LETTRE OUVERTE A L’ACADEMIE DES SCIENCES (Toutes les signatures sur www.aldeah.org Contact : collectif-citoyen-idf-non-aux-gpds LGF lists.riseup.net)
Gaz de schiste:
Lettre ouverte à l’Académie des Sciences
Les 14 et 15 janvier 2013, l’Usine Nouvelle publiait deux articles sur les gaz et pétrole de schiste, « Les scientifiques favorables à l’exploitation des gaz de schiste » et « Gaz de schiste : arrêter la recherche c’est perdre en compétitivité », de Ludovic Dupin.
Les collectifs citoyens opposés au gaz et pétrole de schiste et signataires de la lettre ouverte que vous trouverez jointe à ce courrier considèrent que les déclarations relayées par ces articles sont dangereuses, portent atteinte à la démocratie et risquent d’induire en erreur vos lecteurs.
18 janvier 2013:Lettre ouverte à l’Académie des Sciences
Des collectifs citoyens anti-gaz et pétrole de schiste répondent aux deux articles parus dans l’Usine Nouvelle les 14 et 15 janvier 2013 (« Les scientifiques favorables à l’exploration des gaz de schiste » et « Gaz de schiste : arrêter la recherche c’est perdre en compétitivité » ).
Revenir sur le bannissement des gaz de schiste du paysage énergétique
Par la voix de son président du Comité de Prospective en Energie, Sébastien Candel, l’Académie des Sciences demande que des forages exploratoires soient autorisés, séparant ainsi l’exploitation de la connaissance des gisements. Elle considère qu’il est possible de garantir des conditions acceptables d’exploitation par un cahier des charges précis et finalise sa position en stipulant que : « La prise de risques calculée et raisonnée, s’appuyant sur des études sérieuses, ne doit pas être bannie ».
Sébastien Candel, qui est aussi Président du Conseil Scientifique de l’IFPEN (Institut Français du Pétrole Energies Nouvelles), ne peut ignorer que définir une teneur précise d’hydrocarbures d’une couche de « schistes » exige l’emploi de la fracturation. Un simple carottage serait insuffisant pour déterminer combien d’hydrocarbures seraient réellement récupérables. Ce qu’il faut faire, c’est disloquer artificiellement ce millefeuille compacté où sont piégés ces hydrocarbures pour cartographier un volume donné de cette couche.
Cartographier d’abord et déceler la possibilité exacte de récupération dans ce volume donné… et multiplier ce travail de proche en proche induisant de plus en plus de fissurations artificielles pour évaluer un maximum de récupération de cette couche qui ne répond pas forcément de la même manière partout. Si notre technicité française nous le permet sans fuites, il serait bon que nos scientifiques français joignent la société Schlumberger qui, sur quelques 15.000 puits classiques, a un taux de fuites incontrôlées répertoriées. Nous vous rappelons ces chiffres : 5% pour des puits neufs, 30 à 40% pour des puits vieux de 10 ans, et un taux atteignant les 50% pour des puits dépassant 15 ans.
Source : Wojtanowicz et al, 2001- Marc Durand
Si la dégradation avec le temps des puits classiques existe, qu’en sera-t-il pour des puits sollicités par la fracturation, avec extension horizontale dépassant le kilomètre ? On peut suspecter surtout des aciers et coulis fragilisés par les produits chimiques, et malgré un contrôle complexe de mise en place des tubages (sections courbes et horizontales), on peut envisager un vieillissement accéléré par rapport aux puits classiques.
L’exception française
Pour mémoire, voici, pour alimenter notre propos, quelques faits bien connus advenus en France sur des puits classiques :
• 1991 : pollution des nappes de la Brie et de Champigny par des chlorures des eaux du Dogger (origine : puits 46 de réinjection à Chailly-en-Bière par Elf – fuite due à la corrosion de tubages non ou mal cimentés – sources BRGM/RP-51312-FR).
• 1978 : fuite accidentelle d’huile, sans récupération, sur une durée supposée de 18 ans, dans les formations crayeuses du Séno-turonien (origine : puits 48 d’exploitation fermé par 3 bouchages consécutifs réalisés sur 2 ans – fuite due à la corrosion puis perforation d’un tube défaillant malgré une intégrité du cuvelage vérifiée par diagraphie – sources BRGM/RP-51312-FR)
• 1995-96 : fuite d’eau géothermale dans les Calcaires de Champigny détectée par une baisse anormale de pression (origine : deux perforations dans le tubage du puits CGO2 de réinjection à Coulommiers – sources BRGM/RP-51312-FR). Le BRGM souligne au passage la complexité de ce contexte géologique et hydrogéologique des formations aquifères du Tertiaire, car cet important volume de fluide géothermal a disparu sans qu’on puisse savoir où.
• Un dernier exemple récent et embarrassant de novembre 2012 à Cébazat dans le Puy-de-Dôme : des remontées de pétrole dans un chantier de construction résidentiel concernant un puits de 1981, connu non pour du pétrole mais pour du gaz carbonique. Sauf que c’est du pétrole qui remonte (3 à 5 m3/jour). Ce qui se solde par un 1er bassin de rétention, puis un second à venir qui devrait atteindre 70.000 €, sans oublier un rebouchage prévu d’ici un an qui pourrait coûter entre 500.000 et 1 million d’euros. Ceci avant même d’avoir l’analyse de ce précieux liquide.
Cette liste suffira, malgré d’autres exemples tout à fait français…
La technique française a certainement évolué en 20 ou 30 ans, et tous les anciens puits classiques ne fuient pas forcément. Loin s’en faut et heureusement, vu la densité de forages dans notre bassin parisien très peuplé. Alors, comment affirmer que la France ferait mieux que les Etats-Unis ?
Quant à la réaction unanime des collectifs citoyens, qui refusent une quelconque appartenance politique, malgré le raccourci fait dans ces articles, elle se situe justement dans un refus argumenté pour éviter cette prise de risque réclamée par l’Académie des Sciences. Et ce, pour favoriser le plus grand nombre, pour l’avenir, pour nous et nos enfants. Est-il besoin de souligner les problèmes liés à l’eau, à sa qualité et à sa quantité, que nous affrontons dans les régions où ces permis existent, que ce soit dans le sud ou en Seine-et-Marne, dont l’eau alimente aussi, ne l’oublions pas, la capitale ?
« …Regagner une partie de la compétitivité française » ?
Christian Pierret, ancien Ministre Délégué de l’Industrie du gouvernement Jospin, cité par l’Usine Nouvelle, célèbre « une vraie possibilité de regagner une partie de la compétitivité française grâce aux prix de l’énergie ».
M. Pierret fait l’amalgame entre le prix du pétrole et le prix du gaz, ce qui est une tromperie car le pétrole est un liquide qui se transporte très facilement d’un continent à un autre, ce qui génère un cours mondial. Tout au contraire, le gaz, pour se transporter, nécessite des gazoducs et des infrastructures très lourdes, ce qui entraine des cours très différents selon les endroits d’utilisation, faibles aux Etats-Unis, beaucoup plus élevés en Europe. L’Agence Internationale de l’Energie évalue un prix de revient du gaz de schiste en Europe 3 à 6 fois plus élevé que le gaz importé de Russie ou d’Algérie. Il est donc tout à fait faux de penser que l’exploitation des gaz de schiste entrainera une baisse du prix de l’énergie favorable à notre industrie.
Source : AIE
M. Pierret ignore-t-il que l’exploitation des gaz de schiste en France, si elle était entreprise à grande échelle pour contribuer de manière significative à notre mix-énergétique, nécessiterait plus de 10 ans pour mettre en place les réseaux de collecte (pipe-line), les infrastructures et les milliers de forages nécessaires. Cette industrie deviendrait éventuellement opérationnelle au-delà de 2020 – date à laquelle tous les pays dits « développés » s’engagent à avoir réduit massivement leurs besoins en hydrocarbures.
Indispensable et urgente transition énergétique
Pour mémoire, constatons tout d’abord que le réchauffement climatique de + 0,4°C depuis les années 1900 a déjà causé de graves conséquences sur notre planète : fonte des glaciers, fréquence des événements climatiques multipliée par 5 ! La limite à +2° aurait déjà peu de chances d’être obtenue (voir à ce sujet les craintes du Vice-président du Giec, Jean Jouzel ) et les anticipations les plus pessimistes des spécialistes et observateurs semblent devoir être dépassées (+4°, +5°, +6°…), entrainant des conséquences catastrophiques bien avant la fin de ce siècle.
Peu de scientifiques (sauf peut-être encore M. Claude Allègre ?) mettent en doute l’origine de cette subite accélération du réchauffement, qui coïncide avec le développement de l’ère industrielle ; aucun ne conteste l’objectif de réduction de nos émissions de C02 pour limiter l’aggravation du réchauffement. François Hollande a d’ailleurs déclaré dans son discours à Abou Dhabi que la France veut faire de la transition énergétique une grande cause nationale et internationale, appelant à davantage d’investissements dans les énergies renouvelables pour préparer l’après-pétrole.
Qui parle de bannir la recherche et l’esprit scientifique des choix en matière d’énergie ? Au contraire, cette recherche doit être développée, mais sur des solutions d’avenir, qui ne dégradent pas les conditions d’existence de nos descendants, loin des ambitions visant à exploiter les dernières ressources non renouvelables de la planète sans souci des générations futures .
Rassurer l’opinion publique
Ce qui serait véritablement rassurant, serait de voir s’engager un vrai débat pour cibler les difficultés en cherchant le meilleur moyen de les dépasser. Là-dessus nous serions d’accord.
Ne pas toucher aux réserves d’hydrocarbures de roche-mère, quel que soit leur potentiel, n’empêche nullement les scientifiques de plancher pour répondre aux vrais besoins du moment : diminuer notre facture énergétique en réduisant les coûts pour isoler les bâtiments français, parvenir à construire des véhicules à faible coût employant peu ou pas d’énergie fossile.
A seulement 50 km de Paris, les villages n’ont pas de transports en commun pour rejoindre les gares et les lieux de travail, un véhicule est indispensable pour vivre dans ces villages populeux où les commerces ont disparu. Car il ne s’agit pas du Dakota, avec ses 2 habitants/km2, mais d’un territoire où ce chiffre monte à près de 1000 hab/km2… L’exploitation des schistes, avec sa kyrielle de conséquences possibles, ne présente rien de rassurant. Même si l’entretien des routes déjà existantes aboutissait à maintenir quelques emplois, certains villages de Seine-et-Marne ont une vieille tradition pétrolière et savent qu’elle n’a pas créé directement un seul emploi local en plus de 40 ans, ni sauvé le moindre commerce.
Ce qui rassurerait vraiment l’opinion publique viendrait de scientifiques dignes de ce nom qui favoriseraient le plus grand nombre en répondant à leurs besoins et aux attentes d’aujourd’hui : alors, la compétitivité française vaudrait de l’or, en montrant cette originalité de l’esprit français, qui dans d’autres temps a su être un phare civilisateur. Engager notre civilisation vers l’avenir est la véritable responsabilité, celle qui permet à l’être humain de comprendre le sens fondamental de la vie.
Le désir d’extractivisme ne fait pas rêver les populations qui habitent les lieux d’extraction : prenez des risques dans votre jardin, sur votre propriété et cessez de vouloir le faire chez les autres qui, eux, paieront les conséquences en cas de problème. Surtout, surtout, pensez aux enfants qui viendront, pensez au monde que nous allons leur laisser, avec la chance d’y vivre à leur tour …
« Pourquoi les politiques sont-ils si sensibles à l’opinion publique » ?
Cité par Usine Nouvelle, François Goulard, Ministre Délégué à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche du gouvernement de De Villepin, déplore que « nos gouvernants […] suivent ce qu’ils croient être l’opinion publique » et se demande pourquoi « nos politiques » y « sont si sensibles ». Cet étonnement témoigne d’une curieuse conception de la démocratie. Comme si les diplômes, titres et médailles, conféraient aux avis de leurs auteurs une supériorité évidente, une moralité sans faille. Comme si nombre de ces experts n’étaient pas plus ou moins directement impliqués par leurs doubles casquettes dans les profits de cette industrie que l’on veut nous imposer. Comme si les plus grands savants ne s’étaient jamais trompés une fois ou l’autre dans leur vie. Le bon sens des habitants des régions concernées par les projets d’exploitation des hydrocarbures de roche-mère leur suggère de se méfier de ces experts qui veulent leur bien malgré eux. Ils savent trop que les immenses efforts déployés par l’industrie et relayés par une soi-disant élite n’ont en réalité qu’un but : le profit immédiat.
Non aux énergies fossiles, Ni ici, ni ailleurs, Ni aujourd’hui, ni demain.
Oui à la recherche, pour une véritable transition énergétique.
Premiers signataires : Collectif citoyen Ile-de-France « non aux gaz et pétrole de schiste », Collectif « Huiles de schiste non merci » Carmen (02), Collectif « Non au Pétrole et Gaz de schiste » Bocage gâtinais (77), Collectif du Pays Fertois (77), Collectif Briard (77), Collectif non au gaz de schiste 91, Collectif ALDEAH
Toutes les signatures sur www.aldeah.org Contact : collectif-citoyen-idf-non-aux-gpds LGF lists.riseup.net
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Non aux énergies fossiles, Ni ici, ni ailleurs, Ni aujourd’hui, ni demain.
Oui à la recherche, pour une véritable transition énergétique.