PREVENIR LES JEUX DANGEREUX A L’ECOLE IMPLIQUE DE MIEUX INFORMER ET FORMER LES PERSONNELS (Pierre COSLIN, Professeur émérite de psychologie / http://www.autonome-solidarite.fr/articles/pierre-coslin?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NewsNov)
Pierre Coslin, Professeur émérite de
psychologie de l’adolescent:
« Prévenir les jeux dangereux implique de mieux
informer et former les personnels »

Professeur émérite à l’Université Paris Descartes, Pierre Coslin travaille sur la violence des jeunes et les jeux dangereux.
Il est notamment l’auteur de:
« Jeux dangereux, jeunes en danger »,
et
« Ces ados qui nous font peur » (Armand Colin).
En quoi un jeu devient-il dangereux ?
Certains enfants se livrent ainsi aujourd’hui à ce qu’ils qualifient de « jeux », mais qui ne sont que des comportements violents, parfois même mortels n’ayant rien de « ludiques ». De telles pratiques doivent nous alerter car elles impliquent une mise en danger de soi et des autres. Ces jeunes s’égarent, par provocation, inconscience ou besoin de défis, mais aussi par nécessité d’éprouver leurs limites corporelles et psychiques et de défouler leurs angoisses.
Victime ou acteur plus ou moins consentant, tout élève y est confronté un jour ou l’autre, mais il en garde généralement le secret vis-à-vis des adultes, que ce soient ses parents ou ses enseignants. De tels jeux ont en commun la violence gratuite, une action répétitive, l’intention de nuire et l’isolement de la victime. Ils introduisent un rapport de force et de domination entre jeunes, ces agressions se répétant régulièrement au sein des établissements scolaires dans le but d’intimider et de ridiculiser, voire de blesser d’autres jeunes mais aussi de les isoler pour les mettre dans l’incapacité de se défendre.
Quels sont les nouveaux jeux dangereux ?
Certains sont intentionnels, les adolescents s’y engageant de leur plein gré ou, du moins, préférant y participer plutôt que de se voir rejetés par leurs pairs. Par exemple, des jeux de ballons où le « perdant » est roué de coups par ses camarades (« petit pont massacreur », « jeu de la canette », etc). D’autres sont contraints, c’est-à-dire que le jeune qui subit la violence de ses camarades n’a pas choisi de participer. Cela lui est imposé parce qu’il porte des vêtements d’une couleur donnée, que c’est son anniversaire ou plus simplement parce que le hasard l’a désigné et qu’il n’a pas de chance ce jour là. Outre les douleurs physiques occasionnées, les victimes souffrent alors d’une profonde atteinte à leur dignité. Qu’ils soient intentionnels ou contraints, ces jeux ont parfois des conséquences graves telles que fractures et séquelles neurologiques. Ils peuvent conduire à l’échec scolaire, voire à la phobie scolaire et, dans les cas extrêmes, mener à la mort.
D’autres pratiques se poursuivent parfois au domicile familial, comme le « jeu du foulard ». Ce n’est ni un comportement violent ni un suicide, mais un jeu, car il s’agit bien d’une activité destinée à se divertir. Selon une enquête IPSOS publiée en janvier 2012, un enfant sur dix y aurait déjà joué et un sur quatre vu quelqu’un y jouer. Certains jeux tournent autour du défi et de la provocation. Des adolescents s’affrontent ainsi à la mort pour vérifier qu’ils existent, cherchant à se mettre à l’épreuve en quête de peur et de sensations fortes, d’identité et de sens. Ils mettent leur corps en jeu en se croyant immortels, ce en quoi la pratique des jeux vidéo les conforte. Ces jeux ont pour nom « balconing », « happy slapping » « catch de jardin », d’autres consistent à surfer sur les voitures, toréer sur les routes ou les voies du TGV.
Ces jeux sont-ils en augmentation et comment évoluent-ils ?
De plus en plus de collèges mentionnent la pratique de jeux violents susceptibles de conduire à des incidents, voire des d’accidents. Le phénomène ne semble lié ni au milieu d’origine des enfants, ni à la localisation des établissements scolaires, et le statut des agresseurs et des victimes est fluctuant. Ces jeux ne sont pas le fait de jeunes présentant des pathologies, mais manifestent cette recherche adolescente de reconnaissance de la part des autres et du groupe. Les victimes acceptent généralement leur supplice, car c’est aussi pour elles une façon d’être acceptées par les autres et de s’intégrer à leur groupe.
La présence des téléphones portables à l’école
a-t-elle changé la donne ?
L’obtention du premier portable marque une étape importante dans la vie des adolescents. Il s’agit d’un objet transitionnel permettant de prendre une relative indépendance à l’égard des parents tout en conservant un lien étroit avec eux. C’est aussi un substitut des sorties qui permet de garder le jeune « à la maison » sans qu’il soit coupé de ses amis. Les mobiles sont souvent détournés de leurs fonctions par les jeunes, conduisant à des mésusages pouvant s’avérer particulièrement graves et même constituer des délits ou des crimes. Trois jeunes sur dix déclarent que des camarades ont déjà « fouillé » dans leur messagerie, tandis que six lycéens sur dix reconnaissent avoir pris le portable d’un camarade pour regarder ses messages, ses photos et ses vidéos, et deux sur dix l’avoir pris pour envoyer des messages à sa place. D’autres mésusages portent atteinte à l’image de la personne. Quatre jeunes sur dix, et une fille sur deux, se plaignent ainsi d’avoir été pris en photo ou filmés dans une situation embarrassante.
Le « happy slapping » et le « happy burning » restent minoritaires mais ne sont pas non plus anecdotiques. Le « happy slapping » est particulièrement brutal, consistant à gifler, frapper violemment, voire rouer de coups, une personne qui ne s’y attend pas tandis qu’un acolyte filme la scène, généralement à l’aide d’un téléphone mobile. Une fois filmée, la scène se transmet de portable en portable ou est diffusée sur des blogs ou des sites comme YouTube ou Dailymotion. La victime connaît alors une double humiliation : d’abord lors des coups, puis les jours suivants du fait de la diffusion. Le « happy burning » consiste à s’attaquer à des biens matériels, le plus souvent des voitures, et à filmer leur incendie.
Comment prévenir les jeux dangereux ?
Les adultes repèrent difficilement ces pratiques et, lorsqu’ils y sont confrontés, ont du mal à percevoir toute leur dimension traumatique. Prévenir les jeux dangereux implique que les personnels de l’éducation soient non seulement informés sur ces pratiques, mais aussi formés pour répondre à ces situations. Il faudrait instaurer des espaces de parole permettant aux professionnels des écoles, à leurs élèves et aux parents de se rencontrer et d’échanger. C’est dans cette perspective que, le 26 novembre 2013, le ministère a lancé la campagne de sensibilisation « Agir contre le harcèlement à l’École ». Cette campagne, élaborée avec des pédopsychiatres et des experts de la violence à l’école, vise à sensibiliser les personnels de l’éducation, les élèves et leurs parents à ce phénomène, et notamment au cyber-harcèlement.
Parents et enseignants doivent s’informer mutuellement quant aux signaux d’alerte et des dangers réels ou supposés. Seuls le chef d’établissement et l’Inspection académique peuvent engager des interventions en milieu scolaire, mais les parents, en particulier par le biais des associations qui les regroupent, peuvent chercher à initier une réflexion avec les membres de la communauté scolaire en vue d’agir.
Quels sont les points de vigilance
pour les personnels de l’éducation et les parents ?
Il est difficile pour des parents ou des enseignants de savoir quand ils doivent intervenir. Les parents sont les plus à même de ressentir les problèmes rencontrés par leurs enfants, mais les enseignants sont également concernés. Tous sont cependant trop souvent démunis. Quelques signes peuvent cependant alerter. Certains sont visibles : blessures, vêtements déchirés ; d’autres sont comportementaux : refus d’aller en classe, agressivité inhabituelle, etc.
Pierre COSLIN, Professeur émérite de psychologie
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