MER DE CHINE: LA GUERRE MENACE (Valérie NIQUET)

 

MER DE CHINE:

LA GUERRE MENACE

MER DE CHINE: LA GUERRE MENACE (Valérie NIQUET) dans REFLEXIONS PERSONNELLES CHINE

Le 10 septembre 2012, répondant à la décision de rachat des îles Senkaku à leur propriétaire privé par le gouvernement japonais, le ministère chinois des affaires étrangères a publié un communiqué en forme d’ultimatum faisant porter à Tokyo la responsabilité de « toutes les conséquences qui pourront s’ensuivre ». Pékin rappelle que la Chine n’acceptera plus d’être « intimidée » et défendra le territoire« sacré » de la patrie. Le risque est désormais de voir le piège d’un engrenage incontrôlable se refermer en mer de Chine.

Condamnées à agir face à une opinion publique chauffée à blanc, les autorités chinoises ont dépêché une dizaine de bâtiments de surveillance et levé le moratoire sur la pêche dans la zone revendiquée par Pékin. Des centaines de bateaux pourraient se diriger vers les eaux territoriales japonaises, dans une exploitation des moyens civils au service d’un objectif militaire, selon les principes de la stratégie chinoise qui prône une « guerre sans limite ». D’ores et déjà, les menaces de rétorsions économiques et de boycottage des produits japonais ont été utilisées sur Internet ou dans la presse chinoise. On se souvient qu’en 2010 la Chine avait utilisé l’arme du contrôle des exportations des terres rares – vitales pour l’industrie nippone de haute technologie – pour faire pression sur Tokyo alors que les tensions s’accumulaient en mer de Chine orientale.

Dans le même temps, des manifestations violentes accompagnées de pillages, autorisées, si ce n’est organisées par les autorités chinoises, se sont produites sur le territoire. Les biens et les personnes originaires de l’Archipel sont menacés et de grandes entreprises japonaises parlent à nouveau de quitter un territoire chinois où l’instabilité et les risques deviendraient trop élevés.

Conséquence immédiate, la Bourse de Shanghaï s’est effondrée et certains, en Chine, commencent à redouter les effets sur la croissance de cette stratégie de la tension. Si la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Japon, l’Archipel contrôle des technologies vitales pour l’économie chinoise et demeure l’un des principaux investisseurs étrangers en Chine devant les Etats-Unis et l’Union Européenne.

Les tensions autour de l’archipel des Senkaku-Diaoyu en mer de Chine orientale, administré par le Japon mais revendiqué par Pékin depuis 1971, ne sont pas isolées. Elles s’inscrivent dans un triple phénomène de manipulation des sentiments nationalistes en Chine depuis le milieu des années 1990, d’émergence décomplexée d’une puissance chinoise qui a semblé triompher seule de la crise de 2008, mais aussi de développement d’un sentiment paradoxal de fragilité du régime chinois confronté à des tensions économiques, sociales et politiques. Ce sentiment de fragilité est encore accru par les incertitudes de la transition politique que le 18e congrès du Parti communiste devrait entériner au mois d’octobre.

Le nationalisme, qui contribue à la légitimité du Parti, a pour principal objet le Japon, ennemi d’hier, puissance rivale aujourd’hui, allié des Etats-Unis et catalyseur de toutes les frustrations d’une puissance chinoise qui cherche à s’imposer dans sa zone. Au lendemain du 36e anniversaire de la mort de Mao, le premier ministre, Wen Jiabao, rappelait – à nouveau – le « siècle d’humiliation  » que la Chine a traversé il y a peu, nourrissant un peu plus un sentiment de revanche très présent dans la population« L’éducation patriotique » et sa dimension antijaponaise ont pris une part croissante dans la jeunesse et ont accompagné la reprise en main idéologique qui a suivi les événements de Tiananmen dans les années 1990.

Alors que des réformes politiques graduelles apparaissent comme la seule stratégie viable de survie à long terme du régime, la crainte d’une « évolution pacifique » qui viendrait limiter l’influence des réseaux qui contrôlent le pouvoir chinois pousse au contraire au repli idéologique et à l’exploitation des sentiments nationalistes les plus exacerbés.

De leur côté, depuis 2008, les Etats-Unis ont été très touchés par la crise et Pékin a cru avoir le champ libre en Asie pour « saisir les opportunités » et imposer son leadership de puissance « émergente » face à une puissance « en déclin ».

Les avancées de Pékin en mer de Chine depuis 2009, la constante mise en avant des « intérêts vitaux » – dont la mer de Chine semble faire partie – que le régime doit être prêt à défendre, y compris par la force, témoignent de cette assurance nouvelle du régime chinois en Asie.

Dans ce contexte, la stratégie de réengagement des Etats-Unis dans la zone, confirmée par le secrétaire d’Etat américain Leon Panetta, à l’occasion du dialogue Shangri-La qui s’est tenu à Singapour en juin, constitue pour la Chine un autre motif de déception et de frustration. La tentation est grande à Pékin, alors que les Etats-Unis entrent dans la dernière phase de leur période électorale, et que la relation avec la Chine constitue aussi un enjeu de la rivalité entre le président Barack Obama et Mitt Romney, de tester la réalité de cette volonté de réengagement de la puissance américaine en Asie.

Mais dans le même temps, en dépit de cette assurance nouvelle, le pouvoir chinois est conscient de ses faiblesses et de ses divisions. L’affaire Bo Xilai a révélé la corruption profonde du système. Signe de ce très grand sentiment d’incertitude, la « disparition » du vice-président Xi Jinping, pendant plus de deux semaines, a donné lieu, sur Internet, aux spéculations les plus folles.

Longtemps facteur de satisfaction pour le régime, le contexte économique est plus incertain alors que les effets de la crise mondiale se font sentir sur une économie très dépendante des exportations. Le rééquilibrage de la croissance est un échec. La consommation intérieure ne représente que 35 % du PIB, dix points de moins qu’en 2000, et l’indice Gini, indicateur des inégalités, est l’un des plus élevés au monde. Signe inquiétant pour le régime, comme à l’époque des Boxers lorsque la dynastie des Qing finissante tentait de manipuler le mécontentement populaire contre les étrangers, comme en 1919 lorsque le mouvement patriotique s’élevait contre une puissance japonaise à qui le traité de Versailles avait attribué les possessions allemandes du Shandong, certains des slogans utilisés dans les manifestations aujourd’hui dénoncent la corruption et l’inefficacité du pouvoir en place.

C’est dans ce contexte que, depuis 2009, les incidents et les provocations se multiplient en mer de Chine, face au Japon, mais aussi face aux Philippines, au Vietnam ou à l’Indonésie et même face aux Etats-Unis. Alors qu’en Asie du Sud-Est la Chine pouvait apparaître comme le moteur d’une régionalisation économique réussie, la multiplication des incidents sur mer, le caractère de moins en moins « pacifique » de l’émergence de la puissance chinoise la font apparaître aujourd’hui comme une menace fédérant dans une même inquiétude la quasi-totalité de l’Asie du Pacifique à l’océan Indien.

Face à cette menace, accrue par l’opacité du système politique chinois et les interrogations sur le rôle des éléments les plus radicaux – militaires ou civils – dans les prises de décision, la volonté de « retour vers l’Asie » des Etats-Unis a été très appréciée dans la région. Loin de la fin de l’histoire, ce sont des rapports de force proches de ceux de la guerre froide ou de l’Europe à la veille de la première guerre mondiale qui se mettent en place en Asie.

Aux Philippines, au Vietnam, des manifestations antichinoises sont organisées à chaque nouvelle crise, et Hanoï et Washington jettent les bases d’une coopération militaire. Au Japon, on veut croire aux déclarations de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en 2010 plaçant l’archipel des Senkaku dans le périmètre couvert par l’accord de défense unissant Tokyo et Washington.

Dans la région, le développement des capacités militaires s’accélère. Alors que la Chine exhibe son nouveau porte-avions, le Vietnam achète des sous-marins à la Russie et les Etats-Unis annoncent l’élargissement de leur système de défense antimissile en Asie. Face à Pékin, Washington est confronté à un dilemme difficile à résoudre. Jouer l’apaisement et rester en marge serait donner carte blanche à un régime chinois qui ne raisonne qu’en termes de jeux à somme nulle. Ce retrait, en minant la confiance des alliés et partenaires des Etats-Unis, aurait des effets déstabilisateurs et pourrait précipiter une crise plus grave encore. A l’inverse, le jeu des alliances pourrait déclencher un conflit majeur dans la région.

D’ores et déjà, certains analystes en Chine tentent d’appeler les Etats-Unis « à la raison » et de persuader Tokyo de la fragilité de l’alliance de défense nippo-américaine. Il n’est pas certain que l’Europe ait pris la mesure de ces défis cruciaux dans une région qui voit transiter une part majeure du commerce mondial et concentre trois puissances nucléaires, sans compter les Etats-Unis et la Russie. Dans le contexte d’une crise économique, la tentation de la réduction des budgets de la défense est grande. Celle du retrait aussi. Pourtant, en dépit de l’éloignement géographique, les préoccupations des autres puissances asiatiques doivent être prises en compte face à une Chine dont les orientations stratégiques inquiètent. Dans un monde aussi globalisé, la montée des tensions en Asie aura des conséquences considérables sur nos propres équilibres et nos propres choix.

Spécialiste des relations internationales et des questions stratégiques en Asie,Valérie NIQUET est, depuis 2010, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Elle est également membre de l’Académie des Sciencesd’outre-mer et rédactrice en chef de la revue « Monde chinois-Nouvelle Asie« . On lui doit une traduction critique en français de « Deux commentaires de Sun Zi » (Economica, 1994). Parmi ses nombreux articles et ouvrages, « Chine-Japon : l’affrontement » a été publié en 2006 chez Perrin.

Valérie NIQUET, responsable du pôle Asie à la FRS.

 

L’instabilité des relations sino-japonaises

 

La qualité des relations entre la Chine et le Japon dépend du contexte géostratégique et de l’analyse que le régime chinois peut en faire. Le 29 septembre 2012 marque le 40ème anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Si le rappel constant de la guerre sino-japonaise et de ses atrocités est au coeur de l’éducation patriotique en Chine, à cette époque, Mao, recevant une délégation de parlementaires japonais, remerciait le Japon pour un conflit qui avait permis au Parti communiste d’arriver au pouvoir.

L’établissement des relations diplomatiques s’inscrivait dans un contexte stratégique qui – pour Pékin – était dominé par la menace « principale » soviétique alors que des incidents armés entre les deux ex-pays frères s’étaient produits en 1969. La Chine décidait de se rapprocher des Etats-Unis – menace « secondaire » - dans un basculement stratégique marqué par la visite de Richard Nixon en février 1972. Surpris par ces évolutions dont il n’aurait pas été informé, le Japon décidait d’accélérer son propre rapprochement avec Pékin.
Pour la Chine, l’établissement des relations diplomatiques avec une puissance japonaise en plein élan lui permettait de sortir de l’isolement et de bénéficier – alors que la révolution culturelle avait laissé l’économie du pays exsangue – d’une aide considérable.
Pour Tokyo, l’établissement rapide des relations diplomatiques avec une Chine qui ne pouvait l’inquiéter apparaissait aussi comme une source d’opportunités nouvelles et le moyen de démontrer à Washington que, désormais, ce sont aussi les intérêts propres du Japon qui présideraient à ses choix diplomatiques.
Si la Chine – et Taïwan – avaient pour la première fois revendiqué l’archipel des Senkaku-Diaoyu en 1971, cette question de souveraineté ne constituait pas un enjeu majeur avec Tokyo. L’heure n’était pas à Pékin aux tensions avec le Japon devenu le premier pourvoyeur d’aide au régime. En 1992, Pékin pourra aussi se féliciter de la bonne volonté japonaise lorsque Tokyo sera la première puissance à rompre l’ostracisme imposé à la Chine par les puissances occidentales après les événements de Tiananmen en juin 1989. La visite de l’empereur du Japon en Chine, la même année, marquera l’apogée de ces relations.
Le contexte est bien différent. La menace soviétique a disparu et la Chine s’est hissée au deuxième rang mondial mais le régime continue d’analyser la situation internationale comme « incertaine ». Cette fois, ce sont les Etats-Unis et leurs alliés en Asie qui suscitent son inquiétude.
Si les relations économiques entre Tokyo et Pékin sont marquées par une forte complémentarité, le Japon est aussi redevenu pour le régime chinois l’exutoire des frustrations accumulées dans la population. Cette stratégie de la tension, mise en oeuvre depuis la fin des années 1990 et la désastreuse visite du président Jiang Zemin à Tokyo, alimente en retour la radicalisation d’une partie de l’opinion publique japonaise face à une Chine qui déçoit et inquiète.
La question territoriale dans ce contexte n’est qu’un prétexte, ou le marqueur de l’état des relations entre les deux puissances asiatiques. En 1978, Deng Xiaoping, à la veille de lancer la politique de réformes et d’ouverture qui allait transformer le pays, déclarera que la question des Senkaku-Diaoyu devait être « mise de côté » pour laisser la voie libre à une fructueuse coopération entre les deux pays. L’archipel semble faire partie de ces « intérêts vitaux » pour la défense desquels les autorités chinoises multiplient les gesticulations martiales. Ainsi, le degré de tension entre Tokyo et Pékin, quel qu’en soit l’objet apparent, constitue un baromètre précis du degré d’ouverture et d’intégration au système mondial voulu par Pékin.                                      

 

avatar CHINE dans REFLEXIONS PERSONNELLES

Martin Desruisseaux 24/09/2012 – 18h13

Le distance géographique n’est pas le seul critère. Il y a des critères historiques aussi, avec des arguments de la part des deux pays. Je n’ai pas la compétence nécessaire pour juger de la validité de ces arguments. En revanche il semble bien que la Chine soit plus agressive (je n’ai pas entendu parler de manifestations violentes au Japon), sans que je ne sois convaincu de son bon droit, et cette attitude inquiète.

avatar GUERRE

YTour 24/09/2012 – 17h15

- Le communisme a-t-il nécessairement pour aboutissement l’ultranationalisme (Serbie, Chine, Russie) ? – Les chinois ne risquent-ils pas de faire aux USA ce que Reagan a fait à l’URSS en les poussant à la dépense (militaire) jusqu’à la ruine ? – Que restera-t-il de tout cela après la réorganisation prochaine du PCC ?

avatar ILES SENKAKU

A.T 24/09/2012 – 16h16

Il serait intéressant de lire les analyses le plus souvent excellentes de Mme Valérie Niquet en les reliant avec les analyses de Brahma Chellaney, Institut d’Etudes Stratégiques de New Dehli, sur Project Syndicalte.org, et en particulier  » L’origine américaine de la réussite de la Chine » du 4 septembre 2012. Étonnant, mais étonné ?

avatar JAPON

Un  » Noir «  24/09/2012 – 16h01

Ces considérations sont en forme de propagande anti chinoise: En fait, les avancées de Tokyo en mer de Chine, la constante mise en avant de ses « intérêts vitaux » -dont la mer de Chine semble faire partie- que le régime doit être prêt à défendre, y compris par la force, témoignent de cette assurance nouvelle du régime Japonnais en Asie, conforté par le soutient des U S A qui cherchent à en profiter, pour faire face à leur dépendance économique vis à vis de la Chine et de leur propre faillite.

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Simon M 24/09/2012 – 18h04

C’est bien le régime, par l’école par exemple (regardez les manuels d’histoires des gamins chinois) et par le narratif général dans les média contrôlés qui crée la base de ce sentiment agressif de victimisation… mais il semble en effet qu’une bonne partie de la population (surtout les jeunes hommes) s’y retrouve bien… l’idée pour le régime étant de diriger la colère vers l’extérieur…ça risque bien de leur péter au visage

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Yoann Coldefy 24/09/2012 – 16h58

Avancées de Tokyo en mer de chine ? Ou les voyez vous ? Tokyo n’a pas bougé sur la mer de Chine depuis la fin de la guerre… C’est pas Tokyo qui a des problèmes avec tous les autres pays qui bordent la mer de Chine, mais bien la Chine…

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Rogers 24/09/2012 – 16h23

… d’ici quelques années. Une classe moyenne survalorisée qui sera incapable de prendre le relais d’une population occidentale qui consommera de moins en moins chinois. Pas de systèmes de redistribution. Augmentation de la pauvreté, injustice, problèmes sociaux de plus en plus ingérables pour le parti. Attendez la réorganisation de la consommation et de la production à l’échelle mondiale et vous verrez la chine retomber bien bas. Et on peut encore attendre pour l’innovation technologique…

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Rogers 24/09/2012 – 16h21

Une assurance très vacillante… On fait gonfler ses muscles pour impressionner. On ira aussi loin qu’on peut sans avoir à frapper. Car en le faisant on montrerait sa vraie nature. Le sentiment de puissance s’écroulerait aussi tôt. Ce pays sera vite rattrapé par ses énormes problèmes intérieurs, complètement occultés par les occidentaux naïfs trop contents de s’enrichir sur le dos d’une population laborieuse. Les dirigeants chinois commencent à le sentir. Un problème démographique insoluble…

Publié dans : REFLEXIONS PERSONNELLES |le 24 septembre, 2012 |Pas de Commentaires »

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