ECRASONS L’INFÂME ! (Michel SANTI / http://www.gestionsuisse.com)
Ecrasons l’Infâme!
Immeubles de Shinjuku, un des principaux quartiers d’affaires de Tokyo.
(Michel SANTI)
Remarquable! Pour son premier exercice depuis 2008, le géant japonais SONY a été en mesure (au 31 mars 2013) de boucler une année fiscale profitable.
Confiance des consommateurs nippons en nette amélioration, hausse significative de la production industrielle et secteur du bâtiment et du marché immobilier en plein redressement, sont autant de signaux qui témoignent du redressement économique de cette nation. Suite à l’avènement du nouveau Premier Ministre en janvier dernier, Shinzo Abe, qui a immédiatement mis en place des réformes qualifiées de « Rooseveltiennes » par Ben Bernanke, Président de la Réserve Fédérale Américaine.
En réalité, c’est tout un contient qui bouge sous l’impulsion de M. Abe puisque la Corée, l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam, l’Australie et même la Chine ont tous décrété une politique expansionniste (baisses de leur taux d’intérêt) dans un souci de ne pas trop perdre en compétitivité face au Japon. La plate-forme de Shinzo Abe consiste précisément en une création monétaire intensive autorisant la relance des exportations japonaises. D’où ce programme de stimuli destiné à doubler la base monétaire en deux ans !
Car contrairement au dogme défendu par les forcenés de la rigueur, il est tout à fait possible – et même souhaitable – de stimuler monétairement et fiscalement son économie tout en entreprenant des réformes structurelles à long terme. C’est en effet lorsque le système est bien irrigué que certaines décisions délicates sont susceptibles d’être mieux acceptées par une population consciente de certains sacrifices en échange de ces injections de liquidités. Planche à billets et réformes en profondeur ne sont donc en rien incompatibles, et c’est précisément les enseignements qu’il est possible de tirer de certaines mesures emblématiques du nouveau Gouvernement japonais qui revoit en profondeur son réseau de distribution électrique, ou qui met en place une vraie politique contre la discrimination des femmes.
La séquence de l’arrivée au pouvoir de cet homme peu conventionnel, comme du changement radical d’approche pour remédier à ce mal endémique qu’est la déflation, ne doit du reste rien au hasard, suite au tsunami et à la montée en puissance chinoise ayant détrôné le Japon de son rang de deuxième puissance économique mondiale. En outre, pour la première fois depuis 1980, la balance commerciale de ce pays fut déficitaire en 2012 !
C’est bien avant que notre monde occidental ne sombre – dès 2007- que la répétition générale de notre crise économique fit des ravages dans ce pays. Tardives et timorées furent pourtant les réactions et mesures des gouvernements qui s’y succédèrent depuis l’implosion – au début des années 90 – de ses marchés immobilier et boursier. Bridés par le dogme néo-libéral qui considère les déficits à l’égal de l’Antéchrist, les dirigeants nippons commirent systématiquement l’erreur puérile de réduire leurs dépenses publiques avant que la reprise économique en cours ne soit suffisamment solide. Pour laisser la place à un régime chronique déflationniste qui devait régner en maître dès la fin des années 90.
Les fondements de cette nouvelle politique japonaise audacieuse consistent donc à induire une reflation salutaire dans l’économie grâce au levier de baisses de taux quantitatives dignes de ce nom. En sortant au passage sa banque centrale de sa léthargie. En effet, pourquoi préserver l’indépendance de banquiers centraux – personnages qui se retrouvent à des postes stratégiques sans bénéficier du suffrage populaire – si ceux-ci refusent de mettre leurs munitions à disposition de la croissance économique, sous le prétexte fallacieux de la lutte contre l’inflation ? Comme la politique monétaire d’une nation ainsi que le niveau de sa monnaie nationale doivent être mis au service de l’activité et de l’emploi, il est donc naturel que ce soient les dirigeants politiques – élus – qui en aient le contrôle.
Certes, les banques centrales de nos pays occidentaux peuvent-elles se targuer d’une victoire totale sur le front de la lutte contre l’inflation ces trente dernières années. Si elles ont en effet pu maintenir avec succès les salaires bien en dessous de la productivité, leur performance en matière de lutte contre les récessions sur cette même période laisse en revanche largement à désirer.
Ce bilan en demi-teinte – résultat d’une stratégie sciemment appliquée – s’est donc traduit par une tendance lourde d’augmentation du chômage au sein de nos sociétés occidentales. Solidement ancré dans les mentalités, conditionnant les actions et réactions de la quasi-totalité de la masse salariale, le chômage élevé a donc pu insidieusement s’installer dans nos mœurs, comme une nouvelle « normalité ». Pour des banques centrales dont l’objectif ultime est la maîtrise des pressions inflationnistes, reconnaissons-le, le plein emploi n’est certainement pas la panacée ! En effet, un taux de chômage bas incite souvent les travailleurs et les salariés à faire jouer la règle de l’offre et de la demande, c’est-à-dire à réclamer des augmentations de salaire. D’où une accélération de l’inflation. Les banques centrales ne le reconnaîtront jamais, mais voilà pourquoi elles ont naturellement tendance à remonter leur taux d’intérêt dès lors que la conjoncture s’améliore : afin de maintenir le chômage à un niveau tel que les salaires soient toujours sous contrôle.
Pourquoi ? D’une part afin de pouvoir afficher leur succès dans leur mission en termes de stabilité des prix. D’autre part pour préserver le capital et les épargnants, ayant, comme on le sait, horreur de l’inflation. Enfin pour ne pas trop entamer les profits des entreprises, et donc pour soutenir les marchés boursiers… Il est exclu ici de céder à la théorie du complot, ou de vouloir revenir aux enseignements de Ricardo et de Marx qui prétendaient que le système capitaliste réalise ses profits en maintenant en permanence une « armée de réserve de chômeurs ».
Néanmoins, il aurait été appréciable que le « track record » de nos banques centrales soit un peu moins constitué de réussites exemplaires sur le front inflationniste, et un peu plus jalonné de lutte contre récession et chômage. Le site Internet de la Banque centrale européenne n’affiche-t-il toujours sur sa page principale que sa « principale mission consiste à maintenir le pouvoir d’achat de l’euro, et donc la stabilité des prix, dans la zone euro » ?
Ainsi, sous l’empire du politiquement correct qui tétanise ses responsables et sa technocratie, l’Europe sombre sans réclamer son dû, ni prélever sa dîme, face à l’immense gâteau global que se partagent les continents asiatiques et américain. Le chômage européen très élevé – et qui ira en s’aggravant – n’y changera rien. En effet, c’est l’obsession des déficits combinée à l’angoisse des expéditions punitives des marchés qui unissent les meilleurs adversaires – droite comme gauche – dans un même combat contre un ennemi commun, à savoir l’inflation ! Rien ne doit être entrepris pour l’attiser. Tout doit être sacrifié à l’aune de l’austérité.
A moins que l’attitude moralisatrice et scandalisée de la finance et des néolibéraux à l’encontre des déficits publics ne soit qu’une posture, qui leur fournit un prétexte pour démanteler les programmes sociaux et amaigrir davantage l’État ?
En réalité, ce néolibéralisme – qui cherche activement la confrontation en n’ayant de cesse d’agiter l’épouvantail des déficits – se « fiche » éperdument des déficits. Son objectif ultime étant même l’aggravation de cette crise qui lui permettra dès lors d’appeler à un rétrécissement supplémentaire des pouvoirs publics. Ne nous faisons à cet effet aucune illusion : les néolibéraux ont tout intérêt à attiser cette psychose des déficits publics, dont la montée en intensité leur offrira le prétexte idéal pour tailler dans les dépenses publiques et dans les aides aux citoyens nécessiteux. Ils vont même jusqu’à appeler de leurs vœux une envolée des frais de financement de la dette publique française dont ils se serviront comme levier pour parvenir à leurs fins…
Le citoyen européen n’a pourtant pas demandé cette dette publique colossale, comme il n’en est pas responsable. Très clairement, ce ne sont pas les dépenses sociales qui sont coupables d’avoir creusé nos déficits. Ce sont les sauvetages bancaires. De ces mêmes établissements financiers ayant amassé des fortunes par la grâce de la financiarisation, elle-même destinée à anesthésier une population européenne dont les revenus étaient inversement proportionnels à la productivité de ses entreprises. Et, ce, dans un contexte où, du fait d’une redistribution déficitaire opérée par nos Etats, nous avons été encouragés au crédit qui devait nous donner l’illusion de la stabilité de notre niveau de vie.
Européens : avez-vous vraiment voulu de cette dette ? Etes-vous seulement conscients que ce débat sur l’austérité n’est que la version moderne de la lutte des classes ?
Article rédigé par Michel SANTI
Economiste (http://www.gestionsuisse.com)
Vous pouvez laisser une réponse.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.