LA GESTION DES DECHETS NUCLEAIRES MILITAIRES FRANCAIS (Rapport N°179 / 1997/1998 / Christian BATAILLE, Député))
RAPPORT N° 179
L’EVALUATION DE LA RECHERCHE SUR LA
GESTION DES DECHETS NUCLEAIRES A
HAUTE ACTIVITE
TOME II: LES DECHETS MILITAIRES
Photos: Fûts rouillés d’uranium « appauvri »
de l’ancien site militaire de l’usine du BOUCHET en région parisienne.
(Copyright: Thierry LAMIREAU Réalisateur du film « URANIUM EN LIMOUSIN »)
Rapport: M. Christian BATAILLE, Député
OFFICE PARLEMENTAIRE D’EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
1997/1998
- Première partie :LA GESTION DES DÉCHETS GÉNÉRÉS PAR
LA FABRICATION ET L’ENTRETIEN
DES ARMES NUCLÉAIRES
- Chapitre IUN DOSSIER ENCORE MAL CONNU
MALGRÉ DE RÉELS EFFORTS EN FAVEUR
D’UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE - Chapitre IILES PROBLÈMES POSÉS PAR LA GESTION DES DÉCHETS SONT SÉRIEUX MAIS PAS INSURMONTABLES
- 1°/ RAPPEL DU FONCTIONNEMENT DES ARMES NUCLÉAIRES
- 2°/ LES DÉCHETS CONTENANT DU PLUTONIUM
- A/ Le plutonium est un élément radioactif particulièrement dangereux
- B/ Les conséquences de l’arrêt de la production de plutonium militaire
- C/ Les déchets de haute activité entreposés sur le site de Valduc
- D/ Les déchets et effluents évacuables sur des centres de stockage
- E/ Les efforts de la DAM pour réduire le volume et l’activité de ses déchets
- 3°/ LES DÉCHETS TRITIÉS
- Chapitre IIILE DÉMANTÈLEMENT DES ANCIENNES INSTALLATIONS ET L’ASSAINISSEMENT DES SITES VONT GÉNÉRER UNE GRANDE QUANTITÉ DE DÉCHETS POUR LESQUELS IL N’EXISTE PAS ENCORE DE FILIÈRE D’ÉVACUATION
- Deuxième partie :LES ESSAIS NUCLÉAIRES
- Chapitre IPOURQUOI A-T-ON PROCÉDÉ À DES ESSAIS
D’ARMES NUCLÉAIRES ? - Chapitre IILES PREMIERS ESSAIS FRANÇAIS AU SAHARA :
1960-1966 - Chapitre IIILE CENTRE D’EXPÉRIMENTATIONS DU PACIFIQUE :
1966-1996 - Chapitre IVL’IMPACT DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS
DANS LE PACIFIQUE - Chapitre VLES ATOLLS DE MURUROA ET DE FANGATAUFA CONSTITUENT DES SITES DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS QU’IL FAUDRA GÉRER EN TANT QUE TELS
- Chapitre IPOURQUOI A-T-ON PROCÉDÉ À DES ESSAIS
- CONCLUSION GÉNÉRALE
ET RECOMMANDATIONS - EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE
- ANNEXE
N° 541 N° 179
____ ___
ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
____________________________________ ____________________________________
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale Annexe au Procès-verbal de la séance
le 15 décembre 1997 du 17 décembre 1997
________________________
OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
L’ÉVOLUTION DE LA RECHERCHE
SUR LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES
À HAUTE ACTIVITÉ
par
M. Christian BATAILLE,
Député
Tome II: Les déchets militaires
__________ __________
Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Henri REVOL,
Président de l’Office. Vice-Président de l’Office.
Énergie
INTRODUCTION
Dans le premier rapport de l’Office que j’avais consacré à la gestion des déchets nucléaires à haute activité1(*), j’avais annoncé que, devant l’ampleur de la tâche qui m’avait été confiée, je renonçais à traiter du problème des déchets d’origine militaire.
J’étais toutefois parfaitement conscient que cette question allait un jour ou l’autre donner lieu à un débat et j’avais pris soin de noter en préambule que :« le nucléaire militaire produit des déchets pour lesquels des problèmes de gestion se posent à l’évidence [...] et il faudra un jour que les responsables s’expliquent sur ce qu’ils ont fait et sur ce qu’ils vont faire des déchets qui résultent du programme nucléaire militaire français et le Parlement ne devra pas, à notre avis, rester inactif dans ce domaine. »
Depuis cette date, la reprise, en 1995, des essais nucléaires français mais aussi les nouvelles alarmantes venues de l’ex-URSS ont contribué à donner une importance nouvelle à ce problème qui n’intéressait, jusque-là, en France, qu’un cercle très restreint de spécialistes et d’opposants aux armes nucléaires.
Alors qu’aux Etats-Unis, la gestion et surtout le nettoyage des sites nucléaires militaires constituent un enjeu politique primordial, en France, les élus mais aussi l’ensemble de la population n’attachaient guère d’importance à ce sujet. Cette quasi-indifférence qui a prévalu pendant très longtemps paraît d’autant plus étonnante que l’implantation des laboratoires souterrains de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a suscité et suscite encore des débats passionnés.
Il faut bien reconnaître que chercher à s’informer sur le programme nucléaire militaire français n’est pas chose facile à partir du moment où les responsables des Armées ou de la Direction des Applications Militaires (DAM) du Commissariat à l’Energie Atomique, pour des raisons évidentes, maintiennent un maximum d’informations sous le « secret défense ».
Ce secret est-il toujours justifié ? Il est bien difficile à un profane de porter une appréciation sur ce sujet. S’il apparaît évident qu’il y a quantité de données qui ne peuvent être rendues publiques, à une époque où les risques de dissémination des armes nucléaires n’ont jamais été aussi sérieux, il n’en demeure pas moins que l’usage du secret défense a certainement été un peu trop extensif surtout quand il s’agissait de la protection de l’environnement ou de la santé publique. Aujourd’hui, toutefois, les rejets des INB-S sont publiés et consultables sur le serveur Magnuc.
D’autres pays, et en particulier les Etats-Unis, ont eu ces dernières années une conception beaucoup moins restrictive du secret défense, même quand la révélation de certaines affaires risquait d’entacher gravement la réputation de leurs organisations militaires.
Il est évident, et nous reverrons cette question notamment dans le chapitre consacré aux essais nucléaires, qu’un certain nombre de dossiers pourraient désormais être ouverts sans danger.
Je dois toutefois à la vérité de souligner dès le début de ce rapport que j’ai reçu de tous les responsables, aussi bien des Armées que du CEA, un accueil parfait et qu’à l’évidence, certains d’entre eux considéraient que la visite d’un parlementaire leur fournissait l’occasion de montrer enfin ce qu’ils avaient fait pour gérer aussi correctement que possible les déchets nucléaires produits par leurs installations.
Toutes les questions posées ont reçu des réponses même si, parfois, on nous a demandé de ne pas en faire état publiquement par la suite. Mais ces questions étaient-elles les bonnes et couvraient-elles toute l’ampleur du problème ? Il est très difficile de le savoir quand il s’agit, comme c’est le cas pour le présent rapport, du premier document parlementaire sur la question. Sans base de référence et de départ et pratiquement sans documentation préalable, il est en effet très difficile de savoir si certains aspects du dossier n’ont pas échappé à notre enquête et si tous les problèmes nous ont bien été signalés.
Je pense toutefois qu’un certain climat de confiance s’est peu à peu établi et que les responsables du programme nucléaire militaire français ont bien compris, surtout depuis l’arrêt définitif des essais nucléaires, que la France devait, à son tour, admettre qu’un certain degré de transparence était nécessaire et qu’il devrait être désormais possible de discuter du problème des déchets nucléaires calmement et sans controverses inutiles.
Comme cela avait été le cas pour mes précédents rapports sur les déchets nucléaires civils, j’ai tenté d’aborder ce dossier sans aucun parti pris ni a priori. Dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il n’était, bien entendu, pas question de porter un jugement sur le programme nucléaire français. Il appartient à d’autres instances parlementaires de juger si la fabrication des armes nucléaires et les essais réalisés sur ces armes étaient moralement, scientifiquement, économiquement et surtout politiquement justifiés.
Dans le cadre de cette étude, une seule question a véritablement retenu notre attention : comment gérer, dans les meilleures conditions possibles, les déchets générés par la fabrication des armes nucléaires ?
Que le programme de dissuasion nucléaire ait été une erreur ou une réussite ne change rien à cette donnée fondamentale : aujourd’hui, les déchets existent et il faut s’assurer qu’ils n’auront de conséquences dommageables, ni pour l’environnement, ni pour la santé humaine.
L’arrêt définitif des essais nucléaires va réduire de façon considérable la production des déchets mais n’y mettra pas fin totalement. Le maintien en l’état des armes existantes nécessite des opérations qui doivent être régulièrement répétées et qui entraînent la production de déchets plus ou moins actifs.
Ce premier rapport parlementaire consacré aux déchets d’origine militaire sera loin d’être totalement exhaustif. Certains aspects ont été volontairement laissés de côté pour le moment. C’est le cas par exemple :
- de certains effluents liquides ou gazeux qui peuvent être rejetés par les différentes installations militaires,
- des stockages de matériels déclassés (boussoles, viseurs, …) faiblement radioactifs mais qui ne peuvent être acceptés dans les centres de stockage de l’ANDRA en raison de la présence de radium et surtout de tritium,
- des déchets et des combustibles usés provenant de la propulsion nucléaire des sous-marins. Malgré une très intéressante visite à l’Ile Longue, j’ai estimé que les problèmes liés au démantèlement des réacteurs des sous-marins concernaient avant tout les commissions de la Défense des deux assemblées.
Qu’on ne voie dans cette limitation -que j’espère provisoire- du champ d’étude une quelconque autocensure ; il s’agit en réalité, beaucoup plus prosaïquement, d’un problème de temps et de moyens.
Fidèle à la méthode qui a été la mienne jusqu’ici, je me suis en effet efforcé, dans un domaine aussi sujet à polémiques, de ne pas porter de jugement sur des faits que je n’ai pas constatés moi-même ou sur des personnes que je n’ai pas rencontrées.
Ce qui importait avant tout dans cette première étude, c’était de montrer qu’il était possible, à un non-militaire, de commencer à explorer un domaine qui avait pratiquement échappé jusque-là aux investigations et au contrôle du Parlement.
Aux Etats-Unis, le nettoyage des installations nucléaires militaires et la gestion des déchets qui s’y trouvent est devenu un enjeu politique de premier plan et, depuis une dizaine d’années, le Département de l’Energie et le Congrès s’affrontent sur ce thème.
Il aurait donc été singulier que le Parlement français reste totalement en dehors de ce débat. Il reste désormais à souhaiter que cette première tentative d’exploration d’un sujet, ô combien difficile !, soit jugée comme telle et qu’elle ouvre la voie à d’autres travaux qui viendront la compléter et peut-être même la corriger.
La seconde partie du rapport est plus particulièrement consacrée à l’étude des déchets qui pourraient subsister sur les sites des essais nucléaires après la décision de la France d’arrêter définitivement l’expérimentation, en vraie grandeur, de ses bombes atomiques.
A cette fin, je me suis rendu avec mes collègues Claude Birraux, député UDF de Haute-Savoie, et Serge Poignant, député RPR de Loire-Atlantique, à Mururoa et à Fangataufa en passant par Tahiti, où nous avons pu rencontrer les autorités civiles et militaires de la Polynésie française.
Les responsables militaires et ceux de la Direction des Applications Militaires du CEA nous ont fourni des réponses très circonstanciées à toutes les questions que nous leur avons posées mais, là aussi, comme cela a été précédemment indiqué pour les sites de la Métropole, peut-être n’avons nous pas posé les bonnes questions, faute de pouvoir confronter les informations officielles avec d’autres sources de renseignements.
J’avais volontairement retardé la publication du compte rendu de cette mission, dans l’espoir de pouvoir disposer des rapports des experts de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique qui ont longtemps enquêté sur le Centre d’Expérimentations du Pacifique. Malheureusement, la publication de ces rapports n’est toujours pas intervenue et elle n’est maintenant annoncée que pour le courant de l’année 1998.
Toutes les observations et les recommandations sur le CEP présentées dans ce rapport le sont donc sous réserve des résultats du travail d’expertise et d’enquête entrepris par l’AIEA et pourraient être revues au cas où ces résultats ne correspondraient pas aux renseignements qui nous ont été fournis.
Je dois enfin préciser que les conclusions que j’ai émises sur l’impact des essais nucléaires français dans le Pacifique me sont personnelles et ne sauraient en rien engager les deux autres collègues qui ont participé à cette mission.
Première partie:
LA GESTION DES DÉCHETS GÉNÉRÉS PAR
LA FABRICATION ET L’ENTRETIEN
DES ARMES NUCLÉAIRES
Qu’elle soit civile ou militaire, l’utilisation de la radioactivité produit à l’évidence des déchets. Il n’y a d’ailleurs pratiquement pas d’activité humaine qui n’en produise pas.
La différence entre les déchets nucléaires et les autres rebuts domestiques ou industriels tient à la durée de leur nocivité, qui peut aller jusqu’à des millions d’années, et à leur quasi-indestructibilité.
Quels que soient les efforts entrepris pour tenter de les banaliser, les déchets nucléaires ne seront jamais, aux yeux de l’opinion publique, des déchets comme les autres.
Etant donné le mystère qui a longtemps présidé à toutes les activités liées à l’utilisation de l’énergie nucléaire, le problème des déchets générés par ces activités n’a toutefois fait irruption dans le grand public que relativement récemment. C’est seulement au cours des années 1970 que certaines personnes, surtout aux Etats-Unis, ont commencé à prendre conscience que la gestion des déchets contaminés par la radioactivité posait un problème qui n’avait peut-être pas été jusque-là correctement traité.
De nombreux sociologues se sont interrogés sur les raisons de cette soudaine prise de conscience sans apporter de réponse véritablement convaincante, d’autant que ce phénomène a commencé à apparaître bien avant les deux accidents majeurs du nucléaire civil : Three Miles Island en 1982 et Tchernobyl en 1986.
Que les craintes de l’opinion publique vis-à-vis des déchets nucléaires soient justifiées ou pas, la résistance des populations concernées à l’implantation des sites de stockage montre bien qu’il s’agit désormais d’un problème majeur. Même si, en France, la situation est nettement moins tendue que dans certains pays voisins, on constate que l’avis des experts ne suffit plus à rassurer nos concitoyens désorientés par toutes les controverses sur l’aval du cycle nucléaire.
Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays comme les Etats-Unis ou la Russie, ces controverses ont, en France, avant tout concerné les déchets civils issus des centrales d’EDF. Notre pays, qui s’est pourtant doté de l’arme nucléaire depuis 1960, a pratiquement occulté ce problème jusqu’à une date très récente.
Après des années de gestion purement technocratique, le dossier des déchets nucléaires civils commence enfin à faire l’objet d’un véritable débat public. En revanche, celui des déchets d’origine militaire reste entre les mains de quelques spécialistes, tous liés par le secret défense, mais qui doivent eux aussi rendre des comptes à la population et à ses représentants.
Chapitre I
UN DOSSIER ENCORE MAL CONNU
MALGRÉ DE RÉELS EFFORTS EN FAVEUR
D’UNE PLUS GRANDE TRANSPARENCE
Depuis quelque temps, on commence à admettre dans notre pays que la gestion des déchets radioactifs n’est plus une question purement scientifique et technique à traiter uniquement entre spécialistes. Mais, pour que ce dossier soit géré en tenant compte des impératifs sociologiques et politiques, il est indispensable que le public puisse avoir un accès aussi large que possible à l’information.
Dans le secteur du nucléaire civil, la situation tend à s’améliorer et des progrès significatifs ont été enregistrés au cours de ces dernières années. La population ne peut toutefois pas s’intéresser à un problème dont elle n’a même pas connaissance, ce qui a été longtemps le cas pour les déchets radioactifs d’origine militaire.
La parution d’un livre sur « Les déchets nucléaires militaires français » de Bruno Barillot et Mary Davis 2(*), suivie peu après d’une émission de Jean-Marie Cavada « La marche du siècle » sur le même sujet, à laquelle j’ai d’ailleurs participé, ont contribué à attirer l’attention du grand public sur un problème qui, il faut bien le reconnaître, ne mobilisait pas les foules jusque-là.
Les Français sont-ils pour autant désormais mieux informés sur ce dossier ?
On peut malheureusement en douter.
Le livre de Bruno Barillot et de Mary Davis constitue la somme de plusieurs années de recherches documentaires en France et aux Etats-Unis. Il a permis de révéler certains aspects pratiquement ignorés de tous sur les activités de la Direction des Applications Militaires du CEA et du ministère de la Défense. Cet ouvrage m’a été d’un secours précieux dans la préparation de mon enquête. Néanmoins, le parti pris délibérément antinucléaire de ses auteurs a quelque peu nui à l’objectivité de leur travail. A force de vouloir trop prouver la justesse de leurs thèses de départ, ils ont fini par jeter la suspicion sur une partie de leurs affirmations.
Quant à l’émission « La marche du siècle », qui n’était pas une des meilleures de cette série pourtant excellente, elle a certainement contribué à obscurcir un débat déjà assez difficile pour les néophytes, tout en provoquant dans les centres du CEA et chez les militaires concernés des perturbations dont les effets sont encore perceptibles aujourd’hui.
1°/ LE « SECRET DÉFENSE » EST-IL TOUJOURS JUSTIFIÉ ?
Il ne faut pas se faire d’illusion, l’information ne sera jamais totalement libre dans le domaine de l’armement nucléaire.
Bien que nous ne soyons plus dans le contexte de la guerre froide, un certain nombre de données restent « sensibles » et doivent être protégées de l’indiscrétion des autres états ou des groupes terroristes.
La prolifération des armes nucléaires dite horizontale, c’est-à-dire l’accès à l’arme nucléaire de pays qui en sont encore dépourvus, constitue une menace réelle et sérieuse qui doit être prise en considération dès qu’on aborde ce domaine.
C’est donc à juste titre qu’un certain nombre d’informations font l’objet d’une classification qui comprend trois niveaux de protection :
- »très secret défense »
- »secret défense »
- et « confidentiel défense ».
Selon le décret du 12 mai 1981, la mention « très secret défense » est réservée aux informations dont la divulgation serait de nature à nuire à la défense nationale et à la sûreté de l’Etat, et c’est le Premier ministre lui-même qui définit les critères et les modalités de la protection des informations classifiées sous ce titre.
La mention « secret défense » est réservée aux informations dont la divulgation serait de nature à nuire à la défense nationale et à la sûreté de l’Etat.
La mention « confidentiel défense », quant à elle, est réservée aux informations qui ne présentent pas en elles-mêmes un caractère secret mais dont la connaissance, la réunion ou l’exploitation peuvent conduire à la divulgation d’un secret intéressant la défense nationale et la sûreté de l’Etat.
Dans des conditions fixées par le Premier ministre, chaque ministre définit, pour les services dont il a la charge, les critères, les modalités de la protection des informations classifiées « secret défense » et « confidentiel défense ».
Dans ces conditions, nul ne peut accéder à des informations protégées s’il n’a pas reçu une autorisation préalable. De plus, certains documents qui ne sont pas classifiés peuvent cependant faire l’objet d’une « diffusion restreinte » qui limite encore les possibilités d’accès du grand public à l’information sur les questions militaires.
Afin de renforcer encore la protection des informations dans le domaine des armes nucléaires, le décret du 11 décembre 1963, qui définit le statut des installations nucléaires de base, dites INB, prévoit dans son article 17 que « les installations nucléaires de base intéressant la défense nationale, classées secrètes par le Premier ministre, sur proposition du ministre des Armées, cessent d’être soumises, à compter de la décision du classement, aux dispositions du présent décret ».
Ainsi les installations nucléaires de base relevant de la défense nationale, les INB-S (S pour secrètes), sont-elles soumises à un statut et à un régime de contrôle particuliers.
Les principales dispositions de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ne s’appliquent pas aux installations relevant du ministre de la Défense et, en particulier, leur inspection est assurée par des inspecteurs désignés par le ministre de la Défense, à qui ils adressent leurs rapports.
La surveillance des INB-S, relevant du ministre de l’Industrie, est confiée au Haut Commissaire à l’énergie atomique par une instruction ministérielle de février 1996. Il est pour cela assisté d’un Directeur délégué à la Sûreté nucléaire, de Commissions de sûreté, d’un corps d’inspecteurs et de l’appui technique de l’IPSN. Il est par ailleurs le conseiller scientifique du CEA.
Cette organisation particulière des INB-S dispense leur création d’enquête publique (décret du 5 juillet 1985). Cependant, les rejets dans l’environnement y sont soumis (décret n° 95-540 du 4 mai 1995). Quant aux Commissions locales d’information (CLI), elles ne sont pas imposées aux INB-S par la directive du Premier ministre de 1981. Cependant, les sites de Marcoule, Pierrelatte et, récemment, de Valduc sont pourvus de structures d’information du type CLI.
On conçoit très bien que tout ce qui touche à la fabrication ou à l’entretien des armes proprement dits doit être soigneusement protégé, mais doit-il en être de même pour les informations relatives aux déchets ou aux rejets des INB-S ?
Les déchets et les rejets sont en effet, à un moment ou à un autre, destinés à sortir de l’enceinte des installations militaires et peuvent donc avoir des répercussions sur l’environnement et même, éventuellement, sur la santé humaine. Il ne serait dès lors pas anormal que les populations concernées puissent avoir accès à un minimum d’informations et que leurs représentants légaux puissent exercer un certain contrôle sur les opérations en cours ou prévues.
Selon les responsables du CEA ou du ministère de la Défense, si des informations précises étaient fournies sur les déchets et les rejets des INB-S, il existerait un risque de voir certains spécialistes, non autorisés, remonter jusqu’à des données qui doivent être impérativement tenues secrètes. Ce serait ainsi le cas, par exemple, de la composition isotopique des déchets.
Les responsables du CEA, sentant bien qu’il y avait là un problème, n’ont pas été hostiles à la création d’instances d’information du public, qui ne sont cependant pas totalement alignées sur les Commissions locales d’information.
Tracer la limite entre ce qui relève véritablement du « secret ou du confidentiel défense » et les informations que les populations concernées sont en droit d’obtenir ne sera certes pas facile. Selon les responsables du CEA, la réglementation de sûreté applicable aux INB-S est calquée sur les mêmes standards que celle des INB, à l’exception de ce qui pourrait entraîner la divulgation d’informations classifiées. Toutefois, il faudrait certainement commencer par déclassifier quantité de données qui n’ont été considérées comme secrètes que par la force de l’habitude, et en particulier admettre que tout ce qui sort d’une INB-S (déchets, rejets, …) doit être totalement transparent.
D’ores et déjà, les déchets perdent leur caractère « défense » dès qu’ils sortent des INB-S mais encore faut-il qu’on dispose d’exutoires réglementaires, ce qui est loin d’être le cas pour beaucoup d’entre eux.
Les services du Haut Commissaire veillent à leur sortie des centres dès que cela est possible techniquement et réglementairement mais, comme on le verra dans la suite du présent rapport, dans de nombreux cas il n’existe pas, à l’heure actuelle, de solution.
Aux Etats-Unis, où les impératifs de défense sont tout aussi importants qu’en France, il est possible d’obtenir de nombreux rapports qui seraient, chez nous, considérés comme strictement confidentiels. Le programme de « clean up » (voir encadré ci-après) a été non seulement débattu dans le détail mais pratiquement déterminé par le Congrès américain, qui pour cela disposait de tous les renseignements nécessaires et qui a procédé à de nombreuses auditions auxquelles aucun responsable n’aurait pu se soustraire.
Le programme américain
Environnement management (EM) ou « clean up »
Ce programme, lancé en 1989, est destiné à financer la réhabilitation des sites militaires du Département de l’énergie (DOE) et la gestion des déchets radioactifs qui s’y trouvent.
122 sites sont concernés et les déchets qui doivent être identifiés, triés et reconditionnés appartiennent à toutes les catégories.
En 1995, la demande de crédits pour ce programme a été de 6 280 millions de dollars dont 83 % étaient destinés au « clean up » purement militaire, soit environ 28 milliards de francs pour une année !
Ainsi le nettoyage des sites militaires, puis la gestion des déchets qui y seront récupérés, représentent un montant de crédits supérieur à ceux qui seront affectés aux activités de défense proprement dites du DOE.
Selon les responsables de ce programme, la réhabilitation totale des sites militaires devrait prendre 40 ans et coûter au total de 200 à 300 milliards de dollars.
Ces sommes paraissent absolument exorbitantes mais l’accumulation, dans des conditions souvent inquiétantes, de déchets radioactifs pose des problèmes sérieux aussi bien pour les personnes qui travaillent sur les sites que pour l’environnement en général.
Ainsi, à Savannah River, des cuves contenant du plutonium et d’autres déchets de haute activité risquent de fuir. A Rocky Flat, des substances radioactives chimiquement instables doivent être traitées d’urgence. Quant au plus célèbre de ces sites, Hanford, il suffit de se référer au compte rendu de la visite de M. Claude Birraux pour son rapport à l’Office sur la sûreté des installations nucléaires 3(*) pour se rendre compte de l’importance et de l’urgence de cette réhabilitation.
Malgré ces considérables efforts financiers, le DOE se heurte à de nombreuses difficultés techniques et prend du retard sur de nombreuses opérations.
Il apparaît de plus en plus clairement que tous les problèmes n’ont pas été correctement évalués au départ et que les technologies nécessaires pour les résoudre sont encore souvent loin d’être au point.
Le Département de l’énergie des Etats-Unis publie régulièrement un inventaire détaillé des déchets nucléaires entreposés sur l’ensemble des sites civils mais aussi militaires. 4(*)
Le tableau reproduit ci-après donne par exemple pour le site de Hanford, pour chaque radionucléide, la forme (liquide, boues, …) et l’activité (en Curies) des déchets qui se sont accumulés depuis 1945 dans les installations militaires qui ont produit une grande partie du plutonium et l’uranium utilisé pour la fabrication des armes nucléaires américaines.
De la même manière, un rapport publié en 1991 par l’Office of Technology Assessment du Congrès (aujourd’hui disparu) donne toutes les indications disponibles sur le volume, l’activité et la localisation des déchets nucléaires d’origine militaire. 5(*)
Pourquoi la très grande transparence qui règne aux Etats-Unis sur les déchets nucléaires militaires ne serait-elle pas transposable en France ?
Les déchets qui proviennent de la production ou de l’entretien des armes actuellement entreposées sur les sites de Marcoule, Pierrelatte et Valduc, devront un jour rejoindre des sites de stockage, souterrains ou en surface, dépendant de l’ANDRA et donc purement civils. Il ne serait donc pas anormal que le « secret défense » soit levé de façon à ce qu’un inventaire complet de ces déchets puisse être réalisé et publié dès maintenant.
Je propose donc que la charge de la preuve soit en quelque sorte renversée : toutes les informations relatives aux déchets et aux rejets des INB-S doivent devenir publiques, à l’exception de celles pour lesquelles les responsables du CEA ou du ministère de la Défense pourront démontrer que leur divulgation risquerait de nuire gravement aux impératifs de la défense nationale.
Table 2.16. Representative radionuclide composition (Ci) of current HLW at HANF
Capsules | ||||||
Radionuclide | Liquid | Sludge | Salt cake | Slurry | 90Sr-90Y | 137Cs-137mBa |
14C | 1.87E+03 | 2.50E+03 | 6.67E+02 | |||
55Fe | 4.75E+03 | |||||
59Ni | 9.06E+00 | |||||
60Co | 3.22E+03 | 1.03E+04 | ||||
63Ni | 3.08E+05 | 1.05E+03 | ||||
79Se | 6.58E+01 | |||||
89Sr | 9.05E-06 | |||||
90Sr | 4.13E+05 | 5.10E+07 | 2.20E+06 | 1.09E+07 | 2.45E+07 | |
90Y | 4.13E+05 | 5.10E+07 | 2.20E+06 | 1.09E+07 | 2.45E+07 | |
91Y | 6.68E-04 | |||||
93Zr | 9.70E+03 | 3.21E+02 | ||||
93mNb | 8.21E+03 | 1.18E+02 | ||||
95Zr | 7.10E-03 | |||||
95Nb | 1.57E-02 | |||||
95mNb | 5.24E-05 | |||||
99Tc | 1.79E+04 | 1.43E+04 | ||||
103Ru | 1.64E-09 | |||||
103mRh | 1.47E-09 | |||||
106Ru | 9.81E+00 | 3.04E+05 | ||||
106Rh | 9.81E+00 | 3.04E+05 | ||||
107Pd | 8.21E+00 | |||||
110mAg | 1.64E+01 | |||||
110Ag | 2.17E-01 | |||||
113mCd | 3.74E+03 | |||||
113Sn | 7.92E-02 | |||||
115mCd | 2.04E-10 | |||||
119mSn | 2.92E+02 | |||||
121mSn | 6.39E+01 | |||||
123Sn | 1.76E+00 | |||||
123mTe | 5.99E-06 | |||||
124Sb | 4.48E-08 | |||||
125Sb | 2.96E+05 | |||||
125mTe | 7.22E+04 | |||||
126Sn | 1.04E+02 | |||||
126Sb | 1.46E+01 | |||||
126mSb | 1.15E+02 | |||||
127mTe | 6.68E-01 | |||||
127Te | 6.54E-01 | |||||
129mTe | 8.20E-14 | |||||
129I | 2.65E-01 | |||||
134Cs | 1.49E+05 |
Table 2.16 (continued)
Capsules | ||||||
Radionuclide | Liquid | Sludge | Salt cake | Slurry | 90Sr-90Y | 137Cs-137mBa |
135Cs | 5.91E+01 | |||||
137Cs | 9.80E+06 | 3.61E+06 | 3.65E+06 | 1.62E+07 | 5.55E+07 | |
137mBa | 9.27E+06 | 3.41E+06 | 3.46E+06 | 1.53E+07 | 5.25E+07 | |
141Ce | 8.29E-13 | |||||
144Ce | 4.63E+05 | |||||
144Pr | 4.61E+05 | |||||
144mPr | 5.54E+03 | |||||
147Pm | 6.18E+06 | |||||
148Pm | 4.98E-12 | |||||
148mPm | 8.84E-11 | |||||
151Sm | 8.33E+05 | 2.03E+05 | ||||
152Eu | 5.41E+02 | |||||
153Gd | 1.07E-01 | |||||
154Eu | 6.75E+04 | |||||
155Eu | 9.90E+04 | |||||
160Tb | 9.71E-07 | |||||
234U | 1.23E+00 | |||||
235U | 5.18E-02 | |||||
236U | 1.08E-01 | |||||
238U | 9.46E-01 | |||||
237Np | 2.55E-03 | 4.51E+01 | ||||
238Np | 2.17E-01 | |||||
238Pu | 3.67E+02 | |||||
239Pu | 2.20E+04 | 3.28E+03 | ||||
240Pu | 5.29E+03 | 8.85E+02 | ||||
241Pu | 5.25E+04 | 3.35E+04 | ||||
242Pu | 8.68E-02 | |||||
241Am | 7.36E+02 | 4.53E+04 | 5.24E+04 | |||
242Am | 4.31E+01 | |||||
242mAm | 4.33E+01 | |||||
243Am | 7.16E+00 | |||||
242Cm | 3.65E+01 | |||||
244Cm | 1.57E+02 | 1.29E+03 | ||||
Total | 1.99E+07 | 1.10E+08 | 1.15E+07 | 6.21E+07 | 4.90E+07 | 1.08E+08 |
7.9E-01 | 2.4E+00 | 1.2E-01 | 6.6E-01 | 4.5E+04 | 4.4E+04 |
2°/ UN PROGRÈS IMPORTANT : L’EXTENSION DE L’INVENTAIRE DE L’ANDRA AUX SITES MILITAIRES
La loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs, très largement inspirée par le premier rapport de l’Office sur ce sujet, a prévu que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) serait, entre autres tâches, chargée de « répertorier l’état et la localisation de tous les déchets radioactifs se trouvant sur le territoire national ».
En 1997, l’ANDRA a publié son cinquième rapport et on peut maintenant juger de l’importance de cette disposition, apparemment anodine, mais qui a permis de restaurer une certaine confiance envers les autorités chargées du nucléaire et qui a très largement contribué à désamorcer un grand nombre de polémiques qui n’auraient pas manqué de se développer sans cet effort de transparence.
Grâce à ces rapports, les choses sont plus claires et l’on peut désormais considérer que la quasi-totalité des déchets radioactifs sont décrits, répertoriés et localisés avec précision.
On peut regretter que la Commission des Communautés, d’habitude si prompte à se saisir de tous les problèmes, parfois même hors de ses compétences, ne rende pas ce type d’inventaire obligatoire dans tous les pays membres de l’Union européenne.
Les trois premiers rapports de l’ANDRA étaient très largement incomplets puisqu’ils ne comportaient aucune indication sur les sites militaires alors que les INB-S dépendant du CEA y figuraient.
Cette anomalie a été corrigée dans l’édition de 1996, pour laquelle les établissements relevant directement du ministère de la Défense nationale ont établi des fiches de synthèse sur l’ensemble de leurs déchets radioactifs. Seul le site de Mururoa continue à échapper à ce recensement, mais cette question sera développée dans la deuxième partie du présent rapport.
Alors qu’en 1996, le rapport de l’ANDRA avait identifié 29 sites relevant de la Défense nationale où des déchets radioactifs sont stockés, l’édition de 1997 en recense 45. L’importance de ces différents stockages est très variable puisqu’ils peuvent receler soit quelques vieux instruments luminescents, soit des résidus de retraitement de très haute activité.
Bien que non classée comme site militaire dans l’inventaire de l’ANDRA, il faut également citer la décharge de classe 1 de Pontailler-sur-Saône, où sont entreposées, de façon conforme à la réglementation, les boues provenant de la station d’épuration du Centre de Valduc dont les activités sont presque uniquement militaires.
Comme on peut le constater dans l’inventaire de l’ANDRA, près de la moitié de ces sites de stockage ne contiennent en fait que des déchets faiblement radioactifs constitués de boussoles et de dispositifs de visée nocturne dont les cadrans étaient peints avec de la peinture au radium et au tritium pour faciliter la vision nocturne.
Tous ces matériels radioluminescents, dont l’usage est aujourd’hui abandonné, devraient être bientôt regroupés dans un établissement centralisateur à Saint-Priest.
A première vue, il peut paraître quelque peu dérisoire de recenser ainsi des stockages de vieux matériels autrefois d’usage courant et contenant 5 à 6 Gigabecquerels (1 GBq = 109 Becquerels), et de les mettre sur le même plan que celui de Marcoule où les colis de verre de retraitement représentent à eux seuls 286 000 Térabecquerels (1 TBq = 1012 Becquerels).
Il n’empêche que grâce à l’effort de classification exigé par l’inventaire de l’ANDRA, tous les déchets, même relativement peu dangereux, ont été identifiés et qu’ils vont être regroupés et stockés convenablement. Au moment où de nombreuses installations militaires vont être fermées et abandonnées définitivement, il n’était pas inutile de faire cet état des lieux. De multiples exemples en France mais surtout à l’étranger nous ont montré dans le passé que la mémoire des stockages de déchets se perd très facilement, et que des objets radioactifs qui auraient dû être isolés définitivement se retrouvent entre les mains d’enfants ou de ferrailleurs inconscients du danger.
Dans la suite du présent rapport, il ne sera fait état que des sites où l’activité des déchets impose de prendre des précautions tout à fait particulières pour leur gestion.
L’inventaire de l’ANDRA se devait, quant à lui, d’être aussi exhaustif que possible pour prévenir toute possibilité de contamination mais aussi pour éviter la répétition de prétendus « scoops » sur les dangers des déchets cachés.
En ce qui concerne les déchets de faible ou moyenne activité constitués de matériels de visée et de boussoles réformés, il serait souhaitable que le regroupement envisagé sur un seul site de stockage, spécialement aménagé pour les recevoir, soit accéléré de façon à ce que le prochain inventaire de l’ANDRA présente une situation plus lisible de la réalité des déchets d’origine militaire.
3°/ LA MISE EN PLACE DU « PLAN DÉCHETS » DE LA DAM
Depuis près de six ans, le CEA s’est doté d’une direction des déchets destinée à mettre en oeuvre le plan d’assainissement des sites, l’Administrateur général de l’époque, M. Philippe Rouvillois, ayant estimé à juste titre qu’il s’agissait là d’une mesure tout à fait prioritaire.
Grâce à l’obstination du premier responsable de cette nouvelle direction, M. Robert Lallement, le plan d’assainissement a été rapidement opérationnel, en particulier pour le traitement des déchets anciens, qui n’avaient pas toujours, dans les premières années d’existence du CEA, fait l’objet d’une gestion très rigoureuse.
A raison de 400 MF de crédits par an, le programme prévu a été respecté, si bien que les grandes opérations de rattrapage devraient être terminées en l’an 2000.
En raison du cloisonnement entre les activités civiles et militaires du CEA, la Direction des déchets n’a cependant pas été chargée de la gestion des déchets de la DAM sauf quand ceux-ci quittent le CEA pour aller en stockage définitif à l’ANDRA ou en entreposage temporaire à Cadarache en attendant un éventuel stockage en couches géologiques profondes.
La DAM, bien qu’autonome, a toutefois participé à l’effort général d’assainissement des sites nucléaires. Dès 1986, un « plan déchets » a défini les grandes lignes d’une politique globale de gestion des déchets radioactifs et planifié à moyen et à long terme la mise en place des moyens matériels nécessaires.
Le programme de la DAM a été élaboré sous la forme d’un plan quinquennal glissant, révisé annuellement, autour des grands objectifs suivants :
- extraire des déchets, avant de les stocker, le maximum d’émetteurs alpha ;
- ne produire, autant que possible, que des déchets « A » stockables en surface dans le centre de l’Aube de l’ANDRA ;
- minimiser les volumes et optimiser le remplissage des fûts destinés au stockage ;
- exclure totalement toute production de déchets non transportables ;
- ne plus accepter de solutions temporaires.
Pour que ces objectifs puissent être atteints, il a fallu que l’ensemble des opérateurs dans les différents sites acceptent de profondes mutations dans leurs méthodes de travail et qu’ils procèdent notamment au tri à la source de tous les éléments radioactifs récupérables dans les déchets.
Même si la quantité de déchets à traiter par la DAM n’a aucune mesure avec celle qui est produite par les centrales nucléaires, les problèmes posés par la gestion de ces déchets n’en sont pas moins réels et doivent faire l’objet d’un traitement sérieux.
Comme il ne m’était pas matériellement possible de visiter la totalité de ces sites, j’ai décidé, pour cette première enquête, de me limiter aux installations où sont entreposés les déchets les plus encombrants et les plus actifs : Marcoule, Valduc, l’Ile Longue, Pierrelatte, Cadarache et Bruyères-le-Châtel.
Chapitre II
LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA GESTION DES DÉCHETS SONT SÉRIEUX MAIS PAS INSURMONTABLES
Cette partie du présent rapport consacrée aux déchets radioactifs militaires ne doit donc être considérée que comme une première tentative pour explorer un domaine jusque-là inconnu des civils et même des responsables politiques, sur lequel il n’existe pratiquement aucune documentation en langue française.
A la lecture de l’inventaire de l’ANDRA, le problème des déchets radioactifs d’origine militaire apparaît comme très limité et en tout état de cause relativement facile à gérer.
Sur le terrain, les choses se révèlent un peu plus compliquées, mais la situation française ne semble en rien comparable à celle des Etats-Unis où le nettoyage des sites militaires, le « clean up », va constituer un des plus coûteux programmes fédéraux jamais entrepris.
En 1938, quand Leo Szilard, physicien hongrois, et Enrico Fermi, physicien italien, tous deux réfugiés aux Etats-Unis, persuadés que la fabrication d’une bombe atomique était possible, tentèrent d’alerter le Gouvernement américain, leurs démarches restèrent vaines.
Malgré une lettre personnelle envoyée, à la même époque, par Albert Einstein au Président Roosevelt, il fallut attendre 1942 pour qu’une équipe de scientifiques de haut niveau soit regroupée, sous l’égide de Robert Oppenheimer, dans le but d’utiliser les acquis scientifiques théoriques existant pour la fabrication d’une arme nucléaire.
En dépit des nombreux problèmes pratiques qui se posèrent, en août 1945, une bombe atomique, qui n’avait d’ailleurs pas fait l’objet d’essai préalable, fut larguée sur la ville japonaise d’Hiroshima.
Parallèlement aux travaux qui étaient ainsi réalisés, une autre équipe sous la direction de Gleen Seeborg démontrait que le plutonium était encore plus facile à utiliser que l’uranium. Quelques jours avant le bombardement d’Hiroshima, les militaires américains avaient d’ailleurs fait exploser, au Nouveau-Mexique, une bombe au plutonium du même type que celle qui devait être ensuite lancée sur Nagasaki et entraîner la mort de 80 000 personnes.
Ainsi, en moins de trois ans, on était passé de la théorie à la pratique et l’humanité était entrée dans l’ère nucléaire.
Quatre années plus tard, l’Union soviétique faisait à son tour exploser sa première bombe atomique, marquant ainsi le début de la course aux armements nucléaires.
En France, contrairement à ce que l’on pense souvent, dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, ce furent avant tout les applications civiles de production d’énergie qui retinrent l’attention des responsables politiques et des chercheurs. Bien que prévues dès 1945, lors de la création du CEA par le Général de Gaulle, les applications militaires n’intéressaient alors que quelques individualités et de façon quasi clandestine.
Empêtrée dans des conflits classiques en Indochine, puis en Algérie, l’armée française, selon les documents actuellement disponibles, ne portait qu’un intérêt très limité au concept de dissuasion nucléaire.
De l’avis de tous les historiens, c’est indubitablement le Général Gallois qui, dans les années 1950, réussit à sensibiliser certains de ses collègues et certains responsables politiques aux problèmes que posait l’apparition des armes nucléaires. La crise de Suez devait accélérer la prise de conscience des transformations qui imposaient l’existence des armements atomiques.
Selon un ouvrage récent de MM. Marcel Duval et Yves Le Baut 7(*), c’est le 11 avril 1958, c’est-à-dire un mois et demi avant le retour du Général de Gaulle, que Félix Gaillard, Président du Conseil, prit la décision, qui devait toutefois rester secrète, de préparer une première série d’explosions expérimentales qui devraient avoir lieu au début de 1960.
Ce programme fut confirmé par le Général de Gaulle pratiquement dès son retour au pouvoir et, en février 1960, la première bombe atomique française devait être testée au polygone de tir de Reggane. Il fallut, en revanche, attendre 1968 pour que la première bombe thermonucléaire française explose au Centre d’expérimentation du Pacifique.
Pendant toute cette époque, en France comme dans tous les autres pays qui développaient des armements nucléaires, la question des déchets que cette activité allait immanquablement produire n’a pas été au centre des préoccupations des responsables techniques ou politiques.
Le contexte de guerre froide dans lequel on vivait alors a servi à justifier toutes les imprudences et toutes les négligences. Aujourd’hui, comme on l’a vu précédemment, les Etats-Unis, avec le programme « Clean up », mais surtout l’ex-URSS paient chèrement l’absence de précautions qui a prévalu pendant toute la période initiale de création des armements nucléaires.
La France, qui est entrée beaucoup plus tard dans le cercle des puissances nucléaires, n’a apparemment pas commis d’erreurs aussi graves que celles qui ont été commises au début de l’ère nucléaire aux Etats-Unis ou en URSS.
Il n’en demeure pas moins que la Direction des Applications Militaires du CEA (DAM) se trouve aujourd’hui confrontée à un certain nombre de problèmes qui, sans être apparemment insurmontables, n’en requièrent pas moins la mise en oeuvre de mesures spécifiques.
1°/ RAPPEL DU FONCTIONNEMENT DES ARMES NUCLÉAIRES
Contrairement à ce que l’on pense généralement, en France, ce ne sont pas les militaires mais les personnels de la Direction des Applications Militaires du CEA qui ont la charge d’étudier, de fabriquer et surtout désormais d’entretenir les charges nucléaires de la force de dissuasion.
Les activités de la DAM étant, pour leur presque-totalité, couvertes par le « secret défense », les informations relatives aux armes nucléaires françaises sont quasi inexistantes et n’ont fait l’objet d’aucune étude d’ensemble accessible au grand public ou aux représentants du Parlement.
Pour tenter de comprendre comment fonctionnent les armes nucléaires et par voie de conséquence quelles sortes de déchets cette fabrication est susceptible de produire, il faut donc se référer à des documents d’origine américaine, comme l’ouvrage de M. Kosta Tsipis 8(*), qui date malheureusement de plus de dix ans.
Il est d’ailleurs étonnant que, dans notre pays, on ne puisse pas accéder normalement à des éléments d’information qui ne sont plus considérés comme secrets dans d’autres pays comme les Etats-Unis, et cela près de quarante ans après la première explosion d’une arme nucléaire française.
Malgré le caractère fragmentaire et incomplet des connaissances dont on dispose, il a paru utile de décrire brièvement les techniques utilisées pour la fabrication des armes nucléaires, puisque ces techniques sont à la source des déchets qu’il faut aujourd’hui gérer.
Utilisée en 1945 à Hiroshima, ce type de bombe repose sur la fission de noyaux d’uranium. On utilise pour cela de l’uranium 235, beaucoup plus rare dans la nature que son isotope, l’uranium 238, mais qui a la particularité d’être fissile, c’est-à-dire que les noyaux de ce matériau sont susceptibles de se scinder sous l’effet d’un bombardement de neutrons en produisant de nouveaux neutrons qui iront à leur tour provoquer la fission d’autres noyaux. Ce phénomène, appelé « réaction en chaîne », entraîne un considérable dégagement d’énergie, la réaction en chaîne se poursuivant inexorablement, de façon exponentielle, en quelques fractions de seconde.
Les bombes A sont constituées de deux blocs d’uranium 235, chacun de ces blocs devant être inférieur à une taille minimum, « la masse critique », pour éviter que la réaction en chaîne se produise spontanément. La mise à feu va donc consister à rapprocher les deux blocs d’uranium 235, à l’aide d’un explosif classique, de façon à ce que la masse soit suffisante pour déclencher la réaction en chaîne.
Il est également possible d’utiliser un autre matériau fissile, le plutonium 239, mais celui-ci ne se trouve pas dans la nature et doit être obtenu à partir du combustible irradié des centrales nucléaires.
La bombe H, encore appelée bombe à hydrogène ou bombe thermonucléaire, fonctionne selon le principe de la fusion nucléaire. Le combustible nucléaire se compose, en principe, de deutérium et de tritium, deux éléments à noyaux légers qu’il faudra rapprocher pour en former un plus lourd.
Pour annihiler les phénomènes de répulsion entre les noyaux, il faut des pressions et des températures extraordinairement élevées qui ne peuvent être obtenues que grâce à l’explosion préalable d’une bombe à fission.
Une fois la réaction de fusion amorcée, les émissions de neutrons vont entraîner la fission des masses d’uranium et de plutonium qui constituent l’enveloppe de la bombe. On a donc ainsi une réaction en trois étapes, fission-fusion-fission, qui libère une quantité d’énergie considérable. La première arme à fusion nucléaire a été testée à Eniwetok en 1952.
Les principes fondamentaux du fonctionnement des armes nucléaires, décrits sommairement ci-dessus, n’ont semble-t-il pas connu d’évolution notable depuis les années 1950 mais de nombreuses améliorations techniques ont été apportées au fil des années pour rendre ces armes plus fiables, plus légères et malheureusement plus puissantes.
Pour la fabrication des armes nucléaires, les cinq éléments suivants sont principalement utilisés :
- l’uranium 235,
- l’uranium 238,
- le plutonium 239,
- le tritium,
- et le deutérium.
Ce sont donc ces mêmes éléments qui se retrouvent dans les déchets produits aussi bien au stade de la recherche qu’à celui de la fabrication et de l’entretien des charges nucléaires.
Par rapport aux déchets provenant des centrales nucléaires, les déchets produits dans les installations de la DAM présentent plusieurs aspects spécifiques.
Tout d’abord, alors que les déchets « civils » provenant des centrales et surtout des usines de retraitement contiennent essentiellement des émetteurs de rayonnements gamma, les déchets de la DAM sont presque uniquement contaminés par des émetteurs alpha.
Les précautions à prendre sont donc différentes ; en effet, les rayonnements alpha sont arrêtés par une simple feuille de papier, ce qui permet leur manipulation dans de simples boîtes à gant, alors que les rayonnements gamma imposent de lourdes protections en béton ou en plomb. En revanche, la très forte radiotoxicité du plutonium oblige à se garantir contre tout risque de contamination humaine interne même par des quantités extrêmement faibles.
La seconde particularité des déchets d’origine militaire par rapport aux déchets civils, c’est leur faible quantité. Selon les sources disponibles, les quantités d’uranium et de plutonium nécessaires à la fabrication d’une arme nucléaire sont très faibles : environ 15 kg d’uranium 235 ou 5 kg de plutonium 239. A titre de comparaison, il faut savoir que le coeur d’un réacteur à eau sous pression de 900 MW contient environ 72 tonnes d’uranium.
Selon l’Institute for Energy and Environmental Research du Maryland, le poids total de plutonium militaire mondial s’élèverait à 270 tonnes contre plus de 1 000 tonnes pour le plutonium civil. Il s’agit bien entendu d’estimations approximatives, aucun pays sauf les Etats-Unis ne dévoilant le chiffre de sa production militaire, mais les ordres de grandeur doivent cependant correspondre à la réalité.
Logiquement, si les quantités d’éléments radioactifs utilisés dans les productions militaires sont relativement faibles, les quantités de déchets qui en résulteront seront elles aussi assez faibles.
Les problèmes de gestion et de stockage de ces déchets seront donc sans aucune commune mesure avec ceux que vont poser les déchets civils : « Les déchets radioactifs proviennent pour l’essentiel des centrales nucléaires de production d’électricité et des usines de préparation et de retraitement des combustibles (environ 85 %), le reste (environ 15 %) provient de l’utilisation de radioéléments dans les centres de recherche, l’industrie et la médecine, ainsi que la production et l’entretien de l’armement nucléaire. » 9(*)
Ces quelques remarques sur l’importance relative des déchets d’origine militaire n’a pas pour but de minimiser les dangers qu’ils peuvent présenter, mais simplement de relativiser les problèmes qui vont se poser à ceux qui sont chargés de les gérer.
2°/ LES DÉCHETS CONTENANT DU PLUTONIUM
Le plutonium est un élément artificiel, qui n’existe plus dans la nature, obtenu dans le coeur des réacteurs nucléaires par la transformation, sous l’effet du flux de neutrons, d’une partie de l’uranium qui compose le combustible.
Ainsi, en France, les réacteurs d’EDF produisent chaque année environ onze tonnes de plutonium.
Il existe plusieurs isotopes 10(*) du plutonium : Pu 238, 239, 240, 241, 242, 243.
Si tous les isotopes du plutonium sont fissibles, c’est-à-dire susceptibles d’éclater sous un flux de neutrons rapides, le plutonium 239 est également fissile, c’est-à-dire susceptible d’éclater sous l’action de neutrons thermiques à faible énergie. Pour la fabrication des armes nucléaires, on utilise principalement du plutonium 239, considéré comme du plutonium de « qualité militaire ».
Il serait certainement possible de fabriquer des armes avec du plutonium « civil » mais, selon les experts, la fabrication serait plus complexe et les effets plus incertains. Il serait également possible de produire du plutonium 239 dans des réacteurs civils ordinaires en déchargeant le combustible au bout de quelques jours d’utilisation, mais une telle pratique est formellement prohibée par le Traité de non-prolifération et l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) de Vienne surveille étroitement les centrales et les usines de retraitement pour éviter tout risque de fraude.
Les différents isotopes du plutonium sont avant tout des émetteurs de rayonnements alpha. Ces rayonnements alpha n’ont qu’une très faible force de pénétration : une simple feuille de papier suffit à les arrêter.
Quand on visite les installations de la DAM, après avoir pendant longtemps fréquenté les sites nucléaires « civils », on est au départ surpris de constater que les précautions prises pour manipuler les éléments radioactifs sont apparemment beaucoup moins contraignantes que celles qui sont exigées en présence d’émetteurs de rayonnements gamma, dont il faut se protéger par des fortes épaisseurs de béton ou de plomb.
La manipulation du plutonium et des objets qu’il a contaminés se fait en effet dans des boîtes à gants où les opérateurs sont simplement protégés par des vitres et par le latex de leurs gants.
Cette apparente facilité des manipulations ne doit cependant pas faire oublier que le plutonium fait partie du groupe des radioéléments les plus dangereux, et qu’il doit être utilisé avec la plus extrême prudence et en respectant les règles de protection adéquates.
Le plutonium est tout d’abord dangereux parce qu’il a une durée de vie très longue, la période ou demi-vie du Pu 239 étant en effet de 24 000 ans, ce qui signifie qu’à l’issue de cette période, la moitié seulement des atomes de plutonium auront disparu en se transformant en d’autres éléments.
Mais c’est surtout sa très forte toxicité qui rend le plutonium particulièrement dangereux quand il pénètre dans un organisme vivant soit par ingestion, soit par inhalation, soit encore par une blessure de la peau. En cas de contamination interne, la radiotoxicité du plutonium ne se répartit pas de façon uniforme au sein de l’organisme mais se concentre sur quelques organes : les poumons, le foie et le squelette. Comme tous les métaux lourds, le plutonium présente aussi une forte toxicité chimique qui agit, elle aussi, sur certains organes : reins, système nerveux, ….
Comme l’a fort justement rappelé la CRII-RAD 11(*) : « Tous les radioéléments n’ont pas la même radiotoxicité. L’inhalation de 100 Becquerels de plutonium 239 ne délivrera pas la même quantité d’énergie aux tissus que celle de 100 Becquerels de césium 137 ou de 100 Becquerels de potassium [...] il a donc fallu établir pour chaque radionucléide des Limites Annuelles d’Incorporation (LAI) spécifiques. »
De nouvelles LAI ont été recalculées en 1991 en prenant en compte les nouvelles limites de dose et les nouveaux facteurs de pondération des tissus recommandés par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR 60).
Toute manipulation du plutonium présente des risques importants et doit se faire avec un maximum de précautions. Il est donc regrettable que certains spécialistes du nucléaire cherchent à quelque peu banaliser l’usage du plutonium en minimisant ses dangers. On ne peut, par exemple, que rester effaré devant un passage d’un rapport de l’Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE où l’on affirme tranquillement, en le soulignant, que « le plutonium est loin d’être la matière exceptionnellement dangereuse que l’on s’imagine communément » 12(*).
En revanche, l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) reconnaissait, dans une note de 1996 sur la radioprotection dans le cycle du plutonium, que l’utilisation de cet élément comporte « les situations les plus complexes en ce qui concerne les risques radiologiques pour le personnel ».
Même si le texte qui entoure cette affirmation montre bien que le plutonium est une matière toxique qu’il faut manipuler avec précaution, cette phrase, dans un ouvrage qui peut être répandu dans le grand public, est pour le moins malheureuse.
Pour que les choses soient bien claires, j’aurais préféré que le plutonium ne soit jamais découvert mais, à partir du moment où il existe, le principal est désormais de veiller au respect strict des précautions dans son utilisation et d’empêcher que les déchets qu’il contamine puissent à un moment quelconque présenter une menace pour l’environnement ou la santé humaine.
A partir du moment où des traités internationaux interdisaient d’obtenir du plutonium destiné à des usages militaires à partir d’installations civiles, le plutonium de qualité militaire a été, en France, produit dans des réacteurs graphite/gaz, G1, G2, G3, spécialement conçus pour cet usage sur le site du CEA à Marcoule.
Ces réacteurs sont arrêtés et en cours de démantèlement. La France ne produit donc plus de plutonium à usage militaire, les stocks existants étant considérés comme suffisants.
Par voie de conséquence, il n’y a plus de déchets contaminés par le plutonium produits au niveau de l’extraction de cet élément mais le problème du démantèlement des anciennes installations, qui fera l’objet de développements ultérieurs, est loin d’être totalement résolu.
L’arrêt de la production de plutonium, bénéfique par certains aspects, a cependant une contrepartie : l’obligation de recycler périodiquement le plutonium contenu dans le stock d’armes existantes. La principale opération de recyclage consiste en l’élimination de l’américium provenant de la décroissance naturelle du plutonium 241.
En effet, si les armes nucléaires sont essentiellement composées de plutonium 239, dont la période est suffisamment longue pour qu’il demeure inchangé, elles comportent également des isotopes à période plus courte, dont le plutonium 241 qui se désintègre en produisant de l’américium 241 neutrophage, ce qui réduit l’efficacité des armes.
L’élimination périodique de l’américium est donc une obligation pour maintenir les armes à leur niveau de puissance initial.
Cette opération nécessite de porter le plutonium au-delà de son point de fusion et de le placer dans un bain de chlorures alcalins ensemencés en ions plutonium. Ces ions plutonium vont se réduire au contact de l’américium en redonnant du plutonium métallique alors que l’américium oxydé reste dans le bain de chlorures alcalins.
Si l’arrêt de la production et l’instauration d’un circuit fermé du plutonium militaire ont supprimé la création de déchets au stade initial, ils n’en ont pas moins conduit à déplacer le problème vers l’aval car on se retrouve désormais avec :
- des stocks d’américium, qui n’ont pas à l’heure actuelle d’utilisation ou de destination et qui doivent donc être considérés comme des déchets très dangereux,
- des déchets technologiques résultant des opérations de retraitement, dont une partie n’est pas évacuable sur les centres de stockage actuels.
Le fonctionnement en cycle fermé présente toutefois un avantage indéniable : l’impossibilité de se fournir en plutonium nouveau fait que cet élément est devenu rare et cher et que les responsables ont donc désormais tout intérêt à en récupérer le maximum et à minimiser les déchets.
En principe, la fabrication des armes nucléaires ne devrait conduire à évacuer, vers les centres de stockage définitif, que de très faibles quantités de plutonium, sans commune mesure avec ce qui pourrait résulter par exemple du non-retraitement de tout ou partie du combustible irradié provenant des centrales électriques.
Sur le centre de la DAM à Valduc, il y a actuellement 257 casiers contenant les bains de sels ayant servi à l’extraction de l’américium. Pour le moment, ces casiers restent entreposés dans les locaux du centre sans qu’on puisse prévoir quelle pourra être leur destination définitive.
Théoriquement, on pourrait envisager de séparer l’américium et les traces de plutonium restantes des sels d’extraction, ces derniers pouvant alors être évacués vers un centre de stockage de surface. Une telle opération, si elle se révélait techniquement possible, aurait un coût financier certain et entraînerait aussi une augmentation des rejets d’effluents, des quantités de déchets technologiques et des doses éventuellement reçues par les personnels.
La DAM hésite donc actuellement entre la concentration de l’américium et l’évacuation future de l’ensemble des bains, sous des formes restant à définir, vers les éventuels stockages souterrains. Pour le moment, ces bains de sels chargés en américium ne figurent pas à l’inventaire de l’ANDRA, ce qui signifie que la DAM hésite encore à les considérer comme des déchets définitifs. Le plus important est effectivement de ne pas créer de situation irréversible et de laisser la porte ouverte à toutes les solutions possibles.
Des effluents très actifs sont également entreposés à Valduc. Le stock actuel est de 3,5 m3. En 1996, 2,1 m3 de ces effluents très actifs ont été évacués sur Marcoule en vue de leur vitrification. Les capacités d’entreposage à Valduc sont prévues pour durer jusqu’en 2003.
Pour ces effluents très actifs, des procédés d’extraction pourraient aussi être envisagés, mais serait-il raisonnable de prévoir des équipements très spécialisés pour traiter d’aussi faibles quantités d’effluents ?
Ces opérations de recyclage des armes nucléaires génèrent d’autres déchets dont l’activité est relativement faible mais à vie très longue, ce qui les exclut d’office du stockage en surface dans le centre de l’Aube de l’ANDRA. Entrent dans cette catégorie :
- 45 m3 de déchets stables de retraitement,
- 82 m3 de déchets enrobés dans du béton (dont la production est arrêtée),
- 3,2 m3 de déchets enrobés dans du bitume (dont la production est arrêtée),
- 2,5 m3 de déchets provenant du tri de déchets anciens (opération TRIRAD).
La plupart de ces déchets à haute activité pourraient prendre place un jour dans un stockage profond si celui-ci était décidé en 2006 par le Parlement conformément à la loi du 30 décembre 1991.
Les quantités en cause sont extrêmement modestes en comparaison des déchets à haute activité provenant du retraitement du combustible des centrales ; il n’en demeure pas moins que ces déchets risquent de poser quelques problèmes en raison de leur hétérogénéité et de la diversité de leurs conditionnements.
L’ANDRA est actuellement en train d’élaborer ses concepts de stockage pour un éventuel centre souterrain mais, dans l’inventaire et les prévisions de la nature et du volume des colis, il est précisé que ces études sont faites « hors colis du CEA ». Face aux 45 000 colis de déchets vitrifiés « civils » prévus, il est certain que les quelques m3 qui pourraient provenir du CEA paraissent insignifiants, il ne faudrait cependant pas qu’ils soient oubliés dans les réflexions actuelles sur la définition des concepts de stockages profonds.
A partir des renseignements fournis par la DAM, il n’est pas possible de déterminer les quantités exactes de plutonium résiduel qui va se retrouver sous forme de déchet à l’issue des opérations de retraitement des armes.
Des sources américaines non vérifiables citées par Bruno Barillot et Mary Davis 13(*) font état d’une perte de 500 g de déchets pour 3 à 4 kg de plutonium recyclé. Si cela était le cas en France, on pourrait s’interroger sur la durée du système actuel d’utilisation du plutonium en cycle fermé. L’ampleur des pertes sous forme de déchet conduirait en effet rapidement à l’épuisement des ressources en plutonium à moins que les stocks soient considérables, ce que votre rapporteur n’est pas en état d’infirmer ou de confirmer, ces données étant, bien entendu, couvertes par le « secret défense ».
Toutes les opérations de recyclage du plutonium génèrent des déchets technologiques (gants, éléments de boîtes à gants, filtres, cotons, …).
Il s’agit de déchets certes contaminés par des traces d’émetteurs alpha, mais dont l’activité est réputée suffisamment faible pour permettre leur stockage en surface. Depuis l’origine, ces déchets sont expédiés dans les centres de stockage de l’ANDRA, d’abord au centre de la Manche, puis au centre de l’Aube.
C’est ainsi que partent du CEA-DAM vers l’ANDRA chaque année :
- 130 à 170 m3 de fûts de déchets solides,
- 100 à 150 m3 de caissons,
- 20 m3 de fûts de résidus d’insolubilisation.
Pour être admis au centre de stockage en surface de l’ANDRA, les colis de déchets doivent répondre à des exigences bien précises et, en particulier, leur activité ne doit pas dépasser 3,7 Gigabecquerels (0,1 Curie) par tonne.
Depuis 1983, la DAM a expédié près de 5 000 m3 de déchets à l’ANDRA, d’abord au centre de la Manche puis, depuis son ouverture, au centre de l’Aube.
La quantité de plutonium qui est partie avec ces déchets vers les centres de stockage est évaluée à environ 9 kg, ce qui représente une activité de 27 Térabecquerels (750 Curies). En 1984, les normes d’acceptation des déchets à l’ANDRA ont été rendues plus sévères et, depuis 1985, la quantité de plutonium expédiée n’a plus été que de 2,5 kg, soit 8 Térabecquerels (216 Curies).
Certains déchets qui ne répondaient pas aux normes de l’ANDRA ont été expédiés vers le centre de Cadarache qui dépend du CEA.
Depuis 1985, ce site, qui n’est pas à proprement parler un centre de stockage mais plutôt un centre de recherche, a reçu près de 500 m3 de déchets conditionnés dans des fûts. Ces fûts ont ensuite été compactés et enrobés de béton. L’ensemble de ces expéditions représente 7,4 kg de plutonium ainsi évacué, soit 22,7 Térabecquerels (614 Curies).
Comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises, l’évacuation de ces déchets contenant du plutonium ne pose pas de problèmes techniques très compliqués. Etant donné la faible pénétration des rayonnements alpha, ces déchets sont simplement conditionnés sous une double enveloppe de PVC très résistant et ensuite placés dans des fûts, il n’y a donc là rien de comparable avec la manipulation des verres et des colis de déchets provenant des usines de retraitement.
Il n’en demeure pas moins que ces quantités de plutonium, 16,3 kg en tout, sont loin d’être négligeables et on peut légitimement s’interroger sur la compatibilité entre des stockages de surface sensés être de courte durée (3 siècles) et la durée d’activité du plutonium 239 dont la période ou demi-vie est de 24 110 ans, même si la limitation à 10-2 Curies par tonne, imposée par l’ANDRA, permet de penser qu’il n’y aura pas d’impact sanitaire.
Conscients des problèmes que pose l’évacuation ou l’entreposage sur ses sites des déchets contaminés par du plutonium, mais aussi parce que cet élément est devenu rare depuis l’arrêt de sa production, les responsables de la DAM ont entrepris de sérieux efforts pour réduire le volume et si possible l’activité de ses déchets.
Lors de ses rencontres avec ces responsables, votre rapporteur a eu l’impression que la gestion des déchets était désormais devenue, dans le secteur militaire du CEA, une préoccupation majeure directement suivie par le Haut Commissaire à l’Energie Atomique. Comme dans les autres pays nucléarisés, il n’en a certainement pas toujours été ainsi, la guerre froide ayant souvent servi d’excuse pour couvrir bien des négligences et des imprudences, ce qui explique les opérations de reprise des déchets anciens qui n’ont toutefois en France aucune commune mesure avec le « clean up » entrepris aux Etats-Unis.
L’amélioration de la mesure des quantités de plutonium contenues dans les déchets constituait un préalable à toute réorganisation de leur gestion. Pour obtenir des résultats fiables et rapides, le centre de Valduc s’est doté d’une cellule entièrement automatisée destinée à faire les dosages du plutonium contenu dans les déchets ou les produits retraitables.
Il s’agissait d’un problème complexe puisqu’il était prévu de faire jusqu’à 8 000 analyses non destructives par an sur des éléments particulièrement hétérogènes :
- déchets technologiques faiblement contaminés (gants, vinyles, sacs, …),
- produits issus du retraitement considérés comme « pauvres »,
- mais aussi des résidus « riches » en plutonium récupérable.
La grande variété des isotopes du plutonium rendait cette tâche encore plus délicate.
(graphique Expéditions déchets – Cadarache)
Selon les responsables de la DAM 14(*) : « La fiabilité du système est excellente et répond parfaitement aux exigences permanentes de comptabilité précise du plutonium dans les installations de retraitement. »
Une nouvelle chaîne de mesure des déchets devrait être lancée en 1997.
Egalement conscients que tout n’avait pas été fait dans le passé pour réduire le volume des déchets, les responsables de la DAM à Valduc ont décidé de reprendre les stocks anciens de déchets afin de les trier et de les reconditionner.
Cette opération appelée TRIRAD, qui devrait se terminer en 2001, permettra de résorber les 240 m3 de déchets entreposés dans des fûts sur le site avant que le tri à la source soit instauré. Fin 1997, il ne devrait plus rester que 100 m3 de ces déchets à traiter. Si les opérations sont relativement longues, c’est que le tri s’effectue, manuellement, dans des boîtes à gants, pièce par pièce.
Une fois triés, éventuellement décontaminés et reconditionnés, 90 % des déchets peuvent être envoyés à l’ANDRA.
Comme votre rapporteur a pu le constater, cette opération, certainement assez coûteuse, est efficace et permet de réduire considérablement le stock de déchets non évacuables à l’ANDRA, elle n’apporte cependant pas de solution pour les 10 % de déchets restants, qui devront être maintenus sur le site ou évacués à Cadarache.
Les déchets sous forme liquide posent un problème particulier car l’ANDRA ne les accepte pas tels quels dans son centre de stockage de l’Aube.
Depuis 1993, les effluents radioactifs liquides subissent donc un tri à la source pour séparer, grâce à des circuits sélectifs :
- les effluents très actifs (activité supérieure à 4 500 Becquerels par cm3) qui sont vitrifiés et qui suivront le sort des déchets à haute activité,
- des autres effluents qui pourront être envoyés sur une installation d’évaporation, les résidus de cette opération étant ensuite enrobés dans du béton pour être expédiés à l’ANDRA.
Les huiles lourdes contaminées sont envoyées à Cadarache pour être brûlées dans des installations spécialisées. Le stock initial d’huiles à traiter était de 11 m3, il reste aujourd’hui 6 m3 à brûler.
La DAM a décidé de se doter, dans un premier temps sur le site de Valduc, d’incinérateurs destinés à réduire le volume des déchets organiques (latex, néoprène, cellulose, …) trop contaminés par des émetteurs alpha pour être évacués en l’état vers l’ANDRA.
Les recherches qui ont été conduites depuis 1980 grâce à une installation pilote à Marcoule ont permis de commencer la construction de cet équipement en 1994, l’autorisation de construire n’ayant été délivrée qu’en 1992. La mise en service devrait avoir lieu en avril 1998 si tous les essais et surtout si tous les contrôles qui sont actuellement en cours se révèlent satisfaisants.
Contrairement à ce que votre rapporteur avait pu imaginer, il ne s’agit pas d’un simple équipement annexe, mais d’une véritable usine aussi imposante que complexe.
L’incinérateur de Valduc devrait permettre de traiter de 80 à 100 m3 de déchets solides et combustibles par an en plusieurs campagnes car il faudra, pendant les périodes de fonctionnement, assurer une alimentation régulière des fours. Ces opérations telles qu’elles sont prévues sont relativement complexes et se déroulent en plusieurs étapes.
Il faudra tout d’abord trier les déchets pour éliminer jusqu’aux plus faibles particules de métal, puis ensuite les broyer en fragments de quelques centimètres.
Le traitement thermique comportera lui même trois stades différents :
- une pyrolyse à 550° dans un four rotatif,
- les brais résultant de la précédente opération sont ensuite calcinés à 900° dans un four tournant jusqu’à l’obtention de cendres fines,
- les cendres sont ensuite conditionnées automatiquement dans de petits conteneurs en acier qui seront ensuite placés dans des fûts de stockage.
Pour compléter ces installations, il existe des équipements de traitement des gaz pour que les rejets dans l’atmosphère soient conformes aux normes en vigueur pour les émissions de poussières et surtout de chlore.
L’incinération des déchets organiques permettra donc de réduire les volumes des déchets, d’un facteur de l’ordre de 25, et de concentrer le plutonium qu’ils contenaient.
Dans les conditions de fonctionnement prévues, l’incinérateur de Valduc devrait produire de 600 à 760 kg de cendres et de 300 à 350 kg de poussières par an.
Pour le moment, les fûts de 200 litres contenant les conteneurs de cendres seront entreposés dans un bâtiment ventilé et filtré sur le centre de Valduc.
Sur le devenir lointain de ces cendres, rien n’a encore été décidé. Il serait certainement possible de récupérer le plutonium qu’elles contiennent, 1 kg par an environ, mais cette opération serait, selon les responsables de la DAM, beaucoup trop coûteuse.
Dans ces conditions, la DAM a donc demandé et obtenu une autorisation d’entreposage à Valduc en attendant une solution définitive comme peut-être leur conditionnement dans des verres.
Les poussières, quant à elles, devraient pouvoir, après d’ultimes contrôles, être envoyées à l’ANDRA.
Actuellement, fin 1997, la DAM procède à des qualifications « froides », c’est-à-dire avec des déchets ne contenant pas d’éléments radioactifs.
Quelles conclusions peut-on tirer de la politique de la DAM sur la gestion des déchets contaminés par le plutonium ?
Un effort réel a été fait pour séparer les déchets faiblement contaminés, évacuables à l’ANDRA, des déchets « riches » en plutonium pour lesquels il y aura soit récupération de cet élément, qui a pris une valeur certaine depuis l’arrêt des unités de production, soit entreposage temporaire à Valduc ou à Cadarache.
Dans ce dernier cas, il n’y a pas de solution définitive qui soit actuellement prévue. La réduction des volumes est réelle mais elle conduit à transformer peu à peu Cadarache en centre « d’entreposage de longue durée en vue d’un éventuel stockage profond ». 15(*)
Dans ces conditions, il faut continuer les efforts en vue d’une gestion rigoureuse du plutonium pour arriver à en recycler le maximum. Des impératifs techniques, financiers et humains (les risques de contamination) imposent cependant des limites au recyclage. Il y a donc un équilibre à trouver entre la valorisation du plutonium et son stockage définitif. Pour le moment, le plus important est de ne pas créer de situations irréversibles qu’on pourrait un jour regretter.
3°/ LES DÉCHETS TRITIÉS
Si les déchets contaminés par le plutonium constituent le souci principal des responsables de la gestion des déchets de la DAM, la présence de tritium dans les installations de fabrication ou de maintenance des armes nucléaires n’en pose pas moins toute une série de problèmes souvent très difficiles et parfois même impossibles à résoudre.
Si le tritium fait moins peur que le plutonium, ce n’est cependant pas une raison suffisante pour en minimiser les dangers, comme c’est le cas assez fréquemment chez les responsables d’installations qui produisent et qui relâchent ce radionucléide.
Pour un non-spécialiste, le tritium présente toute une série de particularités le distinguant des autres éléments radioactifs. L’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) vient heureusement de publier une étude 16(*) aussi claire que concise, qui permet de mieux comprendre les problèmes que posent les déchets tritiés et les rejets de tritium dans l’environnement.
Le tritium 3H est un isotope radioactif de l’hydrogène qui a été découvert en 1934 par le célèbre physicien Lord Rutherford.
Sa période de décroissance ou demi-vie est de 12,4 ans, ce qui le distingue immédiatement du plutonium 239 dont la période est de 24 000 ans. Le tritium est donc un radionucléide à vie courte puisqu’il en disparaît chaque année naturellement 5,6 % en formant de l’hélium 3. Cette décroissance rapide constitue donc un élément plutôt favorable pour la gestion des déchets qui contiennent du tritium en éliminant toutes les incertitudes qui pèsent sur le stockage à long terme. Le tritium est d’ailleurs très fréquemment utilisé comme marqueur dans des expériences scientifiques en raison de sa courte vie.
Second élément favorable, par rapport à d’autres radionucléides : la force de pénétration de son rayonnement bêta est très limitée, 5 mm dans l’air, ce qui fait que les cellules des tissus humains ne sont pratiquement pas atteintes, même à la suite d’un contact rapproché, tant qu’il n’y a pas de pénétration à l’intérieur de l’organisme.
Si certains tentent parfois de « banaliser » l’usage du tritium, c’est aussi en raison de son origine. Le tritium peut en effet, à la différence du plutonium, avoir une origine naturelle. Produit par une réaction des rayonnements cosmiques sur les atomes d’hydrogène de l’atmosphère ou à l’intérieur même de la couche terrestre par réaction de neutrons sur certaines roches, le tritium est présent dans l’atmosphère, dans les eaux et même dans les espèces vivantes et cela en l’absence de toute production résultant des activités humaines.
Selon l’UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations-Unies pour l’étude des effets des radiations, le tritium naturel représenterait de 2,8 à 3,7 kg, ce qui correspondrait, compte tenu de sa décroissance naturelle, à une production annuelle de 0,15 à 0,20 kg par an.
En réalité, le tritium présent dans l’environnement provient surtout des activités humaines. Toujours selon l’UNSCEAR, les seuls essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère auraient produit environ 650 kg de tritium qui serait en voie de disparition, les derniers essais importants, à l’air libre, ayant eu lieu en 1963.
Depuis l’arrêt des essais, le tritium provient avant tout des réacteurs, soit que ceux-ci soient utilisés pour la production d’électricité, soit qu’ils soient spécialement conçus pour produire ce radionucléide, en particulier pour des usages militaires.
Il est très difficile de limiter les rejets de tritium par les centrales, les usines de retraitement et les réacteurs dédiés à cette production, car une des principales spécificités du tritium par rapport à presque tous les autres radionucléides est de se présenter sous trois formes différentes :
- solide inclus dans des métaux, des produits organiques ou minéraux,
- liquide essentiellement sous forme d’eau tritiée,
- gazeux sous forme de tritium gazeux ou encore de vapeur d’eau tritiée.
Il faut toutefois noter que les déchets tritiés solides ou liquides émettent en permanence des effluents gazeux, ce qui rend leur stockage particulièrement difficile.
Comme il s’agit d’un radionucléide dont les rayonnements sont peu pénétrants, à vie courte, qui peut être produit naturellement et dont il est très difficile de limiter les rejets gazeux, la tentation a toujours été très forte de ne pas lui appliquer les mêmes normes de protection que pour les autres éléments radioactifs et d’avoir une attitude beaucoup plus laxiste vis-à-vis de sa dissémination dans l’environnement.
Il n’en demeure pas moins que le tritium, corps radioactif, présente pour la santé humaine des dangers incontestables qu’il convient de ne jamais oublier.
Si, comme on l’a vu précédemment, la pénétration des rayonnements émis par le tritium ne peut atteindre que les cellules les plus superficielles de la peau, l’ingestion, à l’intérieur du corps, de ce radionucléide pourrait avoir des conséquences graves. En effet, à la suite d’absorption d’aliments ou d’eau contaminés par le tritium, une partie de cet élément peut passer dans le sang. Il en va de même en cas d’inhalation de gaz tritié.
A l’heure actuelle, on ne semble pas disposer de données très précises sur les conséquences sanitaires de l’ingestion ou de l’inhalation de tritium : « Il n’existe pas de données épidémiologiques humaines à partir desquelles il serait possible d’estimer, même approximativement, le risque de cancer chez l’homme dû à l’exposition au tritium seul. » 17(*)
Certaines études ont toutefois montré de façon très nette que, chez des animaux, l’exposition ou l’injection de tritium entraînait une importante augmentation des cancers.
L’estimation du risque de cancer chez l’homme exposé au tritium repose donc, pour le moment, sur les résultats des expériences animales, ces expériences ayant été conduites avec des doses relativement faibles mais malgré tout très largement supérieures aux expositions professionnelles non accidentelles ou aux doses que pourraient recevoir les populations proches d’une installation rejetant du tritium.
Le résultat de ces expériences mais aussi la description 18(*) de deux cas de décès attribués à une exposition au tritium, sans toutefois que ces décès soient dus à des cancers, nous imposent d’appliquer strictement le principe de précaution et de tout mettre en oeuvre pour réduire au maximum l’exposition au tritium des travailleurs et des populations.
La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a, dans ses recommandations, pris en compte les risques que pouvaient présenter l’ingestion, l’inhalation ou l’absorption par la peau de tritium. Au fur et à mesure que les connaissances sur les effets potentiels du tritium s’affinaient, ces recommandations ont été ajustées.
L’appréciation de la validité des normes préconisées par la CIPR est très difficile et même pratiquement impossible pour un profane. La radioprotection, qui intéresse pourtant l’ensemble des travailleurs du nucléaire et les populations concernées, ne peut malheureusement être comprise que par quelques spécialistes. La radioprotection fait en effet appel à »un ensemble unique et sophistiqué de concepts, de principes, de techniques de prévention et de maîtrise des risques radiologiques » 19(*) qui ne cessent d’évoluer pour inclure des situations d’exposition aux rayonnements qui n’étaient pas assez prises en compte dans le passé.
Les facteurs qui influencent la fréquence des cancers sont liés aux caractéristiques de l’irradiation mais aussi à celles des personnes exposées. Il faut donc tenir compte de la dose de radiation, de la nature des rayonnements ionisants (alpha, gamma, bêta), du débit selon lequel la dose a été délivrée mais surtout de la partie du corps qui a été irradiée. A cela il faut ajouter que la radiosensibilité diffère également selon le sexe et l’âge, les jeunes enfants et les adolescents étant plus sensibles aux effets des rayonnements que les adultes dans la force de l’âge.
Quelle conclusion peut-on tirer de ces remarques sur la difficulté pour le grand public d’avoir accès aux règles et aux normes de radioprotection ?
A partir du moment où des installations civiles ou militaires manipulent et donc ne peuvent éviter de rejeter du tritium, ce radionucléide se retrouvera dans l’eau atmosphérique, dans les eaux de surface et dans les nappes phréatiques proches de ces installations à des concentrations supérieures à ce que l’on observe dans le reste du territoire.
Il convient donc, dans ces zones concernées, de mettre en place des dispositifs incontestables, pluralistes et publics, d’évaluation des doses susceptibles d’être délivrées aux personnes exposées.
Affirmer, comme le font les responsables des installations rejetant du tritium, que les rejets sont très inférieurs aux autorisations qui leur ont été accordées par décret ne suffit plus à rassurer les populations concernées. Si, comme ils le prétendent, il est impossible d’échapper aux rejets de tritium, toutes les précautions doivent être prises pour en limiter au maximum l’importance mais aussi pour en mesurer l’impact sur l’environnement et la santé humaine.
Les autorités responsables des installations nucléaires, qu’elles soient civiles ou militaires, doivent être conscientes que les rejets de tritium dans l’environnement risquent de devenir dans les années à venir un problème majeur et certainement un des principaux axes de la contestation antinucléaire.
L’étude radioécologique qui va être conduite à La Hague, sous la direction de l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) mais qui comprendra également des experts étrangers et des représentants d’associations de protection de l’environnement, constitue un exemple qui devrait peu à peu être étendu à tous les sites, y compris ceux de la DAM, où des rejets de radioéléments peuvent légitimement inquiéter les populations avoisinantes, comme l’a d’ailleurs demandé le Haut Commissaire à l’énergie atomique.
Il convient en effet d’évaluer sereinement et en toute objectivité les doses de radioactivité reçues par les populations, qu’elles soient d’origine nucléaire, médicale ou naturelle, pour tenter d’instaurer un vrai débat sur des bases admises par tous et avant que des situations de crise puissent se développer.
Le centre de Valduc, chargé de la production et de la maintenance des sous-ensembles des armes nucléaires, est particulièrement concerné par le problème des déchets tritiés, à tel point qu’il a été décidé d’y entreposer également ceux qui ont été produits par les autres centres du CEA.
Par rapport à d’autres déchets contenant des radionucléides, les déchets tritiés, qu’ils soient sous forme solide ou liquide, présentent l’inconvénient majeur de dégazer, c’est-à-dire de produire en continu des effluents gazeux qui vont, en l’absence de confinement, se répandre dans l’atmosphère environnante. Une fois dans l’atmosphère, le tritium à l’état gazeux se transforme en grande partie en eau tritiée en présence de l’air ou de la vapeur d’eau.
La classification des déchets va donc se faire en fonction de la teneur en tritium des matériaux concernés, car il y a une corrélation étroite entre cette teneur et le taux de dégazage qui en résulte.
– Les déchets à forte teneur en tritium sont, dans toute la mesure du possible, traités pour en réduire à la fois le volume et l’activité.
Le retraitement a aussi un intérêt économique car on a tout intérêt à minimiser les pertes de tritium. En effet, depuis l’arrêt de la production de plutonium, les réacteurs Célestin de la COGEMA situés à Marcoule, qui produisent également le tritium utilisé par la DAM, ne fonctionnent plus qu’en marche alternée.
Les déchets métalliques sont fondus dans un four à vide qui permet, en fin d’opération, de récupérer de l’eau tritiée. Les lingots qui sont obtenus ne provoquent pratiquement plus de dégazage mais ils restent quand même entreposés sur le site de Valduc.
Les déchets organiques sont traités dans des installations d’étuvage à la vapeur sèche qui permettent là aussi de recueillir de l’eau tritiée. Ces déchets sont en final compactés et conditionnés.
Ces opérations ont l’avantage de réduire le volume et l’activité des déchets mais il faut bien voir qu’en contrepartie, elles conduisent à un déchet liquide : de l’eau faiblement tritiée (de 10 à 500 Curies au litre).
C’est là tout le paradoxe de la gestion des déchets tritiés : il est souvent possible de les traiter et en quelque sorte de les nettoyer, mais les techniques employées conduisent obligatoirement à la production d’eau tritiée qui sera presque aussi difficile à gérer. Il faut également se souvenir que toutes ces opérations ne sont pas neutres sur le plan de la radioprotection et qu’elles peuvent toujours entraîner des risques pour les opérateurs chargés de les conduire.
– Les déchets qui restent entreposés sur le site de Valduc peuvent être classés en trois catégories distinctes :
· les déchets technologiques conditionnés en fûts dont le taux de dégazage est relativement important (entre 1,85 et 55 Mégabecquerels par fût). 3 032 fûts de 100 et de 200 litres de cette catégorie sont provisoirement entreposés sur le site de Valduc, ce qui représente environ 580 m3 ;
· les déchets ayant un très faible taux de dégazage (1,85 Mégabecquerels par fût), il s’agit en grande partie de déchets technologiques dont l’activité est à la limite de détection des moyens de mesure. Il y en a actuellement 2 915 fûts de 100 et 200 litres à Valduc, ce qui représente environ 550 m3 ;
· les ferrailles qui ont un très faible taux de dégazage, leur activité surfacique étant comprise entre 3,7 et 37 Becquerels par cm2 ;
· les eaux tritiées représentent environ 800 litres.
Sont également entreposés à Valduc des huiles et des mercures contenant du tritium.
Faute de solution de stockage définitive, tous ces déchets restent provisoirement entreposés dans des bâtiments du centre de Valduc :
· le bâtiment 055 construit sur une dalle de béton avec un dispositif pour recueillir d’éventuelles eaux de ruissellement. Il s’agit d’un hangar tout à fait ordinaire mais muni d’extracteurs d’air surmontés de cheminées pouvant assurer un taux de renouvellement de 15 volumes par heure. Selon la DAM, les rejets atmosphériques de ce bâtiment représenteraient environ 10 % du total des rejets de tritium du centre de Valduc. Dans ce bâtiment 055 sont entreposés 3 200 fûts ;
· le bâtiment 058, lui aussi construit sur une dalle de béton avec un dispositif pour recueillir les éventuelles eaux de ruissellement, est de construction plus simple et n’est pas doté de moyens de ventilation artificielle. Les 3 200 fûts qui y sont entreposés ont un taux de dégazage inférieur à ceux du bâtiment 055 ;
· les ferrailles, 50 tonnes au total, sont simplement déposées sur une aire bétonnée non protégée mais les eaux de lixiviation sont cependant régulièrement contrôlées ;
· les eaux tritiées restent entreposées dans des flacons en polyéthylène à l’intérieur même des bâtiments de production.
La DAM reconnaît que certains des fûts ainsi entreposés « sont altérés » et qu’il faudra les reconditionner.
Les critères d’acceptabilité des colis de déchets tritiés par l’ANDRA sont très sévères et excluent de fait pour le moment tout envoi vers le centre de stockage de l’Aube.
L’ANDRA impose en effet des normes très strictes qui portent à la fois sur l’activité massique des colis et sur le taux de dégazage. Le rayonnement bêta émis par le tritium étant trop peu énergétique, on ne peut mesurer la quantité de tritium qui serait contenue dans un colis ou dans un fût de déchets. Il existe bien une méthode de mesure par calorimétrie mais la limite de détection est 1 000 fois plus élevée que la limite imposée par l’ANDRA.
A partir du moment où les colis sont composés d’éléments hétérogènes dont la teneur en tritium est très variable, il n’existe pas pour le moment de méthode permettant de « caractériser » un colis ou un fût de déchets tritiés pour lui permettre de rejoindre le centre de stockage en surface de l’ANDRA. Il est en revanche possible de mesurer le taux de dégazage mais cela ne répond qu’à une des deux conditions posées par l’ANDRA. Des études sont en cours pour mesurer la teneur en tritium d’un colis ou d’un fût mais elles n’ont toujours pas donné de résultat probant.
Comme le reconnaît la DAM : « Les déchets tritiés n’ont pas aujourd’hui de solution d’entreposage définitif car nous ne pouvons pas répondre aux conditions d’évacuation vers l’ANDRA, les activités massiques de cet ordre ne pouvant pas être mesurées. »
Aucune évacuation n’ayant été jusqu’ici autorisée, « les déchets tritiés solides produits par la DAM (85 %) et par les autres centres du CEA (15 %) sont entreposés sur le site de Valduc d’une façon réversible, généralement en fûts métalliques dans des bâtiments ventilés dont les rejets sont contrôlés en permanence. La capacité d’entreposage actuelle des 3 entrepôts du site de Valduc est de 1 760 m3. Le stock accumulé depuis 1975 est de 1 250 m3 et la production annuelle moyenne est de l’ordre de 50 m3. » 20(*)
Les responsables de la DAM estiment donc qu’ils ont de la marge et ne s’inquiètent donc pas outre mesure, la solution de l’entreposage à Valduc leur paraissant, pour le moment, ne pas poser de difficultés majeures.
Il n’en demeure pas moins que le site de Valduc n’a pas le statut de centre de stockage et qu’il faudra bien un jour ou l’autre trouver une destination définitive pour l’ensemble des déchets tritiés.
A la demande de M. Dautray, le Haut Commissaire à l’Energie Atomique, un groupe de travail sur « Le devenir des déchets tritiés » a été mis en place. Il devrait présenter bientôt des propositions relatives :
- aux moyens d’évaluer les quantités de tritium contenues dans des colis ou des fûts,
- à la recherche d’ »exutoires » pour les déchets tritiés (rejets, entreposage, stockage, …)
- à l’élaboration d’un inventaire détaillé de ces déchets actuels ou à venir.
Pour le moment toutefois, et faute de mieux, la création d’un nouveau bâtiment d’entreposage à Valduc est à l’étude.
Certains ont envisagé la création d’un centre de stockage spécialement dédié au tritium, avec des moyens de confinement qui permettraient de limiter le dégazage et surtout de le contrôler régulièrement. Sur le plan du principe, l’idée de la création d’un centre de déchets tritiés est intéressante, tout comme celle de la création d’un centre destiné aux déchets radifères. On oublie toutefois le problème de la localisation. Votre rapporteur, qui a conduit la médiation pour l’implantation des laboratoires de l’ANDRA, est bien placé pour savoir que les problèmes d’acceptation, par les populations concernées, de toute installation en rapport avec les déchets radioactifs ne sont pas simples mais qu’ils conditionnent la faisabilité de tout projet de ce type.
Beaucoup de spécialistes regrettent toujours que l’immersion en mer des déchets tritiés soit désormais interdite par la Convention de Londres. La mer contenant naturellement du tritium, la dilution des quantités contenues dans les déchets n’aurait eu, paraît-il, aucune conséquence. Il est inutile de se lamenter sur cette situation. L’immersion de déchets a été, à juste titre, interdite ; il n’y a donc pas lieu de continuer à discuter d’une solution qui est totalement et définitivement écartée.
Votre rapporteur, alerté par des courriers et par certains ouvrages comme celui de Bruno Barillot et Mary Davis 21(*), s’est inquiété des pratiques qui auraient existé à Valduc, où des déchets tritiés auraient été brûlés à l’air libre sans précautions particulières. Selon certains, cette technique quelque peu rudimentaire aurait conduit à expédier dans l’atmosphère plusieurs milliers de Curies, contaminant ainsi l’environnement avoisinant.
Sur place, votre rapporteur a constaté que cette pratique avait cessé mais, sur les conditions dans lesquelles cette opération avait été conduite et sur ses conséquences éventuelles, il ne peut que s’en remettre à la note qui lui a été fournie par la DAM :
« BRÛLAGE DE DÉCHETS TRITIÉS
Des déchets tritiés ont été brûlés sur une aire aménagée, de 1968 à 1975.
43 opérations ont été effectuées. Elles ont porté sur 335 m3 de déchets divers.
Ces opérations s’accompagnaient de campagnes de mesures dans l’environnement :
- contrôles atmosphériques,
- contrôles de végétaux,
- contrôles surfaciques du foyer après brûlage,
- contrôles des cendres,
- contrôles des eaux.
Des campagnes de mesures ont été réalisées après l’arrêt des opérations, notamment en 1978 et 1981.
Aujourd’hui, l’activité de la nappe phréatique à proximité immédiate du foyer est d’environ 4 000 Bq/l, l’activité massique des végétaux prélevés sur l’emplacement de brûlage varie entre 190 et 2 500 Bq/kg frais.
ÉVOLUTIONS :
En terme de conséquence sanitaire pour un individu qui consommerait toute l’année l’eau de la nappe prélevée au voisinage du lieu de brûlage, l’équivalent de dose annuel engagé serait de l’ordre de 0,07 mSv (7 mrem) soit l’équivalent de 10 jours supplémentaires d’irradiation naturelle.
L’activité de l’eau prélevée au voisinage du site de brûlage est 40 fois supérieure à l’activité des prélèvements effectués dans les nappes de l’environnement du site de Valduc. »
Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de déchets, ce rapport ne saurait passer sous silence le problème du rejet de tritium sous forme gazeuse par les installations de la DAM.
C’est en effet la question qui préoccupe les populations proches de ces installations même si elle n’est pas spécifique aux installations militaires, les usines de retraitement étant également de plus en plus souvent mises en cause pour l’importance de leurs rejets de tritium.
Comme cela a été souligné précédemment, les déchets tritiés ont la particularité de produire, de façon continue, des effluents gazeux et le tritium gazeux a naturellement tendance à se transformer à son tour en eau tritiée, qui va contaminer l’environnement proche de la source d’émission. Il s’agit d’un phénomène physique contre lequel on ne peut rien faire, la seule solution étant de se doter d’équipements permettant de confiner le tritium sous toutes ses formes, gazeuses ou liquides.
Les installations de la DAM que nous avons visitées sont toutes équipées de barrières multiples destinées à piéger le tritium à l’intérieur du système de production ou de retraitement, et des efforts certains ont été entrepris par les responsables de la DAM pour limiter au maximum les rejets de gaz tritiés mais, selon les termes mêmes d’un de ces responsables : « On ne peut échapper aux rejets de tritium. »
Les pouvoirs publics ont pris en compte cette impossibilité d’assurer un confinement total et ont par voie de conséquence autorisé, dans certaines limites, les rejets d’effluents radioactifs gazeux.
Ainsi pour le centre d’étude de Bruyères-le-Châtel, dans la région parisienne, dont les activités sont en voie de transfert à Valduc, l’arrêté du 3 mai 1995 prévoit que « l’activité annuelle des effluents gazeux rejetés par l’ensemble des installations ne doit pas dépasser 1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le tritium ». 22(*)
Ces rejets ne doivent pas comporter d’émetteurs alpha et l’arrêté décrit avec précision les équipements dont doit se doter le centre ainsi que les procédures de contrôle qui doivent être mises en oeuvre.
Pour le centre de Valduc, un arrêté, également du 3 mai 1995, prévoit que « l’activité annuelle des effluents radioactifs gazeux rejetés par l’ensemble des installations du centre ne doit pas dépasser :
1 850 Térabecquerels (50 Kilocuries) pour le tritium,
40 Térabecquerels (1 Kilocurie) pour les gaz autres que le tritium,
750 Mégabecquerels (20 Millicuries) pour les halogènes gazeux et les aérosols,
75 Mégabecquerels (2 Millicuries) pour les radioéléments émetteurs alpha ». 23(*)
Contrairement au centre de Bruyères-le-Châtel dont les installations nucléaires sont en cours de démantèlement, le centre de Valduc, qui est lui en pleine activité, a été autorisé à rejeter sous forme gazeuse quelques émetteurs alpha, les quantités sont certes minimes mais les effets des émetteurs alpha sur la santé humaine sont beaucoup plus graves que ceux du tritium.
Bien entendu, les limites imposées par ces deux décrets doivent être considérées comme un maximum qu’il faut s’efforcer de ne pas atteindre, l’activité rejetée devant rester toujours aussi basse que possible.
Le tableau ci-après 24(*) montre bien qu’heureusement, les rejets effectifs restent bien en deçà des limites autorisées, en moyenne moins de 30 % des autorisations.
La DAM s’est engagée à réduire d’un facteur 2 les rejets atmosphériques de tritium du centre de Valduc d’ici l’an 2000 par rapport aux valeurs constatées en 1995, en passant de 21 600 à 10 800 Curies par an.
La question primordiale est de savoir si ces rejets gazeux, aussi faibles soient-ils, vont avoir un impact sur l’environnement et par voie de conséquence sur la santé humaine.
Les décrets du 3 mai 1995 relatifs aux rejets des centres de Bruyères-le-Châtel et de Valduc prévoient, avec un grand luxe de détails, les conditions dans lesquelles doit se faire la surveillance de l’environnement.
Le point le plus intéressant dans cet ensemble de mesures, c’est que l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) a compétence pour définir les conditions dans lesquelles s’exerceront les contrôles. Si la surveillance est assurée par l’exploitant lui-même, elle s’exerce toutefois dans le cadre d’un programme réglementé et contrôlé par l’OPRI en conformité avec les autorisations fixées par un arrêté pour chacun des centres, et cela malgré le fait que ces installations soient classées Installations Nucléaires de Base-Secrètes (INB-S) et qu’elles échappent théoriquement aux procédures applicables aux simples INB civiles.
Créé par un décret du 19 juillet 1994, l’OPRI, qui succède à l’ancien SCPRI, comme l’avait demandé à de multiples reprises l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la Santé et du ministre du Travail. Cet organisme est chargé de toutes les missions d’expertise, de surveillance et de contrôle propres à assurer la protection des populations contre les rayonnements ionisants.
Face à des campagnes d’insinuations qui cherchent à déstabiliser l’OPRI et à jeter la suspicion sur la sincérité de ses travaux, votre rapporteur tient à réaffirmer que, jusqu’à preuve du contraire, il accorde toute sa confiance aux dirigeants et aux personnels de l’OPRI pour faire passer les impératifs de santé publique et de protection des populations avant toute autre considération.
Pour chacun des sites, le programme de surveillance mis en oeuvre par les responsables du centre sous le contrôle de l’OPRI comprend la surveillance :
- de l’atmosphère,
- des eaux de surface et des eaux réceptrices,
- de la végétation,
- du lait recueilli dans les fermes voisines.
En cas de besoin, ces analyses de routine peuvent être complétées par des mesures plus fines ou portant sur d’autres composantes de l’environnement.
Pour un centre comme celui de Valduc où sont désormais regroupées la majeure partie des activités de la DAM, les résultats en 1996 étaient les suivants :
Pour le tritium : |
1996 | Comparaison avec 1992 |
Eaux de surface (en Becquerels par litre) |
99 | 122 |
Eaux réceptrices (en Becquerels par litre) |
sans objet | 300 |
Végétation (herbes, thym, salade, en Becquerels par kg) |
26 | 45 |
Lait (en Becquerels par litre) |
64 | 91 |
Le principal radionucléide détecté au voisinage du centre de Valduc, comme d’ailleurs autour de celui de Bruyères-le-Châtel, est le tritium, mais le niveau moyen de contamination des quatre éléments analysés décroît régulièrement au fil des années.
Si les données relatives à la présence de tritium dans les eaux réceptrices du centre de Valduc sont considérées comme sans objet, c’est que ce centre n’a pas d’autorisation de rejets d’effluents radioactifs liquides.
Comme nous avons pu le constater, un très gros effort a été réalisé à Valduc pour éviter tout rejet d’eau contaminée ou non à l’extérieur du périmètre surveillé. Deux réseaux traitant séparément les eaux contaminées et les eaux usées des bâtiments non nucléaires ont été mis en place. Les eaux susceptibles d’être contaminées sont envoyées vers des installations de retraitement, où les éléments actifs sont récupérés sous forme de boues alors que les eaux restantes sont évaporées. Les eaux d’usage commun après traitement dans une station biologique classique sont envoyées dans cinq bassins d’épandage successifs, où elles s’évaporent peu à peu. Il faut toutefois noter que les déchets gazeux qui retombent sous forme d’eau tritiée contaminent légèrement l’eau de ces bassins, de l’ordre de 300 Becquerels par litre, les eaux de pluie pouvant parfois atteindre un niveau de 10 000 Becquerels par litre.
Il y a quelque temps, une polémique avait commencé à se développer au sujet d’une prétendue décharge secrète de déchets radioactifs située à Pontailler en Côte-d’Or. Renseignements pris, il est exact que 74 tonnes de boues contaminées par différents radionucléides (Pu, Am, U…) provenant des anciens bassins de décantation de Valduc ont été déversées en 1987 dans une décharge de classe 1. Cette opération avait été autorisée par le SCPRI car elle ne concernait que des effluents très légèrement contaminés (10 Becquerels par gramme au maximum).
La décharge de Pontailler n’a rien de secret puisqu’elle figure à la page 71 de l’inventaire de l’ANDRA (édition 1997) avec la mention : « 74 tonnes de boues déposées en 1987 qui contiennent des traces d’uranium et de transuraniens (< 10 Becquerels par gramme) ». En décembre 1992 et en mars 1995, des contrôles radiologiques ont conclu qu’« il n’y avait pas de contamination observée ». Ces deux contrôles ont été effectués, non pas par des services officiels dépendants de la DAM, mais par la CRII-RAD.
Chapitre III
LE DÉMANTÈLEMENT DES ANCIENNES INSTALLATIONS ET L’ASSAINISSEMENT DES SITES VONT GÉNÉRER UNE GRANDE QUANTITÉ DE DÉCHETS POUR LESQUELS IL N’EXISTE PAS ENCORE DE FILIÈRE D’ÉVACUATION
La Direction des Applications Militaires du CEA se trouve aujourd’hui confrontée à un important problème de démantèlement d’installations et même de centres entiers qui n’ont désormais plus d’utilité.
Certaines de ces installations doivent s’arrêter parce qu’elles sont parvenues au terme de leur existence normale et que leur conservation au-delà des limites raisonnables risquerait de poser des problèmes de sûreté mais aussi des problèmes de rentabilité.
D’autres installations sont appelées à disparaître non pas tant en raison de leur obsolescence que de leur implantation géographique. Le CEA, que ses activités soient civiles ou militaires, se trouve en effet confronté à l’expansion de l’agglomération parisienne qui vient peu à peu entourer des installations qui avaient, à l’origine, été implantées en pleine campagne. Tout en annonçant que toutes les précautions sont toujours prises pour éviter une contamination de l’environnement avoisinant, les responsables du CEA reconnaissent qu’il ne serait pas raisonnable de conserver des installations nucléaires d’envergure au milieu de centres urbains.
Dans le secteur militaire du CEA, la mise à l’arrêt de certaines installations se justifie aussi par les révisions qui ont affecté la stratégie générale d’utilisation de l’arme nucléaire. Comme cela a été indiqué précédemment, la France est désormais dotée d’un arsenal nucléaire stable qui ne doit en principe plus évoluer en quantité. L’arrêt définitif des essais nucléaires fait qu’il n’y aura plus qu’à maintenir en état l’arsenal existant. Le stock de matières fissiles dont la France dispose actuellement est considéré comme suffisant, d’autant qu’il sera possible de récupérer et de réutiliser les têtes des missiles Hadès et les têtes des missiles du plateau d’Albion.
S’il faut se féliciter de voir la course au surarmement enregistrer au moins une certaine pause, ce changement de stratégie entraîne, sur le plan de la gestion des déchets nucléaires, toute une série de conséquences que la DAM se doit de prendre en compte.
Des multiples contacts que nous avons pu avoir avec les responsables de la DAM et des organismes qui étaient associés à la production des armes nucléaires, il ressort clairement qu’il existe une réelle volonté de nettoyer tous les sites et toutes les installations devenues inutiles.
Les actions de démantèlement constituent désormais un des impératifs principaux de la politique du CEA. L’expérience qui sera ainsi acquise sur des installations de petite ou de moyenne taille sera certainement très utile lorsqu’il faudra commencer à démanteler les centrales nucléaires ou certaines usines de l’amont et de l’aval du cycle nucléaire civil.
Les actions de démantèlement en cours dans les centres de la DAM concernent aussi bien des installations de recherche comme celle de Bruyères-le-Châtel, que des usines et des réacteurs de production de matières fissiles comme à Pierrelatte ou à Marcoule. Le démantèlement du Centre d’expérimentation du Pacifique fera l’objet de développements particuliers dans la seconde partie du présent rapport.
1°/ LE DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE BRUYÈRES-LE-CHÂTEL
Situé à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, le centre de Bruyères-le-Châtel, plus communément appelé B III, se retrouve aujourd’hui dans une zone urbanisée. Ce centre a constitué le coeur historique de la production d’armes nucléaires en France. C’est en effet dès 1955, sous l’autorité du Professeur Yves Rocard, qu’ont été installés les laboratoires de recherche qui devaient conduire à la mise au point des premières armes nucléaires françaises.
Ce premier centre, de ce qui devait devenir plus tard la DAM, regroupait un grand nombre d’activités de recherche assez diverses mais principalement orientées vers les technologies des matériaux nucléaires, surtout depuis la fermeture des centres de Vaujours et de Limeil.
Depuis 1996, les principales activités du centre de Bruyères-le-Châtel sont peu à peu transférées vers le centre de Valduc qui devrait à terme regrouper la recherche, la production d’armes et le traitement des matières radioactives. Ne resteront à Bruyères-le-Châtel que des laboratoires de recherche fondamentale et des bureaux administratifs.
Si, dans le passé, les installations de B III ont produit des déchets qui étaient évacués :
- soit vers l’ANDRA pour les plus faiblement actifs,
- soit vers Cadarache pour les plus contaminés,
- ou vers Valduc pour ceux qui contenaient du tritium,
il y a eu aussi une importante production de déchets très faiblement actifs, dits déchets TFA, qui restaient sur place faute d’exutoire possible. Ce centre ne devrait plus, selon ses responsables, « produire de nouveaux déchets dès que le démontage des installations déclassées sera terminé ».
Il reste en effet à se débarrasser des équipements, principalement des boîtes à gants et une fonderie, devenus inutiles, ce qui implique de multiples opérations de décontamination.
Toutefois, certains équipements resteront en place « sous cocon » au cas où il y aurait des problèmes dans une des chaînes de production ou de retraitement de Valduc. Selon toute vraisemblance, ces zones ne seront pas décontaminées mais resteront en l’état.
Comme votre rapporteur a pu le constater sur place, le démantèlement des équipements, contaminés par le plutonium ou l’uranium, est une opération longue, difficile et coûteuse qui requiert un maximum de précautions. Deux opérateurs munis de combinaisons maintenues en surpression doivent pénétrer à l’intérieur de l’enceinte et, tout d’abord, démonter manuellement les outillages qui sont soit récupérés pour être réutilisés en milieu nucléaire, soit fondus dans des installations spécialisées. Il faut ensuite décontaminer les surfaces, puis compacter et conditionner les déchets en vue de leur évacuation. Une installation spéciale dite « salle de casse » a été installée dans les locaux de B III.
Au début de 1997, il y avait en entreposage dans les installations de traitement du site de Bruyères-le-Châtel :
- 98 m3 de déchets solides destinés au centre de stockage de l’Aube de l’ANDRA et de déchets solides trop actifs pour être envoyés à l’ANDRA et qui devront être entreposés à Cadarache, qui représentent une activité de 1,5 Térabecquerel en émetteurs alpha ;
- 50 m3 d’effluents aqueux,
- 12 m3 de déchets tritiés qui seront, comme on l’a vu précédemment, faute de solution définitive, regroupés et entreposés temporairement à Valduc.
Depuis 1991, la DAM a entrepris, comme à Valduc, une opération de reconditionnement des anciens déchets qui ne correspondaient plus aux spécifications de l’ANDRA. Dans des boîtes à gants de la chaîne CD2 sont donc séparés les déchets éligibles à l’ANDRA de ceux qui seront entreposés à Cadarache, ou encore retraités à Valduc quand leur teneur en radionucléides rend cette opération intéressante.
2°/ L’ASSAINISSEMENT DU COMPLEXE DE MARCOULE
Véritable berceau du nucléaire français, le complexe de Marcoule regroupe des installations du CEA, de la COGEMA, de Melox, Phénix et même d’activités diverses comme les équipements pour les analyses médicales.
Ce centre n’est pas uniquement tourné vers des applications militaires mais on y trouvait, entre autres, les réacteurs G1, G2, G3, principalement destinés à la production de plutonium, les deux réacteurs Célestin essentiellement orientés vers la production de tritium, et l’usine UP1 qui assurait le retraitement du combustible de G1, G2 et G3 en récupérant le plutonium de qualité militaire.
Le site de Marcoule est entré dans une phase de restructuration profonde du fait de l’arrêt de la plus grande partie des activités purement militaires.
De nombreuses installations civiles subsistent (atelier de vitrification des déchets, four électrique pour fondre les déchets métalliques, station de traitement des effluents, incinérateur de déchets TFA…), des laboratoires expérimentaux se développent (Atalante pour les expériences sur les déchets, unité de recherche sur les réactifs médicaux…), l’usine Melox destinée à la fabrication du MOX est entrée en service ; mais il n’en demeure pas moins que les mutations que connaît le bassin d’emplois de Marcoule préoccupent à juste titre les travailleurs de la région, qui doutent que la garantie de l’emploi puisse être assurée à long terme.
Ayant eu l’occasion de rencontrer, au sujet de l’implantation éventuelle d’un laboratoire souterrain de l’ANDRA, les organisations syndicales et les élus concernés, j’ai à plusieurs reprises insisté auprès des autorités compétentes pour que les restructurations en cours, tout à fait nécessaires, ne conduisent pas à une perte de capacité mais à une réorientation programmée et déterminée vers d’autres activités en fonction des nouvelles donnes de l’industrie nucléaire française.
Sur le plan des activités militaires du centre de Marcoule, la situation est actuellement la suivante :
- le réacteur G1 a été mis à l’arrêt en 1968 ;
- le réacteur G2 a été fermé définitivement en 1980 et le réacteur G3 en 1984 ;
- l’usine UP1 doit cesser son activité de retraitement à la fin de 1997 ;
- seuls resteront en service les réacteurs Célestin I et II qui assurent la production de tritium pour la DAM, aucune décision n’ayant été prise à ce jour sur leur avenir.
Compte tenu de l’importance des opérations de démantèlement qui sont entreprises mais aussi compte tenu de l’imbrication des intérêts entre les trois partenaires concernés, CEA-DAM, COGEMA et EDF, le 24 mai 1996 a été constitué un GIE dénommé CODEM (COnditionnement des déchets et DEMantèlement de Marcoule). Dans ce GIE, le CEA représente 45 parts, EDF également 45 parts et la COGEMA 10 parts.
Grâce à cette structure, il y aura donc un pôle unique de décision, de contrôle et de financement qui s’exprimera, en principe d’une seule voix, face aux opérateurs chargés des travaux de démantèlement et d’assainissement. Il faut toutefois noter que l’opérateur principal est la COGEMA, qui se trouve donc être représenté également dans l’instance de décision.
La création de cette structure « ad hoc » était aussi justifiée par l’ampleur de l’opération et par son coût. On estime en effet à 37 milliards de francs, répartis sur une quarantaine d’années, le budget total de ce programme.
Pour 1997, le budget du CODEM a été de 360 millions de francs, ce qui, pour ses responsables, marque « l’engagement irréversible des trois partenaires dans ce projet ».
Comme le faisait remarquer les organisations syndicales de Marcoule, il ne reste plus désormais qu’à trouver la trentaine de milliards restants !
Pour le moment, ces crédits servent essentiellement à financer des études mais le début des opérations proprement dites devrait pouvoir avoir lieu, comme prévu, au début de 1998.
Comme on pouvait s’y attendre, la répartition des dépenses entre les trois parties concernées a donné lieu à d’âpres discussions.
EDF avait provisionné en prévision de l’arrêt des réacteurs G1, G2 et G3 qui lui fournissaient du courant. En effet, ces trois réacteurs essentiellement destinés à la production de plutonium de qualité militaire, exploités par la COGEMA, étaient aussi des réacteurs électrogènes d’une puissance non négligeable (250 Mégawatts).
Si EDF, entreprise fonctionnant sous des règles comptables commerciales, avait dès l’origine prévu le coût de l’arrêt de ces réacteurs, il n’en va pas de même pour le ministère de la Défense qui devrait assurer la moitié de la dépense. L’annualité des crédits budgétaires se prête mal, en effet, au financement d’opérations lourdes et longues de type industriel, qui nécessiteraient la constitution de provision ou au moins d’un échéancier pluriannuel précis et définitif.
En tout état de cause, le ministère de la Défense, qui était le principal bénéficiaire de l’activité de ces installations, doit payer, mais l’évolution actuelle des crédits de ce département et en particulier de ses crédits « nucléaires » qui ont diminué, en francs constants, de près de la moitié en cinq ans, risque de poser quelques problèmes.
Devant le coût, que certains qualifient de pharaonique, il est permis de se demander jusqu’à quel niveau il serait raisonnable de conduire les opérations de démantèlement.
La correspondance entre le niveau souhaitable et le niveau possible de démantèlement constitue une question délicate qui soulève, comme pour tout ce qui touche au nucléaire, des passions pas toujours justifiées. Comme l’a très bien montré Claude Birraux dans son rapport de l’Office 25(*), il existe plusieurs stratégies possibles et surtout de nombreuses zones d’ombre sur les limites souhaitables du démantèlement selon les différents types d’INB ou d’INB-S.
La France a adopté le classement en trois niveaux de démantèlement proposé par l’AIEA :
- le niveau 1 consiste à enlever les matières nucléaires, à les envoyer soit vers le retraitement soit vers les centres de stockage, puis à fermer hermétiquement le bâtiment tout en continuant cependant à contrôler la radioactivité à l’intérieur et dans l’environnement ;
- au niveau 2, on procède à la libération partielle de l’installation en enlevant tous les matériels facilement démontables et en réduisant la zone confinée au minimum ;
- le niveau 3 correspond à la libération totale et inconditionnelle du site, qui doit redevenir utilisable sans restriction, les anglophones parlant à ce propos de la théorie du green field : « le retour à la prairie ».
Dans la pratique, ces distinctions ne sont pas aussi nettes que dans les documents théoriques et on parle même parfois de niveau 1 renforcé lors de certaines opérations de démantèlement.
Il semble désormais admis que le CEA et les opérateurs qu’il emploie sont techniquement en mesure de réaliser des opérations de démantèlement jusqu’au niveau 3. C’est ainsi que six réacteurs de recherche et six laboratoires et usines du secteur civil ont été totalement démantelés, mais il s’agissait d’installations de petite taille et souvent de faible activité radioactive.
Aujourd’hui, les grandes opérations de démantèlement qui commencent à être entreprises posent des problèmes d’un tout autre ordre.
Ainsi, en 1993, le CEA indiquait pour le réacteur G1 que « le niveau 2 a été atteint à l’exception de l’exutoire et de certains filtres » et que le CEA étudiait« l’éventualité de démanteler G1 jusqu’au niveau 3″ 26(*). En 1996, le CEA indiquait toujours : « Le réacteur G1 [...] est aujourd’hui démantelé au niveau 2 à l’exception de l’exutoire de la cheminée et de certains filtres. Le CEA étudie l’éventualité de démanteler G1 jusqu’au niveau 3. » En trois ans, la situation n’avait donc guère évolué et le niveau 3 reste donc un simple objectif à atteindre dans un futur plus ou moins proche mais toujours non défini.
En réalité, doit-on dans tous les cas systématiquement tenter d’atteindre le niveau ultime de démantèlement ?
Comme le faisait remarquer M. Birraux dans son rapport précité, le démantèlement n’a pas pour but de faire disparaître la radioactivité mais simplement de la déplacer pour mieux la contrôler, et de prévenir ainsi tout danger de contamination de l’environnement et des populations proches.
A partir du moment où la radioactivité est contenue de façon sûre dans un bâtiment lui-même inclus dans une enceinte protégée et surveillée, on peut légitimement se demander s’il est bien nécessaire d’entreprendre des opérations coûteuses et risquées pour les personnels chargés de les conduire, dans le seul but de transférer la radioactivité résiduelle dans un centre de stockage.
En ce qui concerne les centrales, il apparaît effectivement raisonnable d’attendre, pour engager les dernières phases du démantèlement, que la décroissance naturelle de la radioactivité rende ces opérations moins dangereuses. Un démantèlement ne constitue jamais, en effet, une opération anodine et sans risque.
Le CEA a choisi, à juste titre, de démanteler totalement, sans attendre, les installations qui risquent de se détériorer ou qui contiennent des éléments à vie très longue pour lesquelles la décroissance naturelle de la radioactivité ne serait obtenue que beaucoup trop tard par rapport à la résistance des bâtiments.
Sur le site de Marcoule, il n’est toutefois envisagé de démanteler les anciennes installations du secteur militaire que jusqu’à un niveau 2 pour les placer en état de sûreté passive qui ne nécessitera plus qu’une surveillance réduite, le niveau 3 restant un objectif toujours possible mais non urgent.
On peut comprendre, pour une ancienne centrale isolée comme celle de Brennilis, que les populations se prononcent pour un démantèlement accéléré jusqu’au niveau 3. En revanche, dans le cas d’installations situées sur un site qui restera consacré aux activités nucléaires, et donc surveillé, un démantèlement total accéléré ne devra être envisagé que si des considérations techniques impératives l’imposent.
Tant que la vocation nucléaire du site de Marcoule ne sera pas remise en cause, les opérations de démantèlement doivent avoir essentiellement pour objectif d’assurer une sécurité maximum sans chercher à atteindre la perfection.
Cette position raisonnable est d’autant plus justifiée que bien des problèmes, en aval du démantèlement, restent à résoudre en particulier pour l’évacuation de certains déchets.
La volonté de maintenir, grâce au démantèlement, un certain volant d’activité sur les centres est certes louable mais elle ne doit pas conduire à engager des opérations complexes sans s’être auparavant assuré la maîtrise de la gestion des déchets qu’elles produisent. Les sites du CEA ne doivent pas se transformer subrepticement en centre d’entreposage à long terme de déchets pour lesquels on n’a pas encore trouvé de solution définitive.
C/ L’arrêt de l’usine UP1 et des installations associées et le programme MAD
Le site de Marcoule avait initialement été créé pour assurer l’approvisionnement de notre défense en plutonium de qualité militaire.
Dans ce but avaient été construits trois réacteurs G1, G2 et G3, à uranium naturel, modérés au graphite et refroidis au gaz (UNGG). Afin de retraiter le combustible extrait de ces réacteurs, l’usine UP1 a été mise en service en 1958 et a produit son premier gramme de plutonium le 21 juillet 1958. Cette usine de retraitement n’avait toutefois pas qu’une utilité purement militaire puisqu’elle a dû, à partir de 1970, retraiter aussi les combustibles provenant de réacteurs de la filière civile UNGG.
En 1975, les installations de production de combustible nucléaire qui relevaient initialement du CEA ont été transférées par simple décret (décret n° 75-1250 du 29 septembre 1975) à la COGEMA.
Les besoins en plutonium de la Défense nationale étant désormais satisfaits, l’arrêt de l’usine UP1 et de toutes les installations de la COGEMA nécessaires au retraitement a été programmé pour la fin de l’année 1997. La fermeture d’UP1 était d’autant plus inéluctable que ses activités civiles avaient elles aussi disparu avec l’arrêt, en 1994, de la dernière centrale UNGG française et l’incendie de la centrale espagnole de Vandellos qui appartenait à la même filière et dont les combustibles étaient également retraités à Marcoule.
En plus de la fermeture déjà effective des trois réacteurs G1, G2 et G3, c’est donc tout un ensemble complexe d’installations qu’il va falloir désormais « assainir » sur le site de Marcoule. Pour se faire une idée de l’ampleur de la tâche à réaliser, voici la liste des installations concernées par des opérations de démantèlement ou d’assainissement telle qu’elle est présentée par la CEA :
«- Les ateliers de production qui regroupent six ensembles :
. installation de « dégainage G1″ utilisée pour le dégainage et le stockage du magnésium des premiers combustibles du réacteur G1, elle a ensuite servi à l’entreposage des paniers de dissolution des combustibles G1, G2, G3 ;
. l’atelier « dégainage » dont les fonctions comprennent la réception, l’entreposage et la préparation de dissolution des combustibles irradiés, le traitement et la réexpédition des emballages de transport externes, le stockage des déchets de structure des combustibles et des déchets de traitement des eaux ;
. l’installation « MAR 400″ dont les fonctions, identiques à celles de l’atelier « dégainage », sont utilisées pour les combustibles à retraiter issus de la filière UNGG ;
. « l’usine UP1″ utilisée pour la dissolution des combustibles, la séparation des éléments U, Pu, produits de fission et actinides des combustibles et leur transformation en nitrate d’uranyle, en oxyde de plutonium ou plutonium métallique et en solution nitrique concentrée de produits de fission et d’actinides ;
. l’installation « stockages liquides des produits de fission » regroupe les cuves contenant les solutions nitriques concentrées de produits de fission et leurs équipements divers ;
. l’Atelier de Vitrification et d’entreposage des verres (AVM) où est mis en oeuvre le procédé de vitrification des solutions ; les verres obtenus étant entreposés dans des fosses en béton ventilées.
Les ateliers de production avec leurs équipements annexes sont constitués d’une soixantaine de bâtiments et ouvrages de tailles diverses.
- Les ateliers dits de supports qui sont composés de cinq installations :
. la Station de Traitement des Effluents Liquides (STEL) gère l’ensemble des effluents liquides produits sur le site ;
. l’Atelier de Conditionnement et d’entreposage des Déchets Solides (CDS) collecte, contrôle, conditionne et entrepose et/ou expédie à l’ANDRA l’ensemble des déchets solides produits à Marcoule ;
. l’Atelier de Décontamination du Matériel (ADM) est utilisé pour la collecte et le traitement du matériel contaminé de l’établissement ;
. l’Atelier de Décontamination du Linge (ADL) traite les vêtements de l’ensemble du personnel ;
. le laboratoire de contrôle, chimie analytique des procédés et d’assistance en chimie industrielle est utilisé pour les activités des 2 unités de retraitement du site (l’usine UP1 de COGEMA et l’Atelier Pilote de Marcoule du CEA/VALRHO).
Les ateliers supports avec l’ensemble de leurs équipements regroupent une quarantaine d’ouvrages et bâtiments du site.»
La maîtrise du programme de mise à l’arrêt définitif de l’usine UP1 et des installations qui y sont associées (programme MAD) a été confiée au CODEM qui assurera donc la coordination de l’ensemble des opérations et des moyens de financement. Le CODEM devra en particulier approuver les stratégies proposées par la COGEMA qui sera le principal opérateur, passer les marchés et obtenir les financements nécessaires.
Après l’arrêt de l’usine, prévu pour la fin de 1997, il faudra tout d’abord procéder au rinçage des circuits et des équipements. La COGEMA a souhaité que cette phase du programme soit entreprise immédiatement avec l’ancien personnel de l’usine qui aura gardé la mémoire du fonctionnement de l’installation. Cette solution aura également l’avantage d’assurer un emploi aux travailleurs que la fermeture d’UP1 va libérer et qu’il aurait fallu, sans cela, reclasser dans d’autres fonctions.
Une fois les rinçages terminés, si tout se déroule comme prévu, les opérations de mise à l’arrêt proprement dites pourront commencer. Elles seront suivies d’une période de « surveillance active » pendant laquelle pourra commencer le programme de démantèlement (programme DEM) jusqu’au niveau 2. Il sera alors possible de passer à une situation de « surveillance passive ». Un démantèlement au niveau 3 n’est pas à ce jour programmé, ni même encore envisagé.
Bien entendu, chacune des phases de ces programmes fera l’objet d’un rapport de sûreté et devra être autorisée par les autorités compétentes. A l’issue du démantèlement au niveau 2, vers 2029, les installations concernées devraient passer du statut d’installations nucléaires de base (INB) au statut de simples installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Quel jugement peut-on porter, à l’heure actuelle, sur l’ensemble de ces programmes de démantèlement ?
Il faut tout d’abord réaffirmer que ces opérations de démantèlement étaient nécessaires ; il n’était pas question, en effet, de laisser des installations inutiles mais potentiellement dangereuses en l’état avec le risque de voir leurs protections se dégrader au fil des années. Sur ce dossier, comme sur celui des déchets, il ne serait en effet pas admissible de transmettre aux générations futures des problèmes que nous sommes en état de régler, même si ce n’est que partiellement, dès à présent.
Il ne s’agit certainement pas, comme l’affirme un peu vite le CEA, de remettre les sites dans un état aussi proche que possible de leur état initial, ce qui correspondrait au niveau 3 de démantèlement, mais plus simplement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que ces installations ne présentent plus de dangers dès lors qu’elles continuent à être incluses dans un périmètre nucléaire étroitement surveillé.
Le démantèlement au niveau 3 est techniquement possible, le CEA a déjà procédé à plusieurs opérations de ce type mais il s’agissait soit de très petites installations (réacteurs de recherche et maquettes), soit d’installations très contaminées par du plutonium pour lesquelles l’attente n’aurait pas permis d’obtenir une décroissance significative de la radioactivité.
Le CEA a également acquis une certaine expérience des grandes opérations de démantèlement jusqu’au niveau 2 (réacteurs Rapsodie de Cadarache, réacteurs G1, G2, G3 de Marcoule). Ce savoir-faire permet de penser que ces futurs démantèlements se dérouleront dans de bonnes conditions bien qu’on ne soit jamais à l’abri d’un accident, comme cela a été le cas en 1994 où une explosion de sodium dans la cuve de l’ancien réacteur Rapsodie a entraîné la mort d’un travailleur et une longue suspension des travaux.
Dans son dernier rapport 27(*), la Direction de la sûreté des installations nucléaires qui, il faut le rappeler, n’a pas compétence dans le secteur militaire, soulignait, à propos des démantèlements d’installations civiles, que « la taille des chantiers de démantèlement et le type de travaux à mettre en oeuvre, essentiellement de déconstruction, conduisent les exploitants nucléaires à faire appel à la sous-traitance à des entreprises extérieures. L’Autorité de sûreté reste attentive à ce que cette organisation, qui peut conduire à une spécialisation bénéfique des acteurs, n’entraîne pas cependant une déresponsabilisation des exploitants nucléaires qui en dernier ressort restent seuls comptables du bon déroulement des travaux. »
Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention aux responsables de l’assainissement de Marcoule mais simplement de rappeler que l’ampleur des travaux à effectuer ne doit en aucun cas conduire à faire appel à des entreprises peu qualifiées pour ce type de travail ou à des personnels insuffisamment formés. Toutes les opérations qui peuvent présenter un risque pour les populations ou pour les travailleurs concernés doivent être confiées à des techniciens ayant une expérience confirmée du travail en milieu radioactif.
3/ LA GESTION DES DÉCHETS PROVENANT DE L’EXPLOITATION ET DU DÉMANTÈLEMENT DES INSTALLATIONS DE MARCOULE
Comme le rappelait fort justement l’inventaire national des déchets radioactifs établi en 1997 par l’ANDRA : « Plus de 90 % de la radioactivité répertoriée sur le territoire français est concentrée sur les deux seuls sites de La Hague et de Marcoule. »
De fait, la lecture des trois pages de cet inventaire consacrées au site de Marcoule laisse quelque peu perplexe et conduit à se demander si le site de Marcoule ne s’est pas, peu à peu, transformé en centre de stockage de déchets radioactifs.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous inquiéter d’une éventuelle dérive de la vocation de certains centres du CEA. La Direction de la sûreté des installations nucléaires, dans son rapport pour l’année 1996, notait à propos des « solutions d’attente » que le CEA a été contraint de mettre en oeuvre pour entreposer temporairement les déchets pour lesquels il n’existe à l’heure actuelle aucune solution : « De telles opérations présentent néanmoins un risque, que la DSIN s’attache à éviter : que ces solutions provisoires se transforment par passivité en solutions définitives. »
Tous les déchets entreposés à Marcoule ne proviennent pas d’activités liées à la force de dissuasion française, et la répartition entre les déchets provenant des activités « civiles » et ceux qui ont été produits dans le cadre des programmes militaires est pratiquement impossible à faire. De nombreuses installations ont, en effet, été utilisées conjointement pour la production d’électricité et pour la fourniture du plutonium, de l’uranium et du tritium destinés à la fabrication des armes. Le Haut Commissaire s’attache d’ailleurs à ce que tous les déchets d’origine civile rejoignent les installations civiles régies par la DSIN.
Si la gestion des déchets d’ores et déjà entreposés sur le site de Marcoule pose des problèmes, les opérations de démantèlement en cours ou à venir risquent de venir encore aggraver la situation car, comme le note la DSIN dans son rapport d’activité pour 1996 : « Le démantèlement des installations nucléaires est à l’origine d’une quantité importante de déchets sans commune mesure avec les quantités produites en exploitation. »
Les trois réacteurs G1, G2 et G3, essentiellement destinés à la production de plutonium de qualité militaire mais qui fournissaient également du courant à EDF, sont donc aujourd’hui totalement arrêtés et démantelés jusqu’au niveau 2.
Le démantèlement de ces installations n’a, à notre connaissance, pas posé de problèmes particuliers, aucun incident n’ayant été signalé pendant la durée des travaux.
Il reste toutefois maintenant à gérer les déchets qui ont été générés par le fonctionnement de ces réacteurs et les déchets qui résultent de leur démantèlement et, devant l’ampleur de la tâche, on peut légitimement se demander si ce n’est pas après le démantèlement de niveau 3 que commenceront à se poser les véritables problèmes.
Les déchets provenant du retraitement des combustibles irradiés sont de loin les plus difficiles à gérer car la radioactivité qu’ils contiennent est considérable et ne décroîtra que très lentement.
Ces déchets sont essentiellement constitués de produits de fission issus de la fragmentation des noyaux d’uranium et de plutonium pendant la durée de fonctionnement des réacteurs. Ils représentent 99,8 % de la radioactivité contenue dans la masse du combustible, mais seulement 3 % de cette même masse.
Après le retraitement, ils se présentent sous la forme d’une solution acide qu’il faut entreposer dans des cuves spécialement conçues. Comme il est impossible de conserver très longtemps des déchets à haute activité sous forme liquide, on procède à leur vitrification selon les mêmes techniques qui sont utilisées à l’usine de la COGEMA de La Hague.
Comme ces déchets n’ont, à l’heure actuelle, aucun stockage définitif possible, ils restent entreposés « provisoirement » dans des puits ventilés à l’intérieur même de l’atelier de vitrification (AVM).
A l’heure actuelle, les puits de l’installation AVM contiennent :
- 2 557 conteneurs de verres,
- 114 conteneurs de déchets technologiques,
- 172 m3 de produits de fission en solution.
La radioactivité contenue dans cet entreposage est de :
- 24 Pétabecquerels en émetteurs alpha,
- 5,8 Exabecquerels en émetteurs bêta et gamma.
Afin de bien évaluer l’importance de cette radioactivité, il faut rappeler que :
- le Pétabecquerel représente 1015 Becquerels,
- et l’Exabecquerel 1018 Becquerels.
Bien entendu, tous ces déchets ne sont pas d’origine militaire car l’usine de retraitement UP1 retraitait, outre les combustibles provenant de G1, G2 et G3, des combustibles extraits de réacteurs de la filière UNGG, des combustibles de provenances diverses (réacteurs Célestin, surgénérateurs Phénix…) et même, selon certaines sources, quelques combustibles d’origine étrangère.
Que deviendraient, à terme, ces déchets de très haute activité entreposés « provisoirement » dans un atelier qui ne doit en aucun cas devenir un centre de stockage définitif, d’autant plus que cet établissement doit fermer définitivement en 2001 ?
Leur sort est intimement lié à l’aboutissement des recherches prévues dans la loi du 30 décembre 1991.
Si un stockage en couches géologiques profondes ou en surface doit être un jour réalisé, ces déchets pourraient être confiés à l’ANDRA. Se poserait d’ailleurs alors un problème de facturation car on ne sait pas quel critère, le m3 ou l’activité, pourrait être retenu pour ces déchets relativement peu volumineux mais de très haute et de très longue activité.
Le graphite qui servait à modérer ces réacteurs constitue également un déchet. L’inventaire de l’ANDRA, comme le montre le tableau ci-après, indique que sont actuellement entreposées, toujours « provisoirement », 3 600 tonnes de graphite des réacteurs G1, G2 et G3, ce qui représente une activité totale estimée à 900 Térabecquerels.
De son côté, EDF aurait, dans ses anciennes centrales UNGG, un stock de 20 000 tonnes de graphite contaminé. Il serait donc rationnel de rechercher une solution globale pour l’ensemble du stock de graphite contaminé en France. Des expériences sont en cours pour procéder à son incinération, ce qui réduirait les volumes des cendres à envoyer en stockage définitif en surface ou en souterrain. Toutefois, comme ce graphite contient beaucoup de tritium, il faudrait auparavant résoudre le problème des rejets gazeux dans l’atmosphère.
Le graphite, qu’il soit resté dans les bâtiments des réacteurs ou qu’il ait été entreposé, doit être répertorié en tant que déchet comme le fait d’ailleurs l’inventaire de l’ANDRA, en contradiction sur ce point avec des documents du CEA-DAM qui annonce 800 tonnes de graphite seulement dans l’inventaire des déchets de Marcoule en ne prenant pas en compte les empilements laissés, pour le moment, dans les réacteurs.
La DSIN et l’autorité de sûreté des INB-S, conscientes du problème posé par les graphites, examinent actuellement des solutions de stockage au sein d’un groupe de travail.
Les ferrailles : le démantèlement des trois réacteurs G1, G2 et G3 a généré d’importantes quantités de ferrailles. Pour les traiter, le CEA a installé à proximité des anciennes installations un four électrique dont l’exploitation a commencé en 1992. Ce four a également été employé pour traiter des déchets métalliques provenant d’autres centres du CEA et en particulier de Saclay.
Selon l’inventaire de l’ANDRA, seraient actuellement entreposés à Marcoule les déchets métalliques suivants en provenance des anciens réacteurs :
- 4 060 tonnes de lingots et blocs de fonte,
- 1 062 tonnes de fonte en conteneurs,
- 549 tonnes de crasses de fusion en fûts ou en blocs,
- 4 tonnes de poussières de fusion.
Les lingots et blocs de fonte provenant de la fusion sont entreposés en surface quand ils ne contiennent que des émetteurs alpha, mais certains déchets métalliques plus irradiants contenant des émetteurs bêta et gamma ont été conditionnés dans des conteneurs et entreposés dans des puits en attente d’un éventuel stockage profond.
En plus de ces déchets métalliques déjà traités, il reste aussi des déchets métalliques en l’état, dont 2 900 tonnes d’aciers activés, sans qu’on puisse savoir exactement s’ils sont ou non en attente de fusion. Le CEA a en effet l’intention de transférer ses activités de fusion des métaux contaminés à la société SOCODEI, qui installe un four à l’entrée du site de Marcoule. Cette installation, dénommée CENTRACO, destinée à traiter les déchets faiblement radioactifs par fusion ou incinération, a été cofinancée par COGEMA et EDF.
Ce rapide inventaire des déchets en provenance des seuls réacteurs G1, G2, G3, montre que le problème du démantèlement ne s’arrête pas avec la déconstruction des anciennes installations. Bien que le démantèlement ne soit jamais en lui-même une opération anodine, on peut considérer que les véritables difficultés commencent avec la fin des travaux.
Que va-t-on faire en effet des déchets pour lesquels il n’existe pas à l’heure actuelle de solution de stockage définitif, soit que leur activité soit trop élevée pour le stockage en surface, soit au contraire que leur contamination soit trop faible pour faire l’objet d’un stockage encombrant et coûteux dans le centre de l’ANDRA ?
En l’absence de solution pour les déchets A et B et pour les déchets très faiblement radioactifs, le site de Marcoule se transforme peu à peu en centre de stockage de déchets, ce qui n’était pas dans sa vocation initiale, et la situation va encore empirer avec le démantèlement d’UP1, de ses installations satellites et des réacteurs Célestin.
Consciente du fait que, depuis quarante ans, les déchets générés par les activités civiles ou militaires du centre de Marcoule n’avaient peut-être pas été toujours été gérés selon les règles actuellement en vigueur, la COGEMA a mis en oeuvre un programme de reprise et de conditionnement des déchets, le programme RCD.
Il s’agit, dans le cadre de ce programme, de reprendre des déchets anciens, de les trier, éventuellement de les traiter et enfin de les reconditionner. A l’issue de ces opérations, les déchets doivent être soit évacués sur le centre de stockage en surface de l’ANDRA soit, faute d’autre solution, remis en entreposage temporaire sur le site même de Marcoule.
Une grande partie de ces déchets anciens qui étaient jusqu’ici entreposés dans l’Atelier de Conditionnement et d’entreposage des Déchets Solides (CDS) va donc y retourner en attendant de leur trouver une destination finale.
Dans les casemates et les fosses du CDS ou dans celles de la Station de Traitement des Effluents liquides, on dénombrait ainsi :
- 59 829 fûts d’enrobés bitumineux de moyenne activité,
- 1 200 m3 de déchets technologiques alpha (contenant environ 46 kg de plutonium),
- 3 400 m3 de déchets bêta.
Il s’agit, soit de déchets « de procédé » provenant de l’exploitation des réacteurs et de l’usine UP1, soit de déchets « technologiques » résultant d’opérations de maintenance.
Après traitement, les déchets les moins actifs (catégorie A) sont envoyés au centre de stockage de surface de l’ANDRA. Ainsi, en 1996, le secteur « Armées » de Marcoule a envoyé à l’ANDRA 240 colis de déchets représentant 1 037 m3.
Il n’en demeure pas moins que la quantité de déchets « en attente » sur le site de Marcoule reste considérable. Si ces déchets n’ont pas été envoyés à l’ANDRA, c’est parce qu’ils ne remplissaient pas les conditions draconiennes posées par cet organisme pour accepter des colis qui, il faut le rappeler, doivent pouvoir être stockés en surface et pour une durée de quelques siècles seulement. Une partie d’entre eux vont donc être triés et reconditionnés ; une installation spéciale, l’enceinte pilote de reprise des fûts bitumés, a d’ailleurs été conçue pour procéder à ces opérations.
Pour mener à bien le programme RCD, la construction de deux bâtiments nouveaux est envisagée :
- l’un destiné au traitement et au conditionnement des déchets (TCD),
- le second pour l’entreposage intermédiaire polyvalent (EIP).
A l’occasion de cette reprise des déchets anciens, il serait parfois intéressant de concentrer la radioactivité et de faire passer certains déchets de la catégorie B à la catégorie A. Cette solution permettrait de réduire considérablement les volumes et assurerait une meilleure sûreté des stockages, les verres étant beaucoup plus faciles et beaucoup plus sûrs à stocker que les colis bitumés à partir du moment, toutefois, où l’on disposera d’une solution pour le stockage définitif ou la transmutation des déchets à haute activité, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
En l’absence de solution définitive, comme le note la DSIN 28(*) : « Les différents producteurs doivent gérer l’héritage du passé et les « erreurs » perpétrées faute d’exutoire, il s’agit notamment du travail de reprise et de conditionnement de déchets anciens, déchets mal identifiés, mal conditionnés, entreposés dans des conditions peu satisfaisantes au regard des normes actuelles…. »
La DSIN n’a pas, il faut le rappeler, compétence pour tout ce qui concerne la défense nationale mais, dans le cas de Marcoule où les activités militaires et civiles sont étroitement imbriquées, c’est à juste titre que cet organisme a demandé au CEA de faire le point, dans le cadre de son plan d’assainissement, sur tous les équipements et toutes les installations de traitement et d’entreposage des déchets car « un certain nombre de ces installations sont anciennes et nécessitent une mise à niveau au plan de la sûreté ».
Votre rapporteur, après avoir visité l’Atelier de Conditionnement et d’entreposage des Déchets Solides, le CDS, estime que l’entreposage actuel dans de simples fûts, dont quelques-uns sont en mauvais état ou dans des fosses situées à l’extérieur, ne correspond plus à nos conceptions actuelles de la sûreté mais aussi de la sécurité des installations nucléaires. Le programme d’assainissement du site de Marcoule est donc une priorité et ne doit, en aucun cas, être ralenti quelles que soient les difficultés budgétaires du CEA ou les controverses sur la répartition des charges financières entre la Défense nationale, le CEA et la COGEMA.
Comme on vient de le voir, le démantèlement des installations destinées à répondre aux besoins de la Défense nationale va entraîner la production d’une masse importante de déchets qui peuvent se répartir en quatre catégories.
Il y a tout d’abord les déchets C, à haute activité et à vie très longue, qui se présentent dans la majeure partie des cas sous une forme vitrifiée. Ces déchets, bien identifiés et bien contrôlés, sont pour le moment entreposés sur les sites de production dans l’attente d’une solution actuellement recherchée dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991.
Viennent ensuite les déchets B d’activité moyenne mais contenant des éléments à vie longue, et notamment des émetteurs alpha, ce qui leur interdit l’accès au centre de stockage en surface de l’ANDRA. Ces déchets, le plus souvent conditionnés en fûts bitumés, sont en général bien identifiés mais, dans quelques cas, leur conditionnement s’est détérioré au fil des années et devra être repris. La destination finale des déchets de moyenne activité à vie longue fait également l’objet de recherches dans la cadre de la loi de 1991.
Pour les déchets A, de faible et moyenne activité à vie courte, il n’y a en revanche pas de problème, car ils peuvent être admis au centre de stockage en surface dès lors qu’ils répondent aux normes très strictes fixées par l’ANDRA, ce qui impose parfois, pour les plus anciens, un nouveau tri et un reconditionnement.
Malgré les clarifications apportées par la loi de 1991 et par l’ouverture du centre de stockage en surface de l’Aube, il reste trois catégories de déchets pour lesquelles aucune solution n’est, à l’heure actuelle, définitivement arrêtée.
Il s’agit tout d’abord de déchets souvent de faible activité, mais contenant soit du radium soit du tritium, et donc susceptibles de dégazer. La conception du centre de stockage de l’Aube, entièrement cerné de galeries de surveillance souterraines, interdit en effet d’y placer des déchets produisant des gaz qui pourraient envahir ces galeries et présenter un danger pour les travailleurs appelés à y circuler.
Restent enfin les déchets de très faible activité, dits déchets TFA, provenant essentiellement du démantèlement de réacteurs et d’installations nucléaires diverses, qui ne présentent qu’un taux d’activité de quelques Becquerels par gramme mais qui sont cependant suffisamment radioactifs pour ne pas être envoyés dans les décharges ordinaires.
Si la distinction entre les différentes catégories de déchets A, B et C telle qu’elle est présentée ci-dessus est relativement claire, il est beaucoup plus difficile de tracer une frontière précise entre les déchets A et les déchets considérés comme non radioactifs et qui peuvent donc être banalisés. Il faut tout d’abord se souvenir que la radioactivité est présente dans tous les éléments existant sur notre terre et qu’il ne peut donc pas, par voie de conséquence, exister de déchets de radioactivité nulle. Un kilo de granite ordinaire peut en effet avoir une activité de 200 Becquerels au kilo et l’eau de mer de 13 Becquerels par litre.
Comme le notait déjà Jean-Yves Le Déaut dans un rapport de l’Office publié en 1992 29(*), la réglementation sur ce sujet est mal adaptée, incertaine et parfois même contradictoire. En 1994, le responsable des déchets à la DSIN était encore plus catégorique et relevait que la gestion des déchets TFA était « révélatrice d’un certain nombre d’insuffisances : insuffisance de stratégie clairement formalisée et identifiée, insuffisances réglementaires, insuffisances de procédures, insuffisance de rigueur ». 30(*)
Depuis lors, aucun progrès notable n’a été enregistré dans ce domaine, un groupe de travail de la DSIN y réfléchit mais rien de tangible n’est pour le moment sorti de ces réflexions.
Si la recherche d’un exutoire pour les déchets TFA ne semble pas être considérée comme une priorité, c’est qu’ils n’ont posé jusqu’ici aucun problème véritablement crucial, les exploitants se contentant de les laisser en attente sur les sites, à proximité des installations démantelées.
Il n’en sera certainement pas de même dans les années à venir. En effet, selon les prévisions de l’ANDRA, les volumes attendus de déchets de toutes catégories devraient être les suivantes :
Volumes attendus | Activité (en Térabecquerels) | ||
d’ici 2020 (en m3) | et | ||
Haute activité à vie longue
|
6 000
|
5 000 000
|
1 000 000 000
|
Moyenne activité à vie longue
|
90 000
|
500 000
|
17 000 000
|
Faible et moyenne activité à vie courte
|
500 000
|
250
|
30 000
|
Très faible activité
|
250 000
|
3 |
Il s’agit là de tous les déchets nucléaires, civils et militaires confondus, mais l’exemple du démantèlement des installations travaillant pour la Défense nationale à Marcoule, qui est en avance sur le démantèlement des installations destinées à la production d’électricité, montre bien que, très rapidement, on ne pourra plus se contenter des solutions provisoires en vigueur jusqu’à maintenant.
A l’heure actuelle sont déjà entreposés sur le site de Marcoule les déchets TFA suivants :
- 4 000 tonnes de fonte en lingots (dont 100 % Défense)
- 13 000 tonnes de fonte et d’acier (dont 40 % Défense)
- 4 300 tonnes de plomb (dont 40 % Défense)
- 2 600 tonnes de béton (dont 40 % Défense)
- 11 800 tonnes de déchets divers (dont 40 % Défense)
- 15 000 tonnes de gravats (dont 40 % Défense).
La répartition entre les déchets provenant des activités civiles et ceux produits par les activités liées à la Défense nationale ne résulte que d’estimations grossières, les déchets perdant, quand il s’agit de les gérer, leur identité d’origine.
Sans vouloir anticiper sur les conclusions du groupe de travail des experts de la DSIN, il convient de rappeler un certain nombre de principes sur lesquels j’estime qu’il ne serait pas souhaitable de revenir.
Les responsables des installations à démanteler, mais aussi certaines instances internationales, envisagent de fixer un seuil en deçà duquel un déchet provenant d’un site nucléaire ne serait pas considéré comme radioactif et pourrait donc être géré comme n’importe quel autre déchet. Bien que l’idée d’un seuil de banalisation ou de libération, comme le prévoit la Directive Euratom du 13 mai 1986 pour les déchets dont l’activité se rapproche de la radioactivité naturelle, puisse apparaître comme théoriquement séduisante, il convient de s’y opposer pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, quelques exemples récents nous montrent que le contrôle en continu d’une masse importante de déchets hétérogènes est très difficile à réaliser et que des intermédiaires peu scrupuleux peuvent profiter de cette difficulté technique pour envoyer dans des décharges ordinaires des déchets contenant des points chauds.
L’affaire de la société Radiacontrôle, révélée en 1993 par la CRII-RAD et jugée en 1996 31(*), montre qu’il ne s’agit pas d’un risque purement théorique et que des opérations de traitement de déchets confiées à des sociétés négligeantes ou malhonnêtes peuvent donner lieu à des fraudes regrettables.
En second lieu, l’existence d’un seuil de banalisation des déchets, comme le soulignait le directeur général de l’ANDRA, M. Yves Kaluzny, « pourrait conduire à des pratiques de dilution des déchets de façon à se placer au-dessous du seuil fatidique » 32(*). Il suffit en effet de mélanger une faible quantité de déchets fortement contaminés avec une grande masse de produits neutres pour obtenir une activité massique moyenne au-dessous de ce seuil. Ce risque de « dilution » de la radioactivité n’est pas non plus théorique car cette pratique avait été envisagée notamment pour l’évacuation des déchets de l’usine Rhône-Poulenc de La Rochelle, ceux-ci devant être mélangés à des résidus miniers des anciennes installations de l’Ecarpière.
Enfin, devant le peu de garanties qu’on pourrait leur apporter, il faudrait s’attendre à une vive réaction des populations concernées qui apprendraient, et on peut compter sur certaines associations pour les en informer, qu’une décharge prévue à l’origine pour accueillir des déchets ordinaires reçoit des déchets radioactifs pas toujours bien identifiés et contrôlés.
Dans l’état actuel de nos connaissances techniques et compte tenu de la sensibilité particulière d’une partie de la population à ces problèmes, il convient donc que les déchets, même très faiblement radioactifs, soient stockés définitivement dans des installations où ils pourront être soumis à une gestion spécifique, ce qui permettrait d’obtenir une traçabilité totale de leur origine à leur destination finale.
Pour cela, il faudrait mettre en place :
- des centres de stockage « dédiés » s’inspirant des décharges industrielles de classe 1 mais adaptés au stockage ou de déchets TFA ou de déchets tritiés ou encore de déchets radifères. Ces centres de stockage devraient être placés sous la responsabilité exclusive de l’ANDRA et soumis à la réglementation des INB ;
- des filières adaptées pour le recyclage de certains éléments TFA et notamment de certaines ferrailles, à la condition expresse que le produit de ces recyclages ne puisse être réemployé qu’à l’intérieur d’un site nucléaire classé en INB.
Dans bien des cas, ces précautions se révéleront sans doute inutiles ou superflues mais la réglementation doit être élaborée, dans un secteur aussi sensible, non pas en fonction des situations normales mais en tenant compte des erreurs et des dérives toujours possibles.
Les opérations d’assainissement des anciennes installations de Marcoule pourraient constituer, pour tout ce qui concerne la gestion des déchets TFA, une expérience intéressante à condition qu’il soit décidé dès à présent :
- de faire une évaluation précise des quantités et des différentes catégories de déchets TFA qui résulteront des opérations de démantèlement,
- de présenter une étude technico-économique des solutions envisagées pour le stockage définitif de ces déchets,
- de prévoir les modifications réglementaires nécessaires pour le mise en place des solutions retenues.
Faute d’un tel programme et en l’absence de tout exutoire réglementairement ou socialement possible, on continuera à utiliser le site de Marcoule comme centre d’entreposage plus ou moins provisoire de déchets, les solutions transitoires risquant bien souvent de se transformer, par passivité, en solution définitive ainsi que le redoutait le directeur de la DSIN dans son dernier rapport d’activité.
Une fois de plus, le problème crucial sera celui de la localisation de la ou des futures décharges de TFA, il est à parier en effet que certains des écologistes qui acceptent aujourd’hui l’idée de la création de stockages pour les déchets de très faible activité prendront la tête de la contestation dès que l’emplacement d’un site sera annoncé.
Dans cette affaire, comme dans tous les dossiers qui concernent les déchets radioactifs, c’est aux responsables politiques d’exprimer clairement leur volonté de trouver dès maintenant des solutions raisonnables et de ne pas laisser aux générations futures le soin de gérer les problèmes que nous avons créés.
4°/ L’ASSAINISSEMENT DE L’ETABLISSEMENT DE PIERRELATTE
L’uranium extrait des mines est un mélange de plusieurs isotopes dont les principaux, l’uranium 238 et l’uranium 235, se trouvent en général dans les proportions de 99,3 % pour le premier et de 0,7 % pour le second. Or la Défense nationale, comme les activités nucléaires civiles d’ailleurs, ne sont intéressées que par l’uranium 235.
Il faut donc procéder à l’enrichissement de l’uranium naturel en le séparant en deux fractions, l’une très enrichie en uranium 235 et l’autre appauvrie en uranium 235 mais riche en uranium 238.
Le procédé d’enrichissement par diffusion gazeuse utilisé jusqu’à maintenant en France consiste à faire passer un composé sous forme gazeuse d’uranium naturel, l’hexaflorure d’uranium, à travers une succession de barrières poreuses qui vont peu à peu séparer les deux isotopes, chaque barrière laissant passer un peu plus d’uranium 235 que d’uranium 238.
Pour obtenir l’uranium fortement enrichi dont avait besoin la Défense nationale, on a créé en 1958 l’Etablissement de Pierrelatte, transféré en 1976 à la COGEMA et situé à côté de l’usine Eurodif, qui assure l’enrichissement de l’uranium destiné aux centrales nucléaires.
L’arrêt en 1996 de la production d’uranium hautement enrichi destiné à la Défense nationale a immanquablement entraîné la fermeture de l’Etablissement de Pierrelatte. Le 26 mai 1997, un protocole d’accord a été signé entre l’Administrateur général du CEA et le Président-directeur général de la COGEMA pour fixer les modalités de cette fermeture.
Ce protocole définit notamment « les principes généraux devant régir l’organisation du programme de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement des quatre usines d’enrichissement militaire du site de Pierrelatte, ainsi que de leurs installations associées.
Les principes définis dans ce protocole doivent permettre de réaliser le démantèlement des installations correspondantes dans les meilleures conditions de sécurité, de coût et de délai, tout en utilisant au mieux les moyens et les compétences du personnel de COGEMA.
Dans ce cadre, le CEA, propriétaire des installations et agissant pour le compte du ministère de la Défense, assure la maîtrise d’ouvrage du programme. Il contrôle à ce titre la réalisation confiée au maître d’oeuvre, de façon à s’assurer du respect des objectifs contractuels de performance, coût et délai. COGEMA, exploitant nucléaire du site de Pierrelatte, en est le maître d’oeuvre et assure, à ce titre, la gestion et la conduite du programme. COGEMA sera également le fournisseur principal dans la réalisation du programme. »
Il faut noter que, dans les années 1980, trois autres usines (basse, moyenne et très haute, appartenant au même ensemble) avaient déjà été fermées et se trouvent aujourd’hui dans la situation de « mise à l’arrêt définitif ».
L’usine haute, la dernière usine d’enrichissement d’uranium à des fins militaires, est aujourd’hui également arrêtée, les opérations de mise à l’arrêt définitif et de récupération des matières nucléaires devant se terminer à la fin de l’année 1997. Les travaux sont confiés à la COGEMA, devenue simple prestataire de services. C’est également la COGEMA qui doit conduire le chantier de démantèlement qui devrait commencer en 1998 pour une durée de six à sept ans, le coût de l’ensemble des travaux étant estimé, aujourd’hui, à plus de 1,8 milliard de francs.
La rapidité d’exécution de ces travaux dépendra étroitement de l’évolution des budgets de la Défense nationale mais il y a des opérations, nécessaires pour assurer la sécurité du site, qui ne pourront de toute façon pas être différées.
La décontamination doit tout d’abord permettre d’enlever, par trempage, tout l’uranium présent dans les installations. L’uranium résiduel ainsi récupéré, ainsi que l’uranium déjà enrichi représentant « l’en cours » de fabrication, constitueront un stock restant à la disposition de la Défense nationale et ne peuvent donc pas être considérés comme des déchets.
Les opérations de démantèlement proprement dites des usines d’enrichissement devraient, selon la DAM, produire les déchets suivants :
- Métaux non contaminés
. aciers des structures : 15 000 tonnes
. cuivre : 700 tonnes
- Déchets destinés à l’ANDRA
. fûts de 200 litres : de 10 000 à 15 000 fûts (dont 5 000 fûts de déchets technologiques)
- Déchets très faiblement radioactifs (TFA) de moins d’un Becquerel par gramme : 11 700 tonnes.
Le problème de l’évacuation des barrières qui servaient à la séparation isotopique qui ne sont pas mentionnées dans le tableau ci-dessus va se poser car, selon les informations recueillies sur place, celles-ci, qui devraient normalement être considérées comme un déchet, continuent à être couvertes par le secret défense et devraient donc pour le moment rester sur place.
Aux déchets issus du démantèlement s’ajoutent les déchets d’exploitation et de maintenance entreposés sur le site et que l’ANDRA a répertoriés dans son dernier inventaire (voir tableau ci-après).
La séparation isotopique de l’uranium naturel conduit à produire d’importantes quantités d’uranium appauvri composé principalement d’uranium 238, qui constitue un sous-produit sans utilité dans les conditions actuelles des techniques.
Pour obtenir un kilo d’uranium enrichi à 90 %, il faut en effet utiliser 212 kg d’uranium naturel, ce qui conduit en fin de processus à la production de 211 kg d’uranium appauvri.
Selon certaines sources, il faudrait en moyenne 15 kg d’uranium enrichi pour fabriquer une tête nucléaire. Si la France a, selon les indications données par le Président de la République lors d’une conférence de presse en 1993, environ 600 têtes nucléaires auxquelles il faut ajouter les 192 utilisées lors des essais, on peut estimer que les seules activités militaires d’enrichissement auraient conduit à produire plus de 2 500 tonnes d’uranium appauvri.
L’uranium appauvri, qu’il provienne des activités d’enrichissement civiles ou militaires, est actuellement « entreposé » sur le site de Pierrelatte sous forme d’hexaflorure d’uranium (UF 6) ou d’oxyde d’uranium (U3 O8).
Selon la COGEMA, il faut bien parler d’entreposage et non de stockage car l’uranium appauvri ne serait pas un déchet, l’inventaire des déchets radioactifs de l’ANDRA ne comporte d’ailleurs aucune indication sur cet entreposage.
Un document de la COGEMA, intitulé « L’entreposage de l’oxyde d’uranium appauvri », précise que « l’oxyde d’uranium appauvri est une véritable matière première valorisable par l’application à l’échelle industrielle de nouvelles techniques d’enrichissement en cours d’étude ou lorsque les auditions du marché le permettront ».
De fait, il est probable que les nouvelles techniques d’enrichissement, en particulier par laser, actuellement en cours de développement, pourraient permettre de faire ressortir de l’uranium appauvri les quelques quantités d’uranium 235 qui s’y trouvent encore mais, pour le moment, ce sous-produit reste entreposé sur place après récupération du fluor contenu dans l’UF 6 pour obtenir, d’une part, de l’acide fluorhydrique qui sera utilisé et, d’autre part, de l’oxyde d’uranium U3 O8 plus facile à conserver. L’UF 6 est en effet très corrosif et réagit en présence de l’eau ; il doit donc être conservé dans des conteneurs spéciaux qui nécessitent un entretien régulier, onéreux et qui mobilisent des surfaces très importantes.
En 1990, le site de Pierrelatte avait été autorisé à entreposer 100 000 tonnes d’uranium sous forme d’UF 6. Nous n’avons pas d’information sur les limites d’entreposage de l’U3 O8 mais, en 1993, une publication de la COGEMA 33(*) notait déjà que « les capacités d’entreposage liées à cette usine W (de transformation de l’UF 6 en U3 O8) sont aujourd’hui insuffisantes ».
La COGEMA avait envisagé de transférer ces produits sur un site à Miramas mais l’arrêté préfectoral a été annulé par le tribunal administratif. La COGEMA a alors proposé de créer un centre d’entreposage sur le carreau d’une ancienne usine de concentration de minerai d’uranium à Bessines, ce qui aurait permis de maintenir quelques personnes en activité après l’arrêt de l’extraction et du traitement du minerai. Comme on pouvait s’y attendre, ce projet a été très vivement attaqué par les associations écologistes qui ont introduit des recours contre l’arrêté préfectoral autorisant l’opération. En juin 1996, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la requête des écologistes mais les oppositions au projet sont toujours aussi virulentes même si elles n’émanent que d’une minorité de la population.
Il faut reconnaître, sans vouloir entrer dans les polémiques entretenues par les opposants au nucléaire, que cette affaire n’est pas très claire.
Selon la COGEMA, en effet, l’uranium appauvri ne constitue pas un déchet. La loi du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets est cependant fort explicite à ce sujet : « Est considéré comme un déchet ultime, un déchet qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment. » Si on se réfère à cette loi, l’uranium appauvri est bien un déchet puisque ses détenteurs n’en ont aucune utilisation possible « dans les conditions techniques et économiques du moment ».
De toute façon, si l’uranium appauvri avait un quelconque intérêt économique dans un avenir prévisible, on le conserverait sous sa forme primitive d’UF 6 et on n’engagerait pas des frais certainement élevés pour le transformer en un composé « extrêmement stable » destiné à un « stockage de très longue durée ».34(*)
De la même manière, si ce sous-produit était véritablement réutilisable, il serait inutile de le transférer de la Vallée du Rhône jusque dans le Limousin. Il serait préférable de la laisser à proximité des usines où il serait susceptible de subir un deuxième cycle d’enrichissement.
En fait, tout repose sur la définition du déchet. Selon les normes actuelles, un produit actuellement inutilisable et pour lequel on recherche un site de stockage à très long terme ne constitue pas un déchet s’il existe une possibilité, même très hypothétique, de le voir un jour revenir comme matière première.
En revanche, si cette possibilité ne se réalise jamais, cette matière première se trouvera alors reléguée au rang de déchet ultime.
Deuxième partie :
LES ESSAIS NUCLÉAIRES
Une remarque liminaire s’impose : il n’entrait pas dans le cadre de ma mission de rapporteur d’un Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, de porter un quelconque jugement sur la politique de défense qui a été suivie pendant les quarante dernières années.
Qu’on approuve ou non cette politique, les faits sont là : la France a procédé à plus de 200 explosions expérimentales et ces essais ont conduit inévitablement à la dispersion de substances radioactives dans l’environnement et à la production de déchets qui vont subsister pendant des siècles, quand ce n’est pas pendant des millénaires.
Notre responsabilité est donc, aujourd’hui, de nous assurer que les conséquences de ces essais nucléaires seront les plus faibles possibles sur l’environnement et sur la santé humaine, et que les déchets seront gérés au mieux pour préserver les conditions de vie des générations futures.
Nous sommes les héritiers d’une situation que nous n’aurions peut-être pas souhaitée mais, bon gré mal gré, nous devons désormais en supporter les conséquences et réparer, dans la limite du possible, les erreurs qui ont pu être commises dans les premiers temps de l’utilisation de l’atome, que ces utilisations aient été civiles ou militaires.
Chapitre I
POURQUOI A-T-ON PROCÉDÉ À DES ESSAIS
D’ARMES NUCLÉAIRES ?
Depuis janvier 1994, dans le cadre de la Conférence du désarmement des Nations-Unies, des négociations ont été conduites en vue de la conclusion du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires.
Malgré la complexité des négociations, on peut aujourd’hui raisonnablement espérer qu’on n’assistera plus, dans aucune partie du monde, à une reprise des explosions même pour des essais d’armes de très faible énergie.
La France, qui a signé, en 1996, le Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires, a commencé immédiatement à démanteler le Centre d’Expérimentations du Pacifique, opération qui sera très prochainement achevée.
Cela ne veut malheureusement pas dire que la France comme les autres puissances va renoncer à son armement nucléaire, cela signifie simplement que l’on dispose désormais de techniques de simulation qui permettent de faire l’économie des essais en puissance réelle.
La mise en oeuvre du programme de simulation devrait en effet permettre d’obtenir, en laboratoire, des informations qui ne pouvaient être obtenues jusqu’ici que par l’expérimentation directe.
Si la simulation est aujourd’hui possible, c’est en grande partie grâce aux progrès enregistrés dans la capacité des ordinateurs, mais c’est surtout grâce à la mise au point du laser mégajoule qui permet l’inflammation et la combustion de matières thermonucléaires à une micro-échelle.
Ce programme de simulation, qui devrait débuter en 2006 à puissance réduite puis en 2010 à pleine puissance, est très ambitieux et dès lors très coûteux puisqu’il pourrait, selon les estimations actuelles, s’élever à près de 16 milliards de francs.
Si on a procédé jusqu’à maintenant à des essais en vraie grandeur, c’est que les phénomènes extraordinairement complexes qui régissent le fonctionnement des armes nucléaires ne pouvaient être étudiés qu’au cours d’expériences permettant d’obtenir des températures, des pressions et des vitesses comparables à celles qu’on aurait obtenues en faisant exploser une arme réelle.
A partir du moment où la France avait décidé de se doter d’armes nucléaires, les essais étaient nécessaires.
Comme le notait M. Lucien Michaud, un des responsables de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA 35(*) :« Un engin nucléaire est un objet trop complexe pour être simplement conçu par le calcul sans aucune mise au point expérimentale. Sans confirmation possible par l’expérience, aucune innovation scientifique ou technologique n’aurait pu être introduite dans les armes dont nous disposons, aucune arme nouvelle n’aurait pu être créée. »
Il faut d’ailleurs remarquer que tous les pays qui se sont dotés de l’arme atomique ont procédé à de multiples essais :
- 1 057 aux Etats-Unis,
- 715 en URSS,
- 45 en Grande-Bretagne,
- 46 en Chine.
Avec les 210 essais français, on arrive ainsi à un total de plus de 2 000 explosions expérimentales dans le monde.
Comme dans tous les autres secteurs de la recherche, les résultats des expériences ont servi à concevoir des engins plus puissants, plus précis ou répondant mieux aux attentes des utilisateurs et, dans ce cas particulier, aux demandes spécifiques des militaires.
L’énergie dégagée par une explosion n’est, de fait, pas le seul paramètre intéressant. Les moyens de mesure de plus en plus sophistiqués qui ont été utilisés permettaient en effet d’obtenir de nombreuses autres indications telles que la température, la pression, les flux de déplacement des éléments ou encore les réactions de ces différents éléments entre eux. Tous ces paramètres scrupuleusement enregistrés devaient permettre, une fois comparés aux prévisions théoriques, soit de valider soit de modifier les processus de fabrication des armes.
Engagées dans une course sans fin pour augmenter la puissance de leurs armes, les grandes puissances ne pouvaient pas renoncer aux essais. A partir du moment où on acceptait de rentrer dans une logique de compétition entre états et entre blocs, il fallait obligatoirement faire progresser la puissance et l’efficacité de ses armes pour ne pas prendre de retard sur les autres.
Ainsi la France, en une trentaine d’années, est passée de la simple bombe A aux bombes à fission renforcée pour en arriver comme les autres aux bombes H utilisant les réactions thermonucléaires. Dans le même temps, notre pays a dû également s’adapter à l’évolution des différents vecteurs : bombardiers, fusées à moyenne puis à longue portée, sous-marins lance-missiles, chars Pluton, …, et pour chacun des types d’armes adaptées aux différents vecteurs, des essais spécifiques ont dû être organisés.
Malgré les précautions prises, il est indéniable que tous ces essais ont entraîné des retombées radioactives et ont généré des déchets. La seule manière d’éviter les conséquences écologiques et sanitaires de ces essais aurait été de renoncer aux armes nucléaires. Il aurait fallu pour cela initier une autre politique de défense, mais ceci relève d’un autre débat qui n’a pas sa place dans le présent rapport.
Comme l’ensemble de ces recherches a été et reste encore aujourd’hui couvert par le « secret défense », on ne peut qu’espérer que tous les essais ont été réellement utiles sans toutefois pouvoir en apporter la preuve.
La polémique sur la reprise des essais nucléaires français en 1995 a bien montré qu’il est quasi impossible d’avoir sur ce sujet une position scientifiquement établie si on ne fait pas partie du cénacle restreint des spécialistes de la Direction des Applications Militaires du CEA (DAM).
Le contrôle démocratique de ces activités est assez illusoire, on est en effet obligé soit de faire confiance aux seuls experts agréés, soit de remettre en cause en bloc tout le système.
Malgré une indéniable bonne volonté des militaires de la DIRCEN et des experts de la DAM, nous avons dû, nous aussi, nous contenter des rares sources d’information publiées et en particulier des trois tomes réalisés sous le timbre conjoint de la DIRCEN et du CEA/DAM, intitulés « Les atolls de Mururoa et de Fangataufa », le premier tome de cet ouvrage collectif traitant de la géologie, de la pétrologie et de l’hydrogéologie de ces atolls, le deuxième tome plus spécifiquement des expérimentations nucléaires et le troisième du milieu vivant et de son évolution.
Le quatrième et dernier tome qui devait être publié en 1997 aurait dû traiter « du bilan de la radioactivité sur les sites et en Polynésie française, du suivi médical des personnels ayant travaillé ou séjourné sur les sites » ; il aurait par conséquent constitué une source de renseignements très utile pour notre enquête. Sa parution ne semble toutefois plus être à l’ordre du jour et certains estiment même que l’ouvrage devrait s’en tenir aux trois tomes déjà parus.
On ne peut que le regretter. La qualité scientifique des trois premiers tomes et, il faut le reconnaître, un certain souci de la vérité qui avait présidé à leur rédaction, laissaient espérer que nous pourrions disposer d’informations officielles sur les points qui restent les plus sensibles dans l’opinion publique. Il serait vraiment dommage, surtout après l’arrêt définitif des essais, que les pouvoirs publics n’acceptent pas de faire un bilan sérieux de leurs conséquences sur l’environnement et éventuellement sur la santé humaine.
Il faut toutefois reconnaître que la France a demandé qu’une mission d’experts de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) enquête à Mururoa et à Fangataufa. Cette mission présidée par une personnalité américaine incontestée, Mme Gail de Planque, ancien membre de la NRC, remettra en principe ses conclusions au début de l’année 1998.
Au cas où le rapport de l’AIEA révélerait des faits graves ou en totale contradiction avec les positions officielles, je prends dès aujourd’hui l’engagement de proposer à l’Office de rouvrir ce dossier et d’organiser un débat public et ouvert à la presse comme ceux qui ont déjà eu lieu sur des sujets sensibles tels que les nouvelles normes de radioprotection ou le fonctionnement de Superphénix.
J’ai, pour éviter toute confusion des genres, volontairement renoncé à rencontrer les experts de l’AIEA. Ceux-ci doivent en effet pouvoir travailler en toute indépendance, mais nous nous réservons la possibilité, le cas échéant, de leur demander de venir éclairer la représentation nationale française une fois leur rapport publié.
De 1960 à 1996, la France aura procédé à plus de 200 essais nucléaires sur trois sites différents et avec des techniques variées puisque toutes les solutions connues ont été successivement utilisées : tirs à partir d’une tour, en galerie, sur des barges flottantes, sous ballons captifs et enfin tirs souterrains au fond de puits de grande profondeur.
Officiellement, ces évolutions dans les techniques de tir ont été justifiées par le souci de réduire au maximum les conséquences des essais sur l’environnement et sur la santé humaine. En réalité, on s’aperçoit qu’il a fallu aussi très largement tenir compte des circonstances politiques et en particulier de la pression des Etats voisins des polygones de tir, pression qui n’a jamais cessé pour atteindre son paroxysme lors de la reprise des essais en 1995.
Dès le départ, les essais nucléaires français ont eu des répercussions, souvent difficiles à gérer, sur l’environnement diplomatique de la France qui a dû, à de nombreuses reprises, s’opposer à des pays amis et en particulier à des puissances qui avaient elles-mêmes procédé à des essais ou qui avaient accepté d’en accueillir sur leur sol.
En revanche, la contestation intérieure est toujours restée très limitée et n’a, en tout cas, jamais atteint la grande masse de la population. Le problème des conséquences des essais nucléaires est resté quasiment ignoré du grand public qui n’y a attaché qu’une importance toute relative, peut-être parce que les champs de tirs utilisés se trouvaient très éloignés de la Métropole. La seule véritable contestation a en effet été le fait d’une partie de la population de la Polynésie française qui aurait pu se trouver directement concernée par les retombées éventuelles de ces expériences.
Chapitre II
LES PREMIERS ESSAIS FRANÇAIS AU SAHARA :
1960-1966
En 1957, lorsqu’il est apparu qu’il était désormais indispensable de procéder à des expérimentations en vraie grandeur, le Commandement Interarmées des Armes Spéciales décida de créer un champ de tir à Reggane, au centre du Sahara et à 700 kilomètres au sud de Colomb-Béchar.
1°/ LES ESSAIS AÉRIENS À REGGANE
Le premier essai, Gerboise bleue du 13 février 1960, ainsi que les trois suivants : Gerboise blanche du 1er avril 1960, Gerboise rouge du 27 décembre 1960 et Gerboise verte du 25 avril 1961, ont été effectués à partir d’une tour. Selon certaines indications, et en particulier celles du physicien Yves Rocard qui assistait à ces expériences 36(*), les explosions « eurent lieu à 100 mètres d’altitude, la moitié supérieure de la boule de feu orientée vers l’air libre et la moitié inférieure vers le sol tout proche ».
S’ils ont bien été réalisés dans ces conditions, les quatre essais aériens de Reggane ont été à l’évidence très polluants.
En effet, de l’aveu même des autorités responsables des essais : « Pour des explosions à faible altitude, la terre, l’eau, des débris divers sont aspirés et forment une colonne verticale entre le sol et la sphère de gaz chauds qui prend l’aspect d’un nuage. » 37(*)
Les aérosols fortement radioactifs produits par l’explosion restent en suspension dans la troposphère ou dans la stratosphère pendant des années mais « les fractions lourdes, aérosols d’un diamètre supérieur à 50 microns, se déposent assez rapidement… » 37
Le rapport annuel du CEA de 1960 montre d’ailleurs l’existence d’une zone contaminée de 150 km de long environ et les instructions remises aux participants de l’opération Gerboise bleue précisaient bien les conditions dans lesquelles on pouvait entrer et sortir de « la zone contaminée ». 38(*) Cela confirme bien que certaines régions proches du lieu du tir devaient receler une dose significative de radioactivité.
A notre connaissance, l’Algérie, depuis son indépendance, n’a jamais fourni d’information sur une éventuelle pollution radioactive de la région de Reggane. Il est vrai que la puissance des vents sahariens et les phénomènes d’érosion ont dû disperser les éléments radioactifs sur une très grande surface, ce qui rendrait aujourd’hui les contrôles pratiquement inopérants.
2°/ LES ESSAIS EN GALERIE AU HOGGAR
En 1961, on décida d’abandonner les essais aériens à Reggane. La position de la France devenait de plus en difficile car les trois autres puissances nucléaires de l’époque, Etats-Unis, URSS et Grande-Bretagne, avaient, dès 1958, décidé de suspendre leurs essais.
Les tirs aériens français faisaient dès lors l’objet de critiques de plus en plus vives de la part des pays africains situés à la périphérie du Sahara. Ceux-ci ne comprenaient pas en effet qu’on continue à utiliser une technique à l’évidence polluante malgré toutes les précautions prises pour minimiser les retombées.
Les responsables des essais décidèrent donc, à cette époque, de s’orienter vers des tirs souterrains qui devaient permettre de « piéger » dans la roche la plus grande partie des éléments radioactifs produits par les explosions. La solution retenue fut celle de tirs en galerie, celles-ci étant creusées horizontalement dans un massif granitique du Hoggar, le Tan Afella.
Les engins à tester étaient placés au fond de galeries horizontales « longues de 800 à 1 200 mètres à partir de leur entrée au niveau de la plaine » 39(*). Ces galeries se terminaient en colimaçon pour casser le souffle des explosions et étaient refermées par un bouchon de béton.
La sécurité des explosions était de cette façon notablement améliorée puisqu’une grande partie de la radioactivité restait contenue dans la cavité formée par le tir.
Elle n’était cependant pas totale, les produits de fission volatiles ou gazeux pouvaient en effet s’échapper sous l’effet de la pression, soit par la galerie principale, soit par les conduits annexes utilisés pour le passage des câbles des systèmes de mesure et de contrôle. C’est ce qui devait arriver le 1er mai 1962, où un nuage radioactif s’est échappé de la galerie de tir : « on a vu ainsi sortir de la base même de la montagne un minuscule nuage tout rouge qui grossit rapidement, le nuage s’en vint à passer sur un dépôt de vieux pneus qui prirent feu aussitôt ajoutant une âcre fumée noire à ce qui s’échappait de la montagne ». 40(*)
Un certain nombre de personnalités, dont deux ministres, qui assistaient aux essais, ainsi que plusieurs militaires, durent être décontaminés bien que les autorités aient toujours soutenu que le taux maximum de radioactivité n’avait jamais dépassé les limites admises pour les professionnels exposés.
De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont été effectués. Ce système semblait donner toute satisfaction mais les accords d’Evian ayant prévu que la France devait abandonner ses expériences au Sahara, la France a dû se mettre à la recherche d’un autre site.
Sur la question des déchets qui auraient pu résulter des campagnes d’essais réalisés au Sahara, il n’existe aucune donnée précise. Les installations ont certainement été démantelées mais, comme le regrette Bruno Barillot : « Peu de détails ont été donnés sur la nature de ce démantèlement, sur les éventuelles opérations de décontamination effectuées sur le site, la destination des déchets produits au cours des expériences et par les opérations de démantèlement ». 41(*)
Après sept années d’expériences diverses, les deux sites de Reggane et d’In Eker ont été remis à l’Algérie sans qu’aucune modalité de contrôle et de suivi de la radioactivité n’ait été prévue. Les circonstances politiques qui ont conduit à l’abandon de ces deux sites peuvent expliquer l’indifférence avec laquelle on a alors traité ces problèmes. Il n’en demeure pas moins qu’on a fait preuve d’une certaine légèreté, pour ne pas dire plus ; même si les régions en cause sont très peu peuplées, les quelques nomades qui y vivent ou qui y passent auraient pu avoir droit à un peu plus de considération.
Chapitre III
LE CENTRE D’EXPÉRIMENTATIONS DU PACIFIQUE :
1966-1996
Déterminée à poursuive les essais nucléaires mais obligée de quitter le Sahara, la France devait impérativement trouver un nouveau site qui réponde à un certain nombre de conditions et qui soit en particulier vide de population et éloigné de toute grande concentration urbaine.
Dès 1962, en prévision de ce transfert, le Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP) avait été créé et les atolls de Mururoa et de Fangataufa avaient été retenus comme sites potentiels. En janvier 1964 avait également été créée la Direction des Centres d’Expérimentation Nucléaire (DIRCEN) qui devait être chargée de la construction puis de l’exploitation de ces deux nouveaux sites de tir.
En février de cette même année, la Commission permanente de l’Assemblée territoriale de Polynésie cède gratuitement à la France les deux atolls de Mururoa et Fangataufa dans les conditions suivantes :
« Art. 1 - Sont cédés gratuitement, en toute propriété, par le Territoire à l’Etat, pour les besoins du Centre d’Expérimentations du Pacifique, les atolls domaniaux de Mururoa et de Fangataufa, situés dans l’Archipel du Tuamotu.
Cette cession est consentie sous la réserve que l’Etat fera son affaire personnelle, au nom et pour le compte du Territoire qui lui donne tous les pouvoirs à cet effet, de l’éviction éventuelle de la société Tahitia, actuelle locataire de l’atoll de Mururoa, sans que ledit Territoire puisse être inquiété, ni mis en cause à cette occasion.
En cas de cessation des activités du Centre d’Expérimentations du Pacifique, les atolls de Mururoa et de Fangataufa feront d’office retour gratuit au domaine du Territoire dans l’état où ils se trouveront à cette époque, sans dédommagement ni réparation d’aucune sorte de la part de l’Etat.
Les bâtiments qui s’y trouveront édifiés à cette même époque ainsi que le matériel laissé sur place deviendront propriété du Territoire sans indemnité… »
Ce document manifestement rédigé à la hâte, son style en atteste, n’a pas été soumis à l’Assemblée territoriale et n’a été adopté, au sein de la Commission restreinte, que par trois voix contre deux.
Il faut également remarquer que la cession des atolls a été formalisée en février 1964 alors que l’occupation avait commencé dès 1963, le site de Mururoa ayant été initialement loué à une petite société tahitienne d’exploitation du coprah.
Si le transfert de propriété a été aussi facile, c’est en effet en grande partie parce que ces deux îles n’étaient que très épisodiquement occupées (quelques semaines par an) par des travailleurs chargés de récolter le coprah. Trop isolés et manquant d’eau potable, les deux atolls de Mururoa et de Fangataufa n’ont jamais connu de peuplement permanent, contrairement à ce qui s’est passé avec les centres d’expérimentation américains dans les îles du Pacifique. Il n’y a donc pas eu d’expulsion de population et, par voie de conséquence, pas d’anciens habitants en droit de réclamer une quelconque indemnité d’expropriation.
Comme on le verra à la fin de ce chapitre, l’imprécision, pour ne pas dire plus, de l’acte de cession ne facilite pas, en revanche, les conditions de retour au Territoire de Polynésie français des anciennes installations du CEP.
1°/ LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES UTILISÉES POUR LES ESSAIS AÉRIENS
Alors que la France avait déjà l’expérience des essais souterrains en galeries, les premières expériences réalisées à Mururoa et à Fangataufa le seront soit à partir d’une barge flottant au milieu de l’atoll, soit sur la terre ferme, soit encore dans la dernière période à partir de ballons captifs ou d’avion.
Comment peut-on justifier l’abandon des essais souterrains qui permettent de confiner la radioactivité au profit d’essais réalisés dans l’atmosphère et qui entraînent obligatoirement la dispersion d’une grande quantité d’éléments radioactifs ?
Il semble que la seule explication valable soit l’impossibilité technique à laquelle étaient confrontés les responsables du CEP qui ne disposaient pas, dans les années 1960, des moyens nécessaires pour forer des puits de tir à grande profondeur.
Le retour aux tirs en galerie a un temps été envisagé et des travaux d’exploration ont même été entrepris dans l’île d’Eiao au nord de l’Archipel des Marquises 42(*) mais les difficultés de liaison entre cette île et Tahiti et l’inadaptation de la géologie ont rapidement conduit à abandonner ce projet.
En 1966 et en 1967, quatre essais ont été effectués à partir de barges ancrées dans le lagon. Ces barges placées devant un blockhaus abritant le matériel d’enregistrement et de contrôle étaient entièrement détruites à chaque expérimentation, ce qui obligeait à mettre en place de nouvelles structures à chaque opération. De l’avis des spécialistes, ce sont ces tirs sur barges qui ont entraîné la plus importante contamination des sites : »Le tir sur barge a l’inconvénient d’entraîner une contamination locale suffisante pour gêner la reprise des travaux sur l’atoll… » 43(*) Le Directeur des services de protection radiologique du CEA reconnaissait d’ailleurs que : « Si nous n’avions pas effectué de tirs sur barge, nous aurions aujourd’hui des lagons impeccables. » 44(*)
En 1966, 1973 et 1974, trois expérimentations ont été effectuées à partir d’avions en vol dans des zones éloignées de Mururoa respectivement de 85, 26 et 17 kilomètres. Ces essais avaient l’avantage de reproduire assez exactement les conditions réelles d’utilisation des armes nucléaires.
Peu d’informations sont disponibles sur cette catégorie d’essais destinée à s’assurer que les armes nucléaires ne s’amorceraient pas d’elles-mêmes pendant les périodes de stockage et de transport. Il est donc nécessaire de vérifier que les charges, surtout quand elles sont embarquées à bord d’avions, sont « autosûres » et qu’elles n’exploseront pas de façon accidentelle, tout en conservant leurs capacités d’utilisation.
Si ces essais de sécurité ne provoquent pas, en principe, de déclenchement de la réaction en chaîne, ils peuvent néanmoins entraîner une certaine dispersion des matières fissiles qui composent les engins à tester.
Selon certaines sources, le CEP aurait « exécuté douze expérimentations de ce type à Mururoa » 45(*) mais, selon d’autres, quinze essais de ce type auraient, en fait, été effectués.
Apparemment, ces essais ont été effectués sur le sol des atolls, puis en sous-sol, et un ouvrage récent, pourtant peu critique envers l’activité du CEP, révèle que :« Cinq essais de sécurité eurent ainsi lieu dans la zone appelée Colette, à Mururoa. Si les réactions en chaîne ne se produisirent pas, ce dont on se doutait d’ailleurs, en revanche, la dispersion d’éléments radioactifs dangereux composant les charges nucléaires, comme le plutonium, fut très importante, et l’intégralité de la zone dut être bitumée par la suite pour être réutilisée. » 46(*)
Les essais à partir des barges s’étant révélés particulièrement polluants, les responsables du CEP ont alors cherché un moyen de réduire l’impact des essais aériens.
En effet, si le tir est effectué sur le sol ou à partir d’une barge, la boule de feu créée par l’explosion, qui peut atteindre jusqu’à 500 mètres de rayon pour les engins les plus puissants, se heurte aux matériaux présents et à l’eau du lagon qui sont alors vaporisés et mélangés aux gaz chauds.
Si on arrive à faire exploser l’engin à une hauteur suffisante et en tout cas supérieure au rayon de la boule de feu, il n’y a pas d’interaction avec le sol ou avec l’eau, ce qui limite les retombées radioactives.
Pour réaliser ces essais en hauteur, on a fait appel à une technologie quelque peu oubliée, celle des ballons captifs. De l’aveu même des responsables du CEP, ce ne fut pas sans mal car la stabilisation d’un ballon à une altitude qui variait de 200 à 800 mètres devait être parfaite pour que les différents dispositifs de mesure puissent fonctionner correctement.
Le premier essai d’un engin thermonucléaire, Canopus, a été effectué sous ballon le 24 août 1968 à Fangataufa et selon le Professeur Yves Rocard, « à une altitude de 500 mètres ou plus ». Cette altitude, « pour une bombe thermonucléaire qui dépasse la mégatonne, était à peu près correcte pour tirer des bombes aussi propres que possible ». 47(*)
2°/ LE RETOUR AUX ESSAIS SOUTERRAINS
Comme cela s’était déjà produit au Sahara, les essais aériens français dans le Pacifique ont déclenché de très vives réactions chez différents Etats de cette région.
Les protestations de ces Etats, dont certains, comme l’Australie, avaient pratiqué ou accueilli des essais nucléaires aériens, étaient très certainement disproportionnées par rapport aux dangers réels. Il faut en effet rappeler que, par rapport à Mururoa :
- la Nouvelle-Zélande se trouve à 4 700 km,
- l’Australie à 6 900 km,
- le Pérou à 6 600 km,
- et les Etats-Unis à plus de 6 500 km.
Même si le gouvernement français a toujours considéré ces protestations comme dénuées de toute base scientifique, il a été amené à renoncer à nouveau aux essais aériens et à revenir en 1975 à des tirs souterrains.
Depuis 1971, cette possibilité était à l’étude mais elle posait des problèmes financiers et techniques difficiles à résoudre.
La création d’un champ de tir aux Marquises ou en Métropole ayant été abandonnée, la seule solution qui restait était d’organiser les tirs souterrains à partir des deux atolls déjà utilisés pour les essais aériens. Quand on voit sur place l’étroitesse de la bande de terre émergée, on comprend qu’il s’agissait là d’un véritable défi technique dont les conséquences n’avaient certainement pas, au départ, été toutes parfaitement prévues.
Si les Américains et les Russes avaient pu disposer de vastes étendues désertiques dans lesquelles les champs de tir proprement dits ne représentaient qu’une très faible surface, il fallait en effet, à Mururoa, faire cohabiter sur quelques kilomètres carrés à la fois les polygones de tir, les équipements de surveillance et de mesure et la base de vie sur laquelle devaient séjourner plusieurs milliers de personnes : militaires, techniciens du CEA et employés polynésiens.
Mais, plus que la question de place, c’est la géologie même des atolls qui a suscité le plus d’interrogations et de craintes.
Comme tous les autres atolls du Pacifique, les îles de Mururoa et de Fangataufa ont été constituées sous l’effet de phénomènes volcaniques.
Leur formation est, en effet, désormais attribuée à l’existence de « points chauds » qui, en générant du magma, ont peu à peu créé un édifice volcanique solidaire du plancher océanique.
Lorsque cet édifice a été proche de la surface de la mer, des éruptions explosives ou simplement effusives ont accumulé des matériaux sur le socle original, ce qui a fini par former des massifs volcaniques émergés du type de ceux qui existent dans les « îles hautes » comme Tahiti ou Bora-Bora.
Dans d’autres cas cependant, la dérive de la plaque océanique a décalé les points chauds par rapport aux massifs volcaniques qu’ils avaient créés avant que ceux-ci aient atteint une taille très importante. Dès lors, l’érosion aurait condamné ces îles à la disparition si les coraux n’avaient pas entrepris une seconde phase d’édification.
En simplifiant un peu, on peut donc considérer que les atolls du type de ceux de Mururoa et de Fangataufa sont constitués de trois formations géologiques différentes :
- du fond de l’océan à quelques centaines de mètres au-dessous du niveau de la mer, il existe une première formation due au volcanisme sous-marin constituée de basaltes ou de roches qui en dérivent ;
- au-dessus se trouve une deuxième couche qui a été constituée par le volcanisme aérien ;
- et enfin la partie supérieure, sur une épaisseur qui varie de 130 à 450 mètres à Mururoa, est constituée d’une couverture carbonatée (calcaires et dolomites) composée de débris d’organismes vivants qui se sont accumulés, au fil des siècles, sur les formations sous-jacentes.
Contrairement aux essais aériens où l’on compte sur la dispersion de la radioactivité, la logique des tirs souterrains consiste à confiner au maximum tous les éléments radioactifs dans la roche où ces tirs sont effectués. Celle-ci doit donc répondre à trois conditions précises :
- être susceptible de résister aux chocs résultant des explosions ;
- ne pas présenter de failles importantes ;
- ne permettre qu’une très faible circulation des eaux.
Selon les responsables du CEP, les études géologiques entreprises dès le début des essais aériens avaient démontré que le socle basaltique de ces atolls « se prête parfaitement à de telles expériences ». 48(*)
On peut toutefois se demander ce qui serait arrivé si ces reconnaissances géologiques avaient conduit à conclure que la géologie de ce site n’était absolument pas appropriée.
Toujours selon les responsables des essais, le premier forage n’a été, en fait, réalisé qu’en 1974, soit quelques mois seulement avant le premier tir souterrain. Ce premier forage a révélé « la présence dans certaines zones de niveaux argileux fracturés ou karstifiés, observés lors des forages de reconnaissance ; et le manque d’expérience sur le comportement des niveaux massifs ont amené à tuber ce premier forage sur toute sa hauteur soit environ 600 m ». 49(*)
Certains commentateurs n’ont pas manqué de faire remarquer que la France, qui ne disposait pas d’autres solutions, devait de toute façon s’adapter aux conditions géologiques de son seul site disponible et que les impératifs politiques et économiques devaient finalement l’emporter sur toute autre considération géologique ou technique.
D’ailleurs, comme le fait remarquer M. Bruno Barillot 50(*), si des études géologiques ont bien été entreprises à Mururoa dès l’installation du CEP sur ce site, il n’en a certainement pas été de même à Fangataufa car toutes les études citées par la DIRCEN sur cet atoll sont postérieures à 1988 alors que les deux premiers essais souterrains à partir de cette île datent de 1975 (Achille 5 juin 1975 et Hector 26 novembre 1975).
Contrairement aux essais aériens où la dispersion de la radioactivité est censée assurer l’innocuité des essais, l’objectif principal, en matière de sécurité, va être pour les expérimentations souterraines de chercher à confiner au maximum les éléments radioactifs dans la formation géologique utilisée.
Cette formation devant être apte à piéger le plus longtemps possible les radioéléments, il n’était donc pas question d’utiliser la couche supérieure constituée de calcaires qui présente des textures diverses parfois très poreuses ou mal consolidées. Le socle basaltique des atolls a en revanche été considéré comme ayant« une perméabilité très faible ». 51(*)
Les remontées éventuelles de radioactivité ne pouvant se produire que s’il y a circulation des eaux souterraines, la notion de perméabilité de la roche est donc essentielle. Or, selon les géologues : « la perméabilité des roches volcaniques est faible à très faible et la vitesse maximale de circulation de l’eau dans le massif à l’état naturel est de l’ordre du mètre par an. » 52(*)
Les conclusions des géologues montrent bien que le basalte est une roche plutôt favorable pour accueillir les expérimentations souterraines mais elles soulignent aussi que la circulation des eaux, même dans une roche d’apparence aussi compacte, n’est jamais nulle et que les résultats obtenus se réfèrent à « un état naturel » qui ne sera plus celui de la roche après de multiples explosions.
Un autre avantage des formations basaltiques est également mis en avant par les responsables des essais et considéré comme déterminant pour ce genre d’expérimentation : sous l’effet de la chaleur des explosions, les basaltes fondent et forment des verres qui piègent la plus grande partie des radioéléments.
La comparaison entre ces verres naturels et ceux qui sont utilisés pour le conditionnement des déchets nucléaires issus des usines de retraitement est souvent présentée comme une preuve de la très grande sécurité de la méthode utilisée. Selon les responsables des essais, ce serait en effet environ 98 % des éléments radioactifs d’une période supérieure à trente ans qui resteraient ainsi piégés dans la roche fondue au fond de la cavité formée par l’explosion.
La violence de l’explosion entraîne en effet, en quelques fractions de seconde, la formation d’une vaste cavité (12 mètres de rayon pour une explosion de 1 kilotonne à - 600 mètres). Dans un deuxième temps, la roche située à la partie supérieure de cette cavité s’effondre pour créer ce que l’on appelle improprement, puisqu’il n’y a pas de débouché à la surface, une cheminée d’effondrement remplie par les éboulis rocheux. Cette zone d’effondrement, selon la nature de la roche et la force de l’explosion, pourrait atteindre de quelques fois le rayon de la cavité initiale à près de 300 mètres.
Quelle que soit la taille de la chemine d’effondrement, il faut bien entendu qu’il reste une épaisseur suffisante de roche saine jusqu’à la surface pour que le confinement des radioéléments reste effectif. De la même façon, il faut que le bouchon de ciment (de 100 à 200 mètres) qui assure le colmatage du puits soit suffisant pour empêcher toute remontée des radioéléments volatiles et gazeux.
Si toutes ces conditions sont remplies, les responsables du CEP estiment que les résidus piégés dans la lave du fond de la cavité mettront un temps tel pour revenir dans l’océan ou à la surface qu’ils seront alors inoffensifs du fait de la décroissance naturelle de la radioactivité et du faible flux migratoire des radioéléments.
Le problème qui se posait aux responsables des essais était donc d’atteindre une profondeur suffisante pour que le tir puisse avoir lieu dans la formation basaltique en laissant, entre la cavité qui résulterait de l’explosion et la formation calcaire supérieure, une épaisseur suffisante de roche saine pour constituer un véritable « couvercle ».
Or le puits à réaliser pour permettre la descente des engins à tester devait avoir de 1,5 à 2 mètres de diamètre et sur une profondeur de 600 à plus de 1 000 mètres. Ces forages à grand diamètre et à grande profondeur ont nécessité la construction d’outils spéciaux, aucune industrie n’utilisant ce genre de technique.
Pour des raisons évidentes de contraintes techniques, les premiers forages et donc les premières expérimentations ont été effectués à partir de la zone de terre émergée qui entoure le lagon central des atolls.
Il fallut cependant rapidement se rendre à l’évidence : la poursuite de tels tirs allait conduire à une catastrophe. En effet, les calcaires de la couche superficielle se tassaient et des pans entiers du flanc de l’atoll se détachaient et glissaient au fond de la mer.
Le tassement de la couronne corallienne n’affectait pas, en principe, les conditions de sécurité des essais puisque ce phénomène se limitait aux formations superficielles mais il risquait à terme d’augmenter l’exposition des installations et des hommes aux effets des tempêtes, les parties émergées des atolls ne dépassant que de 2 à 3 mètres au maximum le niveau de l’océan.
Quant au détachement des couches supérieures des flancs des atolls, ses conséquences pouvaient être encore plus dangereuses car il entraînait la formation d’un véritable tsunami. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 1979, où la vague créée par le glissement de plusieurs millions de mètres cubes de matériaux a submergé une partie de l’atoll de Mururoa.
En conséquence, en 1979, il a été décidé que les forages seraient désormais effectués au centre de l’atoll, c’est-à-dire dans le lagon lui-même. Il a fallu pour cela construire des barges de forage tout à fait spéciales ; ce sont d’ailleurs ces barges qui viennent d’être achetées par des Australiens, ce qui est quand même assez surprenant quand on se souvient des campagnes hystériques des Australiens contre les essais nucléaires français.
Si le premier tir à partir du lagon a été effectué en 1981, ce n’est qu’en 1987 que cette technique a pu être appliquée à la totalité des essais.
3°/ LE STOCKAGE DES DÉCHETS
Les éléments radioactifs qui restent piégés dans la lave au fond des cavités après les explosions ne sont pas les seuls déchets radioactifs stockés à Mururoa. Cet aspect du fonctionnement du CEP, bien que signalé dans le rapport Atkinson, a, semble-t-il, été longtemps quelque peu occulté et ce n’est qu’en 1995 que le ministère de la Défense reconnaîtra dans un document du SIRPA 53(*) qu’il existe deux puits spécialement creusés pour y enfouir les déchets produits par les manipulations qui précèdent ou qui suivent les essais.
Bien que stockés ensemble, ces déchets présentent des différences notables quant à leur origine, leur composition et leur activité radioactive.
Comme tous les laboratoires qui manipulent des substances radioactives, qu’ils soient civils ou militaires, les différentes installations du CEP ont accumulé, au fil des années, des déchets dits « technologiques » qui sont constitués par des équipements usagés (filtres, gants, vêtements de protection, outillages, …).
Bien qu’étant, en principe, faiblement contaminés, ces déchets ne peuvent rejoindre les décharges industrielles ordinaires et doivent faire l’objet d’un traitement spécial. La production de ce type de déchets, pourtant inhérente à toutes les utilisations et manipulations de substances radioactives, n’a été mentionnée que très tardivement dans les documents relatifs au fonctionnement du CEP. Il faut en effet attendre le rapport Atkinson en 1983 pour apprendre que « les opérations de routine » 54(*) entraînent la production chaque année d’environ 0,4 m3 de déchets solides de faible activité. Toujours selon ce rapport, ces déchets étaient conditionnés et compactés dans des fûts qui contenaient chacun environ 0,4 Mégabecquerels (10 Microcuries) en émetteurs alpha et 0,2 Gigabecquerels (5 Millicuries) en émetteurs bêta/gamma.
En Métropole, la DAM évacue ses déchets de catégorie A (faible et moyenne activité bêta/gamma) vers le Centre de l’Aube de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), les déchets B (contenant des émetteurs alpha de faible activité mais à vie longue) étant entreposés temporairement sur le site du CEA de Cadarache.
Les procédures prévues pour le stockage définitif des déchets A du CEA dans le Centre de l’ANDRA sont relativement contraignantes :
« Après divers traitements pour réduire leur volume et concentrer l’activité, leur conditionnement dans un colis agréé est effectué. Le colis obtenu est mesuré avec précision. Ensuite, une fiche signalétique complète est établie par l’unité qui l’a fabriqué. Cette « carte d’identité » est introduite dans le réseau informatique de l’Andra, grâce à un terminal implanté dans cette unité. Les renseignements communiqués à l’Andra permettront à cet organisme de valider l’accueil du colis en site de stockage de surface, en lui attribuant un numéro et un code-barre qui est retransmis, via le réseau informatique, au centre producteur. Le repérage du colis étant effectué, celui-ci est entreposé sur place en attendant sa prise en charge par l’Andra, au centre de stockage de l’Aube. » 55(*)
Les documents auxquels nous avons pu avoir accès ne nous permettent pas de savoir si des procédures identiques ont été suivies à Mururoa.
Depuis l’adoption en 1986 d’un « plan déchets », la DAM a fait de notables efforts pour recenser les déchets radioactifs provenant des INB-S, le dernier inventaire de l’ANDRA comporte 45 fiches de synthèse concernant 61 établissements relevant du ministère de la Défense et 8 fiches sur les centres d’étude et de production du CEA impliqués dans les recherches et la fabrication des armes nucléaires généralement soumises au régime des INB-S. Toutefois aucune de ces fiches ne concerne le CEP, qui n’a pas le statut d’INB-S et qui est resté à l’écart de l’inventaire national de l’ANDRA.
Pour compléter les informations fournies pendant l’expérimentation par les systèmes électriques et électroniques de mesure reliés à l’engin à tester par des câbles, on procédait après chaque tir à un prélèvement d’échantillons de la roche fondue au fond des cavités. Pour cela, on effectuait un nouveau forage, de plus faible diamètre, à partir d’un endroit décalé par rapport au puits de tir. Dès que l’engin de forage atteignait la hauteur de la cavité, sa direction était déviée pour atteindre la zone où s’étaient concentrées les laves activées par les radioéléments qu’elles contenaient.
Pour mettre en oeuvre ce procédé qui risquait de mettre en contact des milieux hautement contaminés avec la biosphère, il fallait prendre de très nombreuses précautions. Un système d’obturation empêchait la remontée des gaz radioactifs et des fluides provenant des cavités, et un tubage sur toute la hauteur du puits permettait d’éviter la contamination des terrains et du lagon lors de la remontée des carottes de lave.
Une fois à la surface, les carottes « actives » prélevées peu de temps après le tir devaient être manipulées avec beaucoup de précautions car elles présentaient une activité radioactive très importante.
Contrairement aux déchets technologiques, les résidus, après analyse de ces carottes, constituaient des déchets à haute activité qui devaient être traités comme tels, ce que confirment les responsables des essais : « les carottes présentant une activité radiologique sont aussitôt conditionnées dans des conteneurs en plomb ». 56(*)
Selon les responsables du CEA, cette radioactivité décroît toutefois rapidement dans l’année qui suit pour atteindre une activité inférieure à 10 Curies par tonne en émetteurs bêta et gamma.
Que sont devenus les déchets résultant des activités de forages de prélèvement ?
Une partie d’entre eux se trouve apparemment en Métropole où auraient été effectuées certaines analyses des carottes, le reste ainsi que les équipements qui ont servi à obtenir ces carottes ont certainement dû rester sur place.
Bien entendu, toutes les données sur les déchets provenant des carottages sont couvertes par le secret militaire puisqu’on est au coeur même de la technologie des armes nucléaires.
Dès 1983, le rapport Atkinson signalait que les déchets solides obtenus à Mururoa étaient compactés dans des fûts contenant chacun « moins de 0,4 Mégabecquerels en émetteurs alpha et 0,2 Gigabecquerels en émetteurs bêta/gamma ». Il était également précisé que « ces fûts étaient ensuite enterrés dans le basalte en les laissant tomber dans un puits de forage de 1,2 km de profondeur ». 57(*)
Le rapport Atkinson indiquait également que l’emplacement de ce puits destiné au stockage des déchets avait été choisi avec soin dans une zone où la limite entre le basalte et le calcaire était bien définie et qu’une fois rempli, ce puits serait soigneusement scellé et qu’à l’intérieur du puits, chaque fût avait été enfoui dans du béton.
Forts de ces indications, les experts australiens et néo-zélandais estimaient que « quand le puits servant de décharge serait abandonné, le flux de circulation des eaux serait identique à celui qui existe dans le basalte qui n’a pas été perturbé par des forages ». 23 Ils estimaient également qu’à partir du moment où le plutonium devait être l’élément contaminant le plus représenté, ce dépôt souterrain de déchets « n’aurait que peu d’importance, maintenant et dans le futur, en comparaison avec la radioactivité résiduelle, et en particulier celle des transuraniens, qui résultait des essais souterrains ».
Lors de notre visite à Mururoa, nous avons pu constater que ce n’était pas un mais deux puits qui avaient été forés pour servir de décharge.
Le puits n° 1 a été définitivement obturé à 115 mètres de la surface alors que le puits n° 3 (le puits n° 2 n’a jamais été foré) est toujours accessible jusqu’à une profondeur de - 662 mètres. Le puits n° 3 devrait encore servir lors des opérations de démantèlement et recevoir quelques dizaines de nouveaux fûts.
Selon les responsables du centre, l’ensemble des déchets qui ont ainsi été enfouis ne représenterait au total qu’une très faible activité radioactive comparable à celle des entreposages de surface de l’ANDRA, c’était également l’opinion des experts du rapport Atkinson qui estimaient en conclusion que les décharges de déchets radioactifs « n’ont pas de conséquence radiologique ou environnementale identifiable ». 58(*)
Dans un ouvrage collectif publié en 1995 sous le patronage du ministre de la Défense, il est précisé que « la compatibilité de ces déchets est répertoriée avec le numéro d’identification de chaque colis, son poids, son contenu et son activité et qu’un contrôle de radioactivité est régulièrement assuré ». 59(*)
Qu’une comptabilité des fûts qui ont été enfouis dans les deux puits ait été tenue apparaît comme tout à fait plausible mais on voit mal comment on peut actuellement procéder à des « contrôles de radioactivité » sur des déchets qui se trouvent parfois à plus de 1 000 mètres de profondeur et ce d’autant plus que le puits n° 1 a été définitivement scellé !
Pouvait-on éviter d’enfouir ces déchets qui sont par là même devenus incontrôlables ? Il ne semble pas que les responsables du CEP aient eu d’autres possibilités. Le retour en Métropole pour les confier à l’ANDRA aurait posé trop de problèmes techniques et économiques et le stockage en surface, solution retenue en Métropole, n’était pas souhaitable en raison des dangers de submersion de l’atoll par des tsunamis ou lors des grandes tempêtes. En mars 1981, une tempête d’une puissance tout à fait extraordinaire a arraché les plaques de bitume qui recouvraient les zones contaminées par certains essais et, selon certains témoignages rapportés par Bruno Barillot et par le rapport Atkinson, auraient également emporté et dispersé dans le lagon des fûts contenant des déchets radioactifs.
Techniquement, l’enfouissement des déchets était donc peut-être la « moins mauvaise solution », elle était en tout état de cause préférable aux déversement en haute mer qui ont été pratiqués par certains pays avant la mise en application de la Convention de Londres qui interdit toute immersion de substances radioactives.
Chapitre IV
L’IMPACT DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS
DANS LE PACIFIQUE
Comme tous les pays qui ont procédé à des essais d’armes nucléaires, la France a cherché à protéger au maximum toutes les données relatives à ces essais. De leur côté, les opposants aux armements nucléaires n’ont pas cessé de réclamer plus de transparence, en particulier pour tout ce qui concerne les effets sur l’environnement et sur la santé humaine des explosions nucléaires.
Deux logiques s’affrontent et il est bien difficile pour un observateur qui se veut impartial de dire où doit se situer la limite entre le secret défense et le droit à l’information des citoyens.
Quelles sont les informations qui mettent véritablement en péril la défense nationale ? Cette question est d’autant plus difficile à résoudre que seules quelques personnes habilitées savent ce qu’il y a véritablement dans les dossiers et décident en leur âme et conscience de ce qui peut être ou non révélé à l’extérieur.
Les responsables du CEP ont certainement parfois abusé du secret défense pour retenir des informations qui concernaient pourtant toutes les personnes qui vivaient sur ou à proximité des sites d’expérimentations. Il ne faut toutefois pas oublier que les experts de la mission Atkinson ont souligné dans la préface de leur rapport que « la visite de scientifiques sur un site d’expérience militaire d’un autre pays doit être considérée comme un exemple unique » 60(*) et que la France vient, volontairement, de se soumettre à une expertise complète réalisée par des experts étrangers mandatés par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).
La connaissance de l’impact réel sur l’environnement et éventuellement sur la santé humaine des essais français dans le Pacifique souffre de certaines lacunes, mais les multiples missions d’experts qui ont été admis à visiter Mururoa et Fangataufa permettent néanmoins de commencer à se faire une idée assez précise de ce qui s’est réellement passé sur ces deux atolls de 1966 à 1996 et des conséquences qui pourraient résulter des différents essais qui s’y sont déroulés.
1°/ LES CONSÉQUENCES DES ESSAIS AÉRIENS
Malgré toutes les précautions prises, en particulier en surveillant étroitement les phénomènes météorologiques, nul ne peut nier que les essais aériens ont eu des conséquences néfastes sur les milieux environnants.
Toute explosion nucléaire à l’air libre, qu’elle résulte de la fusion ou de la fission de l’atome, entraîne un considérable dégagement d’énergie qui entraîne à son tour des retombées de particules radioactives.
On peut limiter ces retombées, comme on vient de le voir, en réduisant l’interaction avec le sol, mais on ne peut les supprimer totalement. Le contact, dans la dernière phase de l’explosion, entre la sphère de gaz chauds et l’air ambiant plus froid produit une colonne ascendante qui aspire des éléments arrachés au sol, les résidus de l’engin lui-même et de son support (ballon, nacelle, câbles, …). Les éléments les plus lourds vont retomber immédiatement et localement, c’est-à-dire dans une zone allant de quelques kilomètres à plusieurs centaines de kilomètres en fonction des conditions météorologiques. Les particules les plus légères vont s’élever à plusieurs kilomètres d’altitude et vont rester en suspension dans la troposphère et même dans la stratosphère. Ces fines particules radioactives vont se déplacer, pendant des années, au gré des mouvements des masses d’air avant de retomber un peu partout sur la planète.
Il y a eu dans le monde plus de 500 essais aériens dont les traces ne sont pas encore complètement disparues aujourd’hui. La France a contribué à cette forme de pollution et ses 45 essais aériens, peut-être parce qu’ils sont survenus après l’arrêt de ce type d’expérimentation par les autres nations, ont été très mal ressentis par les populations concernées.
Pouvait-on faire autrement et se passer de cette phase d’expérimentation ? Les responsables du CEP estiment, bien entendu, que la France devait continuer ses expériences en attendant la mise au point de techniques moins polluantes qu’elle devait développer seule, les nations alliées ne lui ayant apporté dans ce domaine aucune aide.
Quel a été l’impact réel des essais aériens sur les sites des tirs et dans l’ensemble des zones géographiques proches ?
La vérité est difficile à connaître. Entre les responsables du CEP définitivement et résolument optimistes qui constatent « l’absence d’effets significatifs de nos essais nucléaires sur le milieu polynésien » 61(*), et certains écologistes qui décrivent une situation apocalyptique en déformant au besoin les faits et les citations, il est difficile de se faire une opinion.
Dans quelques mois, la mission d’experts de l’AIEA présidée par Mme E. Gail de Planque rendra ses conclusions ; espérons que ces travaux réalisés en toute indépendance mettront fin aux controverses.
En attendant les résultats de cette mission, les seules données qui ne portent pas à discussion, du moins chez tous ceux qui acceptent de débattre sereinement et sans arrière-pensées de ces questions, sont celles qui ont été fournies par le rapport dit « rapport Atkinson » en 1983.
A cette date, le gouvernement français avait en effet accepté qu’une mission composée de cinq experts de haut niveau néo-zélandais et australiens se rende à Mururoa. Cette mission était dirigée par M. H. R. Atkinson, ancien directeur du Laboratoire national d’étude des radiations de Nouvelle-Zélande.
Cette mission, qui a reconnu que « la visite d’experts scientifiques dans une zone d’expérimentation militaire d’une autre nation devait être considérée comme unique » 62(*) et qu’elle avait reçu de la part des autorités françaises un accueil parfait et toute l’aide technique qu’elle avait souhaitée, a présenté un certain nombre de conclusions sur l’impact des essais aériens.
La mission Atkinson constate tout d’abord que « le niveau de la radioactivité ambiante sur la base de vie de l’atoll de Mururoa est en général plus basse que partout ailleurs dans le monde et que les traces des retombées des essais aériens sont détectables seulement à un niveau très loin en dessous de ceux qui ont une signification en terme de santé ». 63(*)
La très faible radioactivité du corail expliquerait ce phénomène à première vue assez surprenant.
Le satisfecit donné par les experts néo-zélandais et australiens doit cependant être relativisé. En effet, ceux-ci n’ont pas été autorisés à prélever des échantillons dans les parties Nord et Ouest de l’atoll, ni dans le sédiment du lagon, alors que ce sont justement les zones où ont eu lieu les essais aériens.
On ne peut que regretter la frilosité des autorités militaires qui se sont sans doute une fois de plus abritées derrière le sempiternel « secret défense », mais on peut aussi s’interroger sur l’attitude des experts qui ont accepté de présenter des conclusions qu’ils savaient pertinemment tronquées et peut-être même faussées.
Lors de la visite de la mission de l’Office à Mururoa, les autorités responsables des essais ont d’ailleurs reconnu qu’il subsistait trois zones où la radioactivité du sol restait importante. Ces portions de l’atoll en forme de « plume » ne représentent toutefois pas une surface considérable. Il faut souhaiter que la mission de l’AIEA ait pu s’y rendre et procéder aux analyses nécessaires pour mettre définitivement fin aux ambiguïtés actuelles.
Si le document publié par la DIRCEN et le CEA/DAM cité précédemment décrit très bien les effets physiques (onde thermique, effet de souffle, …) sur le milieu naturel des atolls, les problèmes liés aux retombées radioactives sont repoussés au tome IV de cet ouvrage, dont on attend malheureusement toujours la publication : « les zones localisées au voisinage des trois polygones d’essais ont subi, de manière répétitive, les effets les plus importants ; les retombées radioactives, leur impact sur l’environnement, ainsi que ceux des rayonnements nucléaires, ont été limités (cf. tome IV) ». 64(*)
Il est assez paradoxal de constater que nous disposons d’informations précises sur les effets physiques des essais aériens dont les conséquences, nous avons pu le constater in situ, ont pratiquement disparu alors que l’impact des retombées radioactives, dont les conséquences se font encore certainement sentir aujourd’hui, restent entourées d’un certain flou, pour ne pas dire plus !
Pourquoi ne pas reconnaître clairement ce qui est ? Les impératifs de la défense nationale ont conduit à porter des atteintes parfois graves à l’environnement et peut-être même à la santé humaine. Il ne serait que temps d’en faire le constat le plus honnêtement possible, d’en tirer les conséquences et d’y porter remède quand cela est encore possible.
Etait-il véritablement nécessaire d’attendre la publication du rapport des experts de l’AIEA pour connaître « le bilan de la radioactivité sur les sites et en Polynésie française » ? Il semblerait que la « volonté de transparence » qui avait présidé à la publication des trois premiers tomes de l’ouvrage de la DIRCEN et du CEA/DAM se soit quelque peu évaporée quand il s’est agi de parler des retombées radioactives et de leurs conséquences sur l’environnement et la santé humaine.
L’étude des retombées à longue distance des particules radioactives pourrait faire l’objet à elle seule d’un rapport entier.
Le présent rapport devant être consacré aux problèmes posés par les déchets nucléaires, nous ne ferons donc que quelques allusions aux retombées radioactives en dehors des sites de tir.
Aujourd’hui, plus de vingt ans après la fin de la dernière campagne d’essais aériens, les effets de ces essais, dans l’ensemble de la Polynésie, sont encore perceptibles bien que le taux de radioactivité artificielle soit aujourd’hui assez faible et en constante diminution.
A partir du moment où on admet qu’après un essai atmosphérique, les particules radioactives les plus fines peuvent rester en suspension dans l’atmosphère ou la troposphère pendant des années et que leurs retombées peuvent se produire un peu partout sur l’ensemble de la planète, il devient difficile d’attribuer les variations de la radioactivité artificielle à telle ou telle campagne de tir et donc à telle ou telle nation.
Toutefois, en 1983, le rapport Atkinson se risquait à présenter une évaluation : « Pour la zone tempérée de l’hémisphère Sud, qui inclut la Nouvelle-Zélande, la contribution la plus importante de l’exposition des populations aux retombées radioactives provient des produits de fission à vie longue émis par les essais aériens de l’hémisphère Nord. Environ 20 % de ces produits de fission à vie longue peuvent être attribués aux essais aériens réalisés sur les atolls de Mururoa et de Fangataufa… » 65(*)
Le rapport Atkinson précise également que « les doses de radiations reçues par les populations de Polynésie française du fait de la radioactivité naturelle ou artificielle sont plus basses que le niveau moyen mondial. »
Ces conclusions résolument optimistes sont, bien entendu, contredites par les opposants aux essais nucléaires et notamment par Bruno Barillot dans son ouvrage « Les essais nucléaires français ». 66(*)
Nous ne sommes pas en mesure, et ce n’est d’ailleurs pas l’objectif du présent rapport, de trancher entre ces positions divergentes.
On peut toutefois se référer aux travaux de l’IPSN, qui dispose depuis plusieurs années d’un laboratoire spécialisé dans l’étude de la radioactivité en Polynésie. Ce laboratoire, situé à Tahiti, constatait en 1995 que « les seuls radionucléides détectés dans les prélèvements marins et terrestres de l’hémisphère Sud sont des éléments à vie longue qui sont mesurés à des niveaux très bas et souvent inférieurs à la limite de détection. » L’IPSN fait également remarquer que« la valeur de la radioactivité artificielle en Polynésie française mesurée en 1995 correspond à moins 1 % de l’exposition due à la radioactivité naturelle. » 67(*)
Ce rapport de l’IPSN, sur lequel s’appuient les positions officielles sur les effets des essais, appelle cependant plusieurs remarques.
Tout d’abord, les constats effectués ces dernières années ne font, comme l’IPSN l’indique d’ailleurs très clairement, que prendre en compte « l’évolution dans l’hémisphère Sud qui se caractérise par une diminution progressive de la radioactivité depuis l’arrêt des essais nucléaires atmosphériques ». Pour se faire une idée plus précise de l’impact qu’ont pu avoir les essais aériens français, il faudrait donc analyser l’ensemble des publications du bureau de l’IPSN de Tahiti. Les données ainsi relevées par l’IPSN devraient également être comparées à celles qui ont été publiées chaque année par le Comité scientifique des Nations-Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR).
Une analyse critique de ces différents relevés pourrait donc être effectuée par des experts.
La collaboration d’experts qualifiés est indispensable car il s’agit d’un sujet très compliqué où les erreurs d’interprétation peuvent entraîner chez les populations concernées des réactions imprévisibles. Tout le problème est de trouver des experts qualifiés et impartiaux, reconnus et acceptés par toutes les parties. Le terme « impartiaux » est employé à dessein au lieu d’ »indépendants », ce dernier terme étant désormais pour les écologistes synonyme « d’opposants au nucléaire ».
Ainsi, pour les opposants aux essais nucléaires français, l’indépendance de IPSN, simple service du CEA, est souvent mise en question. Pour ceux qui ont eu à travailler avec cet organisme, et cela a été le cas de plusieurs rapporteurs de l’Office, cette indépendance ne fait néanmoins aucun doute.
Bien que des collaborations régulières aient eu lieu avec la DIRCEN, il faut remarquer que l’IPSN, organisme pourtant tout ce qu’il y a de plus officiel, n’a jamais été autorisé à mesurer l’évolution de la radioactivité sur les sites de Mururoa et de Fangataufa ! Il y a là une situation anormale à laquelle nous proposerons de mettre fin dans nos conclusions.
La dernière remarque porte sur l’impact qu’auraient pu avoir les essais aériens sur la santé des Polynésiens et en particulier sur celle des travailleurs du CEP. Il semblerait, malheureusement, que les études épidémiologiques aient été d’une consternante insuffisance, ce qui, aujourd’hui, permet toutes les interprétations même les plus aberrantes où, comme dans un film allemand présenté sur ARTE, toutes les maladies et toutes les anomalies génétiques constatées en Polynésie étaient attribuées aux conséquences des essais aériens.
Si ces dérives existent, c’est en grande partie en raison de l’attitude des responsables politiques qui ont accepté que les autorités militaires exercent un contrôle de plus en plus étendu, y compris sur la santé des populations civiles. Nous ne voulons pas mettre en question ni les compétences, ni l’honnêteté des médecins militaires, mais il fallait bien s’attendre à ce que les opposants aux essais contestent leurs travaux.
Aujourd’hui les essais sont terminés, le Centre d’Expérimentations du Pacifique disparaît, il n’y a donc plus aucune raison que le secret subsiste pour tout ce qui concerne la santé des populations et des travailleurs du Centre.
Rappelons-le une fois encore : la mission qui nous a été confiée par l’Office était d’étudier les problèmes posés par les déchets nucléaires militaires, les conséquences des retombées des essais aériens n’entrent donc pas dans notre champ de compétence au sens strict. Notre enquête nous a toutefois amenés à prendre conscience des questions que se pose, tout à fait naturellement, une partie des populations concernées.
Ne serait-il pas temps, dans ces conditions, de faire un bilan sérieux et définitif des conséquences éventuelles sur l’environnement et sur la santé humaine des essais aériens réalisés à Mururoa et à Fangataufa de 1966 à 1974 ?
En l’absence d’une telle démarche, il y a fort à parier que cette question continuera à empoisonner encore longtemps la vie politique de la Polynésie et les rapports entre ce territoire et la Métropole.
2°/ LES RISQUES À LONG TERME DES ESSAIS SOUTERRAINS
S’il est évident que les essais aériens peuvent présenter des risques aussi bien pour l’environnement que pour la santé humaine, la dangerosité des essais souterrains est beaucoup plus controversée. Il faut d’ailleurs noter que le passage aux essais souterrains n’a pas enrayé la contestation par les Etats voisins du Pacifique et par certaines organisations d’écologistes, bien loin de là !
De 1975, début des essais souterrains, à 1986, 78 essais souterrains ont été effectués directement dans la couronne corallienne (dont deux à Fangataufa).
De 1981 à 1995, on a procédé à 62 tirs à partir du lagon (dont six à Fangataufa).
Ces tirs souterrains, s’ils n’ont pas entraîné de pollution radioactive immédiate, ont cependant, à l’évidence, créé une quantité appréciable de déchets radioactifs qui sont restés, en principe, piégés dans la formation basaltique.
Nous sommes donc en présence, à Mururoa et à Fangataufa, de véritables sites de stockage de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue.
Même si les responsables des essais préfèrent toujours parler de résidus d’expérimentation, on doit regarder la réalité en face : la nature de ces résidus n’est pas fondamentalement différente de celle des déchets qui sont obtenus à l’issue du retraitement des combustibles usés des centrales nucléaires.
La liste et surtout les quantités de radionucléides qui résultent des 137 essais souterrains effectués à Mururoa et à Fangataufa sont, comme on pouvait s’y attendre, encore tenues secrètes ; elles auraient toutefois été communiquées à la mission de l’AIEA sous une forme qui préserve la confidentialité des opérations passées.
Lors de notre visite au CEP, les responsables présents nous ont cependant fourni quelques indications montrant, selon eux, que les quantités de déchets en question ne seraient en rien comparables à celles qui proviennent de l’utilisation civile de l’atome. Il y aurait en effet dans le sous-sol des deux atolls :
- 150 kg d’éléments radioactifs bêta et gamma, soit l’équivalent de trois « verres » de l’usine de La Hague ;
- 600 kg d’éléments alpha, soit l’équivalent de 14 colis civils.
Comme ces radioéléments sont dilués dans plus de 10 millions de tonnes de lave créée par les explosions, l’activité massique de ces déchets serait extrêmement faible, de l’ordre de 0,02 Curie par tonne en émetteurs alpha et inférieure à un Curie par tonne en émetteurs bêta et gamma, donc très proche de l’activité des déchets présents dans le Centre de stockage de la Manche que l’ANDRA est en train de fermer définitivement.
Toujours selon les responsables des essais, une explosion de 10 kilotonnes dans une roche de densité moyenne entraînerait la formation de 8 000 tonnes de roche fondue, qui se solidifierait rapidement en se transformant en une sorte de lave. Ils estiment que l’ensemble des essais souterrains aurait entraîné la formation de 10 millions de tonnes de lave ; la dilution des radioéléments dans cette énorme quantité de lave ferait que l’activité de ces déchets serait 10 000 fois plus faible que celle des verres issus du retraitement.
Sur ce point comme sur bien d’autres dans cette étude, nous devons nous contenter des explications officielles sans avoir de véritables possibilités de recoupement avec d’autres sources.
La quantité de radioactivité qui subsiste après une explosion semble toutefois être une donnée parfaitement connue des responsables puisqu’il est affirmé que « la mesure de la dilution dans la roche fondue des éléments radioactifs issus de l’explosion permet de déduire la masse de cette roche ». 68(*)
Après chaque explosion on procédait en effet, grâce à un forage spécial dévié, à un prélèvement de carottes de lave qui permettait d’effectuer un véritable diagnostic de l’expérience qui venait d’être réalisée.
En ce qui concerne la composition des déchets piégés dans la lave basaltique, en l’absence de données précises, semble-t-il toujours couvertes par le secret militaire, on ne peut que se référer à des informations assez approximatives et fournies par des opposants aux armements nucléaires.
Selon certaines publications, anciennes 69(*) ou plus récentes 70(*), on devrait retrouver après chaque explosion :
- des produits de fission résultant de la désintégration du plutonium et de l’uranium au cours de l’explosion. Appartiennent à cette catégorie le Césium 137, le Strontium 90 et 89, l’Iode 131 ainsi qu’une vingtaine d’autres éléments. De nombreuses mesures effectuées après les expériences atmosphériques sur des substances variées (plantes, lait, os humains, thyroïde humaine, …) ont apporté la preuve de la retombée de ces éléments dont certains, si leur concentration est élevée, peuvent être particulièrement dangereux pour la santé humaine ;
- de l’Uranium 235, du Plutonium 239 et du tritium qui composaient initialement l’engin à tester et qui ne sont pas rentrés dans la réaction, en d’autres termes qui n’ont pas été consommés lors de l’explosion car le rendement n’est jamais parfait. En plus de leur dangerosité intrinsèque, ces éléments posent également un problème grave en raison de leur durée de vie extrêmement longue. Ainsi, il faudrait attendre 240 000 ans pour que l’activité du plutonium soit divisée par 1 000 et puisse par conséquent être considérée comme négligeable ;
- des métaux ordinaires (fer, zinc, manganèse, …) qui constituaient l’enveloppe et le conteneur de l’engin, ainsi que son support. Ces métaux ont été activés par le flux de neutrons produit par l’explosion.
On a également noté, dans le cas des expériences aériennes, la présence de Carbone 14 radioactif qui résulte de la capture de neutrons par les noyaux d’azote de l’air ambiant.
Comme on le voit, il ne semble pas y avoir de différence de nature entre les radioéléments produits lors d’une explosion et ceux qu’on retrouve dans la phase ultime du retraitement des combustibles usés : ce sont tous des déchets qui auront une vie très longue, ce qui les rendra potentiellement dangereux pendant des siècles et même des millénaires.
A partir du moment où on reconnaît que les atolls de Mururoa et de Fangataufa constituent bien des sites de stockage de déchets radioactifs, une question essentielle se pose : les formations géologiques utilisées seront-elles capables d’assurer, sur le long terme, un confinement suffisant des radionucléides qu’elles contiennent ?
En d’autres termes, existe-t-il un risque de voir un jour les éléments radioactifs, actuellement enfouis dans le socle basaltique des atolls, remonter à la surface et contaminer l’environnement ?
Comme cela a été indiqué précédemment, les puits de tir ont été forés à une assez grande profondeur (600 à 1 100 mètres) de façon à atteindre le socle basaltique des atolls.
Si le rapport Atkinson rappelle que « Mururoa est l’atoll qui a été le plus intensément étudié dans le monde » 71(*), il n’en demeure pas moins que sa structure s’est révélée beaucoup plus complexe qu’on aurait pu le croire a priori. Le socle basaltique initialement façonné par des émissions de lave s’est en effet peu à peu transformé sous l’effet de l’eau qui l’a imprégné.
Les multiples forages effectués ont pu mettre en évidence qu’il existait dans la formation basaltique, pourtant réputée homogène et compacte, tout un processus de circulation des eaux provoqué par les échanges thermiques entre les eaux froides de l’océan et la roche réchauffée par la géothermie terrestre.
Selon les géologues, cette circulation interne des eaux a entraîné une transformation progressive de la roche originale et l’apparition de roches secondaires de type argileux. Pour les responsables des essais, cette évolution, bien loin d’être inquiétante, aurait tout au contraire contribué à renforcer les qualités de la roche : « Ces minéraux secondaires ont conduit à un colmatage progressif des réseaux de circulation (des eaux) et sont à l’origine de la faible perméabilité du massif. » 72(*)
Contrairement à ce qui est prévu pour le stockage souterrain des déchets civils, la formation géologique constitue la seule barrière susceptible d’empêcher la migration des radionucléides ; il n’existe pas, et pour cause, de barrières ouvragées et de conteneurs qui devraient constituer, dans les stockages prévus en Métropole, des précautions supplémentaires pour protéger les déchets.
Tous les auteurs s’accordent pour considérer que de par leur structure originelle, puis du fait de leur « argilisation », les laves qui constituent le socle des atolls n’ont qu’une très faible perméabilité. Cela ne signifie pas pour autant que l’eau est totalement absente de ces roches : « Les formations géologiques sont saturées par une eau d’origine marine qui va se déplacer sous l’influence du seul moteur significatif à l’intérieur du massif : la machine thermique dont la source chaude est le flux géothermique terrestre à l’aplomb de l’atoll et dont la source froide est l’océan. » 73(*)
La chaleur de l’écorce terrestre induit un mouvement naturel de circulation des eaux, les eaux chaudes moins denses remontant vers la surface et étant peu à peu remplacées par des eaux plus froides venant de l’océan à travers les flancs de l’atoll.
Le problème qui se pose est donc de savoir à quelle vitesse se déplacent les eaux qui remontent vers la surface et qui seraient donc susceptibles de ramener des éléments radioactifs du fond des cavités de tir vers la surface et la biosphère.
Cette vitesse est fonction de la perméabilité de la roche qui peut varier de 10-3 mètres par seconde pour les formations les plus perméables comme le sable par exemple, à 10-13 mètres par seconde pour les roches les plus compactes comme les argiles franches, la limite entre les roches perméables et imperméables étant en général fixée par les géologues à 10-9 mètres par seconde.
Les forages réalisés à Mururoa montrent que la formation basaltique profonde dans laquelle étaient réalisés les tirs est relativement compacte et homogène et que sa forte composante argileuse lui confère une perméabilité très faible comprise en 10-7 et 10-11 mètres par seconde.
Les formations géologiques situées plus près de la surface, et en particulier la couche de calcaire d’origine corallienne, sont en revanche beaucoup plus perméables, de l’ordre de 10-4 mètres par seconde, ce qui permet une circulation rapide des eaux en leur sein.
Selon un modèle établi par la DIRCEN pour l’atoll de Mururoa, la vitesse maximum de circulation des eaux serait :
- de 1 cm par an pour les formations géologiques profondes,
- et de 1 cm par jour dans les formations calcaires supérieures.
Le rapport Atkinson indique, toutefois, que « la perméabilité est suffisante pour que puissent être envisagés des flux comparables au 1 mètre par an comme cela avait été estimé dans le rapport Tazieff ». 74(*)
Entre 1 centimètre et 1 mètre par an, la marge d’incertitude est donc considérable mais l’explication a peut-être été apportée par le rapport Cousteau, qui attire assez justement l’attention sur « l’hétérogénéité des structures tant au niveau de la structure globale de l’île que celle de chacune des entités géologiques et des éléments qui les constituent » et qui conclut que « chaque forage est un cas particulier et doit donc être réajusté en fonction de la réalité géologique mise en évidence à cette occasion ». 75(*)
L’incertitude quant à la vitesse de migration des éléments radioactifs qui pourraient se trouver dans les eaux souterraines se trouve renforcée par l’absence de données précises sur les profondeurs auxquelles ont été effectués les différents tirs. En effet, si le toit de certaines des cheminées formées à la suite des explosions, et qui peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de hauteur, se trouve à proximité des formations calcaires, la migration des éléments initialement piégés dans la lave pourrait se faire dans des délais relativement courts, du moins à l’échelle des temps géologiques. Or il semblerait que certaines des premières expérimentations aient été effectuées à une assez faible profondeur avec, par voie de conséquence, une cheminée relativement proche des couches superficielles qui ne peuvent en aucun cas, tous les experts semblent d’accord sur ce point, servir à retenir la radioactivité. En effet, selon le rapport Atkinson : « Le temps de passage de l’eau à travers le corail est inférieur à 10 ans ». 76(*)
Les développements qui précèdent se réfèrent à des formations géologiques intactes qui n’ont pas été soumises aux perturbations engendrées par les explosions. Même si ces explosions ont été relativement de faible puissance, moins de 150 kilotonnes alors que certains essais aériens comme Canopus ou Procyon ont dépassé les 1 000 kilotonnes, il n’en demeure pas moins que l’énergie dégagée a entraîné des modifications certainement assez importantes de la structure des roches voisines de la cavité.
Non seulement l’explosion produit, comme on vient de le voir, une cheminée qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres, mais « jusqu’à 90 ou 100 mètres on peut avoir théoriquement des fractures en cisaillement [...] mais ces fractures n’ont jamais été clairement observées ». 77(*)
La méconnaissance de l’étendue et de l’importance de ces éventuelles fracturations de la roche (ou l’absence d’informations communiquées sur ce sujet) ont laissé le champ libre à toutes les interprétations possibles.
Ainsi, pour le rapport Atkinson : « Les roches volcaniques ont été sévèrement altérées dans les zones environnant les points d’explosion. Il existe des possibilités de chevauchement de zones de fractures adjacentes ou d’extension de précédentes zones de fractures par des essais suivants. Le bilan des données disponibles suggère que l’intégrité de l’ensemble de la structure de la roche volcanique n’a pas été altérée. Cependant les données essentielles des tests de contrôle n’ont pas été rendues disponibles pour l’inspection. » 78(*)
Ces remarques ont été faites en 1984 mais dans un article récent, M. Pierre Vincent, de l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand, soutient que les réseaux de fractures qui entourent les différentes cavités pourraient entrer en communication et ainsi « ouvrir le système permettant une migration progressive des éléments radioactifs dans l’océan et dans l’atmosphère », voire provoquer « une ouverture brutale du système par glissement d’un flanc de l’île dans la mer ». 79(*)
Pour appuyer cette hypothèse, Le Monde avait même publié une carte de Mururoa prétendument secrète sur laquelle figurent quatre fissures traversant totalement la couronne corallienne. Toujours selon Le Monde, ces fractures auraient été comblées avec du ciment. Lors de sa visite à Mururoa, votre rapporteur n’a pas constaté l’existence de ces « fractures rebouchées », il aurait d’ailleurs été étonnant que des travaux de cette importance, qui auraient nécessité des milliers de tonnes de ciment, aient pu passer inaperçues aux yeux des milliers de personnes qui ont résidé sur l’atoll.
En 1995, la revue scientifique britannique Nature a présenté l’avis d’un expert anglais qui, sans s’être jamais rendu sur place, diagnostiquait l’effondrement de l’atoll de Mururoa. Toutefois, dans le même numéro de Nature 80(*), deux autres spécialistes anglais et américain jugeaient cette hypothèse tout à fait improbable et estimaient qu’elle ne reposait sur aucune information véritable, l’un d’eux ajoutant même : « Je ne pense pas que les Français cherchent à détruire leur principal site d’essai. »
Comme on pouvait s’y attendre, les responsables des essais contestent vigoureusement toutes les prévisions catastrophiques sur la solidité de l’atoll. Pour M. Yves Caristan, chef du Laboratoire de détection et de géophysique du CEA qui avait été créé et dirigé par le Professeur Yves Rocard : « des éboulis et une fragmentation se forment dans l’entourage immédiat de l’explosion mais au-delà de ces zones, l’énergie mécanique se propage dans les terrains de façon élastique sans les modifier. » Il précise également que les différents essais ont été répartis sur la surface de l’atoll de manière « à limiter les interférences possibles entre eux et à préserver la stabilité du soubassement volcanique ».
Comme on peut le constater, il est donc très difficile de se faire une opinion et de savoir si les essais souterrains ont véritablement modifié la structure générale de l’atoll.
L’équipe Cousteau, qui s’était rendue sur place en 1987 et qui avait effectué plusieurs plongées sur les flancs de l’île de Mururoa, restait elle aussi assez dubitative : « En ce qui concerne le socle volcanique, il est évident que sa perméabilité est localement augmentée par les fractures artificielles, les cheminées d’effondrement et les puits [...] ces augmentations de perméabilité sont probablement très localisées mais se trouvent juste au niveau des zones sensibles : les chambres où sont vitrifiés les produits radioactifs. » 81(*)
Hormis le tassement de la couronne corallienne et l’effondrement à plusieurs reprises de parties des flancs de l’atoll, on n’a pas constaté de modifications représentatives de la structure de l’atoll mais cela ne signifie pas pour autant que celles-ci n’existent pas.
Comment savoir, en effet, si les fractures provoquées par l’onde de choc peuvent se rejoindre et si le système hydrogéologique naturel a été modifié localement ou sur une grande surface ?
Après chaque explosion, on procédait bien à un forage de prélèvement destiné à aller chercher des échantillons de laves fondues dans les cavités mais, de l’aveu même du CEP, la partie supérieure de ces forages était réalisée en « destructif », c’est-à-dire par broyage du terrain sous l’action de l’outil de forage, ce qui ne permettait pas de connaître la structure des terrains traversés.
De toute manière, comme le constatait l’équipe Cousteau : « Les valeurs de la résistance de la porosité, de la perméabilité d’un échantillon de roche prélevé par carottage, à un moment donné, ne peuvent être véritablement représentatives de la structure de Mururoa. » 82(*)
A partir du moment où la fracturation généralisée du socle basaltique des atolls, qui remettrait en cause l’étanchéité du confinement des radionucléides, n’a pas été démontrée et ne pourra plus l’être puisque tout le matériel de forage a déjà été enlevé et, compte tenu des incertitudes qui existent sur la migration des radioéléments vers l’atmosphère, une surveillance active, permanente, à long terme et si possible contradictoire de la radioactivité des eaux des lagons, de l’océan et plus généralement de l’environnement des deux atolls, devient une nécessité absolue.
Chapitre V
LES ATOLLS DE MURUROA ET DE FANGATAUFA CONSTITUENT DES SITES DE STOCKAGE DE DÉCHETS RADIOACTIFS QU’IL FAUDRA GÉRER EN TANT QUE TELS
La décision, en 1996, du Président de la République de renoncer définitivement aux essais nucléaires et de démanteler, par voie de conséquence, le Centre d’Expérimentations du Pacifique permet d’envisager avec sérénité le sort qui devra être réservé aux anciens sites d’expérimentation.
Le déchaînement médiatique qui avait suivi la reprise des essais avait conduit à une certaine surenchère dans les prévisions catastrophiques. Aujourd’hui, le calme est revenu et il est désormais possible de faire une évaluation sérieuse de la situation ; c’est ce qu’ont entrepris de faire les experts mandatés par l’AIEA dont le rapport devrait être publié au début de l’année 1998.
Dans l’attente des conclusions de ce rapport, toutes les remarques et propositions qui peuvent être faites n’ont qu’un caractère provisoire et pourront être revues en fonction des éléments nouveaux qui pourraient être éventuellement apportés par les experts de l’AIEA.
L’ensemble des déchets, qu’ils proviennent des tirs eux-mêmes ou des manipulations effectuées avant et après les essais, vont subsister pendant des siècles et même pendant des millénaires pour certains des éléments qu’ils contiennent.
Alors qu’en Métropole on s’interroge depuis plus de dix années sur la possibilité d’ouvrir des centres souterrains de stockage de déchets radioactifs, les impératifs de la défense nationale ont conduit à créer, de fait, sans étude préalable et sans autorisation spécifique, un dépôt de substances radioactives dans des couches géologiques qui n’étaient peut-être pas particulièrement adaptées à cet usage.
Le rapport de l’équipe Cousteau faisait remarquer à ce sujet que « l’atoll de Mururoa est un très mauvais site de stockage de déchets radioactifs » et qu’en outre, « il n’y a aucune raison de croire que si certains critères de confinement semblent nécessaires au stockage des déchets des centrales nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker les déchets nucléaires militaires ». 83(*)
Sans aller jusqu’à prétendre d’emblée que Mururoa constitue un très mauvais site de stockage des déchets radioactifs, il faut bien reconnaître qu’il y a une énorme disproportion entre la faiblesse des études préalables qui y ont été effectuées et le luxe de précautions dont on s’entoure pour créer un centre de stockage en Métropole et dans les autres pays qui se trouvent confrontés à ce problème.
Néanmoins, quelles que soient les réserves que l’on puisse émettre sur la démarche qui a été suivie, le fait est aujourd’hui que les déchets sont enfouis dans le sol des atolls, qu’ils y sont définitivement et qu’il n’existe aucune possibilité de modifier cette donnée.
A partir du moment où on considère que les atolls de Mururoa et de Fangataufa constituent désormais des sites de stockage définitif de déchets radioactifs sans utilité militaire, ils devront être gérés et surveillés dans des conditions aussi proches que possible de celles qui seront applicables aux centres de stockage qui devraient être créés en Métropole.
1°/ LES DEUX ATOLLS DEVRONT RESTER INHABITÉS ET ÉTROITEMENT SURVEILLÉS
Un des objectifs principaux de cette surveillance va être de s’assurer que la mémoire de ce stockage ne va pas s’estomper au fil des années et qu’il n’y aura jamais d’intrusion humaine risquant de faire remonter les radioéléments jusqu’à la biosphère.
Bien qu’il ne semble pas y avoir de ressources économiquement intéressantes dans le sous-sol des atolls, l’intrusion humaine involontaire reste une éventualité qu’on ne peut écarter d’emblée.
La surveillance institutionnelle des installations de stockage de déchets radioactifs même après la fermeture des sites est un sujet qui est de plus en plus étudié, aussi bien par les organisations internationales telles que l’AEN 84(*) que par les autorités nationales.
En France, la Règle fondamentale de sûreté des stockages définitifs de déchets radioactifs en formation géologique profonde (III 2 F) du 1er juin 1991 précise les précautions qui doivent être prises pour permettre d’assurer la sûreté des sites de stockage après la période d’exploitation : « Il faut fixer une date minimale avant laquelle aucune intrusion involontaire ne peut se produire en raison du maintien de la mémoire de l’existence du stockage. Cette mémoire dépend de la pérennité des mesures qui peuvent être mises en oeuvre : l’archivage, les documents institutionnels résultant de la réglementation, le marquage en surface… ». Dans cette Règle fondamentale de sûreté, on a estimé que « la perte de mémoire de l’existence du stockage peut raisonnablement être située au-delà de 500 ans ».
On peut en effet craindre qu’au fil des années, la collectivité nationale se désintéresse peu à peu de ces sites sans intérêt économique et apparemment sans danger, au risque de faire retomber la charge de la surveillance sur les collectivités locales voisines directement concernées (à condition toutefois qu’elles aient les moyens techniques et financiers d’assurer cette tâche).
Comme cela a été très bien développé dans une étude récente 85(*), la surveillance institutionnelle des sites constitue également un facteur de confiance du public et facilite l’acceptation du site par les populations concernées.
Mais la mise en place de cette surveillance à long terme des intrusions humaines passe par la mise en place d’une institution ou par le choix d’une institution déjà existante.
Pour le moment, il est prévu que l’armée assurera cette tâche pendant les dix années qui suivront la fermeture du CEP, grâce à un contingent d’une trentaine de légionnaires qui demeureront à Mururoa avec comme base arrière l’atoll proche de Hao.
Au-delà de cette période de dix ans prise en charge par l’armée, il conviendrait de transférer la surveillance des sites de Mururoa et de Fangataufa à l’ANDRA, chargée par la loi du 30 décembre 1991 d’assurer la gestion de tous les centres de stockage de déchets radioactifs.
Pendant un certain temps, il avait été question de réhabiliter les deux atolls pour leur trouver une destination nouvelle : village de vacances, centre de recherche, …
Lors de notre visite, nous avons pu constater que Mururoa allait être nettoyé, c’est-à-dire débarrassé de toutes les installations de surface qui n’ont plus d’utilité. Les équipements réutilisables sont donnés au territoire de la Polynésie française ou à des communes voisines ; les ferrailles, une fois compressées, devraient être cédées à un ferrailleur asiatique.
Si ces ferrailles, bien que non contaminées, ne trouvaient pas d’acquéreur, elles ne devraient en aucun cas être immergées comme cela avait été envisagé. Pour permettre à tout moment de les contrôler et pour éviter que le doute s’installe, le mieux serait de les stocker en surface dans des alvéoles de béton recouvertes ensuite de terres selon les principes mis en oeuvre par l’ANDRA dans son centre de l’Aube.
Les quatre barges qui servaient à forer les puits de tirs ont déjà été vendues en Australie, ce qui ne manque pas de piquant quand on se rappelle les campagnes hystériques déclenchées dans ce pays contre les essais français.
Il est clair que, même débarrassés de leurs principales installations de surface, ces deux atolls devront rester à tout jamais inhabités.
Les conditions dans lesquelles les déchets ont été enfouis dans le sous-sol de ces atolls font qu’il ne sera jamais possible d’y autoriser un séjour de longue durée non contrôlé.
Etant donné l’éloignement des zones habitées et l’absence d’eau potable, cette éventualité est, pour le moment, d’ailleurs totalement théorique, mais on ne peut jamais prévoir ce qui se passera dans un avenir plus ou moins lointain.
Dès que seront connues les conclusions des experts de l’AIEA et une fois le démantèlement des installations terminé, il faudra envisager le classement des deux atolls en zone protégée afin de constituer, comme le demande M. Daniel Pardon, des « sanctuaires protégés ». 86(*)
De tels sanctuaires deviennent en effet de plus en plus rares en Polynésie, où le développement des transports et du tourisme pèse très lourd sur la flore et surtout sur la faune des atolls. En laissant la nature reprendre ses droits et malgré toutes les perturbations qu’ils ont pu connaître du fait des essais, ces deux atolls pourraient devenir, si les autorités locales souscrivent à un tel projet, des lieux de référence pour suivre l’évolution de l’environnement polynésien.
Le transfert de la charge de la surveillance des sites et leur classement en sanctuaires naturels ne devraient pas avoir d’incidence sur les changements éventuels de statut juridique de ces deux sites, question qui sera évoquée un peu plus loin dans le présent rapport.
2°/ LA SURVEILLANCE DE LA RADIOACTIVITÉ DEVRA ÊTRE MAINTENUE INDÉFINIMENT
La protection contre les risques d’intrusions humaines restera indispensable mais elle ne sera pas suffisante. Indépendamment et parallèlement à ces activités de « gardiennage », il faudra en effet, pendant une période qu’il est actuellement impossible à définir, assurer une surveillance continue de l’évolution de la radioactivité artificielle dans l’environnement.
Les données actuellement disponibles, qu’elles proviennent des services officiels ou des missions d’experts indépendants, permettent de penser qu’il n’y a pas pour le moment de contamination inquiétante de l’environnement des deux atolls, mais qu’en sera-t-il dans l’avenir ?
Dans quelques mois, le rapport des experts de l’AIEA permettra de connaître le degré actuel de contamination radioactive des atolls. Toutefois, dans le passé, quatre missions de « scientifiques » réputés indépendants avaient fait le point sur le niveau de la contamination radioactive de la biosphère à Mururoa et à Fangataufa et avaient tenté de faire des prévisions sur l’évolution future de ce problème.
Le groupe de scientifiques qui accompagnait M. Haroun Tazieff avait estimé en 1982 que « les explosions aériennes ont introduit dans l’atmosphère, l’océan et tous les organismes vivants, en particulier marins, une radioactivité significative mais non préoccupante au point de vue sanitaire » et que « depuis que les explosions sont souterraines, la contamination radioactive de l’environnement est devenue quasiment nulle à court terme ».
Le rapport Tazieff constatait néanmoins que « le confinement des déchets radioactifs dans le sous-sol pour des périodes très longues, atteignant des milliers d’années, pose des problèmes qui ne sont pas résolus [...] d’où l’intérêt qu’il y aurait à vérifier en permanence l’absence dans les eaux souterraines et dans la mer de Krypton 85 et de tritium dont les périodes radioactives dépassent de peu dix années ainsi que des divers isotopes du plutonium ».
L’optimisme du rapport Tazieff doit cependant être tempéré, les contributions des experts annexées à ce document montrent bien que ceux-ci considéraient qu’un séjour de trois jours sur place était beaucoup trop court et que dès lors, leur mission n’avait eu qu’un caractère exploratoire, les résultats de leurs mesures ne devant servir « qu’à définir le programme de la mission de longue durée qui doit faire suite à cette mission exploratoire ».
Malheureusement, cette recommandation n’a pas été suivie d’effet et il n’y a jamais eu de mission complémentaire de longue durée.
La mission d’experts australiens et néo-zélandais présidée par M. H. R. Atkinson, dont les travaux ont été abondamment cités dans le cours du présent rapport, avait également posé le problème des éventuelles fuites de radioactivité et de la nécessité de prévoir une surveillance à long terme dans les deux atolls. Selon eux :« Les mécanismes susceptibles d’entraîner le transport des eaux contaminées vers la biosphère existent du moins sur le long terme. »
Les autorités françaises ayant interdit à la mission Atkinson de prélever des échantillons de sédiment dans le lagon, ils ont dû se contenter de la déclaration de ces mêmes autorités reconnaissant qu’il y avait de 10 à 20 kg de plutonium dans le fond du lagon.
La présence de ce plutonium, qui va peu à peu se répandre dans les eaux de l’océan, justifierait à elle seule le maintien à très long terme d’un mécanisme de surveillance. Il ne faut pas, en effet, oublier que la période (ou demi-vie) du plutonium 239 est de 24 110 ans et qu’il faudra donc attendre 241 100 ans pour que son activité initiale soit divisée par 1 000 !
Si, dans certaines études, on envisage la « banalisation » des sites de stockage de déchets à haute activité une fois terminées les opérations de remplissage, en faisant ainsi confiance à l’imperméabilité des barrières artificielles et naturelles, il ne semble pas que le site de Mururoa puisse être un jour rouvert en vue d’un peuplement humain. Comme le constatait le rapport Atkinson, si on peut effectivement considérer que la présence des résidus des explosions peut faire assimiler Mururoa à un stockage de déchets radioactifs, il faut cependant bien admettre que ce site ne remplit pas les conditions géologiques exigées pour implanter un tel stockage : « L’hydrologie des formations calcaires et volcaniques est telle qu’on peut envisager que des fuites à partir des cavités provoquées par les explosions pourront se produire dans 500 ou 1 000 ans » 87(*), le bouchon des puits constituant le passage privilégié par lequel les radioéléments les plus volatiles pourraient revenir à la surface.
En novembre 1988, l’équipe Cousteau a publié un rapport réalisé à la suite d’une mission de cinq jours pendant lesquels le Commandant Cousteau avait été autorisé à pénétrer à l’intérieur du lagon le lendemain d’un tir afin de prélever des échantillon d’eau, de sédiment et de plancton. Ces observations de surface furent complétées par des plongées en scaphandre autonome et en sous-marin.
Sur l’éventualité d’un retour à la surface d’éléments radioactifs provenant des explosions souterraines, le rapport Cousteau ne fait que confirmer les conclusions de la mission Atkinson ; les éléments les plus volatiles qui n’ont pas été piégés dans la roche fondue pourront migrer vers la surface, le temps de cette migration pour« certains radioéléments pourrait être dans certains cas voisin de 100 ans ». 88(*)
D’autres conclusions de l’équipe Cousteau viennent cependant tempérer cette conclusion quelque peu inquiétante, ils ont en effet constaté qu’il n’y avait pas de retour, en 1988, de radioéléments en surface et que les risques de pollution radiologique à court et à moyen terme sont négligeables. Le tout est de s’entendre sur la définition du court terme quand on admet en même temps que « l’atoll de Mururoa est par conséquent un très mauvais site de stockage de déchets radioactifs et il n’y a aucune raison de croire que si certains critères de confinement semblent nécessaires au stockage des déchets des centrales nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker les déchets des essais nucléaires militaires ». 89(*)
Ainsi les rapports des experts indépendants ne semblent pas remettre en question les mesures effectuées par les laboratoires officiels et en particulier par le Laboratoire du Service mixte de surveillance radiologique et biologique (SMSRB), qui dépend directement de la DIRCEN et de la Direction des applications militaires du CEA :
- les essais aériens ont entraîné la contamination de quelques zones des atolls et une certaine pollution atmosphérique dont la concentration diminue lentement mais régulièrement ;
- les radioéléments artificiels produits par les essais souterrains sont restés jusqu’ici confinés dans les couches géologiques profondes et n’ont pas entraîné de contamination en surface.
Si les responsables des essais et les missions d’experts indépendants se rejoignent dans leur appréciation de la situation actuelle, il n’en est pas de même, en revanche, sur l’appréciation du risque, à moyen et à long terme, de voir la radioactivité actuellement confinée à l’intérieur des roches fondues migrer un jour jusqu’à la surface.
La DIRCEN, sur ce point, semble faire preuve d’un optimisme résolu et considère qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas dans l’avenir de problèmes liés à la migration des radioéléments provenant des essais souterrains. Si les responsables de la DIRCEN ont été dans l’ensemble assez satisfaits des conclusions des différentes missions d’expertise, ils n’en ont pas moins tenu à se démarquer de certaines des conclusions du rapport Cousteau : « la DIRCEN émet des réserves sur certaines déductions ou assertions du rapport, notamment en ce qui concerne la circulation des eaux et des radioéléments ». 90(*)
Un argumentaire officiel distribué dans les postes diplomatiques se montrait toutefois beaucoup plus prudent sur l’innocuité à long terme des essais souterrains et notait à propos des conclusions des rapports Atkinson, Tazieff et autres… que « leurs seules réserves éventuelles concernent le long terme sur lequel personne n’est véritablement à même de se prononcer ». 91(*)
Ne serait-ce pas là le début de la sagesse ?
Pourquoi, en effet, ne pas admettre qu’on ne sait pas, aujourd’hui, ce qui se passera à moyen et à long terme et agir dès lors en prenant en compte, dès maintenant, cette incertitude ?
La loi du 2 février 1995 a énuméré les grands principes qui doivent désormais guider la politique de protection de l’environnement et cela grâce notamment au« principe de précaution, selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement à un coût économiquement acceptable ».
Selon ce principe, il ne suffit plus d’avoir la preuve de la nocivité d’un produit ou d’une technique pour se décider à prendre des mesures raisonnables pour protéger la santé humaine et l’environnement ; en quelque sorte, l’incertitude ne doit plus servir à justifier l’inaction.
Dans le cas des anciens sites d’expérimentations nucléaires de Mururoa et de Fangataufa, les experts sont semble-t-il d’accord pour affirmer :
- que la situation actuelle n’est pas dangereuse ;
- qu’on ne sait pas si les éléments radioactifs piégés dans la lave à plus de 800 mètres de profondeur rejoindront la biosphère ;
- qu’il est impossible de dire aujourd’hui, si cela devait se produire, combien de temps il faudrait pour que l’eau chargée de particules radioactives parvienne à la surface mais que, de toute façon, ce phénomène serait extrêmement étalé dans le temps ;
- que les dangers pour les populations seraient de plus en plus réduits en raison de la dilution des éventuels rejets et de l’éloignement des régions habitées.
Il n’empêche que l’incertitude, que les scientifiques sont dans l’incapacité de lever, engendre des craintes qu’il faut s’efforcer de gérer et d’apaiser.
Les populations de la Polynésie, qui n’ont pas été consultées sur l’implantation du CEP à l’origine et qui n’ont par voie de conséquence jamais pu donner leur avis sur les essais nucléaires, sont en droit d’exiger que toutes les précautions soient prises pour assurer une sûreté maximum.
Dans un cas comme celui-ci, la conduite à suivre ne doit pas être guidée uniquement par des critères scientifiques, il faut pouvoir démontrer que toutes les mesures techniquement et économiquement possibles pour réduire les éventuels dangers ont bien été prises.
En Métropole, l’ouverture de laboratoires souterrains préalable à la création de centres de stockage devrait permettre d’apporter la preuve que toutes les sources de risques ont été identifiées afin qu’on puisse préventivement y remédier.
A Mururoa et à Fangataufa, aucune de ces actions préventives n’a été conduite, c’est donc a posteriori qu’il va falloir s’assurer que toutes les mesures destinées à assurer la protection de l’environnement et même éventuellement de la santé humaine seront bien prises.
Pendant toute la période de fonctionnement du CEP, le suivi de la radioactivité a été assuré par le Service mixte de surveillance de la radiologie et de la biologie (SMSRB). Près de deux cents médecins, chercheurs et techniciens, parfois assistés par des plongeurs, ont procédé à des prélèvements et à des analyses pour essayer de détecter toutes les formes de pollution radioactive. Le caractère militaire du SMSRB et le secret auquel il était tenu sur certains des résultats obtenus ont bien entendu donné prise aux critiques des antinucléaires. De nos rencontres en Métropole et sur place à Mururoa, nous avons retiré l’impression que ce service a toujours rempli les tâches qui lui étaient confiées avec compétence, sérieux et honnêteté, et qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute systématiquement ses conclusions qui ont, en général, d’ailleurs été confirmées par les experts indépendants des autorités militaires françaises
Mais qu’en sera-t-il de ces contrôles après la fermeture définitive du CEP ?
Selon les indications qui nous ont été données, le SMSRB va être rapatrié en Métropole, les contrôles journaliers (eau, air) ou séquentiels (sédiments, chaîne biologique, plancton, algues, …) ne pourront donc plus être assurés avec la même régularité. En principe, pour les dix ans qui viennent, il est prévu qu’une équipe venant de la Métropole effectuera, chaque année, une campagne de prélèvements, ce qui nécessitera d’ailleurs le maintien à Tahiti d’un bateau spécialisé.
Ces campagnes annuelles de prélèvements seront complétées par un suivi continu effectué grâce à une dizaine de capteurs automatisés qui enverront le résultat de leurs mesures, par satellite, jusqu’à un centre du CEA en Métropole.
Sur un plan scientifique, ce dispositif peut paraître satisfaisant. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il ne suffira certainement pas à apaiser toutes les craintes des populations concernées.
La surveillance de la radioactivité n’a pas, en effet, qu’un objectif scientifique, elle doit être aussi motivée par le souci de maintenir la confiance du public.
La mise en place ou le maintien d’une telle surveillance passe donc par le choix d’une institution, existante ou à créer, dont le sérieux, l’honnêteté et surtout la permanence ne pourront pas être mis en doute.
A propos de la surveillance des installations de stockage de déchets radioactifs, un groupe de sociologues faisait d’ailleurs remarquer que « le choix d’un dispositif de régulation et de surveillance ne relève pas d’une détermination scientifique, c’est essentiellement un choix politique ». 92(*)
Dans ces conditions, il conviendrait donc :
- de prévoir dès maintenant un dispositif de surveillance de la radioactivité permanent et qui, en tout état de cause, restera actif bien au-delà de la période de dix années actuellement envisagée ;
- de mettre en place immédiatement une signalétique aussi indestructible que possible indiquant que les deux atolls sont susceptibles d’être contaminés par de la radioactivité. Plusieurs instances ont recommandé, pour cela, la construction de pyramides de cuivre portant le signe de la radioactivité ;
- de rapprocher, à terme, ce dispositif de surveillance de la radioactivité des populations polynésiennes concernées, en confiant cette tâche au Laboratoire d’étude et de surveillance de l’environnement de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) installé à Tahiti et actuellement chargé du suivi de la radioactivité pour toute la Polynésie française, mais à l’exception de Mururoa et de Fangataufa ;
- de chercher à former des étudiants polynésiens aux techniques de mesure et de surveillance de la radioactivité pour qu’à terme, la responsabilité des contrôles puisse être assurée localement même si la Métropole doit continuer à en assumer les frais ;
- de lever le « secret défense » et plus généralement de laisser le libre accès à toutes les données indispensables pour contrôler et apprécier les conséquences environnementales et éventuellement sanitaires des essais nucléaires.
3°/ LES CONSÉQUENCES POUR LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Les importantes et graves manifestations qui se sont déroulées pendant l’été 1995 pour protester contre la reprise des essais nucléaires ont bien montré que cette affaire se déroulait dans un contexte bien particulier et différent de celui de la Métropole. On ne peut nier, en effet, les particularités du peuple polynésien et la spécificité des problèmes liés à l’insularité.
Depuis la loi du 12 avril 1996, la Polynésie française dispose d’une large autonomie, les compétences de l’Etat étant strictement définies et limitées aux matières relevant de la souveraineté.
L’avenir des atolls de Mururoa et de Fangataufa devra dont être décidé avec les autorités de la Polynésie française, qui sont désormais « compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’Etat par la loi du 12 avril 1996″.
Dès lors que cette loi n’a réservé ni la protection de l’environnement, ni celle de la santé publique, à l’Etat, ce sont donc bien les Polynésiens et leurs représentants qui devront prendre en charge toutes les questions qui relèvent de ces deux domaines.
Par une procédure peut-être légale dans la forme mais quelque peu douteuse quant au fond, la Commission permanente de l’Assemblée territoriale a cédé gracieusement, le 6 février 1964, les atolls de Mururoa et de Fangataufa à l’Etat français « pour les besoins du Centre d’expérimentations du Pacifique ».
Cette même délibération de la Commission permanente avait toutefois prévu qu’« au cas de cessation des activités du Centre d’expérimentations du Pacifique, les atolls de Mururoa et de Fangataufa feront d’office retour gratuit au domaine du territoire dans l’état où ils se trouveront à cette époque, sans dédommagement ni réparation d’aucune sorte de la part de l’Etat ».
Si on devait suivre à la lettre ces dispositions supposées avoir été acceptées librement par les Polynésiens, la situation serait parfaitement claire : à partir du moment où l’Etat français n’a plus besoin des deux atolls, il les redonne au Territoire, dans l’état où ils se trouvent, à charge pour les autorités de la Polynésie française de se charger de tous les problèmes qui pourraient survenir.
L’iniquité de cette disposition était tellement flagrante que le Gouvernement français a décidé de passer avec la Polynésie une convention pour le renforcement de l’autonomie économique, destinée en fait à atténuer le choc économique qu’ont produit l’arrêt définitif des essais nucléaires et la fermeture du CEP. Pour ne pas trop pénaliser l’économie du territoire, l’Etat s’est ainsi engagé à verser chaque année jusqu’en 2006 une enveloppe de 990 millions de francs, les dépenses effectives du CEP résultant des activités de démantèlement étant au départ complétées par des subventions jusqu’à concurrence du montant contractuellement prévu.
Si le maintien pendant dix ans des flux financiers qui résultaient de l’activité du CEP peut, dans une certaine mesure, justifier la surveillance que l’Etat va continuer à exercer sur les deux atolls, il n’en demeure pas moins que Mururoa et Fangataufa doivent être désormais considérés comme faisant pleinement partie de la Polynésie française.
Toutes les mesures qui pourront être prévues pour assurer la surveillance contre les intrusions ou pour suivre l’évolution de la radioactivité ne pourront donc être prises qu’avec l’accord des Polynésiens eux-mêmes.
Il sera sans doute relativement aisé de parvenir à un accord pour toute la période de transition, mais qu’en sera-t-il au terme des dix années prévues ?
Il n’est pas certain en effet que la Polynésie française soit, en 2006, techniquement et économiquement en état d’assurer la surveillance effective des anciens sites d’essais. Des conventions avec les organismes, tels que l’ANDRA ou l’IPSN, qui pourraient se charger de cette tâche pour le compte de la Polynésie devraient être étudiées dès maintenant. Il ne faudrait pas en effet attendre la disparition de la DIRCEN, prévue pour 1999, pour mettre en place les mécanismes de surveillance qui devraient rester en place pendant une durée de temps qu’il est impossible de déterminer aujourd’hui.
Si toutes les études actuellement disponibles semblent démontrer que les essais souterrains n’ont eu aucun impact sur la santé des populations du Pacifique Sud, il ne faut cependant pas oublier que les essais aériens d’avant 1974 ont entraîné des retombées radioactives qui, sans être préoccupantes, n’en sont pas moins significatives selon les termes du rapport Tazieff. Il ne faut pas oublier non plus que plusieurs milliers de travailleurs polynésiens ont séjourné à Mururoa et qu’ils doivent pouvoir bénéficier d’un suivi médical régulier et spécifique.
Bien que le problème de l’impact sanitaire des essais n’entre pas, au sens strict, dans le cadre du présent rapport essentiellement consacré à la gestion des déchets, on ne peut passer sous silence le malaise que cette question provoque dans la population polynésienne, qui ne sait plus très bien qui croire.
En effet, comme le note très bien la CRII-RAD : « Celui qui s’interroge sur l’impact sanitaire des essais est confronté à deux discours inconciliables :
- d’un côté des témoignages, souvent bouleversants, sur des cas de malformations, d’enfants mort-nés, sur des familles lourdement touchées par le cancer, sur des décès suspects, des cercueils plombés …
- de l’autre les affirmations catégoriques des autorités militaires : toutes les précautions ont été prises, il n’y a pas de pollution et donc pas d’impact sanitaire. » 93(*)
Il est certain que quelques groupuscules, pour des motifs pas toujours très clairs, cherchent à affoler la population en mettant toutes les maladies qui surviennent en Polynésie sur le compte des essais.
Mais, d’un autre côté, peut-on se satisfaire des déclarations officielles qui évacuent le problème d’un trait de plume : « Aucune augmentation de maladies pouvant être d’origine radiologique (cancers …) n’a été observée parmi les populations polynésiennes ou parmi les personnels civils et militaires de la base » ? 94(*)
Actuellement, la situation radiologique de la Polynésie française, suivie régulièrement aussi bien par le SMSRB que par l’IPSN, est bonne : en 1995, la valeur de la radioactivité artificielle correspondait à moins de 1 % de l’exposition due à la radioactivité naturelle.
Mais en a-t-il été toujours ainsi dans le passé et n’a-t-on pas enregistré à certaines périodes des expositions significatives sur le plan sanitaire ?
Quelques exemples récents nous montrent que les études épidémiologiques, surtout quand elles portent sur les effets des faibles doses de radioactivité, sont très difficiles à conduire et que leurs résultats ne sont pas toujours très probants.
Il n’en demeure pas moins que pour mettre fin aux controverses qui continuent à se développer, comme nous avons pu le constater à Tahiti, il serait indiqué de lancer une étude sérieuse et indépendante sur la mortalité par cancer dans l’ensemble de la Polynésie.
Pour en finir avec les rumeurs et les craintes souvent injustifiées, il ne suffit pas d’affirmer péremptoirement qu’il n’y a pas de risque, il faut tenter d’en apporter la preuve et par des moyens qui seront considérés comme crédibles par les populations concernées. En 1982, le rapport Tazieff faisait déjà remarquer : « Bien que l’objet de cette mission soit essentiellement scientifique et technique, il faut noter que les participants de la mission ont pu retirer de leurs contacts avec les représentants de la population l’impression que le manque systématique d’informations où on les a laissés ne favorise pas l’établissement de relations confiantes avec les spécialistes qu’on leur demande ensuite de croire. »
Sur la question de l’éventuel impact sanitaire des essais, il ne semble pas, malheureusement, que la situation ait beaucoup évolué depuis 1982.
Le rapport de l’AIEA va très certainement faire le point définitivement sur la situation radiologique des deux atolls. Si on veut tourner définitivement la page après l’arrêt des essais, il faut qu’une enquête du même type soit conduite sur l’état sanitaire des populations de la Polynésie française.
Si une telle enquête devait, par malheur, conclure qu’il y a eu dans certains cas une liaison entre les essais et l’état de santé de quelques personnes, il y aurait alors lieu de prévoir les réparations nécessaires.
Le coût de telles réparations ne serait de toute façon que tout à fait minime par rapport aux sommes dépensées pour les essais, et il faut également toujours se souvenir que les Polynésiens n’avaient pas demandé à accueillir ces essais, sur lesquels il n’ont d’ailleurs même pas été véritablement consultés.
CONCLUSION GÉNÉRALE
ET RECOMMANDATIONS
EN CE QUI CONCERNE LES ESSAIS DANS LE PACIFIQUE
Une page est définitivement tournée. Les essais nucléaires appartiennent au passé mais leurs effets persisteront malheureusement encore pendant des siècles, si ce n’est des millénaires.
Il est aujourd’hui difficile de porter un jugement objectif sur ce qui a été fait pendant les années de la guerre froide. Tous les pays disposant d’armes nucléaires, et pas seulement la France, ont eu des pratiques qui seraient totalement impensables de nos jours.
Il nous reste désormais à gérer du mieux possible les conséquences de ce que nous sommes aujourd’hui tentés de qualifier d’erreurs ou d’imprudences.
Les essais atmosphériques ont été particulièrement polluants et bien que cela n’entre pas dans le cadre du présent rapport au sens strict, je me dois de recommander que les conséquences éventuelles de ces essais sur les travailleurs ou les populations avoisinantes fassent l’objet d’études épidémiologiques poussées et réalisées dans des conditions claires.
Les études épidémiologiques sérieuses sont difficiles à conduire et coûteuses, mais elles devraient contribuer à conforter l’avenir des relations entre la Métropole et la Polynésie.
Les Polynésiens n’ont jamais été consultés sur l’implantation du centre d’essai ; si des torts leur ont été portés, ils doivent être réparés.
En ce qui concerne les essais souterrains, pour le moment leurs effets, en surface, semblent extrêmement limités sinon nuls.
A cette affirmation j’apporterai cependant deux restrictions importantes.
Tout d’abord, les informations dont j’ai pu disposer proviennent pratiquement toutes de sources officielles.
Des experts de plusieurs nationalités ont été mandatés par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, en accord avec les autorités françaises, pour faire un bilan de la contamination radiologique des deux atolls de Mururoa et de Fangataufa.
Si les conclusions des experts de l’AIEA, qui seront rendues en 1998, ne correspondaient pas aux informations dont j’ai pu disposer, je demanderai au Parlement français de procéder à une enquête approfondie en utilisant au besoin tous les moyens de coercition que la loi créant l’Office a mis à notre disposition.
Ma deuxième observation porte sur l’évolution possible de la situation. Apparemment, il n’y a pas pour le moment de risque de dissémination de la radioactivité enfermée dans le socle des atolls, mais on ne peut préjuger de l’avenir.
Je demande donc qu’on applique pour ces deux atolls le principe de précaution, et que l’on considère qu’ils constituent définitivement des sites de stockage de déchets nucléaires qui devront donc être gérés avec toutes les précautions qui s’imposent.
Les îles de Mururoa et de Fangataufa devront rester inhabitées et surveillées. Cette surveillance devra s’exercer bien au-delà des dix années qui sont actuellement prévues, aux frais de la Métropole, par une structure locale et, dès que cela sera possible, avec des personnels recrutés sur place.
La fermeture et le démantèlement du Centre d’Expérimentations du Pacifique n’exonèrent pas la France de ses responsabilités. Quelle que puisse être l’évolution de nos rapports avec le Territoire de la Polynésie française, nous resterons comptables des conséquences éventuelles des essais qui y ont été réalisés.
SUR LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES MILITAIRES
Quels enseignements peut-on tirer de cette première enquête parlementaire sur la gestion des déchets radioactifs provenant d’activités liées à la Défense nationale ?
Il faut tout d’abord rappeler qu’il s’agissait de la première approche d’un dossier complexe et particulièrement mal connu jusqu’ici, ce qui fait que cette étude n’est ni complète ni exhaustive. S’informer de la nature et de l’étendue d’un problème sur lequel il n’existe pratiquement aucune synthèse publique et indépendante constitue une tâche passionnante mais difficile. Il n’en demeure pas moins que l’Office, et à travers lui le Parlement dans son ensemble, ne doit pas rester indifférent dès lors qu’il pourrait exister un risque, même éventuel ou minime, pour la santé des populations et des travailleurs concernés.
Contrairement à ce que je pouvais penser au départ, les difficultés ne sont pas venues des réticences de mes interlocuteurs, mais plutôt du fait que jusqu’ici personne, hormis les responsables de la Direction des Applications Militaires et les autorités de sûreté des INB-S, ne s’était véritablement soucié de l’aval du cycle dans le domaine du nucléaire militaire. D’où l’impossibilité où je me suis trouvé, bien souvent, de pouvoir confronter les sources officielles avec des documents d’origine différente.
Cette étude doit contribuer à faire prendre conscience que l’aval du cycle nucléaire « civil » n’est pas le seul problème de déchets radioactifs que nous avons à gérer. Son contenu sera peut-être repris ensuite comme une des composantes du « triptyque responsabilité-transparence-démocratie » qui figurait dans mon rapport dès 1990 et que certains semblent aujourd’hui découvrir.
Il convient tout d’abord de souligner les points positifs qui se dégagent des investigations que j’ai menées au cours de ces derniers mois.
J’ai tout d’abord constaté, avec plaisir, que tous les militaires et les personnels de la DAM interrogés se sont efforcés de me renseigner le plus complètement et le plus honnêtement possible.
Toutes mes questions ont reçu des réponses que j’ai estimé satisfaisantes sauf sur deux ou trois points qui, à vrai dire, concernent plus la fabrication des armes que les déchets au sens strict.
Peut-on, pour autant, être assuré que tous les aspects importants de ce dossier ont été traités ?
Il existe peut-être des sujets que nos interlocuteurs, liés par le secret défense, ont évité d’aborder et sur lesquels, faute d’informations préalables, je n’ai pas pu poser de questions dérangeantes.
Je reste cependant persuadé que les responsables de la DAM, et le Haut Commissaire lui-même, sont aujourd’hui convaincus que la gestion de leurs déchets radioactifs doit se faire avec la plus grande transparence possible, même si la réglementation actuelle ne s’y prête pas toujours.
Le second point positif que je voudrais souligner, c’est la volonté, nettement affirmée, de tous les responsables d’assainir la totalité des sites nucléaires liés aux activités de défense. Le programme d’assainissement des installations civiles du CEA conduit, depuis 1991, avec beaucoup de fermeté, par les deux titulaires successifs de la Direction de la gestion des déchets, a manifestement eu une influence bénéfique sur l’ensemble du CEA. Les responsables de la DAM considèrent désormais, eux aussi, la gestion des déchets, l’assainissement des sites et le démantèlement des installations hors service comme une priorité et non comme une contrainte imposée de l’extérieur. Il est évident que le réveil de l’intérêt du Parlement pour ces questions, depuis près d’une décennie, a aussi contribué à cette prise de conscience et à l’évolution des mentalités.
Autre aspect plutôt encourageant de ce dossier, c’est qu’il apparaît très nettement que les quantités de déchets provenant des activités militaires sont sans commune mesure avec celles qui ont été et qui seront générées par la production d’électricité. Cela ne signifie pas, bien entendu, que ces déchets présentent moins de danger mais simplement que leur gestion et leur évacuation nécessiteront beaucoup moins d’efforts techniques et financiers que dans le secteur nucléaire civil. Le programme français d’assainissement des sites militaires n’est en rien comparable avec le programme américain de « clean up » qui va, s’il est poursuivi jusqu’à son terme, engouffrer un montant considérable de crédits.
Il faut enfin constater que les déchets actuellement entreposés sur des sites classés en INB-S sont parfaitement surveillés et à l’abri de tout risque de détournement ou d’actions malveillantes. Sur le plan de la sécurité de ces entreposages, il n’y a donc rien à redouter même si leur sûreté peut, en revanche, parfois faire l’objet de certaines inquiétudes et donner lieu à des critiques justifiées.
Malgré ces quelques éléments réellement positifs, il n’en demeure pas moins que le dossier des déchets nucléaires liés aux activités de défense est loin d’être parfait et que les autorités de tutelle, mais aussi la représentation nationale, devront rester vigilantes afin que certaines opérations prévues et annoncées ne s’enlisent pas dans la routine et que la réduction des moyens accordés au secteur de la Défense ne conduise pas à différer des mesures urgentes et nécessaires.
Il faudra donc tout d’abord veiller à ce que le financement des programmes de gestion des déchets et d’assainissement des sites, qui a fait jusqu’ici l’objet d’un effort certain, ne soit pas remis en question au profit d’autres types d’activités.
En matière de production et d’essai des armes nucléaires, une page a été heureusement tournée. La réduction des crédits destinés à la dissuasion nucléaire qui en est la conséquence ne doit toutefois pas conduire à considérer que l’apurement du passé ne constitue plus une priorité.
Le risque d’un ralentissement dans le financement des actions d’assainissement et de démantèlement n’est pas théorique ; ces opérations coûtent cher et peuvent apparaître, aux yeux des responsables, comme quelque peu secondaires par rapport aux besoins strictement militaires. Elles ne sont, en effet, pas très gratifiantes et l’on comprend bien que la production d’armes nouvelles suscite plus d’enthousiasme que le nettoyage d’installations anciennes arrêtées parfois depuis très longtemps.
Il faut cependant affirmer avec force que la gestion des déchets fait partie intégrante de la dissuasion nucléaire et qu’elle ne doit pas être sacrifiée au profit d’investissements qui pourraient apparaître dans d’autres secteurs.
La nécessaire transparence qui doit présider à la gestion de tous les éléments radioactifs, quelle que soit leur origine, devrait conduire à lever le secret défense pour tout ce qui concerne la gestion des déchets sauf dans les cas, certainement très peu nombreux, où la liberté de l’information risquerait de fournir des informations préjudiciables à la sécurité militaire.
Dès lors que les déchets sont appelés à quitter un jour ou l’autre les sites militaires et les INB-S pour rejoindre les centres civils de l’ANDRA, il n’y a pas lieu de conserver des règles de secret qui ne peuvent qu’alimenter une certaine suspicion envers des activités qui pourraient éventuellement avoir des conséquences sur l’environnement et sur la santé des populations. L’inscription à l’inventaire de l’ANDRA des déchets entreposés dans tous les établissements relevant de la Défense nationale a marqué, en ce sens, un réel progrès.
De la même façon, la gestion de l’ensemble des déchets nucléaires du CEA devrait être réunifiée et confiée à une direction unique qui serait ainsi mieux à même de définir une politique d’ensemble cohérente. Certains déchets, qu’ils soient d’origine purement civile ou militaire, posent exactement les mêmes problèmes ; les solutions qui devront être trouvées pour les gérer et les évacuer devront en conséquence être identiques.
Il est évident que les personnels de la Direction civile des déchets du CEA et de la DAM entretiennent d’ores et déjà des contacts très étroits, mais l’unification de la structure chargée des déchets renforcerait ses pouvoirs et permettrait d’obtenir une plus grande lisibilité des programmes du CEA dans ce domaine.
Il est même peut-être temps d’aller plus loin dans cette direction et de confier à une structure unique les pouvoirs de décision en matière de gestion des déchets nucléaires, que ceux-ci proviennent d’EDF, de la COGEMA ou du CEA civil et militaire. Ces trois organismes sont en effet confrontés à des problèmes identiques qui appellent des solutions uniques. Les solutions à apporter, dans les nombreux cas où l’on ne dispose pas pour le moment d’exutoire définitif, ne dépendent pas en effet de l’origine des déchets mais de leurs caractéristiques propres. C’est le cas, par exemple, de façon évidente, pour les déchets très faiblement radioactifs qui risquent d’encombrer les sites des trois organismes qui en produisent et qui, surtout, vont en produire de plus en plus dans les années qui viennent.
Il existe aujourd’hui un organisme chargé du stockage des déchets, l’ANDRA, une direction du ministère de l’Industrie chargée de contrôler la sûreté des installations nucléaires, la DSIN, mais il n’y a pas d’autorité chargée de définir et de faire appliquer une politique globale et cohérente de l’aval du cycle nucléaire.
Nous proposons donc la création auprès du Premier Ministre d’une Délégation interministérielle à l’aval du cycle nucléaire placée sous l’autorité conjointe des ministères de l’Industrie, de l’Environnement, de la Santé et de la Défense.
Cette délégation aurait compétence pour tout ce qui concerne la gestion des déchets nucléaires, avant leur transfert définitif à l’ANDRA, l’assainissement des sites et le démantèlement des installations déclassées, autant de sujets qui constituent aujourd’hui un enjeu politique, économique et social majeur.
La population et les responsables politiques considèrent désormais, dans leur grande majorité, que l’aval du cycle nucléaire n’est pas un dossier comme les autres. Il convient donc de rechercher, pour le traiter, des solutions spécifiques et adaptées à l’importance des choix qui devront être effectués dans les années à venir.
Ces choix doivent se faire dans la plus grande transparence. Un dossier aussi sensible, qui conditionne l’avenir de notre politique énergétique, ne doit pas être ballotté au gré de jeux d’influences aussi minoritaires que souterraines.
Une politique de l’aval du cycle clairement définie, conduite avec autorité et sans hésitation, serait le meilleur moyen de répondre aux craintes de nos concitoyens et de mettre fin à certaines polémiques stériles qui risquent, en définitive, de rejeter sur les générations futures le soin de résoudre les problèmes que nous avons nous-mêmes créés.
On a parfois envisagé de confier ces responsabilités à une autorité indépendante sous la surveillance du Parlement. C’est par exemple ce que vient de préconiser en Grande-Bretagne le Parliamentary Office of Science and Technology, organisme homologue de l’office français. Ce n’est pas la solution que je propose de retenir.
Le fonctionnement quelque peu chaotique de certaines « hautes autorités » existantes n’incite pas à confier la définition d’une politique à très long terme à une structure dont la composition serait, de par sa nature même, soumise à de très brusques fluctuations.
Une organisation du type de la DATAR me paraîtrait beaucoup plus appropriée. Regroupant autour d’un délégué un nombre très limité de collaborateurs, sans toutefois constituer une administration nouvelle, cette nouvelle structure pourrait fonctionner en ayant un « droit de tirage » sur les services compétents dépendant de différents ministères tels que la DSIN, l’IPSN ou l’OPRI.
Si cette Délégation à l’aval du cycle nucléaire devait être instituée, les textes constitutifs devraient nécessairement prévoir :
- que sa compétence s’exercera également sur les déchets et les installations déclassées ayant servi aux activités militaires ;
- que le Parlement sera obligatoirement et régulièrement informé des mesures proposées par le délégué.
La représentation nationale pourrait en effet utilement oeuvrer vers plus de transparence grâce à quelques députés et sénateurs, représentant la majorité et l’opposition, désignés à cet effet et à même de disposer d’une information spécifique.
Une politique d’ensemble pourrait donc peu à peu se mettre en place mais, vu la difficulté du sujet, il faudra encore du temps pour arriver à la définition et à la mise en oeuvre d’un programme précis. Il ne faut toutefois pas oublier que certains de ces choix doivent s’effectuer relativement rapidement, notamment pour tout ce qui concerne le démantèlement des installations anciennes, afin de ne pas perdre la mémoire de ces installations et pour utiliser au mieux les personnels, très qualifiés, que l’arrêt de la production des combustibles nucléaires risquerait de laisser sans occupation. Toutes les opérations d’entreposage, de stockage, de recyclage, de démantèlement et d’assainissement, dès lors qu’elles intéressent des matériaux contaminés par la radioactivité, doivent en effet être impérativement conduites par des personnels spécialisés et formés à ces tâches sur des sites déjà exclusivement affectés à des activités nucléaires.
Dans l’immédiat et tant que le Parlement n’en aura pas décidé autrement, la loi du 30 décembre 1991 doit s’appliquer dans son intégralité et selon le calendrier prévu.
Il est clair aujourd’hui que cette loi est en train de réussir et donc d’éviter une paralysie progressive de tout le cycle nucléaire. Elle inspire d’ailleurs les autorités étrangères au Japon, en Allemagne ou en Suède par exemple. La communauté internationale souhaite sa réussite.
Il est non moins clair que des opposants peu nombreux cherchent, par tous les moyens, à tenter de dénaturer la loi de 1991, à la vider de son contenu, voire à l’abroger pour rouvrir à nouveau le procès des pouvoirs publics et de l’Etat réputés coupables.
Il n’appartient pas à de petits groupes d’individus de tenter de mettre en cause, par des manoeuvres dilatoires, l’application d’une loi de la République.
Plutôt que des manoeuvres d’appareil, l’exigence démocratique de plus en plus forte sur ce point doit conduire à un débat clair devant la représentation nationale, expression de la volonté populaire.
Comme on vient de le voir dans le présent rapport, et si les solutions proposées par la loi étaient retardées, les centres militaires du CEA risqueraient de se transformer peu à peu et subrepticement en centres de stockage, ce qui n’est pas dans leurs compétences. Il faut donc impérativement rechercher dès maintenant des solutions pour l’évacuation et le stockage définitif des déchets qui y sont provisoirement entreposés.
C’est en poursuivant les recherches dans toutes les directions que nous travaillons pour les générations de l’avenir. L’immobilisme est certes une solution tentante mais elle est inefficace.
En avançant dans la réflexion sur l’aval du cycle nucléaire, il apparaît de plus en plus probable qu’il n’y aura pas de solution unique pour l’évacuation définitive de la totalité des déchets nucléaires mais qu’il faudra, beaucoup plus certainement, mettre en place une combinaison des trois voies pour pouvoir s’adapter à leur très grande hétérogénéité, du moins pour ceux qui existent déjà.
Les trois voies de recherche prévues par la loi du 30 décembre 1991 :
- séparation et transmutation des éléments à vie longue,
- étude des possibilités de stockage réversible ou irréversible dans les formations géologiques profondes,
- étude des procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface des déchets,
doivent donc être conduites simultanément.
Aucune de ces trois voies de recherche ne doit être sacrifiée, voire abandonnée. Dans le premier tome de ce rapport, j’avais vigoureusement protesté contre l’insuffisance des recherches sur l’entreposage à long terme en surface et sur le stockage direct des combustibles irradiés. Manifestement, ce message a été entendu mais il ne faudrait pas maintenant que le rééquilibrage en faveur des solutions en surface ou sub-surface devienne la nouvelle pensée unique. Plus que jamais l’ouverture et la tolérance seront utiles sur ce dossier complexe.
EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE
Le présent rapport a été examiné par les députés et les sénateurs membres de l’Office lors de la réunion qui s’est tenue au Sénat le mercredi 10 décembre 1997.
A l’issue de l’exposé par M. Christian Bataille des conclusions de son rapport, M. Jean-Yves Le Déaut, député et président de l’Office, après avoir félicité le rapporteur de l’ardeur avec laquelle il soutenait ses propositions, a souligné que si un tel sujet pouvait être désormais abordé au Parlement, c’était en raison d’une application moins stricte des règles de secret qui entourent toutes les questions liées à la défense nationale.
Il a toutefois fait remarquer qu’il était quand même difficile de traiter exhaustivement ces sujets en raison des règles particulières de contrôle qui continuent à s’appliquer au nucléaire militaire, et il a estimé qu’il conviendrait désormais d’accroître l’indépendance des contrôleurs de ce secteur.
Il a insisté sur la nécessité d’organiser, le plus rapidement possible, devant le Parlement, un débat sur l’énergie, faisant valoir qu’il s’agissait là d’un souhait unanimement exprimé par les membres de l’Office.
M. Yves Cochet, député, a réaffirmé que la loi du 30 décembre 1991 devait s’appliquer dans son intégralité et qu’aucune des voies de recherche prévues par cette loi ne devait être négligée. Il a estimé que, pour trouver une solution à l’aval du cycle nucléaire, il ne fallait ni rien privilégier, ni rien exclure, tout en comprenant bien que certains des habitants des régions concernées puissent s’opposer aux projets de stockages souterrains.
Il a enfin interrogé le rapporteur sur les modalités de stockage des déchets dans des puits de l’atoll de Mururoa.
M. Christian Bataille a précisé qu’il s’agissait de deux puits qui n’avaient pas été utilisés pour des essais nucléaires mais qui avaient été spécialement creusés pour y enfouir les déchets produits par les manipulations qui précèdent ou suivent les essais. Il a indiqué que ces résidus étaient conditionnés dans des fûts et déposés au fond des puits, et qu’il s’agissait à la fois de déchets technologiques, de matériel provenant du démantèlement des installations et de produits radioactifs. Il a fait valoir que, selon les responsables des tirs, l’ensemble des déchets ainsi enfouis ne représente au total qu’une très faible activité radioactive comparable à celle des entreposages de surface de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et que les experts chargés du rapport Atkinson avaient estimé que les décharges de déchets radioactifs n’avaient pas de conséquence radiologique ou environnementale identifiable.
Revenant sur l’application de la loi du 30 décembre 1991, il a particulièrement insisté sur la nécessité de disposer d’au moins deux laboratoires souterrains de recherche. Il a également rappelé l’importance qu’il attachait aux recherches sur la transmutation qui doivent être poursuivies même si la fermeture de Superphénix devenait effective.
A propos des recherches sur le stockage ou l’entreposage en surface ou en sub-surface, dont il avait demandé la réactivation dans la première partie du rapport, il fait part des informations qu’il avait retirées de sa visite aux installations suédoises de ce type tout en faisant remarquer que les problèmes sont très différents dans ce pays qui ne retraite pas le combustible irradié.
M. Serge Poignant, député, a rappelé qu’ayant participé à la mission de l’Office dans les atolls, il avait pu constater que grâce aux efforts d’assainissement réalisés sur place, les doses de radioactivité étaient faibles à Mururoa mais qu’il n’était pas pour autant question d’installer des zones d’habitation sur cette île, qui offre d’ailleurs peu d’intérêt car elle se situe à près de quatre heures d’avion de Tahiti. En accord avec les conclusions de M. Christian Bataille, il a estimé indispensable de maintenir un contrôle de la radioactivité dans ces îles et d’étudier attentivement le rapport que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique va prochainement publier sur ce sujet.
Il a exprimé son accord sur le projet de création auprès du Premier ministre d’une délégation interministérielle à l’aval du cycle nucléaire placée sous l’autorité conjointe des ministères de l’Industrie, de l’Environnement, de la Santé et de la Défense, une telle structure pouvant permettre d’éviter une situation de blocage.
M. Claude Birraux, député, a indiqué qu’en vertu du principe de précaution, il convenait de mesurer la radioactivité dans les atolls de Mururoa et Fangataufa pendant plus de dix ans et de prévoir une autorité locale ou nationale à qui l’on rendrait compte de ces mesures.
M. Christian Bataille a fait valoir qu’il avait préféré ne pas désigner précisément le niveau -territorial ou national- où se situerait l’autorité de contrôle, mais a réaffirmé que la France devait assumer ses responsabilités sans limitation de temps.
En application de l’article 32 du Règlement intérieur de l’Office, les membres de la Délégation ont, à l’unanimité, décidé d’autoriser la publication du présent rapport.
ANNEXE
PRINCIPALES UNITÉS ET ABRÉVIATIONS UTILISÉES
Le Becquerel (Bq) est l’unité d’activité qui correspond à une désintégration spontanée par seconde d’un noyau d’atome.
37 GBq = 37.109 Becquerels = 1 gramme de Radium 226.
KBq = Kilobecquerel = 103 Becquerels = 1 000 Becquerels.
MBq = Mégabecquerel = 106 Becquerels = 1 million de Becquerels.
GBq = Gigabecquerel = 109 Becquerels = 1 milliard de Becquerels.
TBq = Térabecquerel = 1012 Becquerels = 1 million de millions de Becquerels.
PBq = Pétabecquerel = 1015 Becquerels.
Le Curie, ancienne mesure de l’activité radioactive = 3,7 1010 Bq.
La radioactivité massique s’exprime en Becquerels par gramme de matière : Bq/g.
Classification sommaire des déchets radioactifs
avec quelques exemples :
TFA = Très Faible Activité Produits de démantèlement : terres et gravats, ferrailles.
FA = Faible Activité Déchets technologiques : gants, vêtements, huiles, filtres.
MA = Moyenne activité Résines, solvants, concentrats, générateurs de vapeur.
HA = Haute Activité Produits de fission, métaux activés.
1 Rapport sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité, Christian Bataille, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
2 Les déchets nucléaires militaires français. Bruno Barillot et Mary Davis. Centre de documentation et de recherche sur la Paix et les conflits. Lyon 1994
3 Contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires. Claude Birraux - Office parlementaire d’évaluation - Décembre 1994 - page 64 et suivantes
4 US Spent Fuel and Radioactive Waste Inventories Prepared for US Department of Energy by Oak Ridge National Laboratory
6 Specific activity is defined in this table to be the radioactivity of a waste type at a given time divided by the volume of that waste type at the given time.
7 L’arme nucléaire française. Pourquoi et comment ?, Marcel Duval et Yves Le Baut, Editions Kronos 1992.
8 Les armes modernes, Kosta Tsipis, Editions Antrophos 1986.
9 Les déchets nucléaires, Armand Faussat, ancien directeur général adjoint de l’ANDRA, Stock 1997.
10 Isotope : élément chimique ayant le même nombre de protons et d’électrons mais un nombre différent de neutrons.
11 Le Cri du RAD, Spécial plutonium. Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité, n° 12 13, automne 1990.
12 Le combustible au plutonium, Agence pour l’Energie Nucléaire de l’OCDE, Paris 1989, page 30.
13 Les déchets nucléaires militaires français, Bruno Barillot et Mary Davis, Op. déjà cité, page 239.
14 Le laboratoire automatisé de mesure du plutonium, P. Marty et D. Dall’Ava, Choc Revue scientifique et technique de la DAM, 10 avril 1994.
16 Le tritium de l’environnement à l’homme, Coordinateurs : Yves Belot, Monique Roy et Henri Métivier, IPSN, Les Editions de Physique 1997.
17 Le tritium de l’environnement à l’homme, Op. déjà cité, page 137.
18 Two cases of tritium fatality, W. Seelentag, pages 267 à 280.
19 La radioprotection, aujourd’hui et demain, Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire, 1994.
20 Rapport d’activité de la Direction chargé de la gestion des déchets, CEA, 1995.
21 Les déchets nucléaires militaires français, Bruno Barillot et Mary Davis, Op. déjà cité.
22 Arrêté du 3 mai 1995, Journal Officiel n° 111 du 12 mai 1995, page 8001.
23 Arrêté du 3 mai 1995, Journal Officiel n° 111 du 12 mai 1995, page 8000.
24 Bilan 1996 du contrôle des rejets et surveillance de l’environnement des centres du CEA, CEA Direction centrale de la sécurité
25 Le contrôle de la sûreté et de la sécurité des installations nucléaires, Claude Birraux, Op. déjà cité.
26 Rapport d’activité de la Direction du CEA chargée de la gestion des déchets, années 1993 et 1996.
27 Rapport d’activité 1996, Direction de la sûreté des installations nucléaires, page XX.
28 Rapport d’activité 1996, Direction de la sûreté des installations nucléaires, Op. déjà cité, page 91.
29 Rapport sur la gestion des déchets très faiblement radioactifs, Jean-Yves Le Déaut, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, avril 1992.
32 Les déchets dits de très faible activité, Yves Kaluzny. Contrôle, revue de la DSIN, Op. déjà cité, page 31.
33 Projet COGEMA sur Bessines, octobre 1993.
34 Plus d’usines, plus d’information – Direction de la Communication de la COGEMA, 1990.
35 Les essais nucléaires français, sous la direction d’Yves Le Baut, Bruylant 1996, page 37.
36 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Grasset 1988, page 237.
37 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, DIRCEN-CEA/DAM, Tome II, page 55.
38 Les essais nucléaires français, Op. déjà cité, page 67.
39 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op. déjà cité, page 243.
40 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op. déjà cité, page 246.
41 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l’environnement et la santé. Bruno Barillot, Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits, Lyon 1996, page 57.
42 Tahiti-Pacifique, L’épopée du CEP à Eiao ou comment les îles Marquises faillirent devenir nucléaires, septembre 1995.
43 Les essais nucléaires français, Op. déjà cité, page 23.
44 Tahiti-Pacifique, août 1995.
45 Les essais nucléaires français, Op. déjà cité, page 31.
46 Fangataufa Mururoa Etat des lieux, Daniel Pardon, Editions Glénat 1995, page 47.
47 Mémoires sans concessions, Yves Rocard, Op. déjà cité, page 265.
48 La Dépêche de Tahiti, M. Aycobeny, directeur technique des essais, 2 novembre 1973.
49 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 86.
50 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l’environnement et la santé. Op. déjà cité, page 167.
51 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 78.
52 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome I, page 161.
53 La paix nucléaire, Simulation et réalités, Ed. Banon, octobre 1995, page 150.
54 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 136.
55 Rapport d’activité de la Direction chargée de la gestion des déchets du CEA, 1995, page 24.
56 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 120.
57 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 137.
58 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 147.
59 La paix nucléaire, Simulation et réalités, Op. déjà cité, page 150.
60 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 5.
61 Ministère de la Défense, Argumentaire distribué en janvier 1996.
62 Rapport Atkinson, Ministère des Affaires étrangères de Nouvelle-Zélande, 1983, page 5.
63 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 10.
64 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome III, page 133.
66 Les essais nucléaires français, Conséquences sur l’environnement et la santé. Bruno Barillot, Op. déjà cité.
67 Surveillance de la radioactivité en Polynésie française et autres pays et territoires, Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, Rapport 1995, page 30.
68 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 117.
69 Promesses et menaces de l’énergie nucléaire, Charles-Noël Martin, 1960, page 234.
70 Essais nucléaires – Le droit de savoir, Revue d’information de la CRII-RAD n° 3, octobre 1995.
71 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 105.
72 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 119.
73 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome I, page 123.
75 Mission scientifique de la Calypso sur le site d’expérimentations nucléaires de Mururoa, Rapport de l’équipe Cousteau, novembre 1988, page 14.
76 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 124.
77 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 114.
81 Mission scientifique de la Calypso sur le site d’expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 41.
82 Mission scientifique de la Calypso sur le site d’expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 41.
Rapport d’un groupe de travail sur les actions humaines futures sur les sites d’évacuation de déchets radioactifs, OCDE, 1995.
85 Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire.
Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de déchets radioactifs, Rapport n° 248, octobre 1996.
88 Mission scientifique de la Calypso sur le site d’expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 43.
89 Mission scientifique de la Calypso sur le site d’expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 46.
90 DIRCEN, Mission du Commandant Cousteau, Dossier 3, sous-dossier 3, pièce 33, non daté, page 4.
92 Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de déchets radioactifs, Op. déjà cité, page 43.
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