QUAND AUSTERITE NE RIME PAS AVEC GAY !(Michel SANTI / http://www.gestionsuisse.com)
Quand austérité ne rime pas avec gay !
Il s’agit de l’auteur à succès et Professeur à Harvard, du médiatique (et très conservateur) Niall Ferguson. Interrogé, à l’occasion d’une conférence donnée il y a quelques jours en Californie, à propos de la fameuse répartie de Keynes selon laquelle « nous serons tous morts à long terme », en anglais : « In the long run, we are all dead. » Ferguson répondit que la « philosophie de Keynes était tronquée (« flawed ») car il se fichait des générations futures : étant gay et sans enfant » ! Ferguson poursuivit sur cette lancée en affirmant que, « marié avec une ballerine dont il n’avait pas eu d’enfant car il passait plus de temps à parler de poésie avec elle que de procréer », il était « logique » que l’homosexualité de Keynes fasse de lui un membre de la société mou (« effete ») et égoïste (« selfish »).
Autrement dit, il serait impossible – dans le monde selon Ferguson – de s’intéresser à la société ou aux générations futures dès lors que l’on est homosexuel ou sans enfant. Du reste, c’est tout juste s’il n’accuse pas les gays d’être aux sources de la crise financière… A cette même occasion, Ferguson devait en outre évoquer ses « amis hauts placés », lesquels devraient avoir bien honte de fréquenter un tel énergumène qui ne recule pas à faire appel aux argumentations les plus spécieuses et les plus sordides pour étayer ses propos. Mais n’est-ce pas un peu le propre de cette école de pensée qui dénonce – exactement comme Ferguson lors de cette même conférence –« des lois et des institutions dégénérées » ?
Pour autant, comment expliquer qu’un membre de l’élite académique et universitaire aille délibérément sur un terrain privé – voire intime – pour contredire les travaux et les déclarations de Keynes ? S’employer à (tenter de) décrédibiliser les théories et les recherches de Keynes en prétextant son homosexualité et, donc, en effectuant sans hésitation le grand écart consistant à en tirer comme conséquence qu’il était naturel que celui-ci exhorte aux stimuli vu qu’il n’avait pas d’enfant témoigne en fait d’une réalité navrante pour ce type de conservateurs. Car ils sont effectivement de nos jours confrontés à l’échec cuisant de leur politique d’économies budgétaires et, ce, dans tous les pays l’ayant mise en place.
Incontestablement préoccupé par l’avenir, Keynes n’avait-il pas au contraire disserté sur les « possibilités économiques de nos petits-enfants », dans son célèbre : Economic Possibilities of Our Grandchildren ? Ne stigmatisait-il pas la profession des économistes qui se morfondait, selon lui, en inutiles « prédictions à court terme » ? Mais surtout : ne répétait-il pas inlassablement que si, dans le cadre d’une récession, les déficits doivent être creusés, ils devaient absolument en revanche être résorbés en période de forte croissance économique ? … Seconde partie de ces enseignements ayant hélas trop souvent été négligée et oubliée par les dirigeants politiques.
En réalité, les arguments de Ferguson et consorts qui exigent des réductions immédiates et substantielles des dépenses publiques, qui se déchaînent violemment contre les mesures sociales et qui réclament la rigueur et l’équilibre budgétaires patinent sérieusement aujourd’hui. Quand il devient de plus en plus évident que seuls des stimuli émanant de l’Etat seraient à même de soulager un secteur privé trop déprimé et souvent trop endetté pour embaucher. Ces conservateurs, traditionnalistes et autres ultra-orthodoxes ne pourront plus désormais –avec le même succès qu’hier –culpabiliser nos sociétés et « crier au loup » car les faits et les statistiques économiques leur opposent un démenti cinglant. Ne reculant pas devant l’argument moral fallacieux selon lequel « il n’est pas possible de laisser autant de dettes à nos enfants », le discours scandaleux de Ferguson n’est en fait qu’un degré supplémentaire franchi par une mouvance ultra-libérale qui se sait aux abois.
P.S: Lien vers le blog de Ferguson ayant par la suite exprimé ses plus plates excuses – http://www.niallferguson.com/blog/an-unqualified-apology
Michel SANTI,
économiste (http://www.gestionsuisse.com
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