une attitude critique envers l’armée et le pouvoir français de la part du camp qui n’aura pas été soutenu. Mais du moment que les troupes françaises mettent fin aux massacres, perpétrés par les milices, ce que nous espérons, elles seront bien accueillies par la population.
Depuis le désastre de l’intervention américaine à Mogadiscio, en Somalie, les États-Unis n’ont aucune envie d’entrer avec des troupes au sol en Afrique.
Des bombardements aériens, des drones oui mais envoyer des troupes au sol, hors de question. Ce qui est encore plus curieux, c’est qu’aucune des grandes puissances européennes disposant d’armées ne veut intervenir au côté de la France.
Ils apportent une aide ponctuelle, ils fournissent de la logistique aérienne comme la Grande Bretagne par exemple. Quant à l’UE, elle apporte certes un financement mais qui est très réduit pour une opération de ce type.
Au mieux, ces pays estiment qu’il y a une répartition des tâches c’est à dire qu’ils confient, de manière informelle, à la France les interventions dans son ancien pré-carré. Et au pire, si vous lisez la presse anglo-saxonne, ils considèrent qu’il s’agit d’une continuité d’interventions militaires à répétition de la France dans ses anciennes colonies. Chaque intervention étant identifiée par les anglo-saxons et les européens comme de nature néo-coloniale pour mettre tel ou tel pouvoir en place et repousser telle ou telle rébellion. Peut être que via les médias français, les militaires et les politiques en France ne s’en aperçoivent pas. Mais tant en Europe qu’en Afrique, c’est le sentiment général. D’où le manque d’enthousiasme d’autres pays européens à intervenir à nos côtés.
Croit-on vraiment que c’est par lâcheté ou ignorance que pas un seul grand pays européen n’a accompagné nos armées en Côte d’Ivoire, au Mali ou en Centrafrique ?
De telles interventions sont impensables par exemple pour la Grande-Bretagne au Zimbabwe. Tony Blair détestait cordialement Mugabe et réciproquement, mais pour autant, une intervention militaire britannique au Zimbabwe même de manière indirecte, par le biais d’aide aux mouvements de rébellions ou au mouvement démocratique armée anti-Mugabe était impensable. J’en conclus donc, malheureusement, que la France est en retard d’une décolonisation, tant par ses interventions militaires que par ses bases permanentes.
C’est tout le problème. S’agit-il du Président Michel Djotodia, à l’origine du renversement de mars dernier, qui n’a pas d’autorité sur la Séléka ? Ou bien s’agit-il du Premier ministre Nicolas Tiangaye et d’autres opposants plus « présentables » que Djotodia ?
Allons-nous assister à une sorte de coup d’État au sommet du pouvoir par les forces françaises, une mise sous tutelle informelle ? Ce qui, à mon avis, serait assez désastreux.
Dans le cas du Mali, la sortie de crise a été une élection incontestable du président IBK. Et en quelque sorte, cela a marqué la fin d’un État fantôme, failli, avec à sa tête un président fantoche. Mais je suis septique sur les possibilités d’application de ce modèle en Centrafrique.
Justement, au cours de cette même interview, François
Hollande a annoncé l’organisation d’élections en Centrafrique
avant 2015…
Voyez le paradoxe, les élections sont annoncées non pas par les acteurs politiques nationaux eux-mêmes mais par le président français ! Par ailleurs, il y a là un discours un peu ritualisé qui consiste à dire : « Non ce n’est pas la Françafrique, oui nous allons partir rapidement. Vous verrez, des élections vont avoir lieu et tout va se dérouler parfaitement. » Et puis il y a les réalités : la présence de 1600 soldats français, dont le nombre devra probablement être accru, non pas pour 6 mois comme initialement annoncé pour faire passer l’intervention, mais pour « le temps qu’il faudra ».
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