LES IRRADIES EN RADE DE L’ARSENAL DE BREST(Jérôme CANARD/Le Canard Enchaîné/ Mercredi 3 avril 2013)
Les irradiés en rade de l’arsenal de BREST
(Jérôme CANARD / « Le Canard Enchaîné » / Mercredi 3 avril 2013)
Durant 24 ans, entre 1972 et 1996, une centaine de personnes ont travaillé sans protection au contact de charges radioactives.
Ces civils transformés en chair à neutrons (et à particules) étaient employés à l’atelier de pyrotechnie (partie explosive des missiles nucléaires) de la Direction des Constructions Navales (DCN) à l’île Longue, près de BREST.
Dix-sept ans plus tard, au prix d’un travail de fourmi, l’Association Henri PEZERAT, spécialisée dans la santé au travail, a réussi à boucler une enquête sur cet exemple sidérant d’irresponsabilité industrielle.
Sur dix dossiers médicaux reconstitués par l’association, huit concernent un cancer déclaré dans les années 2000.
Quatre se sont déjà soldés par un décès !
Les pathologies se sont déclarées autour de la cinquantaine, et cinq des salariés qui ont survécu sont reconnus en maladie professionnelle, dont quatre au prix d’une « faute inexcusable » admise par la DCN et le Ministère de la Défense.
Deux autres cas doivent être examinés par la justice dans les jours qui viennent.
Protection atomisée
En août 1996, à la suite d’un incident, la Direction des Constructions Navales décide subitement de procéder à des mesures de rayonnement (gamma et neutronique) sur les ouvriers au contact des têtes nucléaires qui doivent équiper le sous-marin le « Triomphant ».
Stupeur dans l’atelier: pendant plus de deux décennies, la DCN a prétendu que le danger d’irradiation était nul !
Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), qui livre les charges nucléaires à l’île Longue, n’a jamais rien signalé non plus.
Auparavant, explique la DCN, les missiles assemblés sur le site étaient moins radioactifs !…
Impossible à vérifier car les relevés radiologiques sont classés « secret défense » !
Radioactivité sélective
Les nouvelles normes de sécurité mises en place ne rassurent guère le personnel: limitation du temps passé à proximité des ogives, instauration de « zones rouges », port obligatoire de dosimètre, etc.
Certaines langues se délient:
« Quand on sait ce qu’il y a dedans, c’est obligé que ça émette », confie un chef d’atelier dont le témoignage est produit en justice.
Devant l’émotion et la mobilisation de la CGT, le Ministère de la Défense ordonne une enquête confiée à l’amiral Michel GEERAERT.
Ses résultats sont, eux aussi, classifiés !
Et la DCN s’en sort sans reconnaître la moindre erreur:
« Les directives écrites n’imposaient aucune disposition particulière », assure, en novembre 1996, le président du Comité d’Hygiène et de Sécurité.
Un gros mensonge. Car la Loi, elle, imposait des contrôles stricts pour les salariés exposés aux rayonnements ionisants dont les atteintes sont connues et indemnisées depuis…1931.
Une politique du silence qu’un médecin du Travail résume ainsi:
« L’atome c’est dangereux quand on l’envoie sur l’ennemi pas pour nous. »
Ce beau précepte était-il aussi respecté dans d’autres centres de recherche où l’on manipulait l’atome à des fins militaires ?
Par exemple à VAUJOURS (Seine-Saint-Denis), où l’on procédait à des essais de désintégration d’uranium.
A BRUYERES-LE-CHÂTEL (Essonne), où l’on produisait du plutonium, ou à VALDUC (Côte-d’Or), où des expériences sur tous les matériels, armes et combustibles nucléaires ont été menées.
En 2001, des analyses ont montré que les lichens prélevés à 1 km du site contenaient des doses de tritium radioactif mille fois supérieures à la normale. A 4 km, cent fois supérieures.
Quant aux militaires et aux populations exposés aux retombées des essais nucléaires effectués, entre 1960 et 1996, en Algérie et en Polynésie, et dont certains ont subi un véritable calvaire médical, ils ne suscitent qu’une attention limitée de la part de l’Etat.
Sur 817 dossiers d’indemnisation déposés par les victimes ou leurs familles, seules…11 réponses favorables ont été accordées.
La réputation du nucléaire est si précieuse et tient à si peu de choses…
Jérôme CANARD
« Le Canard Enchaîné » / Mercredi 3 avril 2013
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