URANIUM « APPAUVRI »: LE CRI D’ALARME D’UN SPECIALISTE AMERICAIN ! (Docteur Doug ROKKE / expert de radiophysique médicale auprès de l’armée américaine) + REVUE DE PRESSE TRES INTERESSANTE
L’horreur des armes
à l’uranium appauvri :
Le cri d’alarme
d’un spécialiste américain
(Docteur Doug ROKKE)
Le lecteur trouvera ci-dessous
un article du docteur Doug Rokke
concernant les terribles effets de ces armes.
NOTA:
En cliquant sur le lien « Doug Rokke » vous accédez à des diapositives très intéressantes (certaines très pénibles).
Titulaire d’un doctorat ès sciences obtenu à l’Illinois University en 1992, spécialiste des sciences de l’environnement et de la médecine nucléaire, durant l’opération Tempête du désert, D. Rokke a travaillé comme expert de radiophysique médicale sanitaire auprès de l’Armée Américaine. A ce titre, il a été chargé d’évaluer la contamination par l’uranium appauvri et de mettre de l’ordre dans cette affaire. C’est donc le spécialiste du sujet.
Table des matières:
Les officiels nient les graves effets de l’UA sur la santé
Qu’est-ce que l’uranium appauvri ?
Comment l’armée l’utilise-t-elle ?
Où et quand en a-t-on utilisé ?
Comment est né le Depleted Uranium Project et quels en étaient les objectifs ?
Quels effets néfastes sur la santé a-t-on observés, reconnus, traités et étudiés ?
Au vu des recherches antérieures et du Depleted Uranium Project, quelles recommandations ont-elles été émises ?
Qu’est-il advenu de ces recommandations ?
Que reste-il à faire ?
Les officiels nient les graves effets de l’UA sur la santé
Les preuves médicales — et en particulier les anomalies congénitales observées chez les enfants nés de parents vivant dans des zones contaminées par l’UA (voir photos : planche 1, planche 2, planche 3) sont une source de préoccupation croissante. L’uranium appauvri (uranium-238) et d’autres contaminants résultant de la guerre sont en cause. Aujourd’hui, dix ans après la Guerre du Golfe, des soldats et des civils présentent de graves problèmes de santé dus à une exposition à des munitions contenant de l’uranium appauvri, aux armes chimiques et biologiques iraquiennes et aux dégagements de produits chimiques industriels. Bien que l’origine de ces problèmes de santé soit complexe, je souhaiterais me concentrer sur l’uranium appauvri.
Aujourd’hui, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’OTAN continuent à affirmer expressément qu’il n’existe aucun effet néfaste reconnu sur la santé de ceux d’entre nous qui travaillent sur le projet médical de l’uranium appauvri au sein du Ministère Américain des Anciens Combattants. C’est un mensonge, comme l’ont prouvé nos propres dossiers médicaux fondés sur des diagnostics effectués par nos propres médecins urgentistes.
Un reportage du 10 janvier 2001 indiquait que « le Ministre de la Défense William Cohen avait affirmé que l’UA n’était pas plus dangereux que la peinture à base de plomb », et un instructeur de l’armée américaine avait assuré aux journalistes qu’il était « apte à la consommation ». Je ne connais aucun médecin capable d’affirmer que la peinture à base de plomb et l’uranium sont aptes à la consommation. Après avoir été empoisonnés par le plomb, des enfants sont maintenant contaminés par l’uranium appauvri aux quatre coins du monde.
Tandis que les responsables gouvernementaux continuent à réfuter tout lien entre une exposition à l’uranium et des problèmes de santé, les mineurs travaillant dans des mines d’uranium et les blessés de guerre exposés à une contamination par l’uranium présentent les mêmes troubles. Bien que le Radiation Exposure and Compensation Act de 1990 fût censé verser des indemnités à ces Américains, un article en première page du New York Times du 27 mars 2001 décrivait à quel point ces personnes étaient atteintes et indiquait qu’elles attendaient toujours leurs indemnités en raison d’allocations budgétaires inadéquates.
Je trouve très gênant que, alors qu’une partie du gouvernement américain reconnaît les graves effets néfastes de l’uranium appauvri sur la santé, les responsables du Ministère Américain de la Défense refusent de reconnaître ces mêmes effets engendrés par une exposition à l’uranium des munitions utilisées en temps de guerre.
Les responsables de l’Organisation Mondiale de la Santé ont publié leur rapport anticipé en avril 2001. Bien que ce rapport ait émis des recommandations spécifiques, ses auteurs, tout comme ceux d’autres rapports d’organismes gouvernementaux, n’ont pas consulté ceux d’entre nous qui ont réellement mis de l’ordre dans la pagaille provoquée par l’UA après l’opération Tempête du désert et effectué les recherches dans le cadre du Depleted Uranium Project. [Projet Uranium appauvri].
Je trouve également étonnant qu’une fois de plus les auteurs d’un rapport n’aient pas relevé le fait que, bien qu’une assistance médicale ait été demandée depuis la guerre pour toutes les personnes exposées et que des mesures d’assainissement de l’environnement aient été recommandées ou exigées, rien de tout cela n’ait été fait. Les auteurs du rapport de l’OMS n’ont pas non plus contacté ceux d’entre nous qui sont des victimes reconnues de l’UA ni parlé à nos médecins des effets observés et diagnostiqués sur la santé suite à une exposition à l’UA. Une fois de plus, les directives de la circulaire de Los Alamos (mars 1991) rédigée par LTC M. Ziehmn, USMC, sont respectées à la lettre.
Qu’est-ce que l’uranium appauvri ?
L’uranium appauvri, qui contient 99,8 % d’U-238, est composé d’hexafluorure d’uranium, le sous-produit du procédé d’enrichissement de l’uranium.
De récents documents publiés par le Ministère Américain de l’Energie affirment l’existence d’une petite proportion d’autres métaux lourds toxiques tels que le plutonium. Bien que 60 % du rayonnement ionisant des émissions gamma de l’U-235 et l’U-234 soient éliminés durant le procédé d’enrichissement, les particules alpha [hautement énergétiques] de 4,2 MeV et 4,15 MeV [MeV = méga électron-volt ; unité d’énergie en physique des particules (NdE).] — qui entraînent une ionisation interne importante causant des lésions cellulaires — augmentent proportionnellement.
La sempiternelle affirmation selon laquelle l’uranium appauvri présente une radioactivité inférieure de 60 % à celle de l’uranium naturel ne tient tout simplement pas compte des lésions internes graves causées par les émissions alpha. En outre, les dérivés radioactifs émettent des particules bêta et des rayons gamma susceptibles de provoquer d’autres lésions radiologiques.
Même s’il ne représente peut-être pas un danger en externe, l’UA constitue un grave danger en interne. Son inhalation, son ingestion ou la contamination des blessures présente des risques sérieux et inacceptables. En outre, les fragments ou pénétrateurs usagés émettent des particules bêta de 300 mrem/heure [mrem/heure = millirem par heure ; le rem étant l’unité de mesure du rayonnement radioactif. Rappelons que, d’après la Nuclear Regulatory Commission, la dose maximale acceptable pour le public est de 100 millirems par an (NdE).] et ils ne peuvent donc pas être touchés ou ramassés sans équipement de protection.
Comment l’armée l’utilise-t-elle ?
L’UA est utilisé pour fabriquer des pénétrateurs à énergie cinétique — des baguettes géantes (voir schéma d’un obus à l’UA). Chaque pénétrateur cinétique se compose presque exclusivement d’uranium-238.
L’industrie américaine des munitions produit les modèles suivants (la masse d’uranium-238 correspondante est indiquée pour chaque modèle):
- 7,62 mm (masse non spécifiée) ;
- 50 cal. (masse non spécifiée) ;
- 20 mm pour une masse de 180 grammes environ ;
- 25 mm pour une masse de 200 grammes environ ;
- 30 mm pour une masse de 280 grammes environ ;
- 105 mm pour une masse de 3 500 grammes environ ;
- 120 mm pour une masse de 4 500 grammes environ ;
- sous-munitions/mines terrestres telles que la PDM et l’ADAM, dont l’enveloppe contient une petite proportion d’UA.
Aujourd’hui, beaucoup d’autres pays produisent ou ont acquis des munitions à l’UA. L’UA est également utilisé dans les blindages, les contrepoids, les écrans de radioprotection et, ainsi que l’a proposé le Ministère Américain de l’Énergie, comme composant de matériaux de structure et de construction routière. Toutes ces utilisations sont destinées à écouler les énormes stocks résultant du procédé d’enrichissement de l’uranium du Ministère Américain de l’Energie.
Il est important de bien prendre conscience que les pénétrateurs à l’UA sont de l’uranium-238 solide. Ils ne comportent ni embouts ni gaines. Durant un impact, au moins 40 % du pénétrateur forme des oxydes d’uranium ou des fragments qui restent sur le terrain, à l’intérieur ou sur le matériel touché ou bien à l’intérieur des structures touchées. Le reste du pénétrateur conserve sa forme initiale. Ainsi, il reste quelque part un morceau d’uranium solide, que des enfants risquent de ramasser. L’UA s’enflamme également dans l’air durant sa trajectoire et lors de l’impact (voir schéma). Les retombées d’UA en feu et de fragments d’UA provoquent des explosions secondaires, des incendies, des blessés et des morts.
En termes simples, qui voudrait avoir dans son jardin des milliers de baguettes d’uranium solide, d’une masse comprise entre 180 et 4 500 grammes ? Qui voudrait avoir dans son jardin une source de contamination à l’uranium ?
Où et quand en a-t-on utilisé ?
Des rapports et des preuves photographiques du matériel détruit laissent penser que l’UA a été utilisé pour la première fois durant la guerre israélo-arabe de 1973. À l’aide de tests en laboratoire, des médecins ont confirmé une exposition à l’UA chez la personne ayant inspecté le matériel détruit.
La Guerre du Golfe a vu la première utilisation significative d’UA dans les combats. Les pilotes de chasse ont tiré au moins 850 950 obus et les canonniers 9 460 obus supplémentaires, pour un poids total de 631 055 livres ou plus de 315 tonnes. De récentes conversations avec la personne ayant dirigé tous les tirs d’obus à UA suggèrent que ce chiffre est peut-être en dessous de la vérité et que la quantité réelle serait supérieure de 25 %, atteignant environ 390 tonnes (voir un char iraquien détruit).
Malgré les mises en garde recommandant d’éviter d’utiliser l’UA, les Marines américains ont tiré des munitions à UA à trois occasions différentes en 1995 et 1996 lors de manœuvres à Okinawa, sans en informer le gouvernement japonais pendant plus d’un an.
En 1995, l’armée américaine a également tiré au moins 10 000 obus à UA en Serbie. Récemment [1999-2000], les forces américaines ont tiré au moins 31 000 obus de 30 millimètres à l’UA en Kosovo ou en Serbie.
Des munitions à UA ont été utilisées dans des champs de tir de l’Indiana, du Nevada, du Nouveau Mexique, de Floride, du Maryland, d’Ecosse et du Canada. Fait étonnant, la Marine américaine a tiré des munitions à l’UA sur l’île de Vieques (Puerto Rico), afin de préparer les attaques du Kosovo.
Vieques est actuellement au cœur d’un débat national et international, avec une contamination de l’environnement avérée et des effets néfastes sur la santé similaires à ceux observés chez d’autres victimes de l’UA.
Récemment, le Ministre de la Défense Donald Rumsfeld a décidé de suspendre les opérations de Vieques. Toutefois, D. Rumsfeld doit ordonner la mise en place de mesures d’assainissement complet de l’environnement et d’une assistance médicale pour toutes les victimes de Vieques. Toutes les opérations militaires doivent cesser définitivement.
Qu’avons-nous trouvé juste après les tirs de notre propre camp et les incidents de combat de l’opération Tempête du désert ?
Le Quartier général du Département de l’armée, de Washington DC., m’a affecté en tant que médecin et expert de radiophysique médicale sanitaire au sein de l’équipe chargée d’évaluer l’UA utilisé pendant l’opération Tempête du désert.
Nos découvertes peuvent se résumer en trois mots: « Oh mon Dieu ! ».
Selon des documents officiels, chaque baguette de pénétrateur contenant de l’uranium pouvait perdre jusqu’à 70 % de sa masse lors de l’impact, provoquant une contamination fixée et labile, le reste de la baguette se propageant à travers le matériel ou la structure pour finir par se retrouver sur le terrain. Les inspections des impacts sur place ont montré que la perte de masse était d’environ 40 %, partie qui crée une contamination fixée et labile, laissant environ 60 % de la masse initiale du pénétrateur sous forme d’une baguette solide. Il est apparu que les radiacs standards (instruments de détection, d’indication et d’évaluation de la radioactivité) ne détectaient pas cette contamination. Le matériel était contaminé par des fragments d’uranium, des oxydes d’uranium, d’autres substances dangereuses, des munitions instables non explosées et des sous-produits de munitions explosées.
Les documents que nous a envoyés le Commandement Logistique de l’Armée Américaine pendant l’opération Tempête du désert affirmaient que l’oxyde d’uranium était insoluble à 57 % et soluble à 43 % et inhalable au moins à 50 %. Dans la plupart des cas, sauf pour les fragments des pénétrateurs, on a découvert une contamination à l’intérieur des structures endommagées ou du matériel détruit, sur le matériel détruit ou bien dans un rayon de 25 mètres autour du matériel. Toutefois, durant les tests réalisés au Nevada en 1994 et 1995, nous avons découvert une contamination par l’UA jusqu’à 400 mètres du lieu d’un incident isolé.
Après notre retour aux États-Unis, nous avons dressé le « Plan de nettoyage du théâtre des opérations », que le Ministère Américain de la Défense a soi-disant transmis au Département d’État puis à l’Émirat du Koweït. Aujourd’hui, il est clair que les Irakiens n’ont jamais eu connaissance de ces informations. Par conséquent, bien que nous ayons su qu’il y avait et qu’il y a encore des matières dangereuses en Irak, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont préféré fermer les yeux pour des raisons politiques et économiques.
Des responsables irakiens, kosovars, serbes et autres ont souvent réclamé en vain des procédures de soins médicaux et de gestion de la contamination. Des habitants de Vieques, citoyens américains, ont également demandé une assistance médicale et des mesures d’assainissement de l’environnement mais les responsables du Ministère de la Défense refusent toujours de mettre en place ces mesures essentielles.
Comment est né le Depleted Uranium Project et quels en étaient les objectifs ?
Les risques sanitaires et environnementaux potentiels d’une contamination par l’uranium étaient connus avant la Guerre du Golfe. Une circulaire de la Defense Nuclear Agency américaine, rédigée par LTC Lyle et envoyée à notre équipe en Arabie Saoudite, indiquait :
« Étant donné que les équipes de neutralisation des explosifs et munitions, les unités de combat terrestre et les populations civiles d’Arabie Saoudite, du Koweït et d’Irak sont de plus en plus exposées aux munitions à l’UA, nous devons nous préparer à faire face à d’éventuels problèmes. Les souvenirs de la guerre toxique, la fureur politique et le nettoyage post-conflit (accord de la nation hôte) ne sont que quelques-uns des problèmes qu’il va falloir aborder. Les particules alpha (poussière d’oxydes d’uranium) provenant des obus explosés sont préoccupantes mais les particules bêta provenant des fragments et des obus intacts constituent une menace bien plus grave pour la santé, avec des taux d’exposition potentiels de 200 milli-rads/heure en cas de contact. »
Cette circulaire, ainsi que les rapports que nous avons préparés juste après la Guerre du Golfe dans le cadre du projet d’évaluation de l’UA en vue de récupérer le matériel américain contaminé/détruit par l’UA, les recherches antérieures et d’autres inquiétudes exprimées ont conduit le Ministère Américain de la Défense à publier une directive signée par le Général Eric Shinseki le 19 août 1993, visant à :
1. Dispenser une formation adéquate au personnel susceptible d’entrer en contact avec du matériel contenant de l’uranium appauvri.
2. Procéder à un dépistage médical sur le personnel exposé à une contamination par l’UA durant la Guerre du Golfe.
3. Élaborer un plan pour récupérer le matériel contaminé par l’UA lors des futures opérations.
Nul doute donc que les responsables du Ministère Américain de la Défense étaient et sont toujours conscients des risques exceptionnels et inacceptables propres aux munitions à uranium appauvri.
Par conséquent, j’ai été rappelé au service actif dans l’armée américaine en tant que directeur du projet sur l’UA, chargé de développer des procédures de formation et de gestion environnementale. Ce projet incluait : un examen de la documentation, un projet de développement d’un programme détaillé impliquant toutes les branches du Ministère Américain de la Défense ainsi que des représentants de l’Angleterre, du Canada, de l’Allemagne et de l’Australie et des recherches fondamentales sur le site d’essai du Nevada situé à 190 km au nord-ouest de Las Vegas, destinées à valider les procédures de gestion.
Le Depleted Uranium Project a donné naissance à :
- Trois programmes de formation : (1) Niveau I : grand public ; (2) Niveau II : dégâts des combats et opérations de récupération ; (3) Niveau III : officiers/sous-officiers spécialisés dans les produits chimiques ;
- Trois cassettes vidéo : (1) « Sensibilisation au risque de l’uranium appauvri » ; (2) « Gestion du matériel endommagé et contaminé » ; (3) « Fonctionnement de l’ensemble des radiacs AN/PDR-77 » ;
- La réglementation préliminaire de l’armée américaine, « Gestion du matériel contaminé par l’uranium appauvri ou par des produits radioactifs » ;
- Une brochure de l’armée américaine exposant « les procédures de manipulation du matériel contaminé par l’uranium appauvri ou par des produits radioactifs » ;
- Un nouveau radiac, capable de détecter et de quantifier une contamination par l’UA.
Bien que ces données aient été obtenues, reconnues et prêtes à être diffusées en janvier 1996, l’armée américaine, le Ministère Américain de la Défense ainsi que des responsables britanniques, allemands, canadiens et australiens ont ignoré les directives répétées et n’ont pas mis en place, sinon partiellement, le programme de formation et les procédures de gestion. Ce programme et ces procédures n’ont pas été portés à la connaissance de tous, ni même à celle des représentants des gouvernements de pays dont la population et l’environnement ont été exposés à l’UA, comme l’ont confirmé les enquêteurs du General Accounting Office américain (sorte de Cour des Comptes fédérale) dans un rapport publié en mars 2000 ainsi que par mes contacts personnels.
Quels effets néfastes sur la santé a-t-on observés, reconnus, traités et étudiés ?
L’identification et la vérification des dangers de l’uranium appauvri sur la santé sont limitées par le refus ou le report délibéré du dépistage et de la prise en charge médicale des victimes des tirs américains ayant inhalé, ingéré de l’UA ou ayant vu leurs blessures contaminées par ce métal, et de tous ceux présentant une exposition avérée ou supposée à de l’uranium internalisé.
Bien que dès mars 1991, nous ayons recommandé une assistance médicale immédiate, les ministères américain et britannique de la défense et, du même coup, le ministère américain des anciens combattants rechignent toujours à proposer un dépistage complet et les soins médicaux nécessaires.
Dans une lettre datée du 1er mars 1999, le Dr Bernard Rostker m’a indiqué qu’une fois les combats terrestres terminés, les médecins et les experts de radiophysique médicale sanitaire avaient jugé inutiles le dépistage et le traitement des personnes exposées à l’uranium. Les vrais documents disent le contraire ! Aujourd’hui, des personnes (dont moi-même), à qui a été refusée une assistance médicale sont malades alors que d’autres sont décédées. J’ai adressé personnellement ma demande par courrier le 21 mai 1997 au Bureau du Service de Santé, du Commandement Logistique de l’Armée Américaine et l’ai transmise au Dr Rostker.
Selon mon expérience personnelle, celle des médecins et des personnes exposées à l’UA, les effets néfastes avérés sur la santé incluent :
a) une allergie des voies respiratoires ;
b) des anomalies neurologiques ;
c) des calculs rénaux et des douleurs rénales chroniques ;
d) des éruptions cutanées ;
e) une dégradation de la vision et une perte de vision nocturne ;
f) des problèmes de gencives ;
g) des lymphomes ;
h) diverses formes de cancers de la peau et des organes (voir photo) ;
i) des troubles neuro-psychologiques ;
j) la présence d’uranium dans le sperme ;
k) un dysfonctionnement sexuel ; et
1) des anomalies congénitales chez les nouveau-nés (voir photo).
Aujourd’hui, des problèmes de santé ont été répertoriés chez des employés d’usines de traitement de l’uranium ainsi que chez des personnes vivant à proximité de Paducah, dans le Kentucky, Portsmouth, dans l’Ohio, Los Alamos, au Nouveau-Mexique, Oak Ridge, dans le Tennessee et Hanford, dans l’État de Washington. Les employés des usines de production ou de traitement de l’uranium de l’État de New York, du Tennessee, de l’Iowa, du Massachusetts et de la région des « four corners » du sud-ouest du Colorado ont également fait état à plusieurs reprises de problèmes de santé similaires à ceux rapportés par des victimes avérées de l’UA utilisé pendant la Guerre du Golfe. Des médecins iraquiens et ceux d’autres organisations humanitaires font état des mêmes problèmes de santé chez les populations exposées.
Des scientifiques écossais ont récemment confirmé la présence d’uranium dans l’urine des habitants des Balkans. Cela laisse penser que l’uranium appauvri (U-238) est mobile et contamine l’air, l’eau et le sol (voir un schéma) — comme l’indiquait déjà une lettre d’octobre 1943 adressée au Général Leslie Groves.
Actuellement, vérifier la corrélation entre une exposition à l’uranium et des problèmes de santé n’est peut-être pas possible, sauf dans quelques cas, en raison de retards délibérés d’un dépistage obligatoire — un test radiobiologique. Le dépistage implique le prélèvement et l’analyse d’échantillons d’urine, de selles et d’un frottis de gorge dans les 24 heures suivant l’exposition. Aujourd’hui, des mois ou des années plus tard, seule une petite partie de l’uranium séquestré sera détectée. C’est pourquoi les scientifiques de l’OMC ont recommandé un dépistage immédiat chez les populations exposées. Cette fraction détectable ne représente que la partie mobile ou soluble. Une récente autopsie réalisée au Canada a révélé qu’il se produisait bien une rétention et que la fraction mobile pouvait ne pas être représentative de la quantité réellement présente.
Même lorsqu’il existe des preuves médicales avérées imputant des problèmes de santé à une exposition à l’UA, la reconnaissance et la documentation officielles demeurent limitées. Par exemple, en 1994 et 1995, le personnel médical du Ministère Américain de la Défense en poste au sein d’un hôpital militaire américain a enlevé, mis à l’écart et caché des diagnostics documentés (y compris le mien) concernant des personnes affectées et d’autres médecins. Certains dossiers médicaux ont été récupérés à l’automne 1997 mais probablement trop tard pour beaucoup de personnes.
Aujourd’hui, cette pratique se poursuit et, par conséquent, les personnes exposées ne bénéficient pas d’une assistance médicale adéquate et efficace. Cela concerne également les personnes pour lesquelles une prise en charge a été demandée et prescrite à de nombreuses reprises. Cette situation perdurera aussi longtemps qu’on laissera les gouvernements américain, britannique, canadien et autres, ainsi que l’OTAN, ne tenir aucun compte des preuves émergentes et refuser une assistance médicale à tous ceux ayant été ou susceptibles d’avoir été exposés à l’uranium appauvri (uranium-238), à d’autres isotopes et à d’autres contaminants résultant de l’utilisation de munitions à uranium appauvri.
Les critères décrivant les expositions nécessitant un dépistage médical dans un délai de 24 heures et une assistance médicale ultérieure ont été exposés dans un message du Quartier Général du Ministère de l’Armée, daté du 14 octobre 1993. Ces expositions correspondaient aux situations suivantes :
a) Se trouver au milieu de fumée de feux d’UA provenant de véhicules chargés de munitions ou de dépôts de stockage de munitions en flammes.
b) Travailler dans des environnements contenant de la poussière d’UA ou des résidus de feux d’UA.
c) Se trouver à l’intérieur d’un véhicule ou d’une structure au moment où ils sont frappés par des munitions à l’UA.
Ces directives doivent s’appliquer scrupuleusement à tous les individus exposés, qu’ils soient civils ou militaires. Elles doivent être mises en œuvre maintenant !
Il faut programmer et offrir une assistance médicale afin d’identifier puis de soulager les problèmes physiologiques réels plutôt que de mettre l’accent sur les manifestations psychologiques et le dépistage continu. Des personnes, dont des enfants, sont malades et méritent de recevoir des soins pour les expositions complexes à l’origine de leurs problèmes de santé. Pour des expositions connues à l’uranium, l’accent devrait être mis sur les disciplines suivantes (la source de préoccupation figure entre parenthèses) :
A. la neurologie (effets des métaux lourds) ;
B. l’ophtalmologie (effets du rayonnement et des métaux lourds) ;
C. l’urologie (effets des métaux lourds et formation de cristaux) ;
D. la dermatologie (effets des métaux lourds) ;
E. la cardiologie (effets du rayonnement et des métaux lourds) ;
F. la pneumologie (effets du rayonnement, des particules et des métaux lourds) ;
G. l’immunologie (effets du rayonnement et des métaux lourds) ;
H. l’oncologie (effets du rayonnement et des métaux lourds) ;
I. la gynécologie (problèmes neurologiques, effets du rayonnement et des métaux lourds) ;
J. la gastro-entérologie (effets systématiques) ;
K. l’odontologie (effets des métaux lourds) ;
L. la psychologie (effets des métaux lourds).
Beaucoup de personnes dont on sait qu’elles ont été exposées n’ont toujours pas reçu l’assistance demandée. Comme l’a indiqué le Dr Michael Kilpatrick, du Ministère Américain de la Défense, le 10 mars 2001, seules 60 personnes (dont moi-même) se voient dispenser un minimum de soins médicaux par des médecins affectés au Projet sur l’uranium appauvri du Ministère des Anciens Combattants, à Baltimore, dans le Maryland. Cela ne représente qu’une fraction sur les plus de 350 personnes dont l’exposition a été confirmée.
Aujourd’hui, moi-même et d’autres devons prendre des antibiotiques et des stéroïdes pour gérer nos problèmes de santé. Il est impossible d’obtenir des soins et des traitements corrects. Si les autorités refusent tout examen médical aux personnes qui ont été exposées et présentent des problèmes de santé, alors elles n’ont pas de mal à dire que l’UA n’a jamais eu d’effets néfastes sur la santé parce qu’elles n’en ont jamais vu. Il en va de même pour la science médicale lorsque les politiques donnent l’ordre d’étouffer l’affaire pour limiter les responsabilités.
Cette tentative d’étouffer l’affaire a commencé avec l’infâme circulaire de Los Alamos envoyée à notre équipe en Arabie saoudite en mars 1991. Cette circulaire nous disait de faire en sorte que nos conclusions permettent de continuer à utiliser les munitions à l’UA. En d’autres termes, il fallait mentir !
La lettre envoyée au Général Leslie Groves en 1943 est encore plus dérangeante. Dans cette circulaire, datée du 30 octobre 1943, des scientifiques de premier plan affectés au Projet Manhattan suggéraient que l’uranium pouvait être utilisé pour contaminer l’air, l’eau et le sol. Selon cette lettre, envoyée par le Sous-Comité du Comité Exécutif S-I sur « l’utilisation des matériaux radioactifs comme arme militaire », une inhalation d’uranium provoquait une « irritation des bronches en quelques heures ou quelques jours ». C’est exactement ce qui est arrivé à ceux d’entre nous qui ont inhalé de la poussière d’UA durant l’opération Tempête du désert ainsi qu’aux soldats américains présents dans les Balkans.
Le Sous-Comité ajoutait :
Les produits émettant des particules bêta pouvaient pénétrer dans le tractus gastro-intestinal par de l’eau, de l’air ou des aliments pollués. S’ils pénétraient par les voies aériennes, ils se logeaient sur les muqueuses du nez, de la gorge, des bronches, etc. et étaient avalés, ce qui entraînait une irritation locale, tout comme dans les bronches, et cela pour un même degré d’exposition. L’estomac, le caecum et le rectum, où les concentrations de produits restaient plus longtemps qu’ailleurs, étaient les parties plus susceptibles d’être affectées. Des ulcères et une perforation fatale de l’intestin pouvaient survenir, même en l’absence d’effets généraux dus au rayonnement.
Aujourd’hui, des problèmes de santé continuent à se développer. On refuse ou on retarde toujours l’apport d’une assistance médicale aux victimes exposées à l’uranium, tandis que les responsables des Ministères de la Défense Américain et Britannique continuent à réfuter tout lien entre une exposition à l’uranium et des effets néfastes sur la santé ou l’environnement. Ils s’imaginent qu’ils peuvent répandre des déchets radioactifs (uranium-238) dans le jardin de n’importe qui sans avoir à le nettoyer ou à assurer de prise en charge médicale. Leur arrogance est stupéfiante !
Au vu des recherches antérieures et du Depleted Uranium Project, quelles recommandations ont-elles été émises ?
Le projet sur l’UA et l’examen des recherches antérieures ont renforcé nos conclusions et recommandations initiales de 1991 selon lesquelles :
1. Toute source de contamination par l’UA doit être physiquement retirée et correctement détruite afin de prévenir des expositions futures.
2. Des systèmes de détection de rayonnement spécialisés, capables de détecter et de mesurer les émissions des particules alpha, des particules bêta, des rayons X et des rayons gamma à des niveaux appropriés allant de 20 dpm à 100 000 dpm et de 0,l mrem/heure à 75 mrem/heure, doivent être acquis et distribués à toutes les personnes ou organisations chargées des soins médicaux et des opérations d’assainissement de l’environnement impliquant de l’uranium appauvri/uranium 238 et d’autres isotopes faiblement radioactifs éventuellement présents. Le matériel standard ne détectera pas de contamination.
3. Une assistance médicale doit être apportée à toutes les personnes ayant (ou susceptibles d’avoir) inhalé ou ingéré de l’UA ou vu leurs blessures contaminées par cette substance toxique, afin de détecter une contamination par de l’uranium internalisé retenu et mobile.
4. Toutes les personnes qui entrent dans, grimpent sur ou travaillent dans un rayon de 25 mètres autour de tout terrain ou matériel contaminé doivent porter un équipement de protection des voies respiratoires et de la peau.
5. Le matériel ou les matériaux contaminés et endommagés ne doivent pas être recyclés en vue de fabriquer de nouveaux produits.
Qu’est-il advenu de ces recommandations ?
Des preuves visuelles, ma propre expérience et des rapports publiés confirment que :
1. Toutes les victimes de l’UA n’ont pas bénéficié d’une assistance médicale.
2. Les mesures d’assainissement de l’environnement n’ont pas encore été appliquées.
3. Le matériel et les matériaux contaminés et endommagés ont été recyclés en vue de fabriquer de nouveaux produits.
4. Les programmes de formation et de sensibilisation n’ont été que partiellement mis en place.
5. Les procédures de gestion de la contamination n’ont été ni diffusées ni mises en œuvre.
Que reste-il à faire ?
Tous les citoyens du monde doivent désormais dire « non » d’une seule et même voix à l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri et obliger les nations en ayant utilisé à reconnaître les conséquences immorales de leurs actes et à assumer la responsabilité des soins médicaux et des mesures d’assainissement complet de l’environnement.
Il y a une citation célèbre qui dit : « Et un enfant leur montrera le chemin ». Mais si les enfants sont malades ou morts et si les citoyens du monde laissent cela continuer, alors il n’y aura pas d’enfant pour réaliser la prophétie et nous conduire à la paix. Je vous en supplie, faites quelque chose !
Docteur Doug ROKKE
Syndrome de la Guerre du Golfe et de la Guerre des Balkans |
Les saletés de la guerre propre |
Du Golfe au Kosovo, en passant par la Bosnie, les Américains ont utilisé des munitions renforcées à l’UA. Malades, de nombreux vétérans accusent les autorités militaires. Lesquelles minimisent les effets pathologiques de ce matériau radioactif.
C’était il y a tout juste dix ans. Les images, relayées par CNN, ont fait le tour du monde. Celles de la plus vaste opération militaire depuis la Seconde Guerre mondiale après l’invasion du Koweït par l’Irak le 2 août 1990. Puis la victoire écrasante de la coalition occidentale en février 1991 contre un Saddam Hussein dont on prédit alors la chute. Et le défilé triomphal sur la 5e Avenue à New York des boys, au retour d’une guerre qui se veut «propre» pour la première fois de l’Histoire. Une guerre nourrie de bombardements à précision chirurgicale, destinés à appliquer la doctrine américaine du «zéro mort».
Dix ans après le conflit, le contraste est flagrant: le maître de Bagdad règne sans partage, l’embargo aurait fait 1 million de morts selon l’ONU, et la guerre n’a pas été plus propre que les précédentes.
Blessures de guerre
Au contraire. Elle continue à faire des victimes, et pas seulement du côté irakien. Après l’ivresse de la victoire, les vétérans se sont réveillés avec des blessures de guerre inattendues. Leucémies, cancers des ganglions, perte de mémoire, problèmes de concentration, fatigue chronique, perte de poids, déficiences pulmonaires, sperme brûlant sont les symptômes inexpliqués dont ils souffrent. Sans compter les enfants de vétérans atteints de malformations congénitales. Sur les 697 000 soldats américains engagés dans l’opération «Tempête du désert» du 17 janvier au 28 février 1991, 183 000 touchent aujourd’hui une pension d’invalidité, selon le National Gulf War Resource Center, la principale association de vétérans. Et presque 10 000 sont décédés des suites de la guerre que, faute de mieux, on a baptisées «syndrome du Golfe»: un ensemble de maladies aux causes mal identifiées.
Marc De Ceulaer, 42 ans, souffre des mêmes maux que les vétérans américains. Mais lui n’a pas servi dans le golfe Persique. Ce solide gaillard belge, engagé sous la bannière des Nations unies, était en Bosnie en 1994-1995. Marathonien accompli avant de partir pour les Balkans, il affirme être «incapable de courir 1 kilomètre» depuis son retour. Devenu membre de la branche militaire du Syndicat libre de la fonction publique (SLFP), il cherche maintenant à comprendre l’origine de ses problèmes physiques. Et à aider ses collègues du syndicat, touchés, comme lui, par ce qu’on appelle dorénavant le «syndrome des Balkans».
Parmi eux, cet autre vétéran de Bosnie atteint de narcolepsie. «Je ne peux plus faire de moto, je m’endors en conduisant, explique-t-il. Et mes problèmes de concentration m’ont fait perdre mon boulot.» La plainte déposée contre X pour «empoisonnement» le 12 janvier à Bordeaux par le vétéran français Hervé Desplat, président et cofondateur de l’Association des victimes du Golfe (Avigolfe), a encouragé ce Belge à faire de même le 17 janvier, avec deux autres vétérans, à Bruxelles. L’an dernier, cinq militaires belges sont décédés de maladies contractées pendant leur séjour dans les Balkans. «On nous empêche d’avoir accès à nos dossiers médicaux, comme si on voulait nous cacher quelque chose, explique Marc De Ceulaer. Nous demandons une enquête indépendante pour établir la vérité.»
Servir la patrie, oui, servir de cobayes, non
Les Belges ont été parmi les premiers à demander des comptes en Europe. A présent, ils sont suivis par les vétérans italiens, anglais, espagnols, allemands, grecs, hongrois ou roumains atteints de leucémies ou de lymphomes après avoir servi au Kosovo pendant les bombardements de l’Otan en 1999. En Italie, le décès, fin décembre, de cinq vétérans des Balkans atteints de cancers a secoué l’opinion. Les Français ne sont pas épargnés: six cas de leucémies et de lymphomes suspects sont actuellement traités par les services de santé des armées. Dix-huit décès sont discutés. Quelque 190 vétérans du Golfe ont rejoint Avigolfe depuis sa création, en juin. Avec, toujours, la même frustration, résumée par une phrase: «Nous sommes partis pour servir notre patrie, pas pour servir de cobayes.»
Tous veulent savoir la vérité sur les origines de leurs maladies. Et tous soupçonnent un matériau au nom étrange, familier des scientifiques mais peu connu du grand public: l’uranium appauvri (UA). Un métal radioactif particulièrement dense, utilisé pour la première fois par les Américains et les Britanniques pour renforcer leurs munitions antichars contre les tanks de Saddam Hussein, puis par l’Otan en Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999 contre l’armée yougoslave de Milosevic. Un métal qui reste, sur le plan scientifique, entouré de mystère. On sait que sa toxicité chimique, comparable à celle du plomb, peut entraîner des complications rénales. Mais les effets de sa radioactivité sur l’homme, en cas d’inhalation de particules vaporisées, n’ont pas été étudiés. D’où l’inquiétude des soldats. L’Otan rappelle qu’ «aucun lien n’a été établi avec les cancers des vétérans». Même son de cloche du côté des gouvernements américain, britannique et français, qui détiennent ces munitions. Et pourtant. Les dangers liés à sa toxicité radiologique existent, et sont soulignés depuis longtemps. Car, si on découvre seulement l’utilisation militaire de l’UA, son histoire commence au cours d’une autre guerre, mondiale celle-là.
Le premier à avoir l’idée de recourir aux munitions à l’UA est Albert Speer, nommé ministre de l’Armement par Hitler en 1942. A l’été 1943, les importations de tungstène, utilisé pour renforcer les munitions anti-chars, sont bloquées par les Alliés. Speer ordonne alors d’utiliser les stocks d’uranium initialement destinés à fabriquer une bombe atomique dont il sait qu’elle ne sera pas prête à temps. Les Stukas allemands en auraient bénéficié face aux tanks des Alliés.
En 1945, le «projet Manhattan» des Américains aboutit à la première explosion atomique. L’utilisation de l’uranium est alors restreinte aux recherches militaires et à la course aux armes, guerre froide oblige. Il en va de même pour son corollaire, l’uranium appauvri. L’uranium est essentiellement composé de deux isotopes: l’U 235 (0,7%), l’U 238 (99,3%) et accessoirement l’U 234. Mais seul l’U 235 a les qualités fissiles produisant l’énergie atomique. Il est donc extrait de l’uranium naturel puis enrichi pour obtenir les quantités d’U 235 pur suffisantes à la création d’énergie nucléaire. Le résidu de ce processus d’enrichissement est appelé «uranium appauvri». Composé principalement d’U 238, il est environ 40% moins radioactif que l’uranium naturel.
Un émetteur alpha dangereux
Avec la production massive d’énergie nucléaire, les stocks d’UA s’accumulent rapidement: 14% de l’uranium traité est enrichi, et 86% devient de l’UA… C’est probablement pour écouler ces stocks que les Américains décident d’assouplir leur législation.
Le 29 juin 1958, l’UA est mis à disposition des industriels. Dans le civil, il peut servir de colorant de verres ou d’objets de céramique, ou de contrepoids dans les avions commerciaux. On estime par exemple qu’un Boeing 747 comporte 450 kilos d’UA, principalement dans le gouvernail et dans les ailes.
Le ministère américain de l’Energie commande alors une étude sur «les utilisations potentielles non nucléaires de l’UA». Rendu le 29 janvier 1960, ce rapport évoque officiellement pour la première fois les dangers liés à la radioactivité de l’UA en cas d’inhalation. «Chaque particule d’uranium insoluble retenue dans les poumons constitue un risque pour les tissus environnants», affirme le document. Radioactif, l’UA expose les cellules humaines aux rayonnements alpha, bêta et gamma, très énergétiques. Or, dès 1957, les effets de ces radiations sur les cellules ont été expliqués dans un autre rapport remis au Pentagone, intitulé «Effets des armes atomiques». Conclusions de son auteur, Samuel Glasstone: l’énergie dégagée par les rayonnements alpha des particules inhalées peut «causer des dommages considérables sur les tissus corporels». Les Américains étaient donc informés, dès 1960, des dangers potentiels de l’UA.
Ce ne sera pas la dernière fois – loin de là. En 1966, la Commission à l’énergie atomique américaine, chargée de la gestion du matériel radioactif, précise les précautions à prendre en cas de manipulation d’uranium appauvri, et confirme. «Ce matériau est un émetteur alpha dangereux pour les poumons en cas de respiration des particules, et pour les reins en cas d’ingestion.»
Mais la course aux armements continue. A la fin des années 60, la Russie acquiert une nette supériorité numérique en termes de chars, dont les blindages se renforcent. Or, à l’époque, les Américains ne disposent pas d’appareil spécialement conçu pour la lutte antichars. Sous la houlette de Pierre Sprey, un Français émigré en Amérique, ils conçoivent un nouvel avion de combat: l’A 10, surnommé «tueur de chars». En volant à basse altitude, l’A 10 assaille les tanks ennemis grâce à un canon-mitrailleur de calibre 30 mm équipé de munitions spéciales à uranium appauvri, probablement fabriquées dès le début des années 1970. En 1973, une étude du Laboratoire national de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, effectuée à la demande de l’US Air Force, encense l’uranium appauvri. Plus dense que le tungstène, employé jusque-là, il peut percer n’importe quelle armure. Son caractère pyrophorique (inflammation au contact de l’air) lui permet de mettre le feu aux chars ennemis qu’il aura pénétrés en faisant fondre le blindage. Surtout, l’UA est bon marché. Et disponible en quantités considérables: 80 000 tonnes en 1973, qui s’accroissent au rythme de 20 000 tonnes par an. L’UA est le matériau idéal pour les munitions 30 mm destinées à l’A 10. Pour l’US Air Force, c’est une véritable aubaine.
Les chercheurs de Los Alamos ont toutefois passé sous silence un aspect du sujet. Quid des particules radioactives d’UA vaporisées après explosion et susceptibles d’être inhalées? Les services de recherche de l’US Army ne tardent pas à examiner la question. En 1974, ils concluent que ces munitions peuvent «donner lieu à des ingestions ou à des inhalations localement significatives». Et de recommander des recherches plus approfondies sur les effets sanitaires à long terme des inhalations.
320 tonnes tirées contre l’Irak
En 1979, deux nouveaux rapports viennent confirmer les incertitudes. Entre-temps, la production de munitions à l’UA pour l’aviation et les chars a quand même été lancée. Selon Bruno Barillot, chercheur à l’Observatoire des armes nucléaires françaises, à Lyon, 30 cartouches d’obus de 105 mm contenant 102,3 kilos d’UA sont ainsi exportées des Etats-Unis vers… la France en 1979, à fin de «tirs d’évaluation par le gouvernement». Le ministère français de la Défense reconnaît d’ailleurs étudier depuis la fin des années 1970 ces munitions qui équipent les chars AMX 30. En 1989, le mur de Berlin tombe, entraînant l’ «empire du Mal» dans sa chute. Les avions A 10 et leurs munitions à l’UA, ainsi que les chars Abrams, blindés à l’UA depuis 1988, ne se frotteront pas aux troupes de l’URSS.
C’est la guerre du Golfe qui leur donnera l’occasion d’apparaître pour la première fois officiellement en combat. En juillet 1990, quelques jours avant l’invasion du Koweït par l’Irak, un rapport avait pourtant mis une nouvelle fois en garde le gouvernement américain contre les risques liés à l’uranium appauvri. «Ses radiations alpha peuvent causer des cancers en cas d’exposition interne», souligne le document.
Lors de l’opération «Tempête du désert» de janvier-février 1991, les munitions à l’UA s’illustrent avec une redoutable efficacité. Malgré la qualité de leur blindage, les chars T 72 achetés à Moscou par les Irakiens ne résistent pas aux tirs des Abrams américains. En tout, 940 000 munitions à l’UA sont tirées contre l’Irak, soit environ 320 tonnes. Si la victoire des alliés est sans appel, l’UA y est pour quelque chose.
Les suites de la guerre du Golfe sont moins claires. En dépit des avertissements, les soldats américains n’ont pas été prévenus des dangers encourus. Le rapport du General Accounting Office de 1993 indique que l’armée américaine ne disposait pas de stratégie efficace pour gérer l’utilisation d’UA. Les soldats chargés de récupérer les 28 chars américains détruits par erreur à l’UA n’ont par exemple pas été informés des règles de sécurité à suivre, malgré l’existence de deux notes de procédure ad hoc. Ils ont travaillé sans les protections requises jusqu’à ce qu’une équipe des services de radioprotection de l’armée arrive en mars 1991 en Arabie Saoudite et les «briefe».
Lorsque les premiers soldats américains déclarent leurs maladies, en 1991, les médecins militaires restent perplexes. Le Dr Asaf Durakovic, colonel et vétéran de la guerre du Golfe, spécialiste de médecine nucléaire, soupçonne rapidement l’UA d’être la cause des pathologies des 26 soldats qui se présentent à lui alors qu’il est responsable du département de médecine nucléaire de l’hôpital militaire de Wilmington (Delaware). Mais, de toute évidence, ses travaux dérangent. «J’ai fait plusieurs demandes d’analyses d’urine, mais elles ont toutes été prétendument perdues, explique-t-il. L’hôpital de Wilmington m’a dit d’arrêter mes recherches. J’ai refusé. J’ai été viré pour « désobéissance ».» Durakovic décide alors de s’exiler en Arabie Saoudite pour continuer ses travaux, parce que, dit-il, «on m’en aurait empêché dans un pays occidental».
Comme les Américains, les soldats européens ont été exposés. Les alliés des Etats-Unis, dont les Français, étaient-ils au courant de l’utilisation d’armes à l’UA? La question doit encore être éclaircie par la mission d’information parlementaire sur les conditions d’engagement des soldats dans le Golfe et les Balkans, créée en septembre 2000. Deux généraux en poste en Irak ont nié être au courant. Mais le général Schmidt, chef d’état-major à l’époque de la guerre du Golfe, a affirmé aux parlementaires: «Oui, nous le savions.» Et, dans leur livre La Guerre invisible , à paraître cette semaine (Laffont), les journalistes Martin Meissonnier, Frédéric Loore et Roger Trilling citent les propos d’un ancien officier américain chargé des mesures de protection NBC (nucléaire-bactériologique-chimique). «Tous les alliés étaient informés», affirme Doug Rokke.
Les généraux auditionnés ont aussi déclaré ne pas connaître les dangers potentiels de l’UA. Le secret serait-il de mise? Alors qu’il niait encore cet été toute radiotoxicité, le ministère de la Défense reconnaît aujourd’hui un risque radiologique – «si les quantités d’UA inhalées ont été très importantes», précise le médecin-chef Estripeau, du Service de santé des armées. Il ajoute: «En l’état actuel de nos connaissances, l’inhalation d’uranium appauvri par les soldats du Golfe et des Balkans ne paraît pas suffisante pour provoquer des maladies liées à la radioactivité». Ancien officier belge spécialisé en protection nucléaire, Maurice-Eugène André n’est pas d’accord. «Une particule d’un micron d’UA inhalée émet 54 fois la radioactivité naturelle dans le poumon», explique l’officier à la retraite, qui vient d’écrire, le 16 janvier, au Tribunal pénal international de La Haye pour l’avertir des dangers de l’UA. «Mettre de l’UA dans les armes, c’est un crime de guerre», accuse-t-il. Corinne Castanier, directrice de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Crii-Rad), insiste: «Les particules d’UA, en se fixant sur les os, bombardent les cellules souches qui produisent les globules blancs, dit-elle. Cela pourrait expliquer l’apparition de leucémies.» Aux affirmations de l’armée selon lesquelles les particules d’UA retomberaient à quelques mètres de la cible après impact et ne pourraient être transportées très loin par le vent, Maurice-Eugène André répond que «le plutonium, plus lourd que l’uranium, s’est déplacé jusqu’au pays de Galles après l’accident de Tchernobyl».
L’UA inquiète aussi les civils. Utilisé comme contrepoids dans les avions commerciaux, le problème de sa vaporisation se pose en cas d’explosion. Le 4 octobre 1992, un Boeing 747 de la compagnie israélienne El Al s’écrase près d’Amsterdam, avec 380 kilos d’UA à bord, selon Boeing. Pour la fondation Laka, un centre de recherche indépendant, cette quantité atteindrait en fait 1 500 kilos… Depuis l’accident, quelque 6 200 personnes souffrent aux Pays-Bas de maux analogues à ceux des vétérans du Golfe et des Balkans: immunodéficience, problèmes respiratoires, fatigue chronique. Mais aucun lien n’a été établi pour l’instant avec l’UA. L’inquiétude a saisi les Anglais après l’accident fin décembre 1999 à Stansted, au sud de Londres, d’un Boeing 747 de Korean Airlines contenant 300 kilos d’UA. Après le crash du Concorde à Gonesse le 25 juillet 2000, la question s’est posée pour la région parisienne.
Mises en cause en temps de guerre, les munitions à l’UA inquiètent aussi en temps de paix. En particulier sur la petite île de Vieques, au large de Porto Rico, où l’US Navy effectue ses manoeuvres avec tirs à l’UA. «Le taux de cancers est de 27% plus élevé à Vieques que sur l’île de Porto Rico, selon Nilda Medina, du Comité pour le développement de Vieques. La marine américaine doit stopper ses tirs de balles radioactives.» Des tirs parfois illégaux, comme ceux du 5 février 1999 de deux jets des marines au cours d’un exercice de préparation à la guerre du Kosovo. 263 munitions à l’UA sont alors tirées par erreur sur le site de North Convoy, dans l’est de l’île, où l’utilisation d’UA n’est pas autorisée en temps de paix.
Danger de l’UA en temps de paix
Les services d’inspection de la Commission de régulation nucléaire (NRC), chargée de la gestion du matériel radioactif, ont reconnu une violation de la réglementation sur ce matériel. Des mesures de sécurité supplémentaires ont été adoptées, mais aucune sanction n’a été prise. Sur les 263 munitions, seules 56 ont été retrouvées. Et les tests de mesure de radioactivité de la NRC ont conclu à l’absence de danger pour la population locale. «Parmi les personnes récemment décédées de cancer à Vieques, de hauts niveaux d’uranium ont été mis en évidence», constate cependant Nilda Medina. Mais, là non plus, rien ne prouve que l’UA est à l’origine des cancers.
De récentes découvertes pourraient changer la donne. Le 3 septembre 2000, au congrès de l’Association européenne de médecine nucléaire, à Paris, Asaf Durakovic démontre la présence d’uranium 236 dans les urines de neuf vétérans britanniques malades, dix ans après la guerre du Golfe. La découverte est d’importance, car l’U 236 n’est pas présent dans la nature. Beaucoup plus radioactif que l’UA naturel, il provient de l’uranium issu du retraitement de combustible nucléaire. Lors de la présentation, les analyses du Dr Durakovic sont fortement contestées par un chercheur de l’Office de protection des rayonnements ionisants (Opri). Les mesures complémentaires qu’il lui demande avec insistance seront apportées par l’assistante du médecin, alors que la plupart des journalistes ont déjà quitté la salle de presse… Le doute est jeté sur la crédibilité de Durakovic. Quatre mois plus tard, le directeur de l’Opri, Jean-François Lacronique, reconnaît que «le Dr Durakovic nous a montré la voie. Ses analyses sont pleinement acceptées». Il est vrai qu’entre-temps le «syndrome des Balkans» a explosé en Europe. Les quelque 40 000 munitions à l’UA utilisées par l’Otan en 1995 et 1999 contre l’armée yougoslave sont la première raison avancée pour tenter d’expliquer les leucémies qui touchent des vétérans européens. L’Otan rappelle qu’ «aucun lien n’a été établi entre l’UA et les cancers des vétérans». La communauté scientifique fait valoir que le contraire n’a pas été prouvé non plus…
La découverte de traces d’uranium 236 au Kosovo le 16 janvier par un institut de radioprotection suisse relance la polémique. «L’U 236 est un mélange d’uranium appauvri naturel et d’uranium appauvri retraité en réacteur, explique Jean-François Lacronique. Il peut donc avoir été mélangé pendant son retraitement à d’autres contaminants radioactifs, tel le plutonium, hautement cancérigène. Ce que je n’espère pas…» Le ministère français de la Défense examine actuellement des échantillons de ses munitions à l’UA pour y rechercher une éventuelle présence de plutonium. Le 18 janvier, les Américains ont reconnu qu’il pouvait y avoir des traces d’U 236 et de plutonium dans l’uranium appauvri, peu après que la presse allemande a révélé un rapport du Pentagone attestant la présence de plutonium dans les armes à l’UA. Si du plutonium était retrouvé dans l’U 236 recueilli au Kosovo, le mystère de l’UA serait alors probablement éclairci.
Resterait à savoir pourquoi on a décidé de recourir à des armes radioactives et cancérigènes sans informer ni protéger les soldats qui les ont utilisées. Qui parlait de «guerre propre»?
L’uranium appauvri, un substitut à l’offensive terrestre
Au Kosovo, les Américains ont tiré en trois mois, au printemps 1999, trois fois plus de munitions à uranium appauvri (UA) qu’en Bosnie durant toute l’année 1994, puis, à nouveau, en 1995. Plus de 31 000 coups au Kosovo et quelque 10 000 à chaque fois, en Bosnie. Selon le ministère britannique de la défense, cela a représenté entre 8 et 9 tonnes d’UA qui sont éparpillées sur 10 kilomètres carrés au Kosovo et quelque 3 tonnes, pour chaque année, en Bosnie. Avec une quinzaine d’alliés à leurs côtés, les Etats-Unis ont accompli, à eux seuls, les deux tiers des missions aériennes au Kosovo et en Serbie. Ce sont l’avion américain A-10 d’attaque au sol, armé d’un canon Avenger à obus UA de 30 mm, et ses munitions ou leurs éclats – qu’elles aient été stockées, manipulées maladroitement, encore enfermées dans les carcasses des chars détruits ou volatilisées à l’impact sous forme d’aérosol – qui font aujourd’hui figure d’accusés.
Le plus étonnant de l’affaire est que l’intervention des A-10 dans les Balkans et, plus spécialement, au Kosovo et en Serbie n’est aucunement explicitée dans le document de 170 pages que le Pentagone a adressé au Congrès, six mois après l’opération » Force alliée » de 1999. Pourtant, dans ce constat détaillé, figure la moindre des missions conduites par d’autres types d’avions américains dans la région, description des armes utilisées à l’appui. Les cibles des A-10 ne sont pas davantage précisées, ni les performances des appareils. C’est à peine si l’on apprend, comme par hasard, que le quart des A-10 engagés au Kosovo et en Serbie étaient servis par des équipages issus de la réserve.
Des munitions UA employées contre des cibles mobiles, telles que des convois blindés des forces armées serbes, ou des roquettes au phosphore, utilisées par les A-10 pour marquer des objectifs au bénéfice d’autres avions attaquants de l’armée de l’air américaine, il n’est jamais fait état dans ce document. Et, malgré tout, dès juillet 1999, comme on l’a appris depuis, Washington avait averti ses alliés des effets nocifs que les armes des A-10 ne manquaient pas d’entraîner sur place.
La théorie du Zéro Mort
Daalder et Michael E. O’Hanlon, deux chercheurs de l’institut Brookings outre-Atlantique, ont pu estimer, dans la revue Foreign Policy, que les Etats-Unis avaient en quelque sorte mis fin, à cette occasion, à la doctrine Powell, du nom du chef d’état-major interarmées du temps de la guerre du Golfe et, aujourd’hui, secrétaire d’Etat de George W. Bush. A savoir qu’il était à l’époque dans les ambitions de Washington d’éviter de lancer une action de force, hors des frontières nationales, sans définir au préalable un objectif politique clair et sans avoir les moyens militaires adéquats pour les atteindre. Ce qui revient à poser comme principe le fait qu’on puisse s’engager dans un conflit que l’on n’est pas certain de terminer avec succès. Mais, si l’on choisit d’y aller, on rassemble donc des forces à terre et, après des bombardements aériens suffisamment efficaces, y compris par des avions A-10 porteurs de munitions UA, on déclenche l’offensive finale.
Or, durant l’opération » Force alliée » au Kosovo, la donne a légèrement évolué. Le général Wesley Clark, commandant suprême des forces alliées en Europe et » patron » des opérations, a des comptes à rendre à un nouveau chef d’état-major interarmées américain, le général Henry Shelton. La débâcle de la Somalie, où dix-huit Rangers ont perdu la vie, suppliciés, en octobre 1993 à Mogadiscio, est passée par là. La thèse de la » suprématie aérienne « , censée être moins risquée, s’impose. Ce qui prévaut alors, dans la tête des généraux américains, c’est le fait qu’il convient désormais de frapper vite et fort, certes en donnant le sentiment qu’on cherche à éviter les dommages dits » collatéraux « , mais surtout en se souciant, en priorité, de la survie des aviateurs engagés.
Avec ses armes tirées à distance de sécurité, l’A-10 devient, dans ces conditions, le succédané ou le substitut d’une intervention terrestre, au Kosovo, qui fut refusée par l’OTAN, Américains et leurs alliés européens conjugués. Ce n’est plus spécialement ce char volant conçu, à l’origine, pour stopper net les vagues – supposées irrésistibles durant la guerre froide – des blindés de l’ex-pacte de Varsovie dans les plaines d’Europe centrale ; l’A-10 est devenu le moyen que l’OTAN a préféré mettre en avant pour remplacer une offensive terrestre jugée, par le haut commandement de l’Aliance atlantique, potentiellement plus meurtrière pour la coalition anti-Milosevic. Dans cette perspective, les munitions UA, qui perforent tous les blindages connus selon leurs concepteurs, sont retenues parce qu’un seul coup endommage un char là où il fallait jusqu’à présent trois obus au tungstène classique. Le sort des adversaires et des populations, voire de ses propres combattants victimes de » tirs fratricides « , comme ce fut le cas dans le Golfe, n’apparaît pas comme un argument dirimant aux yeux de Washington.
C’est sans doute ce qui explique que les Etats-Unis, convaincus par la théorie du » zéro mort » dans leurs rangs et ses implications tactiques, ont écarté toute éventualité d’un moratoire sur les obus UA. Les chefs militaires américains partent du principe, simpliste, qu’ils ont besoin de tous les matériels qu’ils peuvent se payer – attitude qui est dans la logique d’une puissance militaire impériale. En revanche, le suivisme de certains des alliés européens à l’OTAN – à commencer par la France – qui disposent de munitions UA pour leurs chars et qui ne veulent pas davantage d’un moratoire a de quoi étonner. Sauf à considérer que, pour eux, la guerre froide n’est pas achevée et que, face à des hordes blindées qui agiraient par surprise et dont on discerne mal la provenance, il n’existerait pas d’armes antichars de substitution.
Uranium appauvri : une affaire planétaire
La Chine et l’Irak demandent des enquêtes. Un rapport britannique datant de 1997 fait état de la connaissance du gouvernement des risques de cancer.
L’utilisation par l’OTAN de munitions à l’uranium appauvri n’en finit pas de faire des vagues sur la scène internationale. La Chine a ainsi exprimé ce jeudi par la voix de son porte-parole du ministère des Affaires étrangères son « inquiétude face à l’utilisation de telles armes et de leurs conséquences humanitaires ». Le porte-parole a également rappelé que son pays s’était toujours opposé aux bombardements de la Yougoslavie pendant la guerre du Kosovo. La Chine a également pris « bonne note » de la promesse de l’OTAN de mettre en place un comité chargé d’étudier les conséquences éventuelles sur la santé de ses soldats.
L’Irak a demandé de son côté, ce jeudi, à l’ONU d’enquêter sur les armes à l’uranium appauvri utilisées par les forces américaines sur ses territoires, et aux pays européen d’ »assumer leurs responsabilité face au crime » que consiste le recours à ces armes. Bagdad accuse la coalition internationale d’avoir utilisé pendant la guerre du Golfe plus de 940.000 obus à l’uranium appauvri.
Les soldats français
Le service de presse du Service de Santé des Armées a indiqué ce jeudi que six militaires français, âgés de 19 à 41 ans et ayant servi dans les Balkans, étaient à ce jour hospitalisés et traités. Quatre souffrent de leucémies aiguës (cancer des cellules du sang) et deux de graves lymphomes (prolifération cancéreuse dans le tissu lymphoïde -rate, thymus, amygdales..). Le médecin-colonel Estripeau, chef du service de presse, a indiqué que l’état de quatre soldats est en phase de rémission, qu’un cas est « réservé non favorable » et s’est dit « très réservé » sur le dernier cas. « Les résultats d’une première approche concernant les affections tumorales et leucémiques seront disponibles pour la fin du mois de janvier mais les résultats globaux prendront plusieurs mois », a-t-il ajouté.
Londres informé des risques depuis 1997
Des responsables du ministère australien de la défense jusque-là muet dans cette affaire ont indiqué ce jeudi que les 200 soldats ayant servi en Bosnie et au Kosovo dans les rangs américains ou britanniques seront prochainement examinés, à la recherche d’un éventuel syndrome des Balkans.
Le quotidien anglais The Guardian a par ailleurs révélé dans son édition de ce jour que le ministère britannique de la Défense connaissait depuis 1997 les risques de cancer liés à l’exposition à des munitions à uranium appauvri. Selon un rapport médical daté du 4 mars 1997, la poussière produite par l’explosion de ce type de munitions « augmente les risques de cancer lymphatique, de cancer des poumons et du cerceau ». Le document explique que les soldats non-protégés travaillant dans un véhicule touché par un obus à uranium appauvri sont exposés à des niveaux d’uranium huit fois plus élevés que la norme fixée par le ministère. « Bien que la toxicité chimique soit faible, il peut y avoir une irradiation localisée du poumon entraînant un cancer », indique le rapport qui poursuit en concluant que la « poussière d’uranium est par conséquent dangereuse ».
Un expert « très inquiet »
Mais le ministère britannique de la Défense a réagit en objectant que le rapport n’était qu’un brouillon rédigé par un stagiaire et qu’il n’a de toute façon jamais été validé. « Bien que l’essentiel soit exact, certains éléments sont scientifiquement inexacts ou trompeurs », affirme-t-il dans un communiqué.
Un expert auditionné par le comité parlementaire sur les questions de Défense a pourtant indiqué que le risque de cancer suite à l’exposition à l’uranium appauvri était « très réel ». Le professeur Malcolm Hooper, de l’université de Sunderland, a affirmé -sans vouloir être « alarmiste »- que « si je vivais près d’un site de production de munitions, je serai très inquiet ».
Scepticisme en Russie
Le général Anatoli Kornoukov, commandant des forces aériennes, a vivement dénoncé jeudi les déclarations des responsables américains qui ont démenti connaître l’existence d’un « lien direct » des munitions à uranium appauvri avec le « syndrome des Balkans ». « Toutes les déclarations à ce sujet des représentants de l’administration américaine, y compris celles du secrétaire d’Etat Madeleine Albright, sont destinées à des amateurs », a-t-il dit. Selon lui, les Américains ont préféré bombarder les pays de l’ex-Yougoslavie avec de vieux obus de ce type plutôt que de les retraiter, ce qui coûtait plus cher. Quant à la Russie, elle a « renoncé depuis longtemps » à cette catégorie de munitions, a-t-il ajouté.
Propagande de Milosevic
Selon Laszlo Botz, un haut responsable des renseignements hongrois, le syndrome des Balkans consiste en une « hystérie » directement « provoquée par le régime de Milosevic ». « Lier les radiations radioactives et les armes à l’uranium appauvri a fait partie de la propagande anti-OTAN de Milosevic », a-t-il déclaré à la radio, poursuivant qu’il n’était pas exclu que l’armée yougoslave « ait délibérément disposé du matériel radioactif dans les zones critiques ».
Tsahal a utilisé de l’uranium
Selon un porte-parole militaire, l’armée israélienne a utilisé jusqu’à l’année dernière des obus à l’uranium appauvri de fabrication américaine. « Il n’y a pas de risque d’irradiation avec ce type d’obus et, au cours des années, toutes les précautions ont été prises », a-t-il indiqué. Il a toutefois refusé d’expliquer pourquoi, dès lors, les obus ont été retirés.
Le quotidien israélien Yédiot Aharonot, qui a révélé l’affaire, affirme que ces munitions ont été mis en service pendant 20 ans et que des soldats dormaient parfois à côté des stocks. Le journal indique également que leur emploi était rare.
Environnement
Enfin, le Programme des Nations Unies pour l’environnement s’est déclaré pour l’instant dans l’impossibilité immédiate de tirer des conclusions sur les effets des munitions à uranium appauvri sur l’environnement. Les experts du programme ont toutefois demandé ce jeudi le bouclage des 112 sites du Kosovo où des munitions à l’uranium appauvri ont été utilisées par l’OTAN afin de protéger la population locale. Le PNUE recevra dans les sept prochaines semaines les résultats des analyses de prélèvements effectués en novembre sur 11 de ces sites.
« Syndrome des Balkans » : l’OTAN veut rassurer
L’OTAN va mettre en place un comité spécial chargé d’étudier les conséquences sur la santé des soldats de l’utilisation de l’uranium appauvri pendant les guerres en Bosnie et au Kosovo. Une réponse aux pays européens qui demandent des informations sur un éventuel « syndrome des Balkans ». A Paris, Jacques Chirac et Lionel Jospin prônent une « totale transparence ».
L’OTAN réagit
« Nous allons mettre en place un comité spécial sur l’uranium appauvri », le secrétaire général de l’Alliance, George Robertson, a tenu une conférence de presse mercredi à Bruxelles pour répondre aux inquiétudes quant à un éventuel syndrome des Balkans.
George Robertson s’est dit « confiant qu’il y ait peu de risques dans les munitions » utilisées par les militaires américains en Bosnie en 1995 et au Kosovo en 1999.
Paris promet la transparence
Jacques Chirac et Lionel Jospin ont promis mercredi de traiter le dossier du « syndrome des Balkans » dans une « totale transparence » et de lui appliquer le principe de précaution déjà invoqué pour la sécurité alimentaire. Le ministre de la Défense Alain Richard a affirmé mercredi devant l’Assemblée nationale que la France, qui dispose de munitions à l’uranium appauvri, avait décidé de ne pas les utiliser mais qu’elle n’était pas, en revanche, favorable à un moratoire sur leur emploi.
La France a fait des tests dans les années 80 à Bourges
Des munitions à l’uranium appauvri ont été testées au centre d’essais ETBS (Etablissement technique de Bourges et surveillance industrielle armement) de Bourges (Cher) dès le début des années 80 et pas seulement depuis dix ans, affirme un responsable CFDT qui réclame une enquête épidémiologique et souligne que la France avait testé, avant de produire ses propres obus, des munitions américaines. Le directeur du centre d’essai, Alain Picq, avait indiqué auparavant que, depuis dix ans, de 1.400 à 1.500 tirs d’obus à l’uranium appauvri avaient été effectués, dans de strictes conditions de sécurité et que les contrôles sanitaires n’avaient rien révélé d’anormal.
L’Europe est inquiète
L’Europe se mobilise pour la santé de ses soldats qui ont pu être exposés dans les Balkans à une contamination à l’uranium appauvri. 40.000 soldats environ ont servi -ou servent encore-dans les Balkans. Certains ont pu se trouver exposés à de l’uranium appauvri contenu dans des obus américains tirés lors des interventions en Bosnie et au Kosovo. L’uranium appauvri est un métal lourd, très faiblement radioactif utilisé dans les armes anti-chars.
A Paris la mission parlementaire présidée par l’ancien ministre de la Défense Paul Quilès, a auditionné à huis clos le médecin général Jean-Yves Treguier, spécialiste de la protection radiologique qui a indiqué que « les soldats français qui le souhaitent peuvent être testés pour une éventuelle contamination résultant de l’emploi de munitions à l’uranium appauvri. «
Selon le général Tréguier, « les laboratoires français ont la capacité de procéder à 150 dépistages de ce type par mois. » Mais les tests effectués à partir de prélévements d’urine sont coûteux.
A l’issue de cette audition, Paul Quilès, président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale a montré du doigt les Etats-Unis, les accusant d’avoir laissé utilisé ces armes « sans information sur leur caractère dangereux », dénonçant « un problème sérieux qui est aussi celui de la loyauté des Etats-Unis par rapport à leurs alliés ».
Le président Jacques Chirac s’est déclaré « particulièrement attentif à la protection de la santé » des militaires français et a souhaité, en accord avec le gouvernement, que cette affaire « soit traitée dans une totale transparence ».
Le dépistage des soldats français
Un depistage va être effectivement prochainement organisé… On en connait pas encore tous les détails mais hier, le service de santé des armées precisait que chaque soldat ayant servi en Bosnie ou au Kosovo pourrait être soumis à des analyses médicales s’il le souhaite, en cas de doute ou de crainte .
Pratiquement il s’agit de contrôle des urines afin de détecter la présence d’uranium entrant dans la composition des ces armes anti char.
Quand on parle uranium, atome, les avis des experts sont parfois tres opposés, ce qui étonne les scientifiques c’est la rapidité incroyable de l’évolution des leucemies décelées car l’uranium appauvri notamment les particules, ..les poussières dégagées après sa combustion au moment de ll’impact sur sa cible quand elles sont inhalées peuevnt atteindre, reconnaissent les médecins, bein sûr les poumons mais aussi se fixer sur les os.
Mais les doses absorbées ne semblent pas assez importantes pour expliquer ce coté foudroyant de la maladie.
Voilà pourquoi le depistage et les enquêtes vont certaiment aussi se pencher sur les risques liés au produits chimiques, ceux peut être détenus dans des dépôts serbes, mai aussi ceux appartennant aux forces de l’OTAN, comme le benzene, des colles spéciales ou des peintures.
Enquête et mobilisation
Londres a décidé aussi de mettre des tests à la disposition de ses vétérans et va mettre en place « un programme de dépistage volontaire » .
Par ailleurs plusieurs délégations internationales se sont rendues mardi 9 janvier au Kosovo pour examiner les risques posés par l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri.
L’Italie avait demandé une réunion du comité politique de l’OTAN pour obtenir un moratoire sur ces munitions qui auraient provoqué des leucémies chez des soldats européens engagés dans les opérations de l’OTAN dans l’ex-Yougoslavie. Mais les 19 alliés ont rejeté ce moratoire lors d’une réunion mardi 9 janvier.
Les pays membres sont d’accord pour que tous les rapports nationaux sur les conséquences en matière de santé de l’usage des munitions à l’uranium appauvri soient collectés et échangés au sein de l’OTAN.
Les Verts européens ont réclamé un débat au Parlement européen dès la semaine prochaine.
Après le « syndrome du Golfe », le « syndrome des Balkans »
En Italie, On dénombre une trentaine de malades suspects dont 6 leucémies mortelles.
Quatre militaires belges, deux Néerlandais et un Portugais sont également décédés , victimes de leucémies après leur retour des Balkans.
A Paris, le ministère de la Défense a révélé que quatre soldats français, ayant servi en ex-Yougoslavie, sont actuellement traités pour leucémie dans des hôpitaux militaires.
Des enquêtes vont être menées pour savoir si ces obus peuvent être en cause. On évoque aussi la pollution des rivières au Kosovo, pleines de plomb, la pollution atmosphérique ou encore la nourriture.
En Grande-Bretagne, un premier cas a été rendu public : un ancien ingénieur de l’armée britannique dit souffrir du « syndrome des Balkans ».
Un soldat espagnol de 35 ans a été hospitalisé après son retour des Balkans avec un diagnostic de « tumeur maligne des glandes lymphatiques ».
La Russie va faire passer des examens médicaux à ses soldats.
La Pologne a dépêché au Kosovo un groupe de six experts militaires pour une enquête. 400 soldats tchèques ayant servi au Kosovo vont subir un contrôle médical ainsi que 400 soldats lettons.
En revanche, selon les médias serbes, les autorités yougoslaves n’ont pas constaté dans la population une augmentation des cancers liés à l’utilisation d’uranium appauvri pendant les bombardements.
Bernard Kouchner, chef de la mission de l’ONU au Kosovo, doit rencontrer des responsables de la santé pour discuter des répercussions possibles de l’uranium appauvri sur la population.
Celui qui est encore pour quelques jours administrateur civil des Nations unies au Kosovo, s’est voulu rassurant: « Il ne faut pas s’affoler, personnellement, je ne crois pas aux relations entre l’uranium appauvri qu’on utilise en médecine ou pour la protection, et les leucémies ».
Le droit de savoir
« Que l’OTAN dise la vérité », exige le président du conseil italien, Guliano Amato laors que le président de la Commission européenne, Romano Prodi, demande l’abolition de ces armes.
Une demande d’explications soutenue par Paris. Le ministre de la Défense Alain Richard a appelé les Américains à donner des explications et « à être ouvert sur le sujet ». Il a cependant assuré que « tout, pour l’instant, confirme que ces munitions peuvent être utilisées ».
La présidence suédoise de l’Union européenne (UE) a par ailleurs estimé qu’une action urgente s’imposait pour analyser ces problèmes de santé et l’Union européenne a décidé l’ouverture d’une enquête informelle sur les liens éventuels entre l’utilisation d’uranium appauvri dans le conflit en ex-Yougoslavie et l’apparition de maladies, voire de décès, chez des militaires de plusieurs pays de l’OTAN .
Le Pentagone rejette l’idée d’interdire les munitions à uranium appauvri en minimisant les risques pour la santé ou l’environnement
L’affaire du syndrome des Balkans ne suscite guère de remous aux Etats-Unis, ni dans les médias ni dans l’opinion publique.
Le porte-parole du Pentagone a sèchement expliqué que rien ne permettait d’établir un lien entre l’uranium appauvri et les symptômes constatés sur les soldats en Europe. Rien pour l’instant en tout cas, car les officiels américains reconnaissent qu’il est nécessaire de poursuivre les analyses scientifiques.
Ces interrogations ne sont pas nouvelles aux Etats-Unis, elles ont déjà été soulevées il y a dix ans après la guerre du Golfe où les forces américaines ont également utilisé l’uranium appauvri dans leur arsenal contre l’Irak. Il y a bien eu à l’époque un syndrome de la guerre du Golfe qui n’a jamais été expliqué par l’uranium appauvri. Le pentagone se déclare prêt à étudier les découvertes faites par les alliés de l’Otan si elles sont probantes.
Les Nations Unies de leur côté, ont ouvert une enquête sur le terrain à la demande du secrétaire général de L’ONU. Des résultats complets seront connus en mars. Mais selon des indications préliminaires de ce rapport de l’ONU on a bien relevé une présence de radioactivité sur les sites bombardés par l’Otan au Kosovo, mais les experts de l’ONU ne se prononcent pas sur les conséquences de cette radioactivité sur la santé du personnel militaire.
L’Otan et les USA nient tout lien entre les cancers et les armes incriminées
Afin de tuer dans l’oeuf cette polémique qui enfle chaque jour un peu plus, le secrétaire général de l’Otan a déclaré ce matin à Bruxelles que l’Alliance Atlantique n’avait rien à cacher. En début d’apès-midi, George Robertson devrait tout de même en dire un peu plus, une conférence de presse est oraganisée au siège de l’Otan où se sont réunis durant la matinée les ambassadeurs des différents pays membres. Une réunion on l’imagine assez tendue, car les Européens demandent des comptes à l’Alliance atlantique et donc aux Etats-unis.
Le problème c’est que, si aujourd’hui les Américains démentent tout lien direct entre les munitions à uranium appauvri et le syndrome des Balkans, ils avaient tout de même informé leurs alliés dès 1999 que des mesures de prévention devaient être prises par les troupes entrant au Kosovo en raison de l’utilisation de ces fameux obus. Pourquoi de telles mesures, si officiellement il n’ y a aucun danger, c’est tout l’interrogation soulevé par les pays ayant participé aux opérations de maintien de la paix dans les Balkans.
Comment expliquer ces cas de leucémie ?
La question posée porte sur l’utilisation de munitions à uranium appauvri : des obus de 30 mm spécialement durcis par ce matériau et pouvant percer tous les types de blindage. Les chasseurs de chars américains A10 sont dotés d’un canon rotatif qui tire ce genre d’obus. Ces avions sont particulièrement intervenus sur les hauteurs de Sarajevo où étaient installés l’artillerie et les véhicules blindés serbes. 10.800 obus ont été tirés au Kosovo, on s’en souvient. L’ OTAN s’est livrée à l’attaque systématique des chars des transports de troupes des hommes de Milosevic : 30.000 Munitions, pour des résultats pas forcément convaincants !
L’alliance estime qu’aucune étude ne prouve qu’il y a un lien direct entre l’utilisation de l’uranium appauvri et les différents cas de leucémie. Le ministère français de la Défense est sur la même longueur d’onde, mais reconnaît qu’il faut répondre à certaines questions.
Que ce soit pendant la Guerre du Golfe, en Bosnie et au Kosovo, l’armée française n’a jamais utilisé ce type de munitions. Certes les AMX 30 b2 français sont dotés d’obus de 105 mm à uranium appauvri, mais ils n’ont jamais été engagés sur le terrain. C’est bien en comparant les lieux où précisément les soldats malades ont servi qu’on pourra se faire une idée plus précise des causes possibles de leur leucémie.
Plus de 2 000 obus à l’uranium appauvri testés en France
Les obus à l’uranium appauvri sont régulièrement tirés en France, dans le cadre de deux centres d’essais de la Délégation générale pour l’armement (DGA), à Bourges (Cher) et à Gramat (Lot). Ces munitions sont aujourd’hui suspectées d’être à l’origine du «syndrome des Balkans», ces leucémies dont souffrent d’anciens militaires. Depuis 1987, plus de 2 100 obus de calibre 105 et 120 millimètres ont ainsi été testés. Selon toute vraisemblance, ces armes n’ont jamais été utilisées par la France dans le cadre d’un conflit.
Enceinte confinée
Comme le révélait Libération du 15 juin 2000, le centre d’essais de Gramat (CEG) abrite le «site de tir uranium» où sont mesurés les effets de l’impact de ses obus contre des blindages. L’hiver dernier, cet établissement très secret avait été sous les feux de l’actualité, lorsqu’une équipe de spéléologues s’y est retrouvée coincée dans un grotte pendant plusieurs jours. Au pied de grandes falaises de calcaire, une tranchée de deux cents mètres aboutit à une énorme sphère de béton blanc.
Une ou deux fois par an, une dizaine d’obus sont tirés dans cette enceinte confinée. L’air est soigneusement filtré afin de bloquer toutes les particules d’une taille supérieure à 0,1 micron. La radioactivité est sans cesse contrôlée et les rares personnels soumis à une surveillance particulière. C’est dire si la DGA prend au sérieux les risques de contamination chimique et radioactive, ceux-là même que le ministère de la Défense s’ingénie à minimiser.
Tests en plein air
Le polygone de tir de l’ETBS (Etablissement technique de Bourges) s’étend sur une trentaine de kilomètres à proximité de la capitale berrichonne. C’est le second lieu d’essais des obus à l’uranium appauvri. En dix ans, environ 1 400 tirs y ont eu lieu, soit deux fois plus qu’à Gramat (750). Il s’agit essentiellement d’étudier leur balistique et les munitions finissent leur trajectoire dans du sable. Là encore, les tests qui se déroulent en plein air sont entourés de nombreuses précautions, explique-t-on à la DGA.
En revanche, l’armée affirme n’avoir jamais essayé ces munitions. «Nous n’en avons jamais tiré à l’exercice ou à l’entraînement», assure le lieutenant-colonel Martin Klotz, en charge des obus à l’uranium appauvri à l’état-major de l’armée de terre. «Pour former les équipages de char, nous utilisons des simulateurs.» L’armée de terre possède un petit stock d’obus de 105 mm, répertoriés sous le sigle barbare d’APFSDS-T OFL 105 E2. Ils sont entreposés à Brienne-le-Château (Aube). En revanche, l’armée de terre ne dispose pas de telles munitions pour son nouveau char Leclerc, contrairement à ce qui a été longtemps affirmé. L’obus de 120 mm est techniquement prêt, mais la décision de le produire n’a pas encore été prise.
Ces obus sont fabriqués par Giat-Industries, dans son établissement de La Chapelle-Saint-Ursin (Cher), à partir de «flèches» en uranium appauvri usinées par la Société industrielle du combustible nucléaire (SICN, groupe Cogema) à Annecy.
La Mission parlementaire relève les contradictions des militaires français
Que cache l’armée française sur l’uranium appauvri ? Telle est la question que se pose avec une vigueur croissante la Mission d’information parlementaire sur les risques sanitaires encourus par les soldats français engagés dans la guerre du Golfe en 1991.
Créée en octobre 2000 et présidée par Bernard Cazeneuve (PS, Manche), la Mission a auditionné plusieurs officiers supérieurs. Mais ceux-ci apportent des réponses contradictoires. Le 7 novembre 2000, les députés demandent au général Maurice Schmitt, qui était en 1991 chef d’état-major des armées : « Les Etats-Unis vous ont-ils informés de l’utilisation d’uranium appauvri ? » M. Schmitt répond : « Nous n’avions pas besoin d’être informés, nous le savions. (…) Il n’y avait pas lieu de poser la question. » Or, le 31 octobre, le général Michel Roquejoffre, ancien responsable des forces armées auprès de l’état-major allié, avait indiqué que, « cela [l'emploi d'uranium appauvri par les Etats-Unis], je ne l’ai appris qu’après. Pas par des officiers américains, mais par la presse, plus tard ». Et, le 12 décembre, le général Janvier, ancien commandant de la division Daguet, répond : « Nous n’avions aucune connaissance des éventuelles nuisances liées à l’uranium appauvri. (…) J’ignorais que les obus des avions A-10 contenaient de l’uranium appauvri. »
Cette contradiction entre les généraux Schmitt et Roquejoffre et Janvier trouble les parlementaires. Et d’autant plus que d’autres éléments montrent que l’armée française avait une bonne connaissance des armes à l’uranium appauvri. L’Observatoire des armes nucléaires françaises a en effet révélé que la France a bénéficié en 1979 d’une licence d’exportation par les Etats-Unis de 102 kg d’uranium appauvri sous la forme de pénétrateurs destinés à des tirs d’essais.
Des essais ont eu lieu dès 1990 à l’ETBS, le centre d’essais de Bourges (Cher), comme le révèle La Nouvelle République du 10 janvier. D’autres licences d’exportation ont ensuite été approuvées par la Nuclear Regulatory Commission des Etats-Unis, le 3 janvier 1991 , pendant la crise du Golfe – les procédures avaient donc été engagées auparavant – pour la fourniture de 75 tonnes d’uranium appauvri pour fabrication de munitions, et en 1993 pour 1 000 tonnes.
« On fabrique et on teste des obus à l’uranium appauvri en France, et on n’est pas au courant des risques ? », s’étonne Michèle Rivasi (app. PS, Drôme), rapporteur de la Mission. Mme Rivasi relève par ailleurs que des documents non classifiés de l’armée américaine soulignaient, en juillet 1990, les risques des explosifs à l’uranium appauvri. Une étude réalisée pour l’Armée américaine par Science Applications International Corp. souligne que « les aérosols d’uranium appauvri sur le champ de bataille pourraient avoir des effets radiologiques et toxicologiques ». Ces informations peuvent-elles avoir échappé à l’attention des ingénieurs et des militaires étudiant ces obus, qui ont par ailleurs été mis en fabrication à grande échelle en 1995 par la SICN à Salbris (Loir-et-Cher) ?
La Mission d’information va étendre son investigation au « syndrome des Balkans », a annoncé Paul Quilès, président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, lors des auditions de la Mission, le 9 janvier. Les parlementaires pourront ainsi interroger les responsables sur ce qu’ils savaient de l’uranium appauvri lors de l’engagement au Kosovo.
Bernard Cazeneuve a par ailleurs écrit le 5 décembre 2000 au ministre de la défense, Alain Richard, pour lui demander des précisions relatives à la composition isotopique des obus incorporant de l’uranium appauvri, aux instructions données aux personnels et aux obus flèches éventuellement utilisés par l’armée à titre d’expérimentation dans les opérations du Golfe. La Mission n’a pas encore reçu de réponse sur ces points.
Des armes tuent après la guerre
Pascal Boniface est le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Il répond aux questions de l’Humanité.
Quels développements peut-on attendre des positions des uns et des autres face au » syndrome des Balkans » ?
Pascal Boniface. Soit l’OTAN change sa façon de communiquer et admet que les armes à uranium appauvri posent problème et décide de ne plus les utiliser à l’avenir. Soit l’OTAN continue sur la même ligne en disant qu’il n’existe pas de lien évident entre ces armes et les pathologies constatées, et alors le fossé va se creuser entre les opinions publiques européennes et les Etats-Unis sur ce sujet. · l’heure actuelle, la voix de l’OTAN est la voix des Etats-Unis à peine voilée, qui consiste à ne pas reconnaître les faits et à dire qu’il ne faut pas s’inquiéter. Or les opinions publiques commencent à manifester leur désaccord avec ce point de vue.
Doit-on envisager une interdiction de l’utilisation des armes à uranium appauvri ?
Pascal Boniface. Il s’agit d’une question de nature politique. L’interdiction de ces armes est inéluctable car l’opinion publique ne peut accepter que des armes continuent de tuer une fois la guerre terminée. L’opinion publique accepte que l’on débatte d’une question comme celle de l’intervention au Kosovo par exemple. C’est légitime et même si les gens sont divisés, ils admettent le débat. En revanche, sur une question comme celle de l’uranium appauvri, il est évident qu’une très grande majorité de l’opinion publique n’est pas prête à accepter des tergiversations sur des armes qui continuent de tuer après leur utilisation.
Si l’on aboutit à un traité sur l’interdiction des armes à uranium appauvri, il n’est pas sûr que les Etats-Unis le signent…
Pascal Boniface. En effet, il se peut que les Etats-Unis décident de ne pas signer un traité international visant à interdire l’utilisation des armes à uranium appauvri. On peut dresser un parallèle avec les mines antipersonnelles qui sont également des armes qui continuent à tuer après la fin des conflits et dont les Etats-Unis ont refusé de signer le traité d’interdiction. Les Etats-Unis peuvent très bien décider de faire preuve d’une attitude unilatérale comme ils sont habitués à le faire en matière de traités internationaux. Ils n’ont pas ratifié les traités sur la fin des essais nucléaires, ils n’ont pas ratifié le traité sur les mines antipersonnelles et ne ratifieront certainement pas le traité sur la Cour de justice internationale.
La nouvelle administration américaine peut-elle apporter un changement sur cette question ?
Pascal Boniface. On peut craindre un raidissement de la nouvelle équipe gouvernementale qui, a priori, n’affiche pas une grande sensibilité à l’égard de l’opinion publique, encore moins celle des Européens. Quant à Colin Powell, le nouveau secrétaire d’Etat qui fut chef d’état-major durant la Guerre du Golfe, il a pu voir les dégâts que la polémique américaine sur le » syndrome du Golfe » a causés en termes d’image au Pentagone. Mais Colin Powell souhaite s’inscrire dans une stratégie militaire consistant à frapper fort et vite pour ne pas mettre les soldats américains en danger. Dans cette logique, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à admettre une interdiction des armes à uranium appauvri.
Les alternatives à l’uranium appauvri pour la fabrication d’armes existent
L’uranium appauvri est très dur, c’est sa grande qualité militaire. Mais il est potentiellement dangereux pour la santé. C’est une tare rédhibitoire, qui finira sans doute par le faire disparaître des arsenaux, principe de précaution oblige.
L’uranium appauvri (UA) est un métal utilisé par les militaires pour sa très grande densité qui lui permet de percer les blindages. Il ne s’agit donc pas d’une arme nucléaire qui explose à la suite d’une fission. La législation française considère néanmoins ce métal comme un «matériau nucléaire», à cause de sa radioactivité. Selon la Crii-Rad, un laboratoire indépendant proche des milieux écologistes, celle-ci est inférieure de 23 % à celle de l’uranium naturel.
Antichar
La densité de ce métal lourd (19) permet de construire des «pénétrateurs» qui équipent les obus antichars. L’idée remonte à la Seconde Guerre mondiale, lorsque le ministre de l’Armement du Reich, Albert Speer, décida d’employer de l’uranium à cause des pénuries de tungstène, un métal également très dur, mais beaucoup plus cher et moins fusible. L’idée fut reprise par l’armée américaine à la fin des années 60. Il s’agissait alors de «casser» du char russe, dans le cas d’une guerre en Europe. Un avion, le Fairchild A-10, fut développé dans ce but. Il est armé d’un canon rotatif, le GAU-8A tirant des petits obus de 3 centimètres de diamètre à un rythme diabolique de 4 200 coups par minute. Pour compenser la faible taille des obus, il fallait un métal plus dur que l’acier. D’où l’idée d’utiliser de l’uranium appauvri, un sous-produit de l’industrie nucléaire. Bruno Barillot, del’Observatoire des armes nucléaires , estime à «cent millions» le nombre de cartouches produites par l’industrie américaine pour le GAU-8A.
L’US Army dispose de son côté d’obus antichars de 105 et de 120 mm, produits à plus d’un million et demi d’exemplaires. L’uranium appauvri est aussi utilisé, sous forme de plaques, pour renforcer le blindage des chars Abrams. Enfin, une série de munitions de petit calibre ont été développées, en particulier pour le système antimissile Phalanx. Ces obus ont été utilisés à trois reprises. La première fois contre l’Irak en 1991: 940 000 obus d’avions et 14 000 de chars ont été tirés, soit environ 300 tonnes d’uranium appauvri déversées sur le Koweït et l’Irak. En 1994-1995, l’US Air Force attaqua les forces serbes en Bosnie avec 10 800 obus, puis l’armée yougoslave au printemps 1999 lors de la guerre du Kosovo avec 31 000 obus – soit 12,5 tonnes de métal radioactif tirées sur les Balkans.
En dehors des Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France fabriquent des munitions à l’UA. Une association britannique, Campaign Against Depleted Uranium , estime qu’«approximativement dix-sept pays» en possèdent, la plupart situés au Moyen-Orient. La Grèce, dont les autorités dénoncent les frappes américaines, en possède sans doute. La France s’est doté uniquement d’obus pour ces blindés. Comme la Grande-Bretagne, elle s’est procuré environ mille tonnes de ce métal aux Etats-Unis. Les obus ont été usinés par Giat-Industries et essayés dans les établissements de la Délégation générale pour l’armement de Bourges (Cher) et de Gramat (Lot). Il s’agit d’obus de 105 mm destinés aux chars AMX-B2, stockés à Brienne-le-Château (Aube). Un autre obus, de calibre 120 mm et destiné aux chars Leclerc, est en cours de production. Le ministère de la Défense assure que l’armée française n’a jamais utilisé ces munitions, ce qui est fort probable.
Avantage unique
Les militaires peuvent-ils se passer de ces armes, comme le demandent aujourd’hui l’Italie ou l’Allemagne? «Cet obus nous donne une allonge supplémentaire, c’est-à-dire qu’il nous permet de détruire un char ennemi avant que celui-ci puisse nous tirer dessus», explique un officier de l’armée de terre. C’est l’unique avantage de cette arme, non négligeable lorsque l’on souhaite la guerre «zéro mort». Des solutions de remplacement existent (obus au tungstène, munitions «intelligentes»), alors que le combat antichar n’est plus aussi prioritaire que durant la guerre froide. Mais les militaires hurlent toujours au loup lorsque les civils se mêlent de vouloir les priver d’une arme. Cela a été le cas pendant des années avec les mines antipersonnel avant que le communauté internationale décide de les bannir, en 1997. L’armée française a finalement obtempéré en détruisant l’ensemble de son stock. Quelques mois avant, le nombre de mines était encore un «secret-défense», comme l’est aujourd’hui celui des obus à l’uranium appauvri.
Qui est pauvre et méchant ? l’Uranium de l’OTAN
Le syndrome des Balkans toucherait-il la France ? Quatre militaires français ayant séjourné dans les Balkans sont actuellement hospitalisés et soignés en France pour des leucémies.
C’est ce qu’a révélé jeudi, le porte-parole du ministère de la Défense, et ces cas correspondraient à une proportion plus élevée que la normale dans cette classe d’âge. En réponse à l’inquiétude qui règne dans les milieux militaires, (plusieurs pays européens ont annoncé eux aussi des cas de leucémie et des décès suspects de soldats ayant servi dans l’ex Yougoslavie) les pays de l’OTAN se réuniront mardi afin de débattre du problème. L’Union européenne se penchera sur la question le même jour et pourrait déclencher sa propre enquête sur les effets de l’utilisation d’uranium appauvri dans les munitions anti-blindage. Par ailleurs, une équipe de scientifiques de l’ONU a découvert, sur onze sites atteints par les projectiles de l’OTAN au Kosovo, des débris à base de d’uranium appauvri et des traces de radioactivité dans huit d’entre eux. Pekka Haavisto, qui dirige l’équipe d’évaluation du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a affirmé sa surprise quant à ce constat un an et demi après la fin du conflit. En plus du risque de contamination des nappes phréatiques qui est très élevé, le PNUE reconnaît qu’il n’est pas anodin pour la santé de manipuler ces débris. Un rapport complet devrait être disponible au mois de mars.
En France et selon l’état actuel des travaux, le ministère de la Défense souligne que l’uranium appauvri est un métal lourd qui à l’instar du plomb peut avoir des effets néfastes sur le système rénal et hépatique. Les écologistes, eux, estiment que ces munitions à uranium dégageraient, après l’impact, des poussières radioactives provoquant des cancers. Bien entendu, les autorités américaines (qui ont fait tirer en 1999 sur le Kosovo 31 000 munitions à l’uranium appauvri) ne croient pas une seconde à ces allégations et n’imaginent pas qu’il puisse y avoir une causalité entre le maniement de ces armes et les maladies dont souffrent certains militaires…
Des obus à usages multiples dans la panoplie américaine
Parce qu’il est un matériau qui contribue autant à protéger des véhicules blindés qu’à les perforer, l’uranium appauvri (UA) constitue, de longue date, la base de munitions largement utilisées par les armées américaines. Ainsi, l’armée de terre en a équipé son char Abrams sous la forme d’un obus de 120 mm, baptisé M. 829, en ayant cependant pris soin d’insérer des plaques d’UA entre deux plaques de blindage classique en acier, pour en garantir l’invulnérabilité. Elle a monté des munitions UA de 25 mm dans le canon Bushmaster de ses véhicules blindés d’infanterie Bradley. L’avion Harrier AV8 à décollage et atterrissage verticaux dispose d’obus UA de 25 mm. La marine des Etats-Unis utilise des obus UA de 20 mm pour son système Phalanx de lutte antiaérienne et antimissiles à très courte portée. Enfin, l’armée de l’air aligne des avions d’attaque au sol A. 10 Thunderbolt ou Warthog, spécialisés dans le combat antichars, dont le canon principal à sept bouches tire des obus UA de 30 mm à la cadence impressionnante de 3 000 coups/minute.
Au Kosovo, c’est l’avion A. 10 qui a été le plus souvent utilisé. Cet appareil, entré en service en 1976, est déjà intervenu, avec les mêmes munitions, en 1991, contre les troupes irakiennes au Koweït. Pour l’époque, les 174 A. 10 engagés sont crédités de la destruction de 1 200 chars irakiens et d’un millier de pièces d’artillerie. Dans les Balkans, l’avion a aussi été utilisé en Bosnie, où les Américains ont avoué avoir tiré quelque 10 500 obus au total, en 1994-1995. Au Kosovo, ils estiment en avoir tiré environ 31 000 en trois mois en 1999.
« Cibles d’opportunités »
L’OTAN n’a pas rendu publics les résultats des raids. Mais on sait que des munitions UA ont été utilisées, pendant l’opération « Force alliée », contre cent douze sites au Kosovo et dix en Serbie. Dans son rapport de cent soixante-dix pages au Congrès, en janvier 2000, sur ses activités au Kosovo, le Pentagone ne fait pas spécifiquement mention des UA, même s’il relate les missions attribuées à la flotte des A. 10.
La difficulté de l’évaluation tient au fait que ces avions d’attaque au sol ont participé aux actions sur « cibles d’opportunité », c’est-à-dire des bombardements de cibles mobiles et ponctuelles – des convois blindés ou des chars à l’affût – qui ont été laissés à l’appréciation des pilotes en fonction des circonstances du moment. Les A. 10 ne sont pas les seuls avions dont l’action est difficile à apprécier : à une échelle stratégique, l’emploi des bombardiers « furtifs » B. 2, équipés de missiles air-sol JDAM et venus directement des Etats-Unis au cours d’une navigation sans escales mais avec ravitaillement en vol, a relevé du seul commandement américain.
Au sein de l’OTAN, les alliés de Washington ont été mis devant le fait accompli pour nombre de ces missions. Certains d’entre eux, à commencer par les Français et les Britanniques, s’en sont plaints, arguant que ces raids n’avaient pas été collectivement planifiés dans des instances de concertation. Ce qui induit, plus particulièrement à l’encontre des armes UA, une crainte d’autant plus vive que les mesures de protection, telles qu’elles ont pu être élaborées suite à des tests, ne sont ni suffisamment efficaces ni exhaustives pour des populations qui viendraient à être exposées près d’un feu de munitions, d’un matériel touché ou de ses débris, ou encore en cas de perforation d’un véhicule.
A sa décharge, l’avion A. 10, principal « vecteur » des UA, ne peut pas opérer à distance de sécurité, face à des défenses antiaériennes, à cause de sa lenteur. Il est vulnérable aux armes ennemies de tout calibre et il est mal protégé des agents NBC (nucléaires, chimiques et biologiques). Ce qui incite le Pentagone à envisager – c’est le projet Robohog, éventuellement lancé en 2002 – de le transformer tout ou partie en drones (avions de reconnaissance).
Le » syndrome des Balkans » inquiète les capitales européennes
Plusieurs militaires européens, dont quatre français, sont victimes de cancers après avoir servi en Bosnie et au Kosovo. L’OTAN est sommée de s’expliquer sur l’utilisation de l’uranium appauvri.
Quatre soldats français soignés pour une leucémie après leur retour des Balkans, six décès attribués en Italie à un mystérieux » syndrome des Balkans » qui affecterait une trentaine de soldats italiens (dont la moitié de cancers) ayant participé à des missions de paix dans l’ex-Yougoslavie, cinq cas de cancers signalés en Belgique, d’autres cas similaires aux Pays-Bas et au Portugal, un officier grec atteint de leucémie, des milliers de Finlandais, Espagnols, Suisses, Allemands, Portugais, Turcs, Belges, Grecs, Tchèques et Bulgares en opération en Bosnie et au Kosovo bientôt soumis à des contrôles médicaux… De Rome à Bruxelles en passant par Porto, Madrid, Paris, Stockholm et Helsinki, » le syndrome des Balkans » est pris très au sérieux dans presque toutes les capitales européennes, faisant souffler un début de vent de panique.
» Le syndrome des Balkans » est le nom donné à un ensemble de pathologies (surtout des cancers) à l’origine inexpliquée touchant des militaires européens en mission dans cette région depuis 1992. Son nom fait référence au » syndrome de la guerre du Golfe » qui frappe quelque 100 000 anciens soldats américains et britanniques et pour l’instant des dizaines de français. Les autorités militaires des pays concernés ont toujours refusé d’établir un lien de cause à effet entre ces maladies et la présence des soldats dans le Golfe. Idem aujourd’hui avec l’ex-Yougoslavie. Mais plusieurs associations, notamment des écologistes, accusent l’uranium appauvri de provoquer principalement des décès, des malformations et des problèmes de stérilité. Moins radioactif à l’état naturel que l’uranium, ce métal extrêmement dense sert à percer les blindages les plus épais. Le danger proviendrait non de la radioactivité mais des poussières particulièrement toxiques que les munitions à l’uranium appauvri dégagent à l’impact.
Lors de la campagne de l’OTAN au Kosovo au printemps 1999, l’Alliance a reconnu avoir tiré plus de 30 000 obus à uranium appauvri. Dix mille de ces munitions ont aussi été tirées pendant la guerre de Bosnie en 1994-1995. Selon un haut responsable de l’armée yougoslave, les bombes de l’OTAN ont causé la contamination de cinq zones en dehors du Kosovo. Jusqu’à présent l’OTAN rejette tout lien entre l’utilisation de l’uranium appauvri et les maladies dont souffrent les soldats. Mais plusieurs pays de l’Union européenne souhaitant l’ouverture d’une enquête officielle. La Commission européenne » a besoin de connaître la vérité » a déclaré son président Romano Prodi : » S’il existe le plus petit risque, alors ces armes devraient être immédiatement supprimées. «
L’OTAN a été sommée de s’expliquer par plusieurs pays européens sur l’utilisation de l’uranium appauvri par les forces américaines. Le ministre français de la Défense Alain Richard a appelé les Américains à donner des explications et » à être ouvert sur le sujet « . Il a cependant assuré que » tout, pour l’instant, confirme que ces munitions peuvent être utilisées « . · la demande de l’Italie, les pays de l’OTAN doivent discuter mardi prochain de manière informelle de cette polémique avant la réunion hebdomadaire du conseil permanent de l’OTAN.
Le Pentagone américain a d’ores et déjà refusé le moratoire sur l’utilisation de l’uranium appauvri utilisé proposé par l’Italie. » Nous ne voyons pas de raisons de santé d’envisager un moratoire maintenant. (…) Nous n’avons pas trouvé d’effets sanitaires particuliers sur des militaires américains « , a annoncé Kenneth Bacon, le porte-parole du Pentagone. Le Pentagone a également déclaré qu’aucune trace d’uranium appauvri (UA) n’a pu être décelée au Kosovo, un an après les tirs de munitions contenant ce métal contre des objectifs serbes.
Comme l’annonçait l’Humanité dès les premiers jours de la guerre du Kosovo, l’utilisation de l’uranium appauvri n’était pas sans risques pour la santé des soldats et des populations. Isolé lors sa mise en garde, l’inquiétude de l’Humanité est désormais partagée par plusieurs gouvernements européens. Le ministre suédois de la Défense, Björn von Sydow, dont le pays exerce la présidence de l’UE, s’est déclaré favorable à la proposition de son homologue belge, André Flahaut, d’analyser » le syndrome des Balkans » au niveau européen. L’UE a décidé de lancer une enquête informelle en attendant éventuellement de mettre sur pied une enquête officielle. La question du » syndrome des Balkans » sera inscrite à l’ordre du jour de la réunion du Comité de la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE (PESC), le 9 janvier prochain.
» La double toxicité de l’uranium appauvri «
Abraham Behar, spécialiste de médecine nucléaire et maître de conférence en biophysique à Paris VI, est président de l’association des Médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1985. Entretien.
Quelle est la toxicité de l’uranium appauvri ?
Abraham Behar. L’uranium appauvri a une double toxicité. D’une part, et bien qu’il soit le moins radioactif des uraniums, il a une toxicité radioactive du fait qu’il émet des rayons gamma et alpha. D’autre part, il a une toxicité chimique comme tout métal lourd. En tant que métal très dense, il est utilisé pour renforcer la capacité des obus à percer le blindage des chars. · froid, ces armes ne présentent aucun danger. Mais au moment de l’impact, elles prennent feu et libèrent des fumées et des particules en suspension. Il y a alors un double risque d’inhalation pour les personnes à proximité : la toxicité des fumées entraîne des lésions des reins et du foie, et les particules radioactives respirées se fixent dans le poumon et les os. Il y a alors la probabilité de lésions radio-induites telles que lymphomes, cancers du poumon, voire leucémies. Les effets d’une intoxication chimique sont quasi immédiats. Ceux de la radiotoxicité sont toujours différés, entre 4 et 25 ans.
A quelle distance ces armes sont-elles toxiques ?
Abraham Behar. Pour qu’il y ait un lien de cause à effet du point de vue de la radiotoxicité, il faut que ces soldats aient respiré ces fumées, donc aient été à quelques mètres de chars en feu. Tout le problème est de savoir si les soldats qui ont servi en Bosnie et au Kosovo étaient sur le terrain lors de l’utilisation de ces armes par l’OTAN. C’est très différent de ce qui s’est passé pendant la guerre du Golfe : dans le désert, en raison des hautes pressions, les fumées se sont répandues à plusieurs kilomètres. · ma connaissance, ce n’est pas le cas en Bosnie. La seule enquête à mener est donc de déterminer si les soldats ont respiré des fumées. Ensuite la réponse est simple : si oui, il est effectivement possible que les cas de leucémie et de cancer soient liés à cette exposition ; si non, cela n’a rien à voir.
Possible mais pas prouvé ?
Abraham Behar. C’est un point important. Si c’était un travailleur civil, il pourrait évoquer la » présomption d’origine « . Un travailleur dans l’imprimerie, par exemple, n’aura pas besoin de prouver qu’il a avalé du plomb pour établir un lien avec une contamination. Savoir qu’il a été imprimeur suffit. Pour les militaires, c’est différent : il faut apporter la preuve absolue et exclusive d’une contamination. Or, par définition, les lésions radio-induites ne sont pas exclusives : ce ne sont que des probabilités. Il est donc très difficile de prouver qu’un soldat a un cancer parce qu’il a été exposé à la radioactivité de l’uranium appauvri. L’armée est donc doublement gagnante dans cette affaire. D’une part, si effectivement les soldats ne présentent pas de lésions rénales ou hépatiques – et cela s’est vu pour des soldats américains dans le Golfe qui par ailleurs avaient de l’uranium dans leurs urines -, l’armée peut décliner toute responsabilité. D’autre part, même si une enquête démontre que des soldats ont été exposés à des fumées, cela ne suffira pas à démontrer un lien de cause à effet avec un cancer.
Médicalement, quels examens peuvent établir un lien entre l’exposition et le cancer ?
Abraham Behar. Il existe un moyen objectif, et que l’on maîtrise parfaitement aujourd’hui, qui est de mesurer la quantité d’uranium émise par les urines. Il a été démontré que même si l’uranium pénètre par la voie pulmonaire, il se retrouve dans les urines. Et s’il s’y trouve, c’est qu’il passe par le rein qui est un organe très sensible. Alors la deuxième possibilité d’examen, est, en cas d’une insuffisance rénale grave, de pratiquer une biopsie pour rechercher des particules d’uranium. Mais pour l’instant, nous ne connaissons pas de cas clinique. La seule solution est donc l’analyse d’urine.
Pour les soldats exposés en 1994-1995, ces analyses peuvent-elles encore être pertinentes ?
Abraham Behar. Des études ont démontré que l’uranium reste plusieurs années dans les urines après l’intoxication. Ainsi le professeur Asaph Durakovic a montré que sur des anciens combattants de la guerre du Golfe qui avaient inhalé des fumées, des quantités d’uranium supérieures à la norme restent présentes au moins pendant cinq ans. Ces examens sont donc effectivement pertinents.
Des témoignages qui brisent le silence
Aux Etats-Unis, qui nient l’existence d’un » syndrome de la guerre du Golfe « , différentes associations de vétérans ou institutions ont demandé aux soldats qui le désiraient de témoigner devant une commission du Congrès, afin de pouvoir établir un éventuel lien entre leur présence sur le terrain et les symptômes qu’ils ont développés par la suite. Voici quelques-uns de ces témoignages publiés dans le livre de Christine Abdelkrim-Delanne, la Sale Guerre propre (Le Cherche-Midi Editeur).
Carol H. Picou, sergent de première classe dans le 41e hôpital de campagne
» Quand j’étais en Irak, j’ai commencé à remarquer des taches noires sur ma peau. Je sentais un changement en moi. Je ne pouvais plus contrôler mes intestins ni mon sphincter. Ils m’ont dit que c’était mécanique et que je devrais faire des examens en rentrant chez moi (…) · mon retour, j’ai effectivement commencé à poser des questions et j’ai eu peur pour ma carrière militaire. La suite a montré que j’avais raison. J’ai commencé à parler publiquement. Un » vétéran atomique » (c’est ainsi que l’on appelle les 250 000 soldats, chiffres officiels américains, irradiés durant les expériences nucléaires américaines entre 1942 et 1963), m’a dit que j’étais empoisonnée par l’uranium appauvri. J’ai commencé à chercher ce que c’était et comment je pouvais vérifier que j’étais contaminée. Ils m’ont dit que c’était impossible car je n’avais pas été blessée par des » tirs amis « . Mais puisqu’on peut ingérer ou inhaler des particules, les respirer, j’ai insisté. Nous avons eu des tempêtes de vent chaque jour en Irak, partout.
En 1992, j’ai consulté un médecin civil. Son diagnostic : encéphalopathie due à l’exposition à une substance toxique, anomalies du système immunitaire, etc. L’armée n’a retenu pour mon invalidité que » l’incontinence urinaire et intestinale d’origine inconnue « . Les médecins civils m’ont recommandé de faire des analyses d’urine spéciales mais m’ont avertie que cela coûtait très cher. En même temps qu’on m’a licenciée de l’armée, on m’a évidemment supprimé mon assurance maladie militaire. De plus, il fallait envoyer les échantillons à un laboratoire hors des Etats-Unis. J’ai contacté mon élu au Congrès et finalement j’ai été contrôlée en février 1994. Les résultats ont révélé la présence d’uranium. Mon médecin a minimisé l’affaire. Je suis allée à Washington et je me suis publiquement exprimée (…)
Aujourd’hui, j’ai un grave problème de mémoire, j’ai une encéphalopathie d’origine toxique, j’ai une détérioration de la thyroïde, une dégradation musculaire, je souffre d’incontinence de la vessie et des intestins et je ne peux pratiquement plus me servir de mes mains et de mes pieds. Le bébé de l’un des membres de notre unité est né sans oreilles, sans yeux et le coeur à droite. «
Charles-Sheehan Miles, 24e division d’infanterie mécanisée, 2 mars 1998.
» Plus tard dans l’après-midi, alors que nous étions entourés par des véhicules détruits en train de brûler, un des tanks de la compagnie a été détruit. Des explosifs et des munitions à l’uranium appauvri contenus dans le char ont été projetés sur une zone d’environ quatre cents mètres autour. Nous avons été enveloppés d’un épais nuage de fumée et de poussière qui montaient des véhicules. Plus tard, nous avons tiré deux obus d’uranium appauvri dans la tourelle afin de pouvoir nous en approcher en toute sécurité. Aucun de nous ne connaissait le danger de contamination ou d’exposition à l’uranium appauvri. Nous n’avons pas été décontaminés. Nous n’avons pas été contrôlés. Nous n’avons subi aucun examen médical approprié. L’incident n’a pas été noté dans notre rapport de service ou dans le rapport médical de service. Six semaines plus tard, c’était comme si rien ne s’était passé. Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de ce qui est arrivé à la majorité des collègues impliqués dans l’incident. Je ne sais pas où sont les autres membres de l’équipage ni quel est leur état de santé. Nous ne connaîtrons sans doute jamais la réponse à ces questions car les documents qui existaient ont probablement été détruits entre-temps. «
Un soldat de la 2e division blindée.
» Nous avions 52 chars en ligne. Nous avons tiré sur les chars irakiens, les abris, les camions, tout ce qui était sur notre chemin. Une fois l’opération terminée, nous sommes revenus sur la zone de combat et nous sommes montés sur les véhicules qui étaient détruits. Nous voulions voir les dégâts que nos chars avaient faits et nous cherchions des souvenirs. Je savais que nous avions tiré des munitions d’uranium appauvri, mais on ne nous avait jamais dit de rester loin des véhicules touchés. On a fumé, mangé sans se laver les mains. Après la guerre, nous avons vu des tas de types d’autres unités grimper aussi sur ces véhicules. «
R. R. (témoignage recueilli par l’association française Avigolfe)
» Je signale que deux jours après notre retour en France, un cross régimentaire a été organisé. Lors de l’exercice, neuf personnes ont été prises d’un violent malaise (étouffement avec leurs langues), quatre ont été évacuées à l’hôpital. Malheureusement le brigadier-chef G. est décédé sur place d’étouffement. Quelques heures plus tard, les autorités militaires nous déclaraient qu’il était mort d’arrêt cardiaque, suite à une malformation du cour. Ce militaire avait six ans de service, il était l’un des meilleurs sportifs du régiment. Quand on sait l’entraînement des troupes d’élite à ce niveau, on est en droit de se poser des questions sur ce qui s’est réellement passé pendant la guerre du Golfe et les différents produits utilisés par les militaires français. «
Le « syndrome des Balkans » inquiète l’Europe
Quatre anciens casques bleus français seraient touchés par une leucémie déclenchée au contact de l’uranium appauvri. Le département de la Défense américain affirme de son côté n’avoir trouvé aucun lien entre la maladie et l’uranium.
Le département de la Défense américaine a démenti jeudi l’existence d’un risque pour la santé des casques bleus ayant servi dans la région des Balkans où de l’uranium appauvri a été utilisé.
« Nous n’avons trouvé aucun lien entre la maladie et l’exposition à l’uranium appauvri », a indiqué jeudi Kenneth Bacon, le porte-parole en chef du secrétaire de la Défense américaine William Cohen. « Nous sommes quasiment certains de ce que nous avançons, à savoir que nous n’avons trouvé aucun lien direct », a-t-il ajouté.
Le Pentagone mène l’enquête depuis 1991, date de la fin de la Guerre du Golfe au cours de laquelle les forces américaines ont utilisé pour la première fois de l’uranium appauvri dans leurs munitions.
L’an dernier, les Nations unies ont dépêché une équipe d’experts au Kosovo où, selon Kenneth Bacon, des échantillons de terre et d’eau ont été prélevés et dont les résultats d’analyse sont attendus au printemps, a précisé le porte-parole. Il s’agit notamment de savoir s’il existe un lien entre l’apparition de ces leucémies et l’utilisation par les forces américaines de munitions comportant de l’uranium appauvri lors de la campagne aérienne de l’OTAN dans les Balkans en 1999, et en Bosnie en 1994-1995.
Toute l’Europe s’inquiète
Quatre soldats français ayant servi dans l’ex-Yougoslavie sont actuellement traités pour leucémie dans des hôpitaux militaires en France, a annoncé jeudi le ministère de la Défense, au lendemain de la demande d’explication faite par l’Italie à l’OTAN. Les quatre hommes, dont certains ont servi à la fois en Bosnie et au Kosovo, se trouvent dans un état de santé globalement satisfaisant.
Sept soldats italiens qui avaient servi dans les Balkans sont morts de leucémie, ainsi qu’un membre de la Croix Rouge italienne, et une trentaine de militaires souffrent de maladies diverses, dont des cancers. Des pays comme le Portugal, la Belgique, la Finlande, la Turquie, la Bulgarie, la République tchèque ou la Grèce, qui enquête sur un cas de leucémie d’un sous-officier, ont également fait part de leur inquiétude. La Suisse a également demandé officiellement des informations complémentaires à l’OTAN.
En Grande-Bretagne, un ancien ingénieur de l’armée britannique a déclaré vendredi souffrir du syndrome. C’est le premier cas rendu public outre-Manche. Kevin Rudland, 41 ans, a servi six mois en Bosnie. De retour en avril 1996, il a alors quitté l’armée pour fonder sa propre entreprise. Quelques mois plus tard, il commençait à perdre ses cheveux et souffrait de stress post-traumatique et d’ostéoarthriste. « Il se peut que je sois le premier cas dans ce pays, mais je crois qu’il y en a d’autres qui ne se sont pas fait connaître ou qui ignore leur état », a-t-il déclaré à l’agence Press Association. Le ministère de la Défense a assuré que Londres ne disposait d’aucun élément permettant de lier cette maladie à l’uranium appauvri.
Enfin, la Pologne a dépêché un groupe d’experts sur les lieux de stationnement de ses 2.500 soldats qui ont effectué des missions au Kosovo.
Le comité international de la Croix rouge (CICR) a de son côté indiqué ce vendredi qu’aucun de ses 32 délégués ayant travaillé au Kosovo depuis juin 2000 n’avait été contaminé par une quelconque radioactivité. Par la voix de son ministre de la Défense Federico Trillo, l’Espagne a écarté toute contamination aux Balkans de soldats par de l’uranium appauvri, malgré la mort par « leucémie ambiguë », selon les termes du ministre, d’un des leurs 3 mois après son retour de mission en ex-Yougoslavie.
Pour le moment, il n’est pas question à Bruxelles d’une enquête officielle, mais d’une étude informelle. Le sujet sera tout de même évoqué lors d’une réunion des responsables de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) prévue par la présidence suédoise de l’Union européenne le 9 janvier. Le même jour se tiendra au siège de l’OTAN une réunion informelle consacrée exclusivement au syndrome.
La CRIIRAD demande une enquête parlementaire
La Commission de recherche et d’informations indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD) appelle ce vendredi dans un communiqué à un débat national et la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’adoption par l’armée française des armes à l’uranium appauvri.
Le laboratoire privé précise que l’ »uranium appauvri est une substance cancérigène. La leucémie fait partie des risques associés à l’inhalation des micro particules émises lors des bombardements ». « Pour en finir avec quelques contrevérités », l’association souligne que l » »uranium appauvri est une substance dont la radioactivité est très supérieure à ce que l’on trouve dans la nature » et qu’il n’ »est pas un produit naturel, mais un sous-produit de l’industrie nucléaire ».
Richard demande des examens
En France, le ministre de la Défense Alain Richard a demandé que des examens soient entrepris pour recenser les affectations des quatre soldats français souffrant de leucémie, les conditions de leur séjour et les risques auxquels ils ont été exposés. Il a en outre demandé que « dans le cadre du débat qui va avoir lieu au Conseil atlantique mardi prochain, l’ensemble des partenaires de l’Alliance puissent échanger toutes leurs informations afin que chacun puisse bénéficier de l’expertise des autres. »
L’Italie demande des comptes à l’OTAN
Mercredi, l’Italie a demandé à l’Alliance atlantique des précisions sur l’utilisation de l’uranium appauvri. « La question a pris un tour grave et l’inquiétude provoquée est plus que légitime », a souligné le président du Conseil italien Giulano Amato, en invitant l’OTAN à « prendre ses responsabilités ». Le président de la Commission européenne Romano Prodi, s’est d’ores et déjà prononcé pour l’abolition des armes. Le secrétaire général de l’OTAN Lord Robertson a assuré à l’ambassadeur italien auprès de l’Alliance atlantique qu’elle fournirait prochainement toutes les informations sur l’utilisation de munitions à uranium appauvri par les forces américaines en Bosnie en 1994 et 1995.
Lors des bombardements du printemps 1999, l’Alliance a reconnu avoir tiré plus de 30.000 obus à uranium appauvri. Mais « d’après ce que nous savons, à partir de travaux menés de façon indépendante, aucune étude ne peut prouver qu’il existe un lien direct entre certains types de maladie et un contact avec l’uranium appauvri », a commenté à Bruxelles une porte-parole de l’OTAN, Simone de Manso.
Le principal risque, s’il existe, n’est pas d’ordre radioactif mais tient au fait qu’il s’agit d’un métal lourd, a de son côté expliqué le porte-parole du ministère français de la Défense Jean-François Bureau, citant les travaux menés par un groupe de travail du ministère de la Défense, mis en place depuis 1999. Comme le plomb, l’uranium appauvri peut se fixer dans les reins et le foie, avec des effets néfastes pour la santé. Des poussières de ce métal peuvent notamment se dégager après l’impact de la munition utilisée.
L’uranium appauvri, c’est quoi ?
Selon les experts, l’uranium appauvri (UA) présente des risques en raison de sa toxicité chimique, plus que pour sa radioactivité.
Métal lourd, entrant dans la composition du revêtement de munitions utilisées pendant le conflit en ex-Yougoslavie, il pourrait, selon certaines hythèses qui restent néanmoins à confirmer scientifiquement, être à l’origine du « syndrome des Balkans », qui serait à l’origine de la mort de militaires de plusieurs pays.
L’uranium appauvri est un résidu du processus d’enrichissement du minerai d’uranium utilisé dans des armes et dans les réacteurs des centrales nucléaires. Son avantage, qui réside dans sa densité, supérieure encore à celle du tungstène, considéré comme l’un des matériaux les plus denses, augmente la capacité de pénétration des obus qui deviennent particulièrement efficaces, notamment contre les blindés.
Ce type de munitions a été utilisé pour la première fois par les Américains pendant la guerre du Golfe (en janvier-février 1991), puis en Bosnie en 1994-1995, et enfin en Yougoslavie en 1999. Neuf pays utilisent ce type de munitions, parmi lesquels la France, avec l’obus 120 mm à flèche à uranium appauvri du char AMX 30.
L’uranium appauvri est 40% moins radioactif que l’uranium naturel (avant tout traitement) et 115 fois moins radioactif que l’uranium enrichi. Il est d’ailleurs si peu radioactif qu’on l’utilise en médecine pour fabriquer des boucliers anti-radiations.
Néanmoins, et à l’instar d’autres métaux lourds comme le plomb par exemple, l’uranium appauvri est chimiquement toxique.
Les obus à l’UA ont en effet la particularité de se vaporiser en partie lorsqu’ils atteignent leur cible. Et les poussières qui en résultent s’enflamment spontanément, créant un aérosol d’uranium qui peut se déplacer sur des centaines de mètres. L’inhalation des particules peut déposer celles-ci durablement dans les poumons.
Une partie des particules est soluble et est pratiquement éliminée du sang en trois jours via l’urine. En revanche, le reste est susceptible de se disséminer sous forme d’oxydes et se fixe principalement dans les os. Les particules en circulation s’attaquent surtout aux reins.
Les réactions
Voici les premières réactions à la polémique du syndrome des Balkans après que plusieurs pays européens, l’Italie en tête, aient demandé à l’OTAN de s’expliquer sur l’usage de munitions à uranium appauvri en ex-Yougoslavie
- Alain Richard, ministre de la Défense: « Nous avons fait, depuis un moment déjà, un examen de la situation des militaires atteints de leucémie pour essayer d’évaluer s’il y avait une relation avec la proximité avec les des matériels qui auraient été bombardés par des obus à l’uranium appauvri. Pour l’instant, les résultats sont négatifs mais nous poursuivons les études sur ce point et nous allons participer au débat au sein de l’Alliance ». « Il faut traiter ça avec objectivité et transparence ».
- George Robertson, secrétaire général de l’OTAN, « comprend complètement l’inquiétude profonde de Italie sur l’utilisation par l’OTAN de munitions en uranium appauvri dans les Balkans. (…) J’ai par conséquent demandé aux autorités militaires de l’OTAN de faire un compte-rendu aussi détaillé que possible sur les sites attaqués avec ces munitions ». Et de souligner: « Il n’ y a pas de preuves permettant d’établir une corrélation entre l’exposition à l’uranium appauvri en Bosnie ou ailleurs et des problèmes de santé liés à des radiation ».
- La CRIIRAD (Commission de recherche et d’informations indépendante sur la radioactivité) appelle ce vendredi à un débat national et à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’adoption par l’armée française des armes à l’uranium appauvri. Et de préciser que l’ »uranium appauvri est une substance cancérigène ».
- Guido Venturoni, amiral et président du Comité militaire de l’OTAN, a assuré dans une interview publiée vendredi par le quotidien italien La Repubblica « vous pouvez être certain d’une chose: l’OTAN répondra à la demande de vérité de l’Italie sur l’uranium appauvri ». Et de rappeler qu’ »en 1995, l’uranium appauvri n’était pas un problème. Pourquoi quelqu’un aurait-il été obligé de souligner de manière spéciale l’usage de ces armes? ».
- Bjorn von Sydow, ministre suédois de la défense, dont le pays exerce la présidence de l’Union européenne, à estimé qu’ »une action urgente s’imposait pour analyser les problèmes de santé rencontrés par les militaires ayant servi en ex-Yougoslavie. (…) Il s’est également déclaré favorable à la proposition de son homologue belge d’analyser le « syndrome des Balkans » au niveau européen ».
- Federico Trillo, ministre espagnol de la Défense, a écarté toute contamination aux Balkans de soldats espagnols par de l’uranium appauvri, malgré le décès de l’un d’eux en octobre d’une leucémie.
- Romano Prodi, président de la Commission Européenne, s’est prononcé pour l’abolition de ces armes.
- Guliano Amato, président du Conseil italien a invité l’OTAN a « prendre ses responsabilités ». « La question a pris un tour grave et l’inquiétude provoquée est plus que légitime ». « Que l’OTAN dise la vérité ».
- Christine Abdelkrim-Delanne, co-fondatrice de l’association Avigolfe, réclame une commission d’enquête. « La guerre du Golfe a servi de modèle à celle des Balkans. Ce sont les mêmes moyens militaires et les mêmes toxicités », affirme-t-elle dans Le Figaro de ce vendredi. « Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, qui produisent ces armes et ont été des acteurs-clés dans le Golfe, veulent nier les effets de ces armements ».
Y a t-il un syndrome des Balkans?
Le « syndrome des Balkans » envahit l’Europe. De nouveaux cas de leucémie chez des vétérans de la guerre du Kosovo relancent la polémique. L’Europe réclame des explications à l’OTAN et surtout aux Etats-Unis.
« La France à son tour, après l’Italie, le Portugal et la Belgique, est touchée par le « syndrome des Balkans », un ensemble de maladies et maux divers qui affectent des soldats ayant servi en ex-Yougoslavie. Elle aussi attend des informations et des explications de l’OTAN, plus particulièrement des Etats-Unis ». En effet, quatre militaires français, ayant séjourné dans les Balkans, sont actuellement hospitalisés pour des leucémies. A la demande d’Alain Richard, Ministre de la Défense, une enquête est en cours pour connaître les conditions de leur séjour et les risques auxquels ils ont été exposés. L’uranium appauvri , utilisé par les Américains pendant la guerre du Golfe, en Bosnie et au Kosovo, pourrait être à l’origine des ces affections. « Ce n’est pas l’hypothèse de l’uranium appauvri qui est la plus probable, a déclaré sur TF1 Jean-François Bureau, porte-parole du Ministère de la Défense mais nous ne voulons pas l’écarter par principe. Nous allons travailler avec nos partenaires, au sein de l’alliance, pour savoir s’il y a eu un lien de causalité. » La France n’est évidemment pas le seul pays européen à manifester son inquiétude. C’est même l’Italie qui, suite au décès de six jeunes transalpins, anciens « soldats de la paix » en Bosnie, a relancé la polémique. « Que l’OTAN dise la vérité ! » a exigé Giuliano Amato, le président du conseil italien. »La question a pris un tour grave et l’inquiétude provoquée est plus que légitime », a t-il souligné, en invitant l’ OTAN à « prendre ses responsabilités ». D’autres pays sont montés au créneau comme la Belgique qui réclame une réunion des ministres de la Défense de l’Union Européenne pour discuter des maladies liées au « syndrome des Balkans » ou encore le Portugal, dont le gouvernement a décidé de faire subir des tests médicaux à ses 900 ressortissants qui ont été en poste au Kosovo. La Finlande, la Turquie, la Bulgarie, l’Espagne, la Pologne, la Grande-Bretagne et la Grèce sont également dans la tourmente. Seule la Suisse « estime que les risques de contamination encourus par ses soldats engagés au Kosovo sont négligeables ».
Les Américains en ligne de mire
Les Etats-Unis sont montrés du doigt car les munitions incriminées, celles comportant de l’uranium appauvri, étaient uniquement utilisées par les forces américaines durant les conflits en Bosnie et au Kosovo. La France en dispose, mais «n’a pas eu à les utiliser», a confirmé Alain Richard. « Les Américains, eux, en équipent leurs fameux avions tueurs de chars A 10. Durant les événements de Bosnie, en 1994 et en 1995, ils auraient tiré 10 000 munitions de ce type et trois fois plus au Kosovo, en 1999, avec 31 500 obus, soit une dizaine de tonnes de métal » . Certains spécialistes affirment que « ces munitions, à l’impact et en se désintégrant, dégageraient des poussières particulièrement toxiques, pouvant provoquer des cancers ». Ce que dément catégoriquement Kenneth Bacon, porte-parole du Pentagone. « Nous n’avons trouvé aucun lien entre la maladie et l’exposition à l’uranium appauvri », faisant référence à des études américaines. Même constat du côté canadien: « Les preuves scientifiques ne confirment pas que l’uranium appauvri soit un élément favorisant l’apparition de maladies spécifiques, en tout cas pas le cancer », a déclaré Greg Hogan, porte-parole des services de santé des forces armées canadiennes. (Lire dépêche Yahoo). Les Etats-Unis ont tout de même accepté de coopérer avec l’Otan dans son enquête sur le « syndrome des Balkans », mais n’ont pas l’intention de cesser d’utiliser les armes incriminées. Les pays européens ne comptent pas en rester là. Mardi prochain, à Bruxelles, la question de ces munitions sera au centre d’une réunion, sans doute houleuse.
D’autres produits à forte toxicité, comme le benzène, pourraient aussi être en cause. « Le mystère demeure donc autour de ces cas, conclut le journaliste Aurélien Graton de TF1. Une chose est sûre néanmoins: il est peu probable que les différentes affections dont souffrent ces militaires relèvent d’une simple coïncidence. » Après le syndrome de la guerre du Golfe, qui a touché plus de 100 000 soldats, une nouvelle affaire est donc en passe d’ébranler les autorités de l’armée et de provoquer les réactions les plus vives dans l’opinion publique.
Balkans : les morts d’après la guerre
Six jeunes Italiens, anciens « soldats de la paix » en Bosnie, sont morts récemment de cancer. « Que l’OTAN dise la vérité ! » exige le président du conseil. L’usage de munitions contenant de l’uranium appauvri est mis en cause. Cette affaire rappelle le « syndrome du Golfe »
En demandant à l’OTAN de lui fournir des explications sur l’utilisation de munitions contenant de l’uranium appauvri au cours de la guerre de Bosnie, le président du conseil italien, Giuliano Amato, a donné un coup de projecteur sur une polémique qui, pour être ancienne, a pris une soudaine ampleur ces dernières semaines dans plusieurs pays de l’Alliance atlantique. La mort d’un sixième soldat italien ayant participé aux opérations en Bosnie, en 1994-1995, dont le décès pourrait être attribué au « syndrome des Balkans » est à l’origine d’une telle démarche. Elle recoupe des inquiétudes similaires exprimées tout particulièrement en Belgique, mais aussi en Espagne, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Portugal et en Grèce.
Cette polémique doit être reliée à celle du « syndrome de la guerre du Golfe », qui a pris une forte ampleur aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada depuis 1994. S’agissant cependant de l’origine des décès et maladies inexpliqués de combattants ayant servi pendant le conflit avec l’Irak, l’exposition à des munitions contenant de l’uranium appauvri n’était que l’une des explications avancées : tour à tour, les gaz neurotoxiques, la pollution chimique, l’utilisation de médicaments expérimentaux comme la pyridostigmine, le « stress du champ de bataille », voire une anomalie chromosomique, ont été avancés pour tenter de fournir une explication aux quelque 100 000 cas qui, dans ces trois pays anglo-saxons, relèveraient du « syndrome de la guerre du Golfe ».
S’agissant de son « avatar » balkanique, les choses semblent plus simples mais aussi à un stade embryonnaire. Pour le moment, le président du conseil italien se borne à demander à l’OTAN des informations sur l’utilisation « géographique », en Bosnie, des munitions contenant de l’uranium appauvri. M. Amato va sans aucun doute obtenir satisfaction, comme l’a confirmé au Monde, mercredi 3 janvier, un porte-parole de l’Alliance atlantique. Cette demande de Rome a été officiellement adressée, à la fin de l’année dernière, par la représentation italienne auprès de l’OTAN et l’Italie est le seul pays à avoir agi ainsi, en dépit des inquiétudes exprimées, de façon informelle, par plusieurs autres pays membres de l’Alliance.
Au siège de l’OTAN, on rappelle que si les obus et projectiles contenant de l’uranium appauvri sont « les seuls capables de perforer les véhicules blindés », il s’agit de « munitions internationalement utilisées et légales », et il n’a donc pas été question d’ouvrir une enquête à ce sujet au sein de l’OTAN. Se fondant sur des rapports d’organisations scientifiques, un porte-parole de l’Alliance assure que l’uranium appauvri « est même moins radioactif que l’uranium naturel. Il n’y a aucune preuve scientifique, ajoute-t-il, que l’exposition à l’uranium appauvri puisse causer des problèmes sérieux pour la santé ».
Il est vraisemblable que la demande de M. Amato fera l’objet d’une réponse similaire à celle que lord Robertson, le secrétaire général de l’OTAN, avait apportée à Kofi Annan, son homologue des Nations Unies, lorsque celui-ci, en mars dernier, avait demandé des explications s’agissant de l’utilisation de munitions contenant de l’uranium appauvri lors du conflit du Kosovo, en 1999.
L’OTAN avait alors adressé à M. Annan une carte de la région montrant dans quels secteurs ces munitions avaient été employées, tout en confirmant que quelque 31 000 projectiles de ce type avaient été tirés, soit « à chaque fois » que des avions A-10 Thunderbold (les « tueurs de chars »), étaient entrés en action. S’agissant des opérations qui se sont déroulées en Bosnie dans les années 94-95, les chiffres avancés portent sur quelque 11 000 projectiles à l’uranium appauvri. La réponse – forcément dilatoire – de l’OTAN pourrait cependant ne marquer qu’une étape d’une prise de conscience européenne qui va grandissant. Le ministre belge de la défense, André Flahaut, a écrit la semaine dernière à son homologue suédois, Björn Von Sydow, pour lui demander que la Suède, qui préside l’Union européenne depuis le 1er janvier, entreprenne une démarche communautaire à ce sujet. La Commission de Bruxelles n’avait pas encore été saisie, mercredi, de cette initiative, sur laquelle M. Flahaut nous a apporté plusieurs précisions.
La Belgique, explique-t-il, en est encore « à une phase de récolte d’informations ». A ce jour, elle a constaté que sur 12 000 soldats ayant participé à des missions en Bosnie et en Slavonie, 1 600 ont fait état de « malaises divers et de problèmes de santé ». S’agissant, d’autre part, de ceux qui se sont rendus au Kosovo, si quatre cas de décès à la suite d’un cancer ont été constatés dans un seul bataillon, les analyses d’urine pratiquées en liaison avec une éventuelle exposition à l’uranium appauvri, « avant, pendant et après la mission, se sont révélées négatives ». En septembre dernier à Paris, devant le congrès de médecine nucléaire, le professeur Asaph Durakovic, ancien expert auprès du Pentagone, avait évoqué le rôle possible d’une exposition à l’uranium 236, une variété dite « appauvrie », s’agissant du « syndrome de la guerre du Golfe ». Il se basait sur les résultats d’analyses d’urine effectuées chez seize anciens combattants, montrant une « présence significative » d’uranium appauvri neuf ans après la fin du conflit.
André Flahaut reconnaît bien volontiers qu’à ce stade « aucun lien de causalité » n’a pu être établi entre les maladies et décès suspects au sein de l’armée belge et l’utilisation de munitions à l’uranium appauvri. « Je vais bientôt obtenir des informations sur la situation de l’armée belge, sur une base scientifique. Je crois donc utile de les mettre à la disposition d’autres pays. C’est une question que nous devrions examiner en commun, au niveau européen, et qui mérite de retenir l’attention d’une prochaine réunion des ministres de la défense », nous a-t-il indiqué
Le Portugal inquiet pour la santé de ses soldats au Kosovo
Le Portugal va faire subir des tests de radioactivité à ses soldats actuellement en poste ou ayant servi au Kosovo. Cette nouvelle, rapportée par deux quotidiens de Lisbonne, n’a toutefois pour l’instant pas été commentée par le gouvernement.
C’est le dernier épisode d’un feuilleton qui traverse l’Europe, à propos de la campagne menée par l’Otan, en 1999, dans la province serbe. Les Américains auraient alors utilisé des armes contenant de l’uranium appauvri, sans prévenir leurs alliés.
Un soldat portugais de 24 ans est mort en mars dernier à Lisbonne, et son père affirme que « c’est l’uranium qui l’a tué ». « On ne connaît pas l’ampleur de la contamination, explique Fernando Carvalho, un expert de l’Institut de technologie nucléaire. C’est très difficile à dire. Si elle était limitée, alors on pourrait faire quelque chose, mais si la contamination était importante, alors on pourrait regretter de ne pas avoir effectué des tests plus tôt ».
Ces tests, toujours selon la presse portugaise, auraient été décidés pour des raisons purement politiques. A savoir l’effet sur l’opinion publique des débats déjà engagés en France, en Espagne, en Belgique et en Italie. En Italie, trois soldats sont récemment morts des suites d’une leucémie alors que huit autres souffrent de la même maladie. Mais sans que ses causes aient été encore établies.
Rome dit avoir ignoré le recours à des armes à l’uranium appauvri en Bosnie
Le gouvernement italien a affirmé avoir ignoré que des armes à l’uranium appauvri avaient été utilisées par l’OTAN en Bosnie entre 1994 et 1995 alors qu’une enquête vient d’être ouverte dans la péninsule sur la mort suspecte de plusieurs militaires italiens ayant servi dans les Balkans, a-t-on appris vendredi de source parlementaire.
Entre 1994 et 1995, « 10.800 projectiles à l’uranium appauvri ont été tirés par des avions américains » sur la Bosnie, a affirmé le ministre italien de la Défense Sergio Mattarella devant la commission de la Défense de la Chambre des députés.
« Je dois manifester mon amertume pour la fait que les organisations internationales compétentes ne nous ont fourni que maintenant et à notre demande des informations importantes pour la sécurité de la communauté bosniaque et celle des militaires », a commenté M. Mattarella.
« Syndrome de la Guerre du Golfe »: en France et aux USA
Les parlementaires français chargés de l’enquête sur le « syndrome de la guerre du Golfe » se sont vus remettre de nombreux documents du ministère de la Défense, comprenant, entre autres, les journeaux de marche des unités de la division Daguet. Le processus paraît donc bien engagé, ce qui ne semble pas être le cas aux Etats-Unis où, sur la foi de nouvelles conclusions, le DoD US a profondément modifié la carte des retombées consécutives à la déstruction du dépôt irakien de Kamisiah en mars 1991. Selon la nouvelle version, 32 000 GIs alertés après un premier rapport établi en 1997 n’ont jamais été dans des zones à risque, alors que 34 000 militaires non prévenus il y a trois ans sont suscéptibles d’avoir été exposés. Officiellement, la carte a été redessinée grâce à des outils de modélisation plus performants et suite à des recherches approfondies: la CIA a livré des informations plus précises quant à la quantité de gaz stockés, le DoD a recensé les troupes au niveau des compagnies alors que cela n’avait été fait qu’au niveau des bataillons en 1997 et, enfin, des recherches sur les gaz ont permis de mieux appréhender la nature du danger. Il n’en reste pas moins que 66 000 militaires vont, dans les prochains moins, se poser beaucoup de questions…
Golfe : une guerre atomique
Quelque 300 tonnes d’uranium appauvri ont été déversées par les Américains sur l’Irak pendant la guerre du Golfe. Comment ? En utilisant des obus fabriqués à l’aide de ce métal utilisé d’ordinaire comme combustible nucléaire. Ce toxique serait l’une des causes du » syndrome de la guerre du Golfe « . Cette maladie qui fut longtemps américaine touche désormais les Européens (Britanniques, Belges, Français(SIGMA)) et menace les populations civiles des zones de combats. Les effets redoutés concernent la radioactivité immédiate – faible – et, surtout, la dispersion des poussières radioactives contaminant les écosystèmes pour des siècles. Aujourd’hui, l’Irak et le Kosovo sont touchés.
Dans la petite salle du Palais des congrès à Paris, ce dimanche 2 septembre, le vidéo-projecteur devient fou. Les tableaux de résultats du Pr Assaf Durakovic s’affichent à une vitesse infernale. Essoufflé, le médecin, ancien colonel de l’armée américaine, interrompt son exposé. Invité de dernière minute au congrès annuel de l’Association européenne de médecine nucléaire, à Paris, il reprend son haleine. Et redémarre au pas de course. L’ultime phrase prononcée, le professeur et l’assistance, une quarantaine de personnes, sont aussitôt invités à déguerpir de la salle pour laisser place à la communication suivante qui, bien entendu, n’aura pas lieu.
Qu’a donc découvert Asaf Durakovic pour mériter un traitement aussi grossier dans une enceinte scientifique feutrée où l’on pratique généralement le respect des intervenants ?
De l’uranium 236 dans les urines
Il a détecté dans les urines d’anciens combattants américains, canadiens et britanniques de la guerre du Golfe des traces d’uranium 236. Problème, cette variété n’existe pas dans la nature. Elle est le produit de la combustion de l’uranium 235 à l’intérieur d’un réacteur atomique. Cet isotope est un déchet nucléaire.
Comment des soldats peuvent-ils en avoir dans le corps ? Question dérangeante qui donne un éclairage nouveau sur » le syndrome de la guerre du Golfe « .
Parmi les causes évoquées (armes chimiques, pilules de pirydostigmine, vaccin expérimental), l’utilisation massive d’armes à l’uranium appauvri est la plus probable. Les autres apparaissent de plus en plus comme de simples écrans de fumée pour cacher ce qui fut, dans le Golfe comme au Kosovo, de véritables guerres » atomiques « .
L’Otan a reconnu avoir tiré 31000 obus à l’uranium appauvri sur des cibles terrestres au Kosovo. Les conséquences sur les armées alliées commencent tout juste à apparaître. Ce sont les Belges qui ont les premiers tiré la sonnette d’alarme
En Belgique, il est vrai, les militaires ont le droit de se syndiquer, ce qui facilite la prise de conscience. Les militaires du plat pays ne sont pas intervenus au Koweït. En revanche, il sont présents depuis 1993 en ex-Yougoslavie au sein de la mission des Nations Unies, l’Unprofor. Depuis le printemps dernier, plusieurs centaines de cas de maladies bizarres se sont révélés au sein du contingent. Fatigue chronique, perte de mémoire, capacité respiratoire réduite, les symptômes rappellent fâcheusement les maux dont souffrent les anciens combattants anglo-saxons.
Et les Français ont rejoint la danse ! Une cinquantaine de militaires malades sont recensés par l’association Avigolfe, créée voici quelques mois par l’ancien caporal Hervé Desplat. Laurent Attar Bayrou, lui, ne comprend pas. Il a beau compulser le code qui régit les pensions militaires pour les soldats blessés en opération, il ne parvient pas à identifier les maladies dont se plaignent, chaque semaine, les adhérents de son association. Pourtant, la Fédération nationale des anciens des opérations extérieures (Fname), qu’il dirige, est une organisation tout ce qu’il y a de plus officielle. Elle gère notamment un fonds de retraite complémentaire pour ses membres, la plupart anciens casques bleus engagés dans les actions de l’Onu depuis 1967. Dès juillet, le défilé dans les bureaux commence à sérieusement inquiéter ces anciens combattants de la paix. En Italie également, plusieurs dizaines de soldats se plaignent des mêmes maux. Le Golfe, la Bosnie, et maintenant le Kosovo.
Le seul point commun entre ces trois terrains d’opérations des armées occidentales se résume à l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri. Mais pour quoi faire, et n’est-ce que de l’uranium dit appauvri qui est mis en uvre ? Ces munitions d’un nouveau genre étaient tirées par l’avion A-10 et les chars américains qui firent des ravages durant la guerre du Golfe (lire p. 104). De l’uranium appauvri serait aussi présent dans la tête des missiles de croisière américains Tomahawk, qui ont frappé au cur de la Serbie pendant la campagne du Kosovo. Le missile Phalanx en utilise également. Des versions d’obus à l’uranium appauvri existent pour les canons de calibres 25 mm et 30 mm qui équipent les véhicules blindés et l’hélicoptère Apache.
L’Otan a reconnu avoir tiré 31000 obus d’avion A-10 au Kosovo, ce qui représente plus de 9,3 tonnes d’uranium appauvri. Mais ces données ne prennent pas en compte l’uranium qui équipe les perforateurs des bombes et des missiles. Cependant, l’offensive terrestre n’ayant pas eu lieu, les munitions des blindés et des pièces d’artillerie n’ont pas été tirées. La contamination est venue de l’air.
Des armes à l’uranium à l’étude dès 1943
Le document date du 13 octobre 1943, frappé du sceau du secret défense. Son destinataire n’est autre que l’un des hommes les plus puissants de l’Amérique en guerre : le général Groves, l’architecte en chef du projet Manhattan, la formidable entreprise industrielle et scientifique qui allait conduire à la mise au point de la première bombe atomique. Les auteurs du texte s’inquiètent de l’utilisation éventuelle de matières radioactives sur les champs de bataille par les Allemands. En cette même année, Albert Speer, le ministre de l’Armement du IIIe Reich, est déjà soupçonné d’avoir fait fabriquer des obus à l’uranium pour remplacer le tungstène dont l’approvisionnement par le Portugal lui est désormais interdit.
Au sein de l’usine d’Oak Ridge, dans le Tennessee, un groupe de travail se forme pour envisager les hypothèses d’utilisation. La première considère la dispersion de matières radioactives pour contaminer les sols. Le terrain aspergé interdirait durablement toute progression des troupes alliées, pour des semaines, voire des mois entiers. A cette époque, les militaires reconnaissaient ne disposer d’aucune méthode de décontamination des sols, ni même de vêtements de protection.
La seconde possibilité consisterait à employer les matières radioactives comme gaz de combat. » La matière serait moulue en particules microscopiques et serait répandue, sous la forme de poussières, de fumées, ou dissoute dans un liquide, par des obus d’artillerie, des avions ou des bombes. De cette façon, elle serait inhalée par les personnels adverses. Les quantités nécessaires pour provoquer la mort en respirant ces matériaux sont extrêmement faibles… Il n’y a pas de traitement médical connu pour ce genre de blessures. » Le texte considère ensuite l’empoisonnement de la nourriture ou des ressources en eau comme tactique possible. Les conséquences sur la santé humaine seraient des affections durables des poumons apparaissant des mois après la contamination radioactive, des troubles gastro-intestinaux, des dommages sur la circulation sanguine et les tissus internes.
Il faut noter que la nature des matériaux susceptibles d’être employés par les nazis n’est pas précisée dans ce texte. Mais, en pleine Seconde Guerre mondiale, les Allemands ne disposent pas de plutonium. Ils essaient péniblement de produire quelques litres d’eau lourde (oxyde de deutérium) en Norvège, afin de réaliser leur première réaction en chaîne. Le radium est un produit très rare et très cher dans les années 40. La seule matière abondante à l’époque ne peut provenir que de l’uranium métal. Ce n’est qu’en 1974, trente et un ans plus tard, que le secret défense fut levé sur ce document.
Transportons-nous en juillet 1990, un an avant la guerre du Golfe. Un groupe de recherche lié à l’armée américaine publie un rapport sur » les considérations d’environnement et de santé liés aux pénétrateurs à énergie cinétique « . L’étude porte en fait sur une analyse comparée des perforateurs d’obus fabriqués en tungstène et en uranium appauvri. L’aveu est de taille ! Il est écrit noir sur blanc que : » L’uranium appauvri est un émetteur de radiations alpha de faible intensité qui est lié au cancer quand l’exposition est interne (par ingestion ou inhalation), et que la toxicité chimique provoque des dommages aux reins. «
La phrase qui conclut ce petit chapitre est fondamentale : » Les dangers pour la santé de l’uranium ont été étudiés de manière extensive. » Cela veut dire qu’un an avant l’usage massif de ces armes dans un conflit, les militaires savaient déjà qu’ils causeraient des dommages réels sur la troupe. D’ailleurs, le document enfonce le clou. » L’exposition des soldats à des aérosols d’uranium appauvri pourrait être significative avec des effets potentiels radiologiques et toxiques. Ces impacts sur la santé pourraient être impossibles à quantifier de manière fiable, même avec des études détaillées complémentaires. «
La conclusion de ce document sonne comme une anticipation de la polémique qui éclate aujourd’hui : » Des efforts de relations publiques sont conseillés, ils pourraient ne pas être efficaces étant donnée la perception (négative) de la radioactivité par le public. Les activités de combat et de manuvre présentent un risque de réaction d’opposition internationale. » L’avertissement était clair. Il ne fut pas entendu. Un autre document en provenance du laboratoire de Los Alamos, le temple de l’arsenal nucléaire américain, se fait plus précis. Daté du 1er mars 1991, il indique : » Il y a eu, et il continue de se produire, une prise de conscience en ce qui concerne l’impact de l’uranium appauvri sur l’environnement. Bien que personne ne remette en question l’efficacité de l’uranium appauvri sur le champ de batailles, ces munitions pourraient devenir inacceptables politiquement, et donc être enlevées de l’arsenal ».
Pierre Roussel, chercheur au CNRS, travaille dans un des sanctuaires de la recherche nucléaire française. A l’entrée d’un vaste campus couvert de végétation, l’Institut de physique nucléaire d’Orsay ressemble à un hangar de briques roses qui fleure bon les années 50. C’est là que Frédéric Joliot-Curie trouva refuge après son éviction scandaleuse du Commissariat à l’énergie atomique qu’il avait fondé et dont il fut chassé pour cause de pacifisme invétéré.
Roussel s’est interrogé en novembre 1999 sur l’activité réelle des obus en uranium appauvri tirées sur le Kosovo. Et il a refait les calculs. Il est parti de l’hypothèse d’un projectile en uranium 238 d’un poids de 300 grammes, ce qui correspond à la munition du canon de l’avion chasseur de char A-10. La radioactivité de l’objet correspond à une activité de 12 mégabecquerels (un becquerel équivaut à une désintégration atomique à la seconde, un mégabecquerel à 106 becquerels). Mais la radioactivité engendrée par le métal avant impact est confinée par le matériau lui-même. Roussel en conclut que l’obus ne nuit pas à celui qui le tire, mais tout change lorsqu’il atteint sa cible.
500 fois la dose toxique
Roussel prend alors en compte le caractère pyrophorique de l’uranium. Il pose comme base qu’un tiers de la masse métallique se disperse en fines particules au moment de l’embrasement de l’obus à l’impact. Ces particules s’oxydent rapidement au contact de l’air. Il suppose que le reste se maintient en bloc. Les poussières d’uranium dispersées possèdent donc un tiers de l’activité de l’obus, soit 4 mégabecquerels. Ensuite, il rapporte ces chiffres aux limites annuelles établies par la Commission internationale de protection des rayonnements (CIPR), l’autorité qui établit pour le monde entier les normes de radioprotection de la population.
Conclusion : un tiers d’un obus à l’uranium appauvri pulvérisé en oxyde du fait de son embrasement causé par un choc violent dégage une activité qui atteint 500 fois la limite annuelle pour l’inhalation, 10 fois la limite annuelle pour l’ingestion.
Enfin, les poussières de ce seul obus doivent être étalées uniformément sur une surface de 1000 m2 pour ne pas dépasser la limite de contamination de surface. C’est là un simple calcul théorique, qui ne concerne que l’uranium, à l’exclusion de tout autre adjuvant.
La fureur des congressistes devant l’exposé de Durakovic trouve ainsi un début d’explication. En faisant une analyse de spectrométrie de masse sur l’urine de 16 anciens combattants, il a mis en évidence, chez neuf d’entre eux, des traces d’uranium 236. Les teneurs sont infimes, environ 0,0048 % de l’échantillon testé.
Il a ensuite confirmé cette découverte en analysant la composition isotopique des os d’un vétéran décédé. Et là aussi, la présence significative d’uranium 236 a été détectée. C’est une information capitale. L’uranium 236 n’existe pas à l’état naturel. Il ne se forme que dans les réacteurs nucléaires. Qu’un combattant, neuf ans après avoir été exposé à de l’uranium appauvri, ait gardé la trace de cet isotope, cela ne peut avoir qu’une seule explication. Il ne s’agit pas d’un uranium appauvri issu uniquement d’un minerai. Cet uranium a été irradié dans un réacteur nucléaire, c’est un déchet atomique.
1000 tonnes d’uranium suspect livrées à la France
Comment a-t-il pu se trouver mélangé dans le métal qui sert aux munitions ? Deux hypothèses peuvent être envisagées : soit les munitions ont été fabriquées directement avec de l’uranium de retraitement, celui qui est irradié pour produire le plutonium militaire. Soit les mêmes conteneurs furent utilisés pour manipuler l’uranium appauvri-minerai et l’uranium appauvri de retraitement, et alors l’uranium 236 a contaminé l’uranium 238. Dans le premier cas, on a recyclé des déchets nucléaires pour fabriquer des armes, dans le second, il s’agit d’un cas de négligence coupable.
Et la France ? Rien de ce qui est nucléaire ne saurait être étranger à notre pays. Pourtant, en ce qui concerne les armes à l’uranium appauvri, il semble bien que les recherches aient été entraînées par les Américains. Dans un document daté du 25 septembre 1979, la Nuclear Regulatory Commission, l’organisme de Washington qui régule la vente de matériels sensibles, donne son accord pour exporter 102 kilos d’uranium appauvri en France, sous la forme de 30 obus de 105 mm provenant de l’US Army.
Ces munitions » seront utilisées pour des tests de tirs, afin de réaliser des évaluations « . Cette autorisation suit une précédente exportation de 250 kilos d’uranium appauvri, à destination de la Grande-Bretagne » sous la forme de barres métalliques, pour faire des recherches sur la mise au point de pénétrateurs de grand calibre aptes à percer des blindages « . La volonté de dissémination de cette technologie paraît manifeste chez les Américains. Il faut attendre 1987 pour que la France dispose d’un centre spécialisé dans la mise au point des munitions à l’uranium appauvri. Implanté à Gramat, dans le Lot, le site uranium effectue son premier tir au mois de novembre de cette année-là. Les pièces d’artillerie ont des calibres allant de 105 à 140 mm. Dans un article de la Revue scientifique et technique de la Défense, en 1994, les auteurs précisent même que l’installation est unique en Europe, et qu’elle est utilisée » pour des études françaises, menées en coopération internationale, et parfois purement étrangères « . Cette précision prend toute son importance si l’on considère que l’autre grand fabricant de munitions à l’uranium appauvri en Europe occidentale est la Grande-Bretagne.
L’article précise enfin que » le 500e essai a été effectué le 15 janvier 1993 « . Pendant toute la période des années 80 qui précède la guerre du Golfe, ces armes sont donc mises au point dans notre pays en vue d’une production industrielle, mais tout se passe dans une opacité absolue et de trop rares documents mentionnent l’existence même de ces recherches. Des licences d’exportation américaines d’uranium appauvri à destination de la France sont apparues au grand jour grâce à une fiche technique de l’Observatoire des armements nucléaires de Lyon. Que montrent ces documents ? En pleine guerre du Golfe, le 3 janvier 1991, la Nuclear Regulatory Commission des Etats-Unis donne son accord pour l’envoi de 75 tonnes d’uranium appauvri fabriquées par la compagnie Nuclear Metal Inc à destination de la société française Cerca de Bonneuil-sur-Marne » pour la fabrication de munitions « . Une des conditions impose que cette matière ne doit pas être réexportée en vrac sans le consentement officiel du gouvernement américain. La doctrine outre-Atlantique consiste en effet à banaliser ces armements, et ne prévoit aucune restriction à la vente de ces obus pour les pays membres de l’Otan, le Japon et l’Australie. Une autre licence, en date du 11 mai 1993, autorise la même société américaine à exporter de l’uranium pour une autre entreprise française, la SICN, à Annecy. Mais cette fois-ci, les quantités ne sont plus les mêmes : il s’agit de 1000 tonnes de métal ! Ces licences indiquent les deux usines où sont probablement produits les armements à l’uranium appauvri français.
La SICN (Société industrielle de combustible nucléaire) est une filiale à 100 % de la Cogéma (qui détient le monopole de la production et du retraitement du combustible des centrales dans notre pays). Cette entreprise est spécialisée dans l’usinage de métaux et d’alliages spéciaux. Elle dispose de la seule fonderie d’uranium de France. Les produits qu’elle commercialise à partir de l’uranium, outre le combustible, se composent de boucliers de protection contre les rayonnements pour l’industrie nucléaire ou les hôpitaux, de conteneurs, de contrepoids pour l’aéronautique et la défense. Reprenons alors les dates. En 1993, la SICN reçoit mille tonnes d’uranium appauvri des Américains. En 1997, son chiffre d’affaires culmine à 361 millions de francs dont 18 millions pour l’exportation. Il s’effondre à 91 millions de francs en 1998. Le personnel aussi chute de 600 à seulement 155 employés en 1999.
Quant à la Cerca, elle ferme son usine de Bonneuil en 1995, et rapatrie ses activités sur son site de Romans dans la Drôme. Le vendredi 6 novembre 1998, à l’Assemblée nationale, le ministre de la Défense Alain Richard répond à une question du député-maire de Salbris, une petite ville du Loir-et-Cher qui accueille un établissement du Giat (l’entreprise nationale qui fabrique les armements terrestres). Le député s’inquiète des menaces économiques qui pèsent sur l’usine et demande la confirmation de la commande de 60000 obus de 120 mm à l’uranium destinés à équiper le char Leclerc. Le ministre confirme publiquement cette fabrication.
Les obus américains testés en France dès 1987
Cela permet d’avoir une vision d’ensemble du circuit : au tout début des années 80, les premiers prototypes d’obus arrivent en France pour évaluation, fournis par les Américains. Ils sont testés à grande échelle sur le site uranium du centre d’étude de Gramat à partir de 1987. La décision de lancer l’industrialisation a dû être prise pendant ou juste après l’offensive de la guerre du Golfe, devant la performance des obus à l’uranium sur les tanks Irakiens. Une production de masse est alors lancée à partir de 1993 à la SICN d’Annecy et à la Cerca de Bonneuil-sur-Marne. Elle s’achève pour ce dernier établissement à la fermeture de l’usine en 1995, et en 1998 pour la SICN, si l’on prend en compte la chute du chiffre d’affaires.
Les flèches à l’uranium sont alors assemblées sur le corps des obus dans l’établissement Giat de Salbris. Cette opération est désormais terminée puisque l’usine a été fermée cette année.
Chaque obus contient 8,2 kg d’uranium appauvri. Sachant que la France a commandé 1000 tonnes de ce métal aux Américains, elle dispose aujourd’hui d’au moins 120 000 obus à l’uranium appauvri. Question : pourquoi la France a t-elle acheté à l’étranger une matière nucléaire banale dont elle dispose en quantités astronomiques ? De plus, le savoir-faire des atomistes français, civils et militaires, n’est plus à démontrer. Peut être est-ce une manière de rémunérer les brevets de fabrication. Ou plus simplement, la matière première américaine était plus compétitive en termes de coûts.
En revanche, se pose la question de la composition exacte du métal. Si l’on retrouve des traces d’uranium 236 dans la matière fournie, comme cela apparaît dans les obus tirés dans le Golfe, cela veut dire que les Américains se sont débarrassés d’une partie de leurs déchets nucléaires en les recyclant sous forme d’armes pour leurs alliés.
Le Cadu, créé à Manchester en janvier 1999, regroupe des anciens combattants britanniques de la guerre du Golfe, dont certains sont gravement malades. Il s’est lancé dans une campagne pour l’interdiction de l’uranium appauvri dans les armements dont les conséquences dépassent le seul champ militaire (contamination des populations civiles, de la chaîne alimentaire du cycle de l’eau pour des centaines de millions d’années.
En France, un ancien membre du gouvernement Juppé, Anne-Marie Idrac, a posé au ministre de la Défense, en juin 2000, une question écrite pour l’élimination des armes à l’uranium appauvri. Les autorités font la sourde oreille. Il a fallu attendre le 15 septembre dernier, pour que la secrétaire d’Etat à la Santé et aux Handicapés, Dominique Gillot, forme un groupe d’experts sur le syndrome. Ils retrouveront, dans ce dossier, les conclusions méconnues des experts du Centre d’étude de Gramat
Dans leur description du site d’essai des armes à l’uranium appauvri, ils ont écrit : » Le risque est essentiellement lié, non pas à la radioactivité de l’uranium appauvri, inférieure à celle de l’uranium naturel, mais à la toxicité de ses oxydes. Ces derniers sont créés, lors d’un impact, sous forme d’aérosols de fragments de projectiles et de la cible qui sont dispersés sur l’aire de tir et s’oxydent rapidement à l’air, et de dépôts sur la cible et les matériels environnants. Pour éviter tout risque de contamination, la solution retenue consiste à réaliser l’interaction du projectile et de la cible au sein d’une enceinte fermée et de ne rien rejeter vers l’extérieur qui n’ait été contrôlé et filtré. Le dépouillement des essais nécessite également des précautions particulières ; il est réalisé dans un local réservé à cet effet et bénéficiant des mêmes conditions de sécurité que l’enceinte elle même. «
Un aveu accablant de la dangerosité de ces armes qui ne devraient être tirées que dans un bâtiment totalement étanche. Il faudra bien expliquer aux vétérans du Golfe et du Kosovo ainsi qu’aux populations pourquoi ces munitions qu’ils ont côtoyées ou manipulées réclament un tel luxe de précautions en laboratoire.
L’uranium appauvri n’explique peut être pas, à lui seul, les étranges pathologies apparues après les guerres récentes. Mais les conséquences de son emploi massif commencent à peine à se mesurer aujourd’hui. Le secret militaire qui entoure les terrains touchés est de plus en plus difficile à justifier. Plus que jamais, des études scientifiques sur les lieux de contamination sont indispensables.
Michel Roquejoffre reconnaît qu’un médicament fut administré aux soldats.
Durant la guerre du Golfe, les militaires français de la division Daguet ont bien reçu l’ordre de prendre un médicament contre d’éventuelles attaques chimiques. Niée par les autorités civiles et militaires, l’existence de cet ordre a été confirmée mardi soir par le général Michel Roquejoffre. L’ancien commandant des forces françaises dans le Golfe (1990-1991), aujourd’hui à la retraite, était la première personnalité auditionnée par la mission parlementaire d’information sur le syndrome de la guerre du Golfe, présidée par le député (PS) Bernard Cazeneuve.
Menace réelle
«L’ordre de prendre le prétraitement a été donné le 23 février 1991, à la veille de l’offensive terrestre, par le général qui commandait la division Daguet», a expliqué Michel Roquejoffre aux députés. Il désigne ainsi explicitement le général Bernard Janvier, que l’on retrouvera plus tard à la tête des Casques bleus en Bosnie au moment du massacre de Srebrenica. Les deux hommes ne s’apprécient guère, mais le général Roquejoffre couvre aujourd’hui celui qui était alors sous ses ordres : «C’était une bonne décision», juge-t-il. «Notre devoir était de protéger les troupes contre la menace chimique», ajoute-t-il. La menace était alors bien réelle, l’Irak ayant fait un large usage de ces armes chimiques contre l’Iran de 1980 à 1988.
Le «prétraitement», mis au point par le Service de santé des armées, consistait à prendre un cachet de pyridostigmine toutes les huit heures, soit 90 milligrammes par jour. Ce médicament est censé bloquer les effets des gaz neurotoxiques sur l’organisme. Mais il est accusé par l’association Avigolfe, qui regroupe des anciens combattants malades, d’être une des causes du «syndrome». La pyridostigmine est un médicament connu dans le civil sous le nom de Mestinon. Depuis 1954, il est utilisé pour traiter les myasthénies (fatigues musculaires) et les atonies intestinales (constipations graves).
Le général Roquejoffre a été moins précis quant à la durée de ce «prétraitement» : «Trois ou quatre jours», croit-il se souvenir. Même flou sur le nombre de soldats concernés : «environ 9 000» sur les 14 708 militaires français présents en Arabie Saoudite le 23 février. «A ma connaissance, l’ordre n’a été donné qu’à la division terrestre», ajoute-t-il.
Les explications de Michel Roquejoffre sont en contradiction totale avec ce qu’affirment jusqu’à présent les autorités. Le 30 août dernier, le ministre de la Défense Alain Richard expliquait encore dans le Figaro que les militaires français «n’ont pas reçu d’antidote préventif aux armes chimiques – alors qu’un début de consensus se dégage pour dire que ces produits étaient dangereux». Alain Richard mettait de l’eau dans son vin dès le 13 septembre, en reconnaissant pour la première fois que des traitements avaient été ordonnés, mais «uniquement à l’occasion d’alertes clairement identifiées ou pour certaines unités, sur une très courte durée au moment de l’offensive terrestre». Dans le numéro d’octobre de Terre magazine, le mensuel de l’armée de terre, un médecin-général du Service de santé indique finalement que, «spontanément ou sur ordre de leurs cadres, certains militaires ont pris ces comprimés au moment de l’attaque terrestre». Afin de dissiper cette opacité toute militaire, la mission parlementaire souhaite désormais se faire communiquer les ordres écrits de l’époque, même si ceux-ci sont classés «secret défense».
Uranium appauvri
Autre sujet de polémique : l’utilisation de munitions à base d’uranium appauvri, également soupçonnée d’être l’une des causes du syndrome. «Avez-vous informé vos soldats que l’aviation américaine utilisait des obus à l’uranium appauvri ? Qu’avez-vous fait pour les protéger ?», a demandé la députée Michèle Rivasi au général Roquejoffre. «Je ne l’ai appris qu’après, a affirmé l’officier. Les Américains n’ont jamais attiré mon attention sur le danger qu’il y aurait à être au contact de cette munition. Je pense que s’il y avait eu un risque, nous en aurions parlé.»
Les troupes françaises étaient alors placées sous «contrôle opérationnel» des forces américaines. Et ce sont des avions A10 de l’US Air Force qui réalisaient les missions d’appui-feu rapprochées pour le compte de la division Daguet. Ces appareils tiraient des obus de 30 mm à l’uranium appauvri «à un ou deux kilomètres devant nos lignes», a précisé le général Roquejoffre.
Les malades attendront
L’un se nommait Frédéric Bisseriex, il avait 34 ans, l’autre Gérard Jourdrein, 53 ans. Ils étaient tous deux adjudants. Ils sont morts des suites de maux mystérieux, qu’une association, Avigolfe, regroupant des vétérans français de la guerre du Golfe, estime avoir été liés à l’utilisation d’uranium appauvri lors du conflit. En tout, 80 vétérans français se disent victimes de ce mal, dont le Ministère de la défense conteste l’existence: pertes de mémoire, fatigues chroniques, douleurs musculaires, dérangements nerveux et intestinaux et cancers se retrouvent dans les maux que connaissent ces soldats.
C’est la communication d’un praticien américain, Asaf Durakovic, professeur à Georgetown University, qui a relancé le débat à Paris lors de la conférence annuelle sur la médecine nucléaire. Le chercheur a en effet décelé dans le corps de ses patients la présence d’une forme d’uranium qu’on ne trouve pas dans la nature. Il en conclut qu’il s’agit d’uranium appauvri, un composant destiné à renforcer les obus de blindés utilisés dans le Golfe, il y a dix ans. Trois cent vingt tonnes de ces engins ont été tirées par l’artillerie alliée. D’autres auraient été employés au Kosovo. Selon les conclusions du chercheur, ce type d’uranium devient extrêmement toxique quand il est transformé en poussière. «Ingéré ou inhalé, assure-t-il, il devient plus dangereux que n’importe quelle toxine connue».
La France officielle pour le moment se tient sur la réserve. Le ministre, Alain Richard, nie. Et l’Office de protection des radiations ionnisantes, l’Ofri, se montre très dubitatif. Ni la Santé ni la Défense ne confirment pour le moment la mise en place de l’enquête qu’invoque la députée de la Drôme, Michèle Rivasi. Les malades attendront.
Syndrome de la guerre du Golfe : fausse alerte à l’uraniumLa communication d’un chercheur américain sur la présence d’uranium appauvri dans les urines de seize vétérans de la guerre du Golfe a jeté le trouble parmi les participants du congrès de médecine nucléaire réuni à Paris. Et mobilisé intempestivement les médias internationaux.Le Pr Asaph Durakovic avait adressé en mars dernier ses « abstracts » en vue de participer au congrès de médecine nucléaire de Paris. Selon ceux-ci, les analyses d’urine de seize anciens combattants de la guerre du Golfe, neuf ans après le conflit, révélaient « la présence significative d’uranium appauvri ».
« L’intérêt de ce travail réside dans la méthodologie employée, la spectrométrie de masse thermo-ionique », explique le Dr Michel Bourguignon, directeur médical de l’Office pour la protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). Et c’est la raison pour laquelle les organisateurs du congrès ont accepté ces abstracts et les ont inscrits dans la session « poumon et métabolisme ».
Aussi quel n’a pas été leur étonnement lorsqu’ils ont découvert, la veille et le jour même de la communication en question, les gros titres de médias belge, français et britanniques. A les croire, un scientifique américain venait d’apporter la preuve que le fameux syndrome de la guerre du Golfe avait pour origine l’inhalation de particules d’uranium appauvri. L’armée américaine avait utilisé cette substance pour renforcer le pouvoir de pénétration des obus des avions A10 « tueurs de char », ce métal lourd présentant une propriété physico-chimique, le pyrophorisme, qui le rend spontanément inflammable après une collision (« le Quotidien » du 19 juin).
Les médias audiovisuels accoururent aussi en nombre pour « couvrir » la communication du Pr Durakovic, sans y avoir été invités par les organisateurs du congrès. Ceux-ci se sont sentis davantage encore victimes d’une manipulation quand ils apprirent que le chercheur américain, qui leur avait adressé ses abstracts à en-tête du département de médecine nucléaire de l’université George Town de Washington DC, ne collaborait plus, en fait, à cette structure depuis 1997.
Pour autant, « son travail a été bien fait au sens méthodologique, précise le Dr Bourguignon. Mais il établit seulement que les urines des vétérans étudiées comportaient de l’uranium 236 dans la proportion de 5,8 pour 100 000. En outre, ces urines totalisaient une élimination quotidienne d’uranium de 38 nanogrammes, alors que la valeur normale admise est comprise entre 50 et 500 nanogrammes ».
Le reste est donc pure élucubration médiatique. Dans le feuilleton du supposé syndrome de la guerre du Golfe, attention à l’information pyrophorique
Guerre du Golfe: une « bombe » mal amorcéeAsaph Durakovic avait préparé son effet. Emanant d’un professeur au département de médecine nucléaire de la prestigieuse université Georgetown de Washington, qui plus est ancien expert auprès du Pentagone, ce projet d’intervention avait retenu l’attention des organisateurs du congrès européen de médecine nucléaire. Asaph Durakovic s’est donc présenté le dimanche 3 septembre au palais des congrès de la porte Maillot, à Paris. Et il a lâché sa « bombe » : les analyses d’urine effectuées sur 16 vétérans de la guerre du Golfe – 8 Britanniques, 6 Américains et 2 Canadiens – montrent « la présence significative d’uranium appauvri ». Conclusions qui ont immédiatement suscité l’intérêt des journalistes – l’uranium appauvri est l’un des facteurs suspectés du « syndrome de la guerre du Golfe ». Mais laissé les scientifiques présents circonspects. Aujourd’hui, les organisateurs du congrès prennent leurs distances. Ils n’ont guère apprécié les manières du professeur Durakovic : « Ce monsieur, explique le président du congrès, le professeur Serge Askienazy, chef du service de médecine nucléaire à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, a enfreint les règles : il ne nous a pas transmis ses diapositives avant son intervention, il est arrivé dix minutes avant de faire son topo avec des caméras de télévision, il a très largement dépassé le temps de parole qui lui était imparti. » Ils ont même des doutes sur le personnage – « il nous a expliqué qu’il n’était plus à l’université Georgetown mais travaillait désormais en Arabie saoudite ». Mais, surtout, ils minimisent la portée de ses conclusions. « Il nous a donné des informations sur la composition, mais pas sur la quantité, souligne le professeur Michel Bourguignon, directeur médical de l’Office pour la protection contre les rayonnements ionisants (Opri). Or c’est l’élément capital : pour qu’il soit toxique, l’uranium doit être ingurgité en quantité importante. »
Le professeur Durakovic a assuré qu’il apporterait plus tard des indications chiffrées. Mais son intervention a trouvé un écho médiatique en France, à un moment où cette affaire mobilise de plus en plus. Deux anciens militaires sont décédés cet été d’un cancer généralisé attribué par leur entourage et l’association de victimes Avigolfe, dont ils faisaient partie, à un « syndrome de la guerre du Golfe ». La justice doit se prononcer sur deux autres cas, l’un à Toulon, le 12 septembre, l’autre à Bordeaux, le 19 septembre, tous deux sur recours de l’avocat bordelais Gérard Boulanger. L’association Avigolfe devait rendre publics, ce vendredi 8 septembre, à Bordeaux, les questionnaires remplis par 60 de ses membres, dans lesquels la plupart affirment avoir pris de la pyridostigmine (un traitement de prévention contre les gaz), des pilules antisommeil, s’être trouvés en zone d’alerte chimique et souffrir de « symptômes analogues à ceux des vétérans américains ». Le lancement d’une étude épidémiologique sur les 25 000 militaires français du Golfe, que réclame la députée de la Drôme Michèle Rivasi, n’était toujours pas décidé début septembre par les ministères de la Défense et de la Santé.
Syndrome de la guerre du Golfe : l’uranium appauvri mis en causeUn scientifique américain a mis en cause dimanche l’uranium appauvri, utilisé pour renforcer le pouvoir de pénétration de certaines armes, dans le syndrome de la guerre du Golfe, provoquant une vive polémique au cours d’un congrès de médecine nucléaire qui se tient à Paris.Selon le Pr Asaph Durakovic, spécialiste de médecine nucléaire et ancien expert auprès du Pentagone, les analyses d’urine effectuées sur seize anciens combattants de la guerre du Golfe montrent « la présence significative d’uranium appauvri (uranium 236) » dans les urines et les tissus, neuf ans après la fin du conflit.
Le secret du syndrome de la Guerre du GolfeAvec, le temps, le principal mystère des maux désignés sous la formule Syndrome de de la Guerre du Golfe pourrait s’avérer d’ordre strictement juridique. Si aux Etats-Unis les premières victimes de cette pathologie aux contours encore flous se sont manifestés dès 1994, elles représentent de nos jours environ vétérans américains – sur un effectif total de 700 000 soldats envoyés dans la région. Près de dix ans après les opérations, dans les pays dont les contingents étaient les plus faibles, des phénomènes sembmables apparaissent maintenant, comme le dénonce l’association française d’anciens combattants « Avigolfe », basée à Bordeaux, qui vient de constater le deuxième décès d’un vétéran français.Les autorités militaires des principaux pays concernés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, France) multiplient les communiqués qui récusent les liens entre les opérations menées, le matériel manipulé et les maladies constatées. Une attitude qui s’analyse surtout comme une volonté d’élucider la responsabilité des états-majors, qui, si elle était avérée, ouvrirait droit à des dédommagements.
Pourtant, à mesure que les recherches médicales progressent, une substance méconnue, le pyridostigmine, prescrite alors les propres services médicaux des armées, représente la piste la plus sérieuse pour expliquer les causes de ces maladies. Les autres hypothèses , comme celle développée à partir d’armes à l’uranium appauvri U 238 (servant de lest dans les munitions nouvelles, en lieu et place du plomb) ont été sérieusement invalidées entre-temps.
Au moment des faits, les comprimés de pyridostigmine se trouvaient généralement dans les sacs des mascs à gaz, et étaient destinés à être ingurgités en cas d’attaque bacteriologique ou chimique pour amoindrir les effets des neurotoxiques.
En France, ces comprimés faisaient l’objet d’une sévère restriction de la part du service de santé des armées, car leurs effets secondaires (dont tous n’étaient pas connus) pouvaient gravement endommager le système sanguin, digestif ou respiratoire. Les infirmiers avertissaient les soldats qu’ils ne devaient en aucun cas en absorber, sauf ordre express d’un medecin militaire.
On sait au jourd’hui que durant la phase de bombardements, de fausses alertes aux attaques toxiques ont été déclenchées, notamment dans le secteur du 18 ème corps aéroporté américain (où étaient stationés des Français). Les capteurs anti-toxiques de la coalition avaient été ainsi trompés par un nuage de fumée provenant de la destruction d’une usine chimique. A cette occasion, plusieurs commandements ont prescrit des prises répétées de pyridostigmine. Dans l’édition du 15 janvier 1997 du Journal of the American Medical Association (JAMA), le Dr Robert Haley, de l’Université du Texas a publié les premières recherches indépendantes sur le « Syndrome de la Guerre du Golfe ». Elles ont identifié la prise de pyridostigmine comme un facteur commun aux maux, souvent très variés, de sifférents malades observés.
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