ANDRE BOURGEOT: « L’OPERATION SERVAL RISQUE DE SE TRANSFORMER EN GUERILLA » (Propos recueillis par Pierre CHERRUAU / slateafrique.com)
André Bourgeot:
«L’opération Serval risque de se transformer
en guérilla»
(Pierre CHERRUAU / SlateAfrique)
André Bourgeot, anthropologue, Directeur de Recherche Emérite au CNRS et spécialiste de la bande sahélo-saharienne, analyse pour SlateAfrique les conséquences de l’intervention française au Mali.
Les soldats français, qui sont désormais 4.000 au Mali, mènent une « vraie guerre » dans ce pays, selon Paris qui a reconnu mercredi des « accrochages » avec des islamistes armés dans la région de Gao (nord-est), tout en évoquant un début de retrait de ses troupes en mars.
« Il y a eu des accrochages hier (mardi) dans les environs de Gao » et des « tirs de lance-roquettes des groupes jihadistes résiduels », a déclaré à la radio Europe 1 à Paris Jean-Yves Le Drian, Ministre français de la Défense.
SlateAfrique – L’intervention des troupes françaises au Mali est-elle de nature à rétablir rapidement la paix dans le pays?
André Bourgeot - Rapidement? Certes pas! L’intervention militaire française a d’une part stoppé l’avancée des groupes armés djihadistes qui ont tenté de prendre Sévaré, où il y a un aéroport international, et d’autre part libéré Diabaly et Konna avec, en réalité, l’appui l’armée malienne.
L’objectif est bien de rétablir la paix qui ne sera effective que lors de la reconquête totale de l’intégrité du territoire national: cela demandera du temps d’autant que, pour l’heure, ce sont essentiellement les militaires français qui sont en première ligne, avec une armée malienne affaiblie et dont la chaîne de commandement demeure floue.
SlateAfrique – Est-ce que l’enthousiasme des populations que vous avez observé au Mali, par rapport à cette intervention, va durer?
A.B. - Globalement, les réactions sont favorables, en effet. Les populations du nord libérées du joug et de la terreur djihadiste reprennent vie et expriment leur soulagement.
A Bamako, des vendeurs de petits drapeaux tricolores s’activent sur les trottoirs de la capitale et reprennent le commerce informel, tricolore cette fois: les petits drapeaux qui flottent sont même achetés. Pour autant, est-ce que cela va durer?
Dans le nord, l’ensemble des populations (Songhai, Peuls, Touaregs, Bozos, Maures et Arabes) manifeste son soulagement et sa joie. Ce qui ne veut pas dire que les groupes armés djihadistes ne disposeront pas, le cas échéant, de relais locaux qui existent déjà.
SlateAfrique – Le MNLA a-t-il véritablement une stratégie?
A.B. - Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), indépendantiste et laïc, connaît un sérieux déclin, depuis quelques semaines.
Il s’est fait d’abord bouté hors de Gao par le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest), puis de Ménaka toujours par ce même groupe efficace dans le trafic, entre autres, de cocaïne, et plus récemment d’El Khali, dans les environs de Tin Zawaten.
Il tente de rebondir en proposant ses services à l’armée française, arguant du fait suivant: être des combattants aguerris et de bons connaisseurs de la région, tout en précisant qu’il rejette toute collaboration avec l’armée malienne interdite «d’Azawad».
Cette dernière appellation relève d’une construction politique des rebelles qui ne renvoie à aucun fondement géographique et encore moins historique.
L’Azawad géographique concerne l’espace situé entre Tombouctou et Arraounae sillonné par les pasteurs nomades maures. Berabich représente une superficie de 380 kilomètres carrés environ. Il souffre d’un important déficit de légitimité sociale, politique et militaire difficile à remonter.
«Il est peu probable que la reconquête du nord soit rapide»
SlateAfrique – Les troupes françaises peuvent-elles reconquérir rapidement le nord?
A.B - Tout dépend de ce que vous entendez par «Nord»? Si vous y intégrez toute la partie saharienne (celle des montagnes, des grottes des dunes, des canyons) ce qui est convenable et conforme au territoire national du Mali, alors il est fort peu probable que la reconquête du nord soit rapide.
S’emparer des villes de Tombouctou, Gao, Kidal est à la portée des militaires. Mais la partie saharienne, stricto sensu sera une «autre paire de manches»: la guerre actuelle se transformera en guérilla porteuse d’enlisement.
SlateAfrique – L’armée malienne est-elle capable de jouer un rôle dans la reconquête du nord?
A.B. - Oui, mais pour l’heure, seulement un rôle d’appoint pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Elle est profondément désorganisée voire divisée, mal équipée. Est-elle fermement motivée? Récemment les militaires maliens ne recevaient même pas la nourriture nécessaire à la satisfaction de leurs besoins alimentaires déjà peu exigeants, alors!
SlateAfrique – Le capitaine Sanogo conserve-t-il une grande influence dans le jeu politique malien?
A.B. – Il brille actuellement par son mutisme. On dit qu’il est au front. L’intervention militaire française a contribué à reléguer son influence à la périphérie des enjeux politiques, mais il peut ne pas avoir dit son dernier mot.
Cette intervention a conforté la position du président par intérim, Dioncounda Traoré, au moment où des manifestants à Bamako réclamaient à cor et à cris sa démission.
Le pouvoir tricéphale, avant le coup de force perpétré par le capitaine Sanogo lors de la destitution de l’ex-Premier ministre Cheikh Modibo Diarra, est devenu bicéphale, puis, pour l’heure monocéphale, compte tenu du fait que Diango Cissoko, actuel Premier ministre n’a pas d’ambition politique, contrairement à son prédécesseur et se positionne comme grand commis de l’Etat.
«Tous les Etats qui interviennent défendent des intérêts politiques»
SlateAfrique – La France pourra-t-elle longtemps rester seule en première ligne? Ne risque-t-elle pas d’apparaître comme un pays qui mène une opération néocoloniale?
A.B. - C’est déjà fait. Une partie de la presse algérienne l’accuse de néocolonialisme, d’autres groupes de la société civile (par exemple, nigériens) d’impérialisme. Quoi qu’il en soit, y a-t-il des Etats qui interviennent d’une manière désintéressée? Si oui, on le saurait…
Tous les Etats défendent des intérêts politiques et économiques. Le Mali recèle de prometteuses ressources extractives (pétrole et gaz dans le site de Taoudenni à cheval sur la Mauritanie, le Mali et l’Algérie, de l’uranium dans l’Adagh, de l’or (le Mali est le 3ème producteur d’or du continent africain, du manganèse, du phosphate… Qui serait insensible à ces richesses? D’autant que d’autres puissances montantes, telle que la Chine est réceptive à ces données.
Enfin, le Niger voisin recèle, lui, des richesses minières monnaie sonnante: AREVA est une multinationale française et la France a un fort besoin en uranium: le nucléaire est encore à l’ordre du jour.
SlateAfrique – L’Algérie peut-elle accepter une présence de la France à long terme dans la région?
A.B. - Pourquoi pas? Si l’intervention militaire multinationale réussit à éradiquer les groupes djihadistes, l’Algérie peu en être satisfaite. Mais ces «fous de Dieu» vont se réfugier où? Dans les pays riverains, donc potentiellement en Algérie. Même si celle-ci a décidé de fermer ses frontières.
Comment peut-on «fermer» 1.400 km de frontières communes à des groupes expérimentés dans les activités criminelles, les trafics de toute nature (cocaïne, cannabis, armes, êtres humains, etc.) qui ont des relais, ou des complicités dans l’ensemble de l’espace sahélo-saharien et qui de surcroît flirtent sérieusement avec les pratiques de type mafieuses.
SlateAfrique – Les troupes ouest-africaines sont elles à même de prendre le relais rapidement?
A.B. - Non, je ne le pense pas: il faudra du temps, de l’organisation, de l’argent et que le septentrion soit sécurisé: encore du temps…
SlateAfrique – Les troupes de certains pays africains, notamment le Nigeria, sont réputées pour leur grande brutalité avec les populations civiles. Leur entrée dans le conflit ne risque-t-elle pas d’entraîner une radicalisation d’une partie de la population du nord?
A.B. – Une opposition sans doute. Radicalisation au point de se retourner contre ces militaires nigérians, non.
«L’intervention militaire ne résout aucun problème politique»
SlateAfrique – L’intervention militaire était-elle le meilleur moyen de sortir le Mali de l’impasse?
A.B. - L’intervention militaire vise à modifier les rapports de force militaires mais elle ne résout aucun problème politique et elle en pose même ou en posera d’autres, probablement dans un laps de temps pas très éloigné. Si enlisement il y a, problèmes politiques il y aura.
SlateAfrique – S’ils quittent leurs fiefs du Nord-Mali, les djihadistes ne risquent-ils pas de se développer des bases dans tous les pays de la région?
A.B. - Oui, ils vont se replier avec armes et bagages nécessaires, par petits groupes dans certains pays riverains où il existe déjà des «structures d’accueil». Il n’est pas impossible que ces déplacements prennent une forme plus citadine et se manifestent donc dans des villes où des intérêts français sont bien connus et importants.
SlateAfrique – Des pays comme le Sénégal ou le Burkina Faso ne risquent-ils pas d’être menacés de déstabilisation?
A.B. – Sans doute moins que le Niger et la Mauritanie, mais le «moins» dans le contexte actuel n’a pas grande signification.
SlateAfrique – Si les troupes françaises et africaines parviennent à reprendre le contrôle du nord, sera-t-il possible d’organiser rapidement des élections?
A.B. - Que faut-il entendre par contrôle du nord? Quid des populations déplacées estimées à environ 200.000 et réfugiées dont le chiffre de 450.000 est avancé par les institutions internationales.
Je n’imagine pas que des élections puissent se tenir au vu d’une seule reconquête militaire des régions du nord du Mali. Sauf si l’on veut des élections bradées, faussement démocratiques qui ne feront que reposer de bien plus graves problèmes: la démocratie, si elle a un sens, ne souffre pas de bricolage ou de conception artisanale, laxiste, et frivole du politique: les Africains sont dans l’histoire….
Propos recueillis par Pierre CHERRUAU
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