CONTAMINATION: A QUOI RESSEMBLERA LA GRANDE EPIDEMIE DE DEMAIN ?
Les maladies infectieuses ont longtemps représenté la principale cause de mortalité dans le monde. Aujourd’hui, elles sont encore responsables d’environ 43% des décès dans les pays en voie de développement, contre 1% dans les pays développés.
Des maladies qui voyagent, et vite
Dans les décennies à venir, de nouvelles épidémies vont inévitablement émerger. Reste à savoir lesquelles, par quels biais, et comment s’en prémunir. Cet enjeu de santé publique était au cœur du colloque sur « Les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes » qui s’est tenu au Sénat fin mai, avant que la sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller, membre de la délégation à la prospective du Sénat, ne rende son rapport sur le sujet début juillet.
Le retour en Europe – France comprise – de cas de tuberculose, de rougeole, de coqueluche et de diphtérie, la persistance du sida, mais aussi les tempêtes microbiennes qui se sont répandues sur la planète depuis le début du siècle (l’émergence soudaine du Sras – syndrome respiratoire aigu sévère – en 2003, l’expansion sans précédent de la dengue, le retour du chikungunya dans des zones où il avait disparu, l’apparition des virus de la grippe aviaire H5N1 et de la grippe A H1N1) imposent de se pencher sur le sujet.
Parce qu’à l’heure de la mondialisation, les maladies infectieuses ne respectent pas les frontières. Elles se déplacent avec les hommes et les animaux, et vite. Et elles apparaissent rarement là où on les attend.
« Le monde est-il bien préparé à une crise sanitaire mondiale ? »
La réponse est non. « En 2009, on pensait que le virus était à nouveau le H5N1. C’était le H1N1. On pensait qu’il viendrait d’Asie, il est venu d’Amérique », expliquait lors du colloque au Palais du Luxembourg le docteur Sylvie Briand, directrice du programme mondial de lutte contre la grippe de l’OMS. Pour cette Française, « le monde n’est pas bien préparé à faire face à une crise sanitaire mondiale ».
Mais les pays développés sont mieux lotis que les autres : « mieux préparés, ils souffrent moins d’attaques épidémiques », assure Antoine Flahault, épidémiologiste des maladies transmissibles et directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique. Rien que l’accès généralisé à l’eau courante, et donc la possibilité de pouvoir se laver les mains fréquemment, peut empêcher la transmission d’un virus.
La menace viendra-t-elle de l’animal ?
S’il est impossible d’établir où, quand et comment se produira la prochaine grande pandémie, on peut malgré tout prédire, sans trop s’avancer, que l’agent infectieux sera d’origine animale et prospérera dans les grandes villes.
En 2007, lors du dernier décompte, on dénombrait 1 417 agents infectieux (virus, prions, bactéries, champignons et protozoaires) pour l’homme, dont plus de la moitié d’origine animale. Et les animaux nous contaminent de plus en plus. Sur les 177 agents pathogènes apparus ces trente dernières années, 70% sont d’origine animale.
Les premiers pourvoyeurs d’agents infectieux à l’humain sont les ruminants, les carnivores, les rongeurs et les oiseaux, avant les primates. L’apparition de nouveaux animaux de compagnie (cochons, reptiles, rats, furets, etc.) favorise l’émergence de maladies jusqu’ici inconnues chez l’homme. « La transmission animal-homme dépend du nombre de contacts et de la fréquence de ces contacts », soulignait, fin mai au Sénat, Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement de Montpellier.
Antoine Flahault précise de son côté que « la densité de la population augmente avec le nombre d’humains sur terre, et la promiscuité qui en découle multiplie les risques de contagion ». « A cela, il faut aussi ajouter la déforestation croissante dans certaines régions du monde, qui met plus qu’avant les animaux et les hommes en contact », explique l’auteur de Des épidémies et des hommes (éd. La Martinière).
A quoi ressemble le pire des scénarios ?
L’histoire humaine est davantage rythmée par l’apparition de nouveaux virus (peste, choléra, Ebola, grippe espagnole, etc.), que par leur disparition. L’éradication des épidémies est, la plupart du temps, un objectif illusoire, car nombreux sont les agents infectieux qui peuvent ressurgir sans crier gare de leur réservoir animal. Ils ont aussi la capacité de s’adapter aux technologies mises au point par les hommes pour les combattre et développer des résistances aux médicaments, comme c’est le cas pour la tuberculose.
Pour Arnaud Fontanet, responsable de l’unité épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur, le pire des scénarios serait « celui d’un virus hautement contagieux, d’incubation courte, virulent, à létalité élevée pour lequel nos moyens de prévention et de traitement seraient limités ».
Et si en plus les pays optaient pour la stratégie du « chacun pour soi » en refusant de collaborer au niveau mondial pour mettre en place des politiques de prévention et en gardant jalousement leurs informations et remèdes, ce sont les équilibres diplomatiques qui seraient chamboulés.
L’épidémie, un défi pour la démocratie ?
Comment gérer, pour les politiques et les journalistes, la communication autour d’un tel événement ? Comment informer sans provoquer la panique ? Faudrait-il placer les malades en quarantaine, instaurer un couvre-feu, restreindre la circulation (notamment dans les aéroports), interdire les grands rassemblements ? Au risque de priver la population d’une partie de ses libertés et de créer un sentiment d’exclusion et d’isolement…
Des interrogations qu’Anne-Marie Moulin, directrice de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique et écrivain, résumait ainsi, lors du séminaire au Sénat : « Comment la science des émergences infectieuses peut-elle entrer en démocratie ? Comment un état d’urgence permanente peut-il s’installer sans dégénérer en biopouvoirtyrannique ? »
Et la population dans tout ça ?
Réfléchir à un scénario catastrophe, c’est donc aussi se poser la question des entorses à la démocratie qu’une population est, à l’échelle d’un pays, prête à accepter du pouvoir. « Dans les modèles de simulation d’épidémie, la réaction de la population est l’élément le plus difficile à évaluer », rappelle Antoine Flahault. Ce genre d’événement est aussi le révélateur de la confiance qu’un peuple place en ses dirigeants, et en ses experts de santé.
C’est bien parce que ce niveau de confiance était bas que Roselyne Bachelot a annulé la commande de 50 millions de vaccins contre la grippe A H1N1, en janvier 2010, alors qu’elle était ministre de la Santé. La campagne de vaccination préventive, dans des gymnases et par du personnel de santé réquisitionné, avait été mal accueillie par la population… Au final, seuls cinq millions de Français se sont fait vacciner.
A l’abri de rien…
Heureusement, parmi les exemples récents de pandémie (SRAS, H5N1, H1N1), aucun ne cumulait toutes les caractéristiques du scénario catastrophe. « Mais rien n’empêche de penser qu’un tel virus peut émerger », prévient Arnault Fontanet.
« Le scénario catastrophe est toujours possible mais ce n’est pas le plus à craindre », rassure de son côté Antoine Flahault. « Des pathologies très dangereuses comme Ebola ou le Sras n’ont pas provoqué de vagues meurtrières, avance-t-il comme exemple. Leur expression clinique étant très forte, les malades ont été facilement identifiés. » Ils ont pu être isolés et ont reçu un traitement adapté.
Le Sras, par exemple, n’a fait au final « que » 774 morts à travers le monde. C’est typiquement le genre de maladie dont l’émergence, liée à la consommation, très « tendance » chez les Chinois bourgeois de la région de Canton, d’un petit carnivore – la civette palmiste masquée – , est entièrement liée au comportement humain. Elle a créé une crise sanitaire majeure car elle a surtout affecté le personnel hospitalier. Elle a même désorganisé, un temps, les flux aériens. Mais son impact économique est malgré tout resté limité et aujourd’hui, le Sras n’existe plus car l’agent était somme toute assez peu transmissible. Cette fois-là, on l’a échappé belle. Mais la prochaine ?
terraeco.net
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